La mission d'information procède à l'audition de M. François Bourdillon, directeur général de Santé publique France de 2016 à 2019.
Mes chers collègues, nous nous retrouvons cet après-midi pour la suite de nos travaux en formation de commission d'enquête. Nous auditionnons M. François Bourdillon, que je remercie de sa présence.
Monsieur Bourdillon, vous avez été directeur général de l'agence Santé publique France à sa création en avril 2016 jusqu'en juin 2019. Vous avez mené la préfiguration qui a conduit à la mise en place de cette agence : Santé publique France est issue de la fusion de l'Institut de veille sanitaire (InVS), de l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé (INPES) et de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). C'est la raison pour laquelle nous vous avons sollicité : nous avons souhaité en effet avoir un regard rétrospectif pour mieux comprendre la façon dont la réponse à la crise sanitaire que nous venons de traverser a été apportée. Vous reviendrez sur les raisons qui ont conduit au dispositif que nous connaissons. Nous sommes également en attente du regard extérieur que vous pouvez avoir sur son fonctionnement dans la crise sanitaire d'une ampleur inédite provoquée par l'épidémie de covid-19.
Avant de vous donner la parole, je vais vous demander de prêter serment. En effet l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. François Bourdillon prête serment.)
Je rappelle que cette audition est publique : elle est donc diffusée en direct, sera consultable en vidéo et fera l'objet d'un compte rendu écrit.
J'ai en effet préfiguré l'Agence nationale de santé publique, puis dirigé pendant trois ans Santé publique France. Pourquoi une telle agence en France ? Nous avons fait le constat que la France était le seul pays au monde à ne pas disposer d'une agence nationale. Elle avait fait le choix, au gré des crises, de créer des agences par fonction de santé publique : une agence pour l'épidémiologie, une autre pour la prévention, une autre encore pour la réponse à apporter... Marisol Touraine a souhaité regrouper ces agences, afin de créer une alchimie entre la connaissance et l'action, de disposer de l'expertise scientifique et de proposer des éléments de réponse dans ce domaine.
Il y avait, de la part de Marisol Touraine, une vraie volonté de renforcer nos capacités de santé publique. Si j'ai accepté de prendre ce poste difficile et de quitter la Pitié-Salpêtrière, où j'étais particulièrement bien, c'est parce que l'enjeu était très important pour notre pays. Après avoir mené une démarche très participative avec l'ensemble des personnels – ils y étaient au départ assez opposés, chacun craignant pour sa propre chapelle –, j'ai créé une agence qui fonctionne, avec quelques succès : le développement considérable de la prévention avec la mise en place du marketing social ; un système national de surveillance qui nous permet de ne pas être aveugles face aux épidémies ; la mise à disposition de toutes les données, qui sont accessibles sur internet ; la transparence des avis ; une réserve sanitaire démultipliée, avec autant de mobilisation de réservistes en 2017 que dans les dix années précédentes avec l'EPRUS.
Enfin, une fusion entraîne une réduction de l'emploi – je ne suis pas naïf. Comme dans beaucoup de fusions, on m'a demandé de réduire les effectifs de 10 %, ce que j'ai fait. Puis j'ai découvert qu'il y avait déjà eu 10 % de réduction entre 2010 et 2014. L'agence a ainsi perdu 20 % de ses effectifs dans ses trois périmètres – INPES, InVS et EPRUS. Cela a des conséquences s'agissant des personnels, qui sont des scientifiques de haut niveau : une personne en moins, ça compte.
Je souhaite vous interroger sur la question centrale et légitime aux yeux de nos compatriotes et de mes collègues concernant la gestion des stocks de masques. En octobre 2018, à la suite d'un audit commandé en 2017, il a été constaté que 613 millions de masques acquis entre 2003 et 2005 n'étaient plus utilisables, ce qui a ramené le stock de masques chirurgicaux à une centaine de millions. Quelles mesures ont été prises, alors même qu'une étude d'experts de Santé publique France, sous l'égide du professeur Jean-Paul Stahl, rendue en 2018, préconisait un stock de 1 milliard de masques chirurgicaux destinés à la population pour faire face au risque de pandémie ? Pourquoi la commande de nouveaux masques évoquée au cours des années précédentes n'a-t-elle pas été passée, ou seulement en juillet 2019 ? Pourquoi cette dernière n'était-elle que de 100 millions d'unités ?
Je m'efforcerai d'être précis et factuel sur cette question sensible. Tout d'abord, si l'agence a un certain degré d'autonomie, elle est strictement opérateur de l'État pour ce qui est des stocks stratégiques, c'est-à-dire qu'elle travaille sur commande et instruction du ministère de la santé pour acquérir, pour stocker ou pour distribuer des stocks stratégiques. Ainsi, l'agence reçoit chaque année une instruction écrite qui fixe les acquisitions et les destructions d'équipements ; cette instruction peut être réactualisée en fonction du contexte. C'est l'article L. 1413-4 du code de la santé publique qui dispose que l'agence intervient « à la demande du ministre chargé de la santé ».
Un tableau de l'état des stocks est mis à jour très régulièrement ; le ministère de la santé en dispose. Sur la période 2012-2017, nous avons reçu une lettre d'instructions chaque année, et 115 millions de masques ont été acquis. Sur la période 2016-2019, 100 millions ont été commandés.
En 2016, lorsque j'ai créé Santé publique France, j'ai récupéré l'EPRUS. Si j'étais directeur général de l'InVS et de l'INPES depuis 2014, je n'étais pas directeur général de l'EPRUS, piloté par un préfet jusqu'à mai 2016. J'hérite donc, en mai 2016, des stocks stratégiques, constitués à l'époque de 750 millions de masques chirurgicaux et de 700 000 masques de type FFP2. Nous nous sommes demandé si ces masques étaient encore efficaces car certains étaient très anciens, datant de 2002 ou 2003, une grande majorité ayant été acquise entre 2005 et 2009. Ils avaient donc plus de dix ans et nous nous interrogions sur ce point. C'est ainsi que la direction générale de la santé (DGS) nous a saisis pour faire une évaluation de l'efficacité de ces masques.
À cette même période est intervenu le fameux changement de doctrine du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui a estimé que le stock destiné aux personnels, pour les hôpitaux et pour les entreprises, relevait de leur compétence : le stock stratégique est ainsi devenu un stock de masques destinés à la population générale, et non plus aux soignants. Une circulaire en date du 2 novembre 2011 aurait fait basculer cette doctrine mais je ne l'ai pas vue. Santé publique France doit dès lors gérer un stock pour la population générale. De qui s'agit-il ? Est-ce que c'est « monsieur tout le monde » ? Les malades ? Les malades symptomatiques et leurs contacts ? Il y a plusieurs possibilités.
Lorsque la doctrine a basculé pour les hôpitaux et pour la médecine libérale, quelles instructions leur ont été données pour se préparer à une pandémie ? Quels éléments ont été communiqués aux hôpitaux pour leur permettre d'évaluer leurs besoins en masques en cas de pandémie ? Auparavant, tout cela était très centralisé. De même, qui aurait dû payer pour la médecine générale ? L'assurance maladie, l'État, les médecins généralistes eux-mêmes, ou encore l'Ordre des médecins ? Ont-ils reçu des instructions dans ce domaine ?
L'évaluation scientifique s'est faite à partir de normes : une norme européenne, tout d'abord, portant sur la filtration bactérienne, la respirabilité et la propreté microbienne, et une norme ISO, ensuite, concernant la cytotoxicité, l'irritation et la sensibilisation. Nous avions ajouté, dans le cahier des charges, la question des lanières ou des élastiques, de manière à savoir s'ils étaient opérationnels. Quatre références ont été analysées : pour deux d'entre elles, l'échec du test de filtration bactérienne a été quasi-total ; pour deux autres références, l'échec a concerné le test de respirabilité ; d'autres défaillances ont été relevées – échec du test de propreté microbienne, échec du test de résistance des lanières. Cela m'amènera à écrire au directeur général de la santé que les masques, périmés, ne sont plus conformes.
