Intervention de Richard Ferrand

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRichard Ferrand, président, rapporteur général :

Mes chers collègues, alors que l'Assemblée a repris ses travaux selon des modalités plus classiques, dans le cadre d'un processus de déconfinement que l'on peut qualifier à ce stade de réussi, le moment est venu de dresser un premier bilan des travaux de la mission d'information, deux mois après le début de nos auditions.

Face à l'ampleur exceptionnelle de la crise, à son caractère sans précédent et à ses nombreuses dimensions, qu'elles soient sanitaires, sociales, économiques, d'ordre public ou encore internationales, nous avons mis en place un dispositif spécifique et inédit permettant à l'Assemblée nationale d'assurer totalement sa mission constitutionnelle de contrôle de l'action du gouvernement dans des conditions adaptées à l'état d'urgence sanitaire.

La Conférence des présidents a, en effet, décidé à l'unanimité, le 17 mars dernier, de créer une mission d'information associant à ses travaux l'ensemble des présidents de commissions permanentes, corapporteurs de la mission, les délégations ainsi que tous les groupes parlementaires de notre assemblée.

Le champ des travaux de la mission a été défini largement afin de prendre en compte toutes les dimensions de la crise de la covid-19. Toutefois, les travaux de la mission ont en priorité porté sur le suivi renforcé des mesures prises dans le cadre de l'urgence sanitaire, conformément à ce que prévoit la loi du 23 mars 2020, ainsi que sur la gestion de la crise sanitaire et ses orientations stratégiques.

Les travaux des commissions permanentes et des délégations ont eu ainsi vocation à s'articuler avec la feuille de route de notre mission, en abordant et approfondissant les sujets qui relèvent de leurs domaines de compétences respectifs. Elles ont notamment procédé à un suivi précis des 57 ordonnances prises en application de la loi du 23 mars.

L'ensemble des travaux considérables qui ont été conduits au cours des deux derniers mois ont fait l'objet d'une restitution devant la mission la semaine dernière. Ils seront annexés au rapport d'étape que nous examinons aujourd'hui.

Entre le 1er avril et le 26 mai, la mission d'information a procédé à 17 auditions. Elle a suivi de très près la gestion de la crise sanitaire en auditionnant les principaux acteurs impliqués, ainsi que les mesures de mise en œuvre de l'état d'urgence et leur application dans les territoires.

Au fil du déroulement de la crise, elle a également pris en compte les enjeux qui ont émergé, dans l'organisation du travail et dans celle des transports collectifs ou pour la réouverture progressive des écoles lors de la préparation et de la mise en œuvre du déconfinement. Enfin, la mission a entendu l'ensemble des partenaires sociaux afin de recueillir leurs propositions sur la préparation de l'après-crise.

Lors des travaux de notre mission j'ai eu à cœur d'associer l'ensemble des groupes ainsi que les députés non-inscrits. Je rappellerai que près des deux tiers de l'ensemble des questions posées aux personnes auditionnées l'ont été par des groupes de l'opposition.

La mission a d'abord effectué un contrôle renforcé de l'état d'urgence sanitaire. Elle s'est appuyée pour ce faire sur les documents transmis chaque semaine par le Gouvernement, récapitulant les mesures réglementaires prises en application de l'état d'urgence.

La mission a également eu accès à une plateforme déployée par le ministère de l'intérieur recensant les mesures prises par les préfets pour appliquer localement les mesures nationales, soit 2 268 arrêtés préfectoraux au total – hors prise en compte des arrêtés de réouverture des marchés pendant le confinement –, aménageant souvent dans un sens restrictif les déplacements et les ouvertures d'établissements ou procédant à des réquisitions de personnel et de laboratoires pour la réalisation des tests.

Ces arrêtés ont fait l'objet d'un bilan analytique et statistique hebdomadaire, mis en ligne sur la page de la mission.

J'en viens maintenant aux premières conclusions de nos travaux, et aux premiers enseignements que l'on peut en retirer.

Un premier constat s'impose : nous le savons tous, cette crise sanitaire est sans précédent et a conduit à prendre des mesures exceptionnelles, inimaginables il y a encore quelques mois. Je veux parler principalement du confinement de l'ensemble de nos concitoyens pendant huit semaines.

Mais elle se singularise aussi par le contexte de très grande incertitude scientifique, de débat voire de controverse, dans lequel les décisions de santé publique ont dû être prises. Les avancées de la science sont venues nuancer et parfois contredire les conclusions précédentes sur ce nouveau virus, sa contagiosité, ses modalités de transmission, les facteurs de risque.

Des inconnues demeurent quant aux mécanismes de sa diffusion sur le territoire, l'efficacité de tel ou tel traitement, le caractère protecteur ou non de la réponse immunitaire qui semble en passe d'être établie mais dont on ignore toujours la durée.

Il a donc fallu gérer l'urgence, dans l'urgence, mais surtout dans l'incertitude et prendre des décisions sur le fondement d'informations souvent incomplètes et parfois contradictoires.

