Intervention de François Bourdillon

Réunion du mercredi 17 juin 2020 à 15h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

François Bourdillon, directeur général de Santé publique France de 2016 à 2019 :

Le fait de disposer d'un stock de masques non utilisables dans les hôpitaux en raison d'une différence de conditionnement ou d'une potentielle distorsion de concurrence, et d'être contraints de les détruire lorsqu'ils arrivent à péremption, alors même que le personnel hospitalier fait de ces matériels de protection un usage régulier, a souvent été discuté. Il est possible – c'est une supputation purement personnelle – que, outre le transfert des crédits du budget de l'État vers celui de l'assurance maladie, cet élément ait joué entre 2011 et 2013 en faveur d'un changement de doctrine : la constitution d'un stock tampon stratégique utilisé au fur et à mesure par les hôpitaux, qui en seraient détenteurs, permet une gestion plus fluide. À nouveau, la politique hospitalière n'étant pas de mon ressort, je n'ai pas d'éléments sur ce sujet.

Sur l'utilité des masques, comme toujours en santé publique s'opposent les partisans de l' evidence-based medicine ou médecine factuelle et les acteurs de terrain. Les premiers évaluent le matériel pour déterminer s'il est conforme et efficace au regard des normes ; les seconds s'appuient sur leur expérience, notamment celle du sida, et affirment qu'il y a une efficacité en cas de contaminations nombreuses car la protection permet de réduire les risques. C'est cette politique de réduction des risques que l'agence a promue et qu'il faut continuer de défendre.

Pour préparer cette audition, j'ai fait une recherche sur internet hier, et pris quelques notes : le 9 mars, l'épidémiologiste Antoine Flahault déclarait dans Le Figaro : « aucune étude n'a montré l'efficacité des masques » ; le 13 mars, un homme politique affirmait : « le port du masque ne sert à rien » ; le 17 mars, on lit que les gants et les masques sont « une fausse bonne idée » ; le 19 mars, Le Monde titre dans un article : « Tout le monde n'a pas besoin d'un masque ». Il a fallu la publication dans Le Parisien du 20 mars de la lettre ouverte de quatre personnalités, dont le professeur Got, appelant à « généraliser le port des masques », pour que les choses bougent.

Ces extraits témoignent du fait qu'au début de l'épidémie de nombreuses personnes considéraient l'usage du masque en population générale comme inefficace. C'est probablement ce qui explique qu'on n'ait pas reconstitué un stock d'un milliard et qu'on s'en soit tenu à une quantité supposée protéger les malades et leurs contacts, en estimant qu'il revenait à l'hôpital de se charger des stocks stratégiques. La question est de savoir ce qui a été fait sur ce point en matière de gouvernance hospitalière.

Quant à savoir s'il y a eu du retard dans la réponse apportée à la crise, je laisserai Geneviève Chêne le soupeser. La procédure est normalement la suivante : Santé publique France lance l'alerte auprès de la DGS, laquelle saisit ensuite l'agence pour engager des actions. Ayant été confiné en Touraine, je n'ai pas pu avoir connaissance de ces éléments.

S'agissant des moyens tactiques, ils recouvraient jusqu'à présent les postes sanitaires mobiles (PSM), les respirateurs et les antidotes ; les masques n'en font pas partie. La logique était donc plutôt que chaque hôpital se dote de son propre stock.

Au sujet des Macron Leaks, comme tout le monde, j'ai lu dans la presse le contenu de la note adressée par M. Salomon au candidat à la présidence de la République. Je connais bien Jérôme Salomon : c'est un grand homme de sécurité sanitaire, probablement l'un des plus capés dans ce domaine. La question est de savoir quelle a été sa position quant à l'efficacité des masques pour protéger le grand public et relativement à la prise en charge de ces produits par les hôpitaux, et si c'est bien ce qui explique que les stocks n'ont pas été renouvelés.

Entre 2018 et juin 2019, j'ai lancé la procédure de passation de marché, ce qui prend du temps, notamment parce qu'il faut s'assurer qu'on dispose d'une enveloppe budgétaire suffisante. J'ai également œuvré pour que le rapport de Jean-Paul Stahl soit rendu public ; il l'a été quinze jours avant mon départ.

Il me semble que le non-renouvellement des stocks est davantage imputable à la croyance d'une non-efficacité du port du masque en population générale qu'à des restrictions budgétaires. Des budgets bien plus importants ont en effet été alloués aux préréservations de vaccins et aux achats de médicaments antiviraux pour la pandémie grippale. La question du coût a néanmoins forcément joué, puisque tous les services de l'État, toutes les agences sanitaires subissaient chaque année des coupes budgétaires et des réductions d'emplois.

À mon arrivée, je n'ai procédé à aucun licenciement sec : tous les agents de l'EPRUS qui le souhaitaient sont restés, et il y avait parmi eux des personnes de grande qualité. Philippe Bourrier a été le premier directeur alerte et crises de Santé publique France ; Nicole Pelletier, pharmacienne, lui a succédé. La culture de l'établissement s'est donc perpétuée, et enrichie de l'évaluation, propre à la dimension de santé publique. Nous avions besoin d'hommes de gestion de crise : la nouvelle direction a été chargée de coordonner la crise avec les ministères et au sein de Santé publique France, laissant ainsi les épidémiologistes se consacrer à leur cœur de métier. L'intégration de l'EPRUS s'est donc plutôt bien passée.

La direction alerte et crises, anciennement EPRUS, a été sollicitée pour l'évaluation des produits de santé et pour la réserve sanitaire. Une réserve qui ne sort pas, c'est une réserve qui va mourir ; il faut donc que les réservistes soient sur le terrain. En 2017, ils ont été dix fois plus nombreux à y être envoyés que durant les dix années précédentes. L'ouragan Irma, en particulier, a mobilisé 15 tonnes de matériel et 500 personnes, un effort budgétaire qui a sans doute grevé les enveloppes que la DGS avait prévues pour les produits de santé.

Il y a eu de grands acquis sur la réserve sanitaire : des campagnes de vaccination ont été menées, en particulier à Mayotte, où 15 000 enfants qui n'étaient plus vaccinés l'ont été en six semaines grâce à la mobilisation de 100 réservistes, et les ARS ont commencé à y faire appel.

La réserve sanitaire est extrêmement réactive. Catherine Lemorton, son actuelle cheffe, qui a présidé votre commission des affaires sociales, pourrait en témoigner : il est possible d'envoyer des réservistes le jour qui suit la saisine pour mobilisation, notamment grâce à un système d'information très puissant. La base compte aujourd'hui 40 000 réservistes ; il y en avait 22 000 en 2016. La capacité d'action s'est donc démultipliée, mais parallèlement les emplois ont été réduits, y compris au sein de la direction alerte et crises. La seule façon de réagir est donc parfois de mobiliser des réservistes : ma successeure vous dira sûrement que durant la crise elle a été contrainte de s'appuyer sur les réservistes pour gérer la réserve sanitaire. Durant l'épidémie de covid-19, la mobilisation a atteint 17 000 jours-homme, soit 1 200 personnes pendant 12 jours en moyenne, ce qui est considérable, Santé publique France ayant à la fois la charge du transport, de la protection, du logement et de l'assurance des réservistes.

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