Lorsque nous avons repris la fonction logistique de l'EPRUS, nous nous sommes demandé comment faire en sorte que ces équipes, dont certains membres étaient des militaires du service de santé des armées, s'adaptent à la culture de la santé publique. Nous avons souhaité confier la direction alerte et crise de Santé publique France à des anciens de l'EPRUS qui étaient aussi des professionnels de santé. Nous avons ainsi eu deux directeurs issus de l'EPRUS, venant pour l'un du département d'urgence sanitaire (DUS) de la DGS, pour l'autre du centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS) de la DGS. Cette filiation DGS-EPRUS-direction alerte et crises permet aux personnes qui doivent coordonner des crises de comprendre parfaitement le fonctionnement interministériel.
Très vite, nous nous sommes interrogés sur les objectifs concernant la réserve et les stocks de masques. À la lecture du rapport remis en 2015 par Francis Delattre, nous nous sommes dit que si nous voulions faire de la santé publique avec les stocks stratégiques, il fallait en comprendre le sens, c'est-à-dire évaluer les besoins, faute de quoi nous ne ferions que naviguer à vue. J'ai donc saisi un comité d'experts, de manière à disposer d'un avis indépendant rendu par des professionnels de santé qui se sont portés volontaires et qui, c'est important, n'avaient pas de lien d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.
Une deuxième évaluation a été demandée, portant sur la modernisation des moyens tactiques – notamment sur les postes sanitaires mobiles (PSM) et les respirateurs. Ce groupe devait rendre ses conclusions en janvier dernier, mais ne l'a pas encore fait en raison de l'épidémie de covid-19.
Jean-Paul Stahl a travaillé, pour le premier groupe, sur les contre-mesures à adopter en cas d'épidémie, notamment l'évaluation des stocks stratégiques. Ces contre-mesures étaient très centrées sur la grippe, dans la continuité des préconisations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en cas de pandémie grippale : il s'agissait de réactualiser les recommandations de 2009 et de 2011 du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Cette évaluation a été remise à Santé publique France et à la direction générale de la santé en août 2018. S'agissant des masques, les recommandations du HCSP n'ont pas été modifiées : des masques de soins pour les patients symptomatiques ; en milieu hospitalier, des masques de soins dès l'entrée en chambre d'une maladie, et des masques FFP2 pour les soins intensifs. Le rapport chiffre le besoin à 1 milliard de masques ou, plus précisément, à une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes, soit 1 milliard de masques.
Ainsi, le 26 septembre 2018, en vue de la programmation annuelle – nous recevons, en fin d'année, une lettre de programmation portant sur les stocks stratégiques –, j'ai écrit au directeur général de la santé – je tiens cette lettre à votre disposition – pour rappeler les recommandations des experts, afin de disposer de plus de moyens de protection contre une éventuelle pandémie et, surtout, d'obtenir une doctrine, car celle-ci n'est pas claire du tout. Or elle est du ressort du ministère de la santé.
En réponse à cette lettre, je reçois un courrier du directeur général de la santé en date du 30 octobre 2018. Il recommande de considérer que l'ensemble des masques sans date de péremption acquis dans les années 2003 à 2005 sont non conformes et ne peuvent être en conséquence utilisés. Dans ces conditions, le stock valide restant en 2017 a été évalué à 99 millions de masques, dont 63 millions arrivaient à péremption en 2019 et 30 millions en 2020. Le directeur général de la santé précise qu'il veut une commande de 50 millions de masques, voire de 100 millions de masques si les moyens financiers le permettent, et il demande la destruction des masques sans date de péremption acquis dans les années 2000.
Vous venez de nous indiquer un point essentiel. Au deuxième semestre de 2018, vous recevez le rapport de l'expertise sur la qualité des masques, réalisée par un cabinet belge – nous vous remercions de nous le communiquer –, qui conclut que la plupart des 750 millions de masques en stock, dont une partie arrivait à péremption en 2019 et 2020, sont non conformes. Par ailleurs, le comité d'experts dirigé par le professeur Stahl conclut à la nécessité de posséder 1 milliard de masques chirurgicaux. Vous rédigez un courrier le 26 septembre 2018, qui s'inscrit dans la logique des deux précédentes expertises médicales sur l'état du stock, dans lequel vous soulignez la nécessité d'établir une doctrine et de recevoir des instructions. En effet, vous n'êtes pas l'ordonnateur : Santé publique France a la charge de la commande, mais pas de la décision, qui relève du ministre ou, par délégation, du directeur général de la santé.
Vous avez confirmé que la réponse du professeur Salomon portait sur une première commande de 50 millions de masques, avec une option pour 100 millions en fonction des disponibilités budgétaires, ce qui a été fait en 2019.
Il faudra en demander confirmation à mon successeur car je suis parti en juin 2019 ; mais je n'ai pas le souvenir d'avoir passé cette commande – un directeur général ne peut pas tout voir à ce niveau de détail.
Selon vous, il y avait donc une exigence de maintenir un stock de stratégique de 1 milliard de masques ?
Il y avait besoin d'une doctrine, parce qu'on hésitait trop entre, d'un côté, les masques pour la population et, de l'autre, des masques pour les professionnels. Cette question taraudait tout le monde : les experts de Santé publique France, pilotés par Jean-Paul Stahl, sont des médecins qui déterminaient de quoi avaient besoin la population et les soignants. Mais lorsque le stock stratégique s'est considérablement réduit, nous nous sommes placés dans une logique populationnelle – les masques sont destinés aux patients symptomatiques et à leurs contacts –, ce qui change tout, notamment en termes de format !
Nous discutons à cette époque avec la DGS, à sa demande, d'une expérimentation du port du masque pendant les épidémies de grippe, afin d'y accoutumer les Français. Je réponds qu'il conviendrait plutôt de promouvoir les masques sans attendre l'expérimentation, parce que cela permet de réduire les risques : en cas d'épidémie, même avec 30 ou 40 % d'efficacité, le port du masque peut diminuer les transmissions. Comme il y a chaque année 10 000 morts de la grippe, cela vaut le coup ! Nous avons pu constater, lors de cette discussion, que la DGS elle-même était en train de basculer en faveur des masques pour la population. De ce fait, avec le changement de doctrine, plus personne ne pensait aux hôpitaux. Je me demande donc s'il y a eu des directives pour aider les hôpitaux à évaluer leurs besoins et à faire leurs achats.
Je n'ai plus de capacités d'investigation. J'ai posé la question à mon hôpital de référence, qui n'en a pas eu connaissance.
Nous avons demandé hier au directeur général de la santé quelle était la définition des stocks des moyens tactiques pour les hôpitaux. Le contrôle du maintien des stocks de moyens tactiques aurait dû relever des agences régionales de santé (ARS).
Les moyens tactiques sont déjà regroupés dans certaines zones du territoire. Était-ce à chacun des hôpitaux de s'équiper ? Ce n'est pas la même chose ! En tout cas, je n'ai jamais vu les masques figurer dans les moyens tactiques.
Pour être précis, la recommandation du professeur Stahl est de constituer un stock de 1 milliard de masques qui, selon vous, sont destinés à la population.
Le professeur Stahl recommande 1 milliard de masques pour la population et les soignants. Le flou est un peu entretenu mais je dispose d'une évaluation de Santé publique France et je cherche alors à obtenir une doctrine.
Vous transmettez donc cette recommandation à la DGS. Selon vous, la suite logique de votre courrier serait que des commandes soient passées, quelle que soit leur destination ?
La transformation du stock stratégique est considérable : s'il est destiné à la population, cela ne concerne plus du tout le système de soins ! Il devient alors nécessaire de développer une politique à destination des hôpitaux et des médecins libéraux.
Pas de commandes, pas de masques, pas d'instructions : vous donnez le sentiment que le système était géré à la petite semaine, monsieur le directeur général.
Considérez-vous que les masques chirurgicaux sont utiles à la population ? Leur port par le grand public est-il nécessaire ?
Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, nous a expliqué hier le passage d'une logique de stock dormant à une logique de stock tampon, laquelle nécessite de pouvoir passer commande rapidement. Vous avez vous-même évoqué un changement de doctrine. Quelles sont les garanties sur la capacité opérationnelle d'une telle stratégie, notamment en cas de propagation à partir de la Chine, comme ce fut le cas de l'épidémie de covid-19 ?
Comment se fait-il que nous ayons eu tant de retard sur les commandes de masques à l'importation au moment de la crise ? Comment expliquer que des centrales d'achat aient été plus performantes que l'État ? La livraison par Geodis était-elle le meilleur choix dans un contexte de propagation rapide du virus ?
S'agissant des stocks tactiques, destinés aux établissements de santé, des instructions doivent être données. Or, vous avez laissé entendre que les hôpitaux étaient livrés à eux-mêmes pour la reconstitution de leurs stocks dès lors que ceux-ci n'étaient plus gérés par l'État ; pouvez-vous le confirmer ?
Vous avez quitté vos fonctions en juin 2019, après que Jérôme Salomon a envoyé une note au candidat Macron déplorant dans des termes assez durs l'absence de préparation de l'État, remettant ainsi en cause votre travail et celui de l'ensemble des acteurs de la santé en France. Quelle a été alors votre réaction ?
Compte tenu de l'importance des éléments que vous venez de porter à notre connaissance, il me paraît nécessaire que M. Salomon se présente à nouveau devant notre commission. Vous dites avoir demandé des précisions dans un courrier de septembre 2018. Jérôme Salomon a affirmé hier qu'une commande de 100 millions de masques avait été passée en octobre 2018. Que s'est-il passé entre ce moment et votre départ en juin 2019 ? Avez-vous de nouveau requis des instructions de la part du directeur général de la santé ? L'absence de commande a-t-elle été le résultat d'un changement de doctrine ou de restrictions financières ?
Les auteurs du rapport d'étape de la mission d'information, dont j'ignore l'identité, ont mis en cause l'organisation institutionnelle de la gestion des crises sanitaires, en particulier dans le cadre des missions confiées à Santé publique France, mais peut-être s'agit-il de ma propre interprétation. D'après les informations que vous avez pu recueillir, savez-vous quand l'agence nationale a été saisie ? Cette saisine date-t-elle bien du 30 janvier 2020, soit vingt jours après que l'alerte a été donnée par le directeur général de la santé, alors même que, conformément au code de la santé publique, l'agence ne peut intervenir qu'après saisine ministérielle ?
Madame la présidente, il me paraît également nécessaire que nous recevions de nouveau l'actuel directeur général de la santé. Soyez remercié, monsieur Bourdillon : vous nous apportez les réponses que nous ne sommes pas parvenus à obtenir hier, et permettez ainsi à notre commission d'enquête de remplir ses objectifs.
D'après votre propos, les instructions de la direction générale de la santé étaient de commander une petite quantité de masques – deux fois 50 millions – et, manifestement, c'est le cadre budgétaire qui pose problème, puisque les responsables n'envisagent pas d'augmenter le budget alors que le stock est presque épuisé après la destruction de plusieurs centaines de millions de masques. Je présume que des réunions ont eu lieu à ce sujet ; pouvez-vous nous dire qui y participait ? En avez-vous conservé la mémoire, avez-vous des notes à transmettre à notre commission d'enquête pour que nous puissions savoir qui est à l'origine de cette absence de décision ?
Dans la presse, vous dites regretter les erreurs stratégiques, qui seraient d'après vous imputables au ministère de la santé. Quelles sont-elles ? Existe-t-il des requêtes ou des courriers qui en feraient état ? Vous dites que nous serions partis à la guerre sans doctrine, mais des décisions ont-elles été prises, ou y a-t-il eu absence de décision ? N'a-t-on simplement pas réagi à la perte de plus de 600 millions de masques devenus inutilisables, ce qui est proprement hallucinant, ou s'est-on contenté de les remplacer par 100 millions de nouvelles pièces, en assumant, donc, le risque d'être démuni face à une épidémie ?
Pour en revenir à votre propre action, au moment de la fusion qui a permis la création de l'agence nationale, l'EPRUS comptait trente emplois, essentiellement des militaires, des spécialistes de la logistique et de l'approvisionnement maîtrisant l'art de faire la guerre. Les agents sont-ils restés en poste, ou n'avez-vous reconduit que les postes budgétaires ? La gestion du stock semble en effet avoir connu un certain laisser-aller, puisqu'on a découvert tardivement qu'une partie de celui-ci n'était pas utilisable.
Enfin, vous avez déclaré dans Le Monde : « Le fait que les masques chirurgicaux soient destinés à la population, et que le ministère de la santé n'était pas convaincu de leur utilité pour le grand public – on l'a vu en 2020 –, je pense que ça a dû jouer dans la prise de décision de ne pas reconstituer les stocks ». Vous n'êtes pas loin de nous livrer la clé de toute l'affaire : les autorités ont affirmé que les masques étaient inutiles parce que c'est ce qu'elles pensaient, et ne les jugeant pas utiles, elles n'en ont pas racheté. Du fait de ces décisions objectives, pourtant contraires à notre plan de lutte contre les pandémies, nous nous sommes retrouvés nus face au virus.
Vous qui aviez pour rôle de transmettre des demandes à la DGS afin que des décisions soient prises par le ministre en charge, estimez-vous que la France était prête pour affronter une telle pandémie ? Qu'a-t-il manqué par rapport à vos recommandations ?
Concernant la gestion de la crise, quelles sont, parmi les décisions qui ont été prises, celles que vous jugez bonnes et celles que vous jugez mauvaises ?
S'agissant des masques, alors que M. Salomon nous a dit hier que la doctrine n'était pas encore tout à fait stabilisée, vous affirmez qu'ils permettent d'assurer au moins 40 % de la protection. Alors qu'au sein de l'Assemblée nationale, les députés seraient autorisés à se retrouver à 577 dans l'hémicycle dès la semaine prochaine s'ils portent tous des masques, il serait temps qu'on dise clairement au grand public si ces protections sont utiles ou non.
Enfin, concernant les tests, pourquoi la France est-elle très loin derrière l'Allemagne, mais aussi les pays asiatiques ? La Chine est en mesure de faire passer 150 000 tests sérologiques par jour. Un plan de lutte contre les pandémies ne doit-il pas inclure une réflexion sur les tests ?
Je partage les préoccupations de mes collègues au sujet des masques.
Selon l'infectiologue Anne-Claude Crémieux, Santé publique France aurait dû mener des enquêtes de terrain pour comprendre les conditions d'infection des nouveaux contaminés. Pour quelles raisons ce travail n'a-t-il pas été fait ?
Selon vous, les métiers de la santé publique devraient-ils faire davantage de place au terrain ? Comment expliquer les grandes difficultés qu'a eues l'agence pour faire remonter des données de terrain et suivre l'évolution de l'épidémie ?
Enfin, Santé publique France n'était pas préparée à mobiliser la réserve sanitaire dans de telles proportions, le serveur dédié n'était pas dimensionné pour gérer l'afflux de connexions simultanées suscité par la solidarité. Comment le rôle de cette réserve a-t-il été pensé lorsque vous étiez à la tête de l'agence nationale ?
Le fait de disposer d'un stock de masques non utilisables dans les hôpitaux en raison d'une différence de conditionnement ou d'une potentielle distorsion de concurrence, et d'être contraints de les détruire lorsqu'ils arrivent à péremption, alors même que le personnel hospitalier fait de ces matériels de protection un usage régulier, a souvent été discuté. Il est possible – c'est une supputation purement personnelle – que, outre le transfert des crédits du budget de l'État vers celui de l'assurance maladie, cet élément ait joué entre 2011 et 2013 en faveur d'un changement de doctrine : la constitution d'un stock tampon stratégique utilisé au fur et à mesure par les hôpitaux, qui en seraient détenteurs, permet une gestion plus fluide. À nouveau, la politique hospitalière n'étant pas de mon ressort, je n'ai pas d'éléments sur ce sujet.