Figure dans le rapport une chronologie détaillée des différentes mesures engagées dès le 10 janvier avec la diffusion d'un premier message du ministère des solidarités et de la santé aux agences régionales de santé (ARS) sur la conduite à tenir et la définition des cas de covid-19, puis la mobilisation successive des différents dispositifs de réponse à la crise, avec le centre opérationnel de réception et de régulation des urgences sanitaires et sociales (CORRUSS), le centre de crise sanitaire, la cellule interministérielle de crise place Beauvau puis les principales étapes des semaines suivantes.

En parallèle, le choix a toujours été fait de s'entourer des avis les plus au fait de ces questions au moment de décider. Un conseil scientifique a été institué dès le 11 mars, puis consacré par la loi du 23 mars, afin de rendre des avis étayés par des données scientifiques, sur des questions concrètes de gestion de la crise. Le comité analyse, recherche, expertise (CARE) plus axé sur les questions de recherche et développement a été mis en place, en complémentarité avec le conseil scientifique, pour éclairer les pouvoirs publics sur les innovations scientifiques, thérapeutiques et technologiques. Mais, j'y insiste, la décision est restée dans les mains des décideurs politiques.

Deuxième point, le système de soins a tenu bon face à la vague épidémique. Grâce à la mobilisation exceptionnelle et à la capacité d'adaptation remarquable du système hospitalier, les établissements les plus sous tension ont été en mesure de prendre en charge l'afflux de patients atteints de formes graves du virus.

Dès le 6 mars, le plan blanc a été déclenché afin de déprogrammer les activités médicales non indispensables et ainsi de libérer des capacités d'accueil sur l'ensemble du territoire. Même si le point de rupture a été bien souvent approché, même si bien sûr personne ne peut oublier les décès liés à une maladie pour laquelle nous n'avons ni traitement avéré ni vaccin, ces efforts exceptionnels de la part des établissements et de leurs personnels, accompagnés par les autorités sanitaires et les préfets ont permis de faire face.

Comment ? En doublant les capacités en lits de réanimation, passées de 5 000 à 10 500 en quelques semaines ; en faisant appel à des personnels en provenance de zones moins affectées ; en organisant de façon inédite l'évacuation sanitaire de plus de 660 patients vers les hôpitaux les moins sous tension ou vers des pays frontaliers pour soulager ceux des régions du Grand Est et de l'Île-de-France.

Les médecins de ville, probablement moins associés qu'ils ne l'auraient souhaité à la gestion de la crise dans un premier temps, ont été fortement sollicités pour prendre en charge les formes les moins graves de la covid-19. Là aussi, une réponse innovante par rapport à nos pratiques antérieures a été trouvée par un recours massif à la téléconsultation : près de 500 000 ont été effectuées la dernière semaine de mars.

Enfin, la décision de confiner la population a atteint ses deux objectifs, à savoir limiter la pression exercée sur le système de soins et ralentir fortement la circulation du virus, en ramenant à moins de 1 son taux de reproduction – alors qu'il dépassait 3,5 avant le 17 mars.

Loin de moi l'idée de sous-évaluer les effets induits considérables du confinement sur la vie des Français, les risques associés, particulièrement sur les plans médicaux, psychologiques, sociaux et de violences intrafamiliales, ou encore ses conséquences sur l'activité économique nationale. Je pense particulièrement pendant cette période aux personnes âgées isolées mais aussi aux jeunes et aux étudiants.

Pour autant, le confinement a fait la preuve de son efficacité, en termes de maîtrise de l'épidémie, de la capacité des établissements à prendre en charge et de vies sauvées. Nous le voyons aujourd'hui, cet effort collectif nous permet maintenant d'aspirer à une vie « normale » – normale, mais dans le respect des consignes sanitaires.

Cette catastrophe sanitaire a aussi révélé des faiblesses, et la première d'entre elle, qui a été abondamment commentée, est l'insuffisance de nos stocks stratégiques d'équipements de protection, et notamment de masques. Le ministre de la santé l'a indiqué dès le début de la crise, les stocks de masques étaient très faibles, avec une centaine de millions de masques chirurgicaux et aucun masque FFP2 destiné aux personnels soignants.

Il nous appartiendra, dans le cadre des pouvoirs d'enquête, d'identifier en détail les processus et les décisions successives qui ont conduit à ce que ces stocks passent de 1,7 milliard de masques au début de 2009 à 100 millions d'aujourd'hui.

Mais le constat est clair : les stocks nationaux étaient insuffisants face à l'explosion des besoins, de même que ceux des établissements de santé.

Le Gouvernement a procédé à des réquisitions, a soutenu et développé les capacités nationales de production, et surtout il a passé des commandes massives, avec près de 4 milliards de masques commandés à ce jour dont 2,8 milliards de masques chirurgicaux et 1 milliard de masques FFP2.