Sur l'utilité des masques, comme toujours en santé publique s'opposent les partisans de l' evidence-based medicine ou médecine factuelle et les acteurs de terrain. Les premiers évaluent le matériel pour déterminer s'il est conforme et efficace au regard des normes ; les seconds s'appuient sur leur expérience, notamment celle du sida, et affirment qu'il y a une efficacité en cas de contaminations nombreuses car la protection permet de réduire les risques. C'est cette politique de réduction des risques que l'agence a promue et qu'il faut continuer de défendre.
Pour préparer cette audition, j'ai fait une recherche sur internet hier, et pris quelques notes : le 9 mars, l'épidémiologiste Antoine Flahault déclarait dans Le Figaro : « aucune étude n'a montré l'efficacité des masques » ; le 13 mars, un homme politique affirmait : « le port du masque ne sert à rien » ; le 17 mars, on lit que les gants et les masques sont « une fausse bonne idée » ; le 19 mars, Le Monde titre dans un article : « Tout le monde n'a pas besoin d'un masque ». Il a fallu la publication dans Le Parisien du 20 mars de la lettre ouverte de quatre personnalités, dont le professeur Got, appelant à « généraliser le port des masques », pour que les choses bougent.
Ces extraits témoignent du fait qu'au début de l'épidémie de nombreuses personnes considéraient l'usage du masque en population générale comme inefficace. C'est probablement ce qui explique qu'on n'ait pas reconstitué un stock d'un milliard et qu'on s'en soit tenu à une quantité supposée protéger les malades et leurs contacts, en estimant qu'il revenait à l'hôpital de se charger des stocks stratégiques. La question est de savoir ce qui a été fait sur ce point en matière de gouvernance hospitalière.
Quant à savoir s'il y a eu du retard dans la réponse apportée à la crise, je laisserai Geneviève Chêne le soupeser. La procédure est normalement la suivante : Santé publique France lance l'alerte auprès de la DGS, laquelle saisit ensuite l'agence pour engager des actions. Ayant été confiné en Touraine, je n'ai pas pu avoir connaissance de ces éléments.
S'agissant des moyens tactiques, ils recouvraient jusqu'à présent les postes sanitaires mobiles (PSM), les respirateurs et les antidotes ; les masques n'en font pas partie. La logique était donc plutôt que chaque hôpital se dote de son propre stock.
Au sujet des Macron Leaks, comme tout le monde, j'ai lu dans la presse le contenu de la note adressée par M. Salomon au candidat à la présidence de la République. Je connais bien Jérôme Salomon : c'est un grand homme de sécurité sanitaire, probablement l'un des plus capés dans ce domaine. La question est de savoir quelle a été sa position quant à l'efficacité des masques pour protéger le grand public et relativement à la prise en charge de ces produits par les hôpitaux, et si c'est bien ce qui explique que les stocks n'ont pas été renouvelés.
Entre 2018 et juin 2019, j'ai lancé la procédure de passation de marché, ce qui prend du temps, notamment parce qu'il faut s'assurer qu'on dispose d'une enveloppe budgétaire suffisante. J'ai également œuvré pour que le rapport de Jean-Paul Stahl soit rendu public ; il l'a été quinze jours avant mon départ.
Il me semble que le non-renouvellement des stocks est davantage imputable à la croyance d'une non-efficacité du port du masque en population générale qu'à des restrictions budgétaires. Des budgets bien plus importants ont en effet été alloués aux préréservations de vaccins et aux achats de médicaments antiviraux pour la pandémie grippale. La question du coût a néanmoins forcément joué, puisque tous les services de l'État, toutes les agences sanitaires subissaient chaque année des coupes budgétaires et des réductions d'emplois.
À mon arrivée, je n'ai procédé à aucun licenciement sec : tous les agents de l'EPRUS qui le souhaitaient sont restés, et il y avait parmi eux des personnes de grande qualité. Philippe Bourrier a été le premier directeur alerte et crises de Santé publique France ; Nicole Pelletier, pharmacienne, lui a succédé. La culture de l'établissement s'est donc perpétuée, et enrichie de l'évaluation, propre à la dimension de santé publique. Nous avions besoin d'hommes de gestion de crise : la nouvelle direction a été chargée de coordonner la crise avec les ministères et au sein de Santé publique France, laissant ainsi les épidémiologistes se consacrer à leur cœur de métier. L'intégration de l'EPRUS s'est donc plutôt bien passée.
La direction alerte et crises, anciennement EPRUS, a été sollicitée pour l'évaluation des produits de santé et pour la réserve sanitaire. Une réserve qui ne sort pas, c'est une réserve qui va mourir ; il faut donc que les réservistes soient sur le terrain. En 2017, ils ont été dix fois plus nombreux à y être envoyés que durant les dix années précédentes. L'ouragan Irma, en particulier, a mobilisé 15 tonnes de matériel et 500 personnes, un effort budgétaire qui a sans doute grevé les enveloppes que la DGS avait prévues pour les produits de santé.
Il y a eu de grands acquis sur la réserve sanitaire : des campagnes de vaccination ont été menées, en particulier à Mayotte, où 15 000 enfants qui n'étaient plus vaccinés l'ont été en six semaines grâce à la mobilisation de 100 réservistes, et les ARS ont commencé à y faire appel.
La réserve sanitaire est extrêmement réactive. Catherine Lemorton, son actuelle cheffe, qui a présidé votre commission des affaires sociales, pourrait en témoigner : il est possible d'envoyer des réservistes le jour qui suit la saisine pour mobilisation, notamment grâce à un système d'information très puissant. La base compte aujourd'hui 40 000 réservistes ; il y en avait 22 000 en 2016. La capacité d'action s'est donc démultipliée, mais parallèlement les emplois ont été réduits, y compris au sein de la direction alerte et crises. La seule façon de réagir est donc parfois de mobiliser des réservistes : ma successeure vous dira sûrement que durant la crise elle a été contrainte de s'appuyer sur les réservistes pour gérer la réserve sanitaire. Durant l'épidémie de covid-19, la mobilisation a atteint 17 000 jours-homme, soit 1 200 personnes pendant 12 jours en moyenne, ce qui est considérable, Santé publique France ayant à la fois la charge du transport, de la protection, du logement et de l'assurance des réservistes.
Pardonnez-moi de vous interrompre, mais j'avais posé une question précise à laquelle vous n'avez pas répondu : la décision de ne pas commander de masques a-t-elle fait l'objet de réunions auxquelles vous avez participé ?
Je ne participais pas directement à de tels échanges, qui réunissaient, outre le personnel de Santé publique France, la DGS et le Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS). Des comptes rendus ont sûrement été rédigés, mais je n'en dispose pas.
La France était-elle prête ? Ce que je peux dire, pour l'avoir créée, c'est que Santé publique France l'était. L'agence dispose d'un personnel très compétent, doté d'un vrai savoir, dans tous les champs de la santé publique, scientifiques – épidémiologie, prévention – comme logistiques.
Chaque mission a été pleinement remplie. L'alerte a été donnée grâce au système de veille de l'agence, qui est très important. Le travail de surveillance effectué, à moyens constants, a été considérable. Le bulletin épidémiologique hebdomadaire compile des informations dont le spectre va des hôpitaux aux médecins généralistes, et inclut des données sur la mortalité et les tests. Peu d'organismes au monde sont en mesure de produire de tels chiffres pour éclairer ceux qui pilotent un pays. Les responsables des systèmes d'information ont travaillé jour et nuit pour publier ce bulletin. Tous les modélisateurs ont d'ailleurs puisé dans les données de Santé publique France, à l'instar des autorités ou des médias, qui communiquaient essentiellement des chiffres issus de l'agence. Toutes les données brutes sont accessibles et téléchargeables ; 400 000 connexions pour récupérer ces données ont ainsi été enregistrées, dont celles de l'hôpital universitaire Johns Hopkins, aux États-Unis.
En matière de prévention, toute la communication a été construite par Santé publique France, mais on perçoit malheureusement la mainmise du service d'information du Gouvernement (SIG). Si je n'ai pas voulu interférer dans le travail de mes anciens collègues, car il est toujours délicat qu'un ancien directeur général revienne par la fenêtre, il me semble que la ligne a été assez axée sur la peur, or cette approche n'est pas l'ADN de Santé publique France, qui prône plutôt la responsabilité. Dix vidéos très intéressantes sur la vie quotidienne ont été publiées et traduites en vingt-quatre langues. Des contacts ont été pris avec de nombreuses associations, notamment ATD Quart Monde et la Fondation Abbé Pierre, pour que les informations parviennent aux plus démunis.