La doctrine de reconstitution et de gestion des stocks stratégiques nationaux et la réorganisation de leur gestion devront nécessairement être des priorités à l'issue de la crise.

Ce sujet s'inscrit par ailleurs dans une problématique plus large, celle de notre dépendance à l'égard de l'extérieur pour les approvisionnements en produits indispensables – qu'il s'agisse des masques mais aussi des médicaments de réanimation ou encore de réactifs pour les tests de dépistage.

Lors d'une telle crise qui frappe simultanément de nombreux pays, la demande de ces produits a été multipliée alors que les capacités de production, notamment celles de la Chine, ont simultanément diminué. Cette configuration a beaucoup complexifié la gestion de la crise en ralentissant et en mettant sous tension les approvisionnements en équipements indispensables.

Ensuite, la mobilisation exceptionnelle du système hospitalier ne doit pas occulter la situation tendue dans laquelle il se trouvait avant la crise sanitaire, ce qui a imposé aux personnels des efforts d'autant plus importants. Le « Ségur » de la santé sera l'occasion de définir le cadre du plan d'investissement et de revalorisation de l'hôpital annoncé par le chef de l'État en mars dernier, et de mettre sur la table des sujets structurants, y compris en termes d'organisation territoriale.

Enfin, les semaines que nous avons traversées nous obligent à nous poser un certain nombre d'autres questions.

Premièrement, étions-nous prêts en termes de prévention et de suivi épidémiologique ?

Depuis la réorganisation des agences sanitaires et de santé en 2016, Santé publique France a une mission clef de suivi épidémiologique, mais a aussi un rôle à jouer dans la gestion d'une crise sanitaire, en particulier dans la mobilisation des moyens. La question des stocks stratégiques en équipements individuels de protection et les commandes effectuées par Santé publique France à la demande de l'État, la mobilisation des personnels de santé via la réserve sanitaire qui relève aussi de sa compétence, devront être expertisées plus avant dans le cadre de la suite de nos travaux.

En effet, et sans occulter les réussites, non seulement le suivi épidémiologique indispensable ne répond pas toujours au besoin de données opérationnelles sur le terrain pour réagir de façon appropriée, mais dans certains secteurs il a fait défaut. C'est le cas du recensement des décès dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui n'a commencé que quelques semaines après le début de la crise sanitaire, permettant mal dans un premier temps de prendre la bonne mesure du risque.

Deuxièmement, l'organisation de notre dispositif de lutte contre les crises sanitaires doit-elle être revue ?

Les agences régionales de santé et leurs délégations départementales sont-elles dimensionnées, organisées et équipées pour faire face à une situation d'urgence comme celle que nous avons connue ? Elles n'avaient pas été conçues pour cela et leur place dans le dispositif devra évoluer.

On a vu l'importance et le fonctionnement de ce qu'on a appelé le couple maire/préfet sur lequel le Gouvernement s'est appuyé pour décliner et adapter localement les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Les élus – au premier rang desquels les maires – ont garanti le fonctionnement des services municipaux et répondu aux besoins de leurs communes parfois par des décisions controversées. Finalement, ce sont souvent des solutions « cousues main » qui ont pu être mises en place avec les préfets.

Il reste qu'une révision du système en termes de prévention, d'anticipation de la crise et de réponse sur les territoires doit sans doute être opérée afin d'être mieux préparé pour réagir plus vite nationalement et de façon plus adaptée, localement.

Il nous faudra, en particulier, construire un dispositif dans lequel les responsables locaux, au premier rang desquels les élus des territoires, trouvent leur place aux côtés des préfets et des services de l'état. Ce sera un des objectifs de nos futurs travaux.

Dernier point que je voudrais aborder, les mesures majeures adoptées en réponse à la grave récession à laquelle nous sommes confrontés.

Le cumul inédit et mondial d'un choc d'offre et de demande augure de répercussions économiques sévères surtout pour les entreprises les plus fragiles et pour certains secteurs d'activité particulièrement touchés.

Très rapidement, un plan d'urgence d'une ampleur exceptionnelle, 110 milliards d'euros, a été axé sur le maintien dans l'emploi par l'activité partielle, des mesures de soutien en trésorerie aux entreprises pour leur permettre de passer le cap de la crise sanitaire et la garantie de l'État apportée à leur financement, la protection des secteurs stratégiques, et la création d'un fonds de solidarité pour les très petites entreprises. S'y ajoutent des aides à nos concitoyens les plus modestes.

Je ne reviens pas sur le détail de ces mesures que nous avons débattues et largement approuvées et qui seront prolongées par un plan de relance. Les conséquences économiques et budgétaires de la crise seront suivies par la mission dans la suite de ses travaux.

Mes chers collègues, je ne vais pas poursuivre plus longtemps. Je vous renvoie au rapport lui-même qui est complété, je le rappelle, des restitutions par les corapporteurs des travaux des commissions permanentes et, sans plus attendre, j'ouvre le débat.

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