Concernant la réponse, nous avons déjà évoqué la question des masques, donc le travail de l'unité établissement pharmaceutique, et on peut dire de la réserve sanitaire qu'elle a été très réactive et fortement mobilisée. Le procès qui lui a été fait dans la presse était injustifié : la start-up créatrice de l'application mettant en relation un hôpital et un médecin ou un soignant volontaire ne fournit pas un service comparable. La mobilisation ne concerne que des demi-journées, comme dans l'intérim, les dossiers ne sont pas analysés, aucun contrôle n'est effectué sur les compétences des personnes intéressées. Le travail fourni par l'unité de la réserve sanitaire est exceptionnel compte tenu des moyens dont celle-ci dispose.
Évidemment, ce serait mieux avec un budget plus important. En cas de crise, l'établissement pharmaceutique, par exemple, passe brutalement de la gestion d'un stock dormant par quelques logisticiens sur le site de Marolles, sous l'autorité d'un pharmacien responsable, à une période de folie pure – 2 milliards d'euros ont été débloqués pour l'achat de masques. Dans de tels moments, tout s'emballe. Pour faire face à une pandémie, il faut des personnels nombreux. Il faut donc disposer d'une micro-équipe suffisamment bien pilotée pour encadrer des personnes supplémentaires. Cet effet d'accordéon est très compliqué à gérer. Je considère donc que Santé publique France a vraiment joué son rôle, et pour avoir conservé des contacts personnels avec plusieurs agents, je peux vous dire qu'ils sont tous à genoux.
Pourquoi y a-t-il eu un retard en matière de tests ? Je ne sais pas. Toujours est-il que la recommandation de l'OMS était claire : « testez, testez, testez ». Il est extrêmement important de le faire. À cet égard, plutôt que des tests sérologiques, ce sont des tests RT-PCR qu'il faut réaliser, car il importe également d'identifier les contacts. C'est incontestablement ce qui est fait désormais : les résultats des RT-PCR ont permis d'identifier cent clusters, ce qui montre que la procédure est efficace. Santé publique France en a la charge : les épidémiologistes, outre la confection des courbes et des graphiques et le rassemblement des données, font ce que l'on appelle le contact tracing. Bien sûr, les brigades de l'assurance maladie l'ont fait elles aussi, mais c'est le métier de l'agence ; c'est dans ses gènes.
Je vais vous raconter une anecdote amusante. Quand j'ai vu le titre de l'enquête épidémiologique de Santé publique France sur Les Contamines-Montjoie, cela m'a fait rire : c'est aux Contamines-Montjoie qu'on se contamine… L'agence a effectué le contact tracing à partir d'un chalet qui avait accueilli des Britanniques, où 75 % des occupants avaient été contaminés. Elle a identifié 176 personnes contacts, réalisé environ soixante-dix tests RT-PCR et trouvé un cas de covid-19. Il y avait là-bas des enfants, lesquels ne sont pas très contaminants. Par ailleurs, j'ai regardé précisément ce que les RT-PCR avaient révélé. Il y avait beaucoup de coronavirus, d'adénovirus et de virus grippaux. Même si, avec ces tests, on cherchait spécifiquement le covid-19, je me suis alors dit que l'immunité croisée intervenait probablement – c'est sans doute ce qui explique que la courbe de l'épidémie se soit cassée. À partir de ce moment-là, j'ai été beaucoup plus confiant s'agissant de la dynamique de l'épidémie : avec l'immunité croisée, la population est protégée, parce qu'elle a déjà attrapé d'autres coronavirus. Comme quoi, faire des analyses de terrain, être en mesure de les publier rapidement et savoir les lire permet d'éclairer une situation.
J'ai pris connaissance du courrier que vous avez eu l'obligeance de nous remettre – mes collègues le recevront, eux aussi. Le 26 septembre 2018, vous écriviez au professeur Salomon, en sa qualité de directeur général de la santé : « Les recommandations d'utilisation des masques en cas de pandémie n'ont pas à être modifiées et l'importance d'un stock est à considérer en fonction des capacités d'approvisionnement garanties par les fabricants ». Cela renvoie à la capacité à disposer du stock en cas de crise. « La base de calcul est d'une boîte de cinquante masques par foyer de malades. En cas d'atteinte de 30 % de la population, le besoin est de 20 millions de boîtes, soit près d'un milliard de masques, qui doivent être détenus à proximité de la population ». Si j'interprète bien – je vous demande de le confirmer ou de l'infirmer –, cela veut dire que ce milliard de masques était bien destiné à la population, et n'avait rien à voir avec les stocks, qui, dans le cadre de la nouvelle doctrine, élaborée en 2013, devaient être constitués par les établissements hospitaliers, voire les établissements médico-sociaux.
Tout à fait.
Compte tenu des éléments dont vous disposez, avez-vous été surpris – voire choqué –, à l'époque ou aujourd'hui, et ce même si vous n'êtes plus en responsabilité, du fait que ce stock n'ait pas été reconstitué, comme le professeur Salomon nous l'a dit hier ?
Je ferai la même réponse que tout à l'heure : je pense qu'il y avait, dans le processus de décision, toute une série de personnes qui ne croyaient pas réellement à l'utilité de la distribution de masques à la population, et que c'est cela, davantage que la dimension budgétaire, qui explique le fait que la cible était non plus 1 milliard, mais quelques centaines de millions. Il suffit, pour comprendre cette logique que j'ai perçue par moments, de reprendre tout ce que disaient et répétaient, au début de l'épidémie, tous ces professionnels de santé – professeurs de santé publique et infectiologues – à propos des masques : ils ne pensaient pas qu'ils étaient efficaces en population générale. Les politiques ont d'ailleurs repris ces propos. Il y a donc une fracture entre l'expertise de M. Stahl et la croyance – je pèse mes mots – de ces personnes, ou leurs représentations, s'agissant des masques. Derrière cela, il y a ce que j'appelle l'« évidence pèse-médecine », à savoir des personnes qui font de l'évaluation, qui décident si le masque est efficace ou pas, et pour lesquelles les choses sont soit noires soit blanches, par opposition à la conception des professionnels ayant déjà vécu de nombreuses crises et qui étaient, pour leur part, dans une logique de réduction des risques.
Je pense qu'il faut viser la réduction des risques, ce que l'Allemagne a fait, y compris lorsqu'elle n'avait pas de masques. À cet égard, comme l'a dit hier le professeur Salomon, il faut regarder autour de nous comment la crise a été gérée. Nous avions encore des stocks stratégiques, ce qui n'était pas le cas de nombreux pays. L'Allemagne, par exemple, a été très pragmatique. On a dit aux citoyens : si vous n'avez rien, mettez un foulard ou une écharpe. Il y a trois modes de contamination : l'aérosol, les gouttelettes de Flügge – autrement dit les postillons – et le contact, en particulier entre la main et la bouche. Les gouttelettes de Flügge, au moins, peuvent être arrêtées. Le masque est donc une forme de protection, de même que la distanciation sociale, même si ce n'est pas totalement efficace.
Monsieur Bourdillon, vous venez d'évoquer un aspect sur lequel je souhaitais vous interroger, à savoir l'utilisation de masques en tissu et l'élaboration d'une nouvelle norme par l'Agence française de normalisation (AFNOR). Pouvez-vous nous dire quelques mots supplémentaires sur ce que vous en pensez et sur les conditions d'utilisation de ces masques ?
Je voulais surtout vous interroger sur les conséquences des baisses d'effectifs sur la capacité de l'agence à assumer ses missions : les réductions qui vous ont été demandées – vous nous avez parlé de 20 % en dix ans, grosso modo – n'ont-elles pas conduit à affaiblir l'exercice d'un certain nombre de ces missions, voire à les abandonner ? J'en profite pour saluer le travail de celles et ceux qui œuvrent au sein de cette agence : ma question n'est en aucun cas une mise en cause de leur travail, naturellement.
Selon vous, était-il cohérent d'intégrer l'EPRUS au sein de l'agence, compte tenu de ce que vous nous avez dit tout à l'heure de ses liens avec le pouvoir en ce qui concerne les commandes ? L'EPRUS a-t-il fait son travail avant les études que vous avez diligentées ? Compte tenu de ce que vous nous dites sur l'état des stocks et de ce qui figure dans la note que vous avez rendue publique et qui vient d'être évoquée par Éric Ciotti, il apparaît que votre avis n'a pas été respecté. Est-ce sous votre autorité qu'a été élaborée la stratégie en plusieurs phases, notamment pour la gestion des tests ? On nous a expliqué, à un certain stade, que ce n'était pas le moment de faire des tests. En réalité, on a le sentiment que Santé publique France a été un peu contournée – y compris pour la communication –, notamment avec la création du conseil scientifique.
Enfin, je voudrais savoir comment fonctionnent les cellules régionales. Quels sont notamment leurs liens avec les ARS ? J'ai cru comprendre que les choses n'avaient pas été simples dans la gestion de la crise. Quel regard portez-vous sur cet aspect ?
L'actualité, au début du confinement, a surtout été émaillée par le rôle des régions dans la fourniture de masques aux populations. On a assisté à des scènes, parfois un peu baroques, de guérilla entre les départements et les régions : c'était à qui poserait son logo au bon endroit pour qu'il soit montré par la caméra. À votre connaissance, tout ce cirque a-t-il été fait en concertation avec les autorités de l'État ? Considérez-vous que cela a été un plus pour l'équipement des Françaises et des Français, ou bien au contraire cela a-t-il été un élément de nature à déstabiliser les politiques publiques nationales ?
Vous avez fait tout à l'heure référence au Monde. Quant à moi, je me souviens d'un article du 7 mai qui parlait de la destruction de 616 millions de masques acquis dans les années 2004-2005. Il y a eu une polémique sur la question de savoir si l'essentiel des masques détruits, datant de plus de quinze ans, était encore utilisable ou non, et à qui incomberait, le cas échéant, la responsabilité de ne pas avoir géré ces stocks et procédé au renouvellement au fil de l'eau, mais aussi celle d'avoir donné l'instruction de les détruire, y compris après le début du confinement.
Enfin, vous avez évoqué, de manière sibylline, une communication fondée sur la peur et instrumentalisée par le service d'information du Gouvernement (SIG). Pourriez-vous développer ce point ? Je ne voudrais pas qu'on laisse accroire qu'il y ait eu ou qu'il ait pu y avoir une tentative de manipulation de la population.
Enfin, madame la présidente, je voudrais vous dire que nous nous associons pleinement à la demande, formulée par certains de nos collègues, d'une nouvelle audition de M. Salomon, mais peut-être celle-ci pourrait-elle avoir lieu dans un temps suffisamment éloigné pour nous permettre, justement, d'avoir matière à le réinterroger ?
Nous avons bien précisé, à la fin de l'audition d'hier, que ce n'était que la première de nos auditions et que nous avions encore beaucoup de gens à entendre – preuve en est : dès la deuxième audition, nous apprenons de nouvelles choses. Nous sommes dans un calendrier tout à fait normal. Nous n'avons pas à nous mettre de pression. Nous allons continuer ce travail d'investigation posément, sereinement, comme nous avons commencé à le faire hier. Nous auditionnerons de nouveau M. Salomon, le cas échéant, en fonction de tout ce que nous aurons entendu au cours des prochaines semaines ; nous le lui avons dit hier, et il s'y pliera. Je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point.
Monsieur Bourdillon, merci pour votre présence parmi nous et pour vos réponses particulièrement éclairantes. Nous nous connaissons, puisque je suis la référente parlementaire de Santé publique France. Je vous retrouve tel que je vous ai connu avant votre départ. Pierre Dharréville vous a déjà interrogé sur l'EPRUS ; je n'y reviendrai donc pas, sauf pour vous demander, tout simplement, si vous regrettez son absorption dans Santé publique France. Si vous étiez encore à la manœuvre, imagineriez-vous de réindividualiser cet organe pour qu'il soit plus efficient ?
Je voudrais vous interroger, une fois de plus, sur les masques. Le 4 mars, la cellule de coordination interministérielle de logistique se met en place. Elle est chargée de gérer le stock de masques. Le 13 mars, le Premier ministre, Édouard Philippe, prend un décret de réquisition. Nous sommes à l'avant-veille du premier tour des élections municipales. Les stocks de masques sont donc réquisitionnés pour protéger les assesseurs. Or dans ma région, le Grand Est, qui a été particulièrement éprouvée – et la première touchée –, certains soignants, notamment les médecins exerçant en libéral, n'avaient strictement rien pour se protéger, ce qui suscitait leur incompréhension totale. Comme on le sait, ils en ont payé le prix fort : il y a eu de nombreux décès. Est-ce que, en tant qu'observateur confiné en Touraine, comme vous nous l'avez dit, et simple citoyen – puisque vous n'êtes plus à la tête de Santé publique France –, cette stratégie vous a paru sensée ? Auriez-vous voulu intervenir ? Peut-être d'ailleurs avez-vous, à ce moment-là, interpellé les autorités.
Monsieur Bourdillon, le diable se cache souvent dans les détails. Or vous avez fait état de choses très précises quant aux résultats des tests réalisés sur le stock de masques, qui ont conduit à les déclarer défectueux. Si je comprends bien, vous avez testé les différents éléments de la norme médicale EN 14683 : échecs s'agissant de la filtration bactérienne – c'est-à-dire un résultat inférieur à 95 % –, de la respirabilité – ce qui veut dire que les masques étaient trop respirables – et de la propriété microbienne – ils présentaient plus de trente unités formant colonie (UFC) par gramme, autrement dit ils étaient attaqués par des champignons, des bactéries ou des virus. Le média filtrant avait donc perdu sa charge électrostatique ou était détérioré. Cela signifie que les masques avaient été entreposés dans de très mauvaises conditions. L'état des masques révèle donc un énorme problème de logistique.
Au passage, je note qu'on a beaucoup encensé, hier, les normes AFNOR, mais vous serez d'accord avec moi pour dire qu'aucun des éléments que j'évoquais n'est testé dans le cadre de cette norme. Les masques que vous avez, à juste titre, déclarés défectueux pour un usage médical pouvaient donc tout à fait être validés comme masques grand public. Lorsqu'une partie des masques a été sauvée de l'incinération parce qu'ils pouvaient quand même être utiles à quelque chose, était-ce au regard des critères de la norme médicale, ou bien de ceux d'une norme plus tolérante, en considérant qu'on pouvait donner à la population des masques dont l'efficacité était douteuse ? Du reste, aucune des normes en vigueur ne teste la filtration des virions : leur taille est inférieure à celle qui est requise dans le cadre de la norme médicale et de la norme pour les équipements de protection individuelle (EPI), applicable aux masques dits FFP1, FFP2 et FFP3.
Monsieur Bourdillon, vous connaissez mon intérêt pour l'EPRUS ; j'y reviens encore. C'est vous qui avez construit Santé publique France. N'avez-vous pas l'impression qu'on a diminué l'action de l'EPRUS dans sa dimension de bouclier sanitaire ? Je ne parle pas de ce qui concerne la réserve sanitaire. En 2011, l'établissement était armé – je ne rappelle pas les chiffres.
Pourquoi cette absence de renouvellement des stocks année après année, alors que celui-ci était prévu dans la convention de l'EPRUS ? Un an avant la date de péremption, on prévient le ministre, de façon à dégager les budgets. Cela tient-il à des difficultés de gestion ? Est-ce un problème financier, lié au fait qu'on a réduit peu à peu les financements de l'EPRUS dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) successifs ?
Qui, à la suite de l'audit, a décidé la destruction des masques ? Qui a signé les bons de destruction ? C'est une véritable question. Surtout, pourquoi n'a-t-on pas anticipé le renouvellement ?
Enfin, que pensez-vous du changement de stratégie intervenu en 2013 ? J'ai sous les yeux une note où il est écrit que le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a signé le 16 mai 2013 ce changement de stratégie, qui a ensuite été conduit sous l'autorité du Premier ministre. Ne le regrettez-vous pas ?
Commençons par l'EPRUS. Était-il cohérent de l'intégrer à Santé publique France ? Ma conviction a toujours été que oui. L'EPRUS, dans ses fonctions d'établissement pharmaceutique et de réserve, est d'une grande utilité pour une agence nationale de santé publique. Je ne regrette rien dans ce domaine. Il a beaucoup progressé en ce qui concerne les réserves et les produits de santé. L'agence est toujours armée pour faire face à une pandémie, même si le problème des masques s'est posé, et s'il s'agit d'un problème difficile.
S'agissant de la sécurité sanitaire, on est passé d'une logistique sur ordre, pilotée par les préfets, et donc procédant d'une logique qui était celle du ministère de l'intérieur, à une gestion relevant d'une logique de santé publique, partant d'une évaluation des besoins. En disant cela, je prêche pour ma paroisse, mais il me semble que plus on a de sens et d'expertise, plus on est en mesure de faire les bons choix, ou en tout cas d'aider à la décision. En revanche, je pense sincèrement que, en ce qui concerne l'établissement pharmaceutique, le dimensionnement est trop faible. Par ailleurs, l'effet d'accordéon entre, d'un côté, des stocks dormants et, de l'autre, les nécessités d'un temps de crise, mérite que l'on mène une réflexion.
Par ailleurs, le contrôle par le Parlement me paraît indispensable : il faut que l'état des stocks stratégiques soit présenté tous les ans en même temps que le budget, et il faut que celui-ci soit sanctuarisé. Sinon, c'est trop facile : c'est toujours sur la prévention que l'on fait des économies. C'est probablement ce qui s'est passé lors du passage de l'ouragan Irma, et dans le domaine dont nous parlons. Chaque fois que survient une crise quelconque mettant en jeu la sécurité sanitaire – et il y en a beaucoup : Santé publique France lance 150 alertes par an –, cela a des conséquences sur la prévention, parce que celle-ci n'est pas un enjeu à court terme : la prévention, c'est pour dans dix ans. Il est donc très important que les budgets alloués à la sécurité sanitaire et à la prévention soient sanctuarisés, parce qu'en ce moment, l'agence a quasiment arrêté de fonctionner s'agissant de beaucoup de ses missions, ce qui est problématique : la politique de lutte contre le tabac et celle en faveur de la nutrition, par exemple, sont tout de même importantes.
La diminution des effectifs a-t-elle un impact sur l'agence ? J'ai perdu 60 personnes, et avant cela 60 autres postes avaient été supprimés, soit 120 au total. Les effectifs vont probablement être de nouveau augmentés. Une telle diminution, cela fait beaucoup pour une agence de niveau scientifique – car Santé publique France n'est pas une administration : c'est une agence de santé publique, employant des professionnels capables à la fois de communiquer, de mesurer et de mettre en place de nouveaux systèmes de surveillance, comme on l'a vu avec le système d'information national de dépistage (SIDEP) pour le covid-19. Dès 2003, j'ai plaidé pour l'instauration de la déclaration électronique des décès, car c'est le seul moyen, en cas de crise énorme, de décompter précisément ces décès. Je l'ai répété année après année, quand je me rendais dans les ARS. Il a fallu attendre 2019 pour l'obtenir. L'agence possède une capacité de surveillance, une connaissance du terrain exceptionnelles, du fait de ses liens avec les associations. Un peu d'air ferait beaucoup de bien aux gens qui y travaillent, car ils dépassent largement les 35 heures – ils font plutôt 50 ou 55 heures par semaine ; la maison est toujours éclairée – et ils ont un sens du service public très développé.
Santé publique France possède des représentations régionales, les cellules d'intervention en région (CIRE), installées dans les ARS. C'est un outil fondamental ; les CIRE sont la colonne vertébrale de l'agence. On y trouve des épidémiologistes, des scientifiques qui tiennent à jour le système d'information et font remonter les alertes à Santé publique France en toute indépendance. Même si l'ARS fait remonter au ministère de la santé un certain nombre d'alertes, le fait de disposer d'un système national rassemblant, dans toutes les régions, les données des urgences et de SOS Médecins et les indicateurs de mortalité, est un gage d'indépendance et permet de donner l'alerte. C'est également grâce à ce système qu'on est capable, par exemple, à travers les centres nationaux de référence, d'identifier les cas de salmonellose chez des bébés ayant ingéré du lait contaminé. Ce sont donc des mécanismes fondamentaux. Du reste, dans les ARS, on trouve davantage de professionnels de la gestion de la santé que de scientifiques. Les cellules scientifiques permettent donc de donner des éclairages pour comprendre certains signaux complexes, notamment en matière d'épidémiologie ; il est crucial que le système perdure. Bien sûr, il y a des tensions : la possession des données est un enjeu sensible, de même que la communication – il s'agit de savoir qui parle, ou qui ne doit pas parler –, mais ces difficultés sont naturelles en période de crise. Je pense qu'il ne faut surtout pas toucher à ce système de délégations régionales.
À côté de la norme AFNOR, il y a la norme européenne ; les deux ont été analysées. Bien sûr, elles ont leurs limites et, comme pour n'importe quelle norme, il existe des effets de seuil. Quoi qu'il en soit, quand les résultats des tests ne sont pas bons au regard des critères fixés pour la contamination bactérienne et la respirabilité, il paraît très compliqué de promouvoir les masques en question.
En ce qui concerne les conditions d'entreposage, je vous invite, si vous le souhaitez, à visiter le site de Marolles, qui a été construit en 2013. Il est ultramoderne, très beau, tout neuf et offre des conditions d'entreposage excellentes. Certes, une contamination a eu lieu – il m'a été dit que des champignons s'étaient développés –,…
C'est pour cela que les masques ne filtraient plus : ils avaient été humidifiés et avaient perdu leur charge électrostatique.
…mais je pense qu'elle est antérieure.
Il est clair, en effet, que les masques ont perdu leur composante électrostatique et qu'ils n'étaient plus efficaces.
Cela m'amène au débat sur les masques grand public et à la question de savoir si les régions ont eu une bonne idée en en distribuant. Pour moi, la réponse est clairement oui.
Les régions se sont emparées du problème. Tout ne peut pas venir de l'État. Il était important de mettre à disposition des masques grand public.
La manière dont on communique est quelque chose d'important : cela donne le ton. En l'occurrence, les trois phases de la communication organisée par Santé publique France et le service d'information du Gouvernement ont été les suivantes : « Attention coronavirus », « Alerte coronavirus » et « Le coronavirus circule toujours ». Mon impression, tout à fait personnelle, est que cela était très injonctif et un peu axé sur la peur. Le message, en substance, était celui-ci : « Faites attention, vous risquez d'être contaminés, mettez un masque. » Cela a abouti à ce que l'on voit dans la rue des gens qui, même tout seuls dans leur voiture, vitres fermées, portent un masque. Autrement dit, on perd le sens de ce geste. De la même façon, on a mis des amendes à des personnes isolées assises sur une plage, ce qui m'a paru parfaitement disproportionné, car elles ne faisaient courir de risque à personne. Dans la communication qui a été choisie, on n'a pas suffisamment insisté sur le sens du port du masque. Quand on est près d'autres personnes, dans des zones où il y a beaucoup de monde, il est justifié de le porter, mais quand on rentre chez soi à onze heures du soir et qu'il n'y a personne d'autre dans la rue, cela vaut-il le coup ? Si l'on veut avancer, il faut garder une dimension de responsabilisation individuelle.
Par ailleurs, je suis un fervent partisan de l'humour. J'ai essayé de l'utiliser pour la promotion du mois sans tabac, et même dans la politique relative à l'alcool et à la nutrition. Dans la période actuelle, il faut de l'humour, car les gens sont si tendus que cela rend les choses encore plus difficiles : un peu d'humour, cela détend tout en permettant de faire passer les mêmes messages. Santé publique France ne se contente pas d'élaborer des messages : elle mène aussi des enquêtes après coup. Tous les quinze jours, elle construit ainsi des indicateurs permettant de mesurer le stress, l'anxiété, le tabagisme, ou encore l'alcoolisme. Des enquêtes montrent donc l'importance de ces éléments et guident la prévention. Il y a là une véritable source de savoir qui, me semble-t-il, a été mise sous le boisseau. On pourrait s'en servir pour élaborer, à propos des masques, une communication axée sur la réduction du risque et susceptible d'être comprise par tout le monde. Cela éviterait que des gens qui vous croisent dans la rue vous reprochent de ne pas porter de masque, alors même qu'il n'y a aucune raison de le faire. Dans le métro, en revanche, il faut bien sûr le porter. Quoi qu'il en soit, il me paraît indispensable que les gens comprennent pourquoi ils doivent porter le masque et comment ils peuvent se protéger.
L'état des stocks de masques faisait-il l'objet d'une expertise avant celle que vous avez demandée ? Pouvait-on présumer que des stocks dépourvus de date de péremption avaient une durée de vie étendue ? Le professeur Salomon a semblé dire qu'un changement de doctrine était intervenu en 2018, au lendemain du rapport de M. Stahl et du courrier que vous lui avez adressé. Si j'ai bien compris son propos, il a confié le soin d'élaborer la nouvelle doctrine, que vous sembliez attendre de sa part, à Santé publique France ; elle devait voir le jour, d'après lui, début 2020. Il semblait avoir déjà considéré qu'il fallait un stock dynamique, tampon. On a le sentiment de s'être trouvé dans un entre-deux entre la doctrine précédente et l'absence totale de doctrine, à l'arrivée de la crise.
Pouvez-vous préciser le rôle de Santé publique France dans la gestion de la crise, la détermination de la stratégie – on a l'impression qu'elle n'en a pas défini ; le comité scientifique, nouvellement installé, a dû trouver sa place au cours de la crise.
M. Salomon nous a dit que, lorsque l'OMS demandait aux États de procéder à des tests, elle ne s'adressait pas à la France mais aux pays qui n'avaient pas encore accès aux tests. Qu'en est-il, selon vous ?
La stratégie de confinement a-t-elle été, selon vous, un palliatif à l'absence de masques et de tests ?
Vous aviez certainement manifesté auprès du ministère votre intention de quitter vos fonctions. Or, cinq mois se sont écoulés entre votre départ et l'arrivée de votre successeur. Celle latence a-t-elle pu être préjudiciable à la gestion de la crise ?
Je reviens sur le choix qui a été fait de destiner les masques à la population générale plutôt qu'aux soignants. Je ne comprends pas comment on peut conduire une stratégie qui ne tient pas compte de la doctrine de l'État. Vous nous avez expliqué qu'il n'y avait pas de consensus sur l'efficacité du port du masque au sein de la population, ce qui explique qu'on n'ait pas véritablement renouvelé les stocks. Dans un pays cartésien, comment peut-on expliquer que l'État change de doctrine – sur une base légale mystérieuse – et que des fonctionnaires décident qu'on ne l'appliquera pas, ou seulement partiellement ? En 2009, le SGDSN préconisait le masque pour tous. On invoque, à l'appui du changement de doctrine, une circulaire de 2011 de Xavier Bertrand, que personne ne retrouve, un avis du Haut Conseil de la santé publique du 1er juillet 2011, la doctrine du SGDSN du 16 mai 2013. Je ne vois rien concernant les masques dans les plans ORSAN (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) et ORSAN-REB (risques épidémiques et biologiques). Quel est donc le document qui fixe la doctrine et pourquoi ne le respecte-t-on pas ?
Par ailleurs, la vision comptable a-t-elle supplanté le principe de précaution ? Lorsque vous distinguez médecins de terrain et théoriciens, je crois entendre le professeur Raoult, qui se décrit comme un épidémiologiste de terrain, loin des gens qui, à Paris, bâtissent des théories. M. Salomon a affirmé qu'il n'avait pas d'opinion tranchée en la matière, mais considérait que le port du masque n'avait pas d'effets sanitaires majeurs. Le choix de n'acheter que 50 millions de masques n'a-t-il pas été motivé davantage par des considérations budgétaires, comme l'a suggéré Éric Ciotti, que par la conviction de leur inutilité pour la population ? M. Salomon nous a par ailleurs expliqué que les masques pouvaient avoir de l'effet si la population était nombreuse à le porter. Le choix qui a été fait a donc contredit la stratégie médicale et paraît incompréhensible au regard des travaux qui ont été publiés : avant le rapport Door-Blandin de 2005, qui a montré l'utilité du masque, une étude de The Lancet de 2003 explique qu'il est plus efficace que certains gestes barrières. Pourquoi des médecins ne peuvent-ils, sur le fondement de ces publications, trancher la question de l'efficacité du masque ? Comment se fait-il qu'après quinze ans de controverses, on ne soit pas parvenu à une conclusion ?
On voit à quel point la communication doit s'adapter aux connaissances physiopathologiques. En évoquant tout à l'heure Les Contamines-Montjoie, vous avez affirmé que les enfants étaient peu contaminants ; or, nous ne l'avons su que très récemment. Quel était le rôle de l'institution que vous dirigiez dans la gestion des équipements de protection, en particulier des FFP2 et des surblouses, dans les structures hospitalières ? Je pense tant aux objectifs qu'à la vérification des stocks. Avez-vous engagé une réflexion sur les personnels soignants de ville qui n'ont, par définition, pas d'employeur ?
Par ailleurs, vous avez indiqué qu'à la suite d'un courrier de la DGS, vous avez vérifié la qualité des masques. Cela signifie-t-il qu'un contrôle de leur qualité n'était pas effectué au fil de l'eau ?
La grippe a tué 12 000 personnes en 2018-2019 et 13 000 personnes en 2017-2018. N'était-ce pas le moment, alors que nous avions beaucoup de masques, d'envisager une campagne de promotion du port du masque, en soulignant son caractère protecteur et préventif, pour éduquer la population au sujet de ces épidémies ?
J'ai compris que votre agence avait très peu d'autonomie. Vous êtes un opérateur de l'État et travaillez sur instruction du ministère. Constatant le faible niveau des stocks de masques, vous attendez la confirmation des commandes. Depuis la période 2003-2005, on constitue un stock de près de 750 millions de masques, que l'on contrôle, si j'ai bien compris, en 2017, soit plus de dix ans après. On constate alors que la quasi-totalité d'entre eux sont inutilisables. N'importe quel patron se serait fait mettre dehors s'il avait géré un stock de cette façon ! C'est proprement hallucinant. Qui est chargé de la surveillance des stocks ? S'agit-il de votre agence ? Elle a en effet pour mission de « gérer » les stocks, mais que faut-il entendre par là ? Pourquoi ne les avez-vous pas contrôlés, alors que l'État a acheté du matériel de protection par votre intermédiaire ? Si ce n'est pas à vous qu'incombe cette mission, qui a, selon vous, commis la faute ?
Après avoir constaté le faible niveau des stocks de masques, vous vous êtes adressé à l'État et avez attendu sa réponse. Pourtant, votre agence est placée sous la tutelle du ministère de la santé, et neuf représentants de l'État siègent au sein de votre conseil d'administration. On peut en déduire qu'il y a eu des débats d'ampleur sur le sujet. Pourquoi a-t-il fallu attendre la réponse de l'État ? Il est essentiel que nous le sachions car, si on avait eu plus de masques, on aurait déploré beaucoup moins de décès.
Une ligne budgétaire était censée planifier depuis 2013 l'achat annuel de 100 millions de masques par l'EPRUS, qui a été intégré à Santé publique France en 2016. En réalité, entre 2012 et 2017, seuls 140 millions de masques ont été acquis, très loin des 500 millions prévus. Cette ligne budgétaire n'a pas été respectée, apparemment en raison des arbitrages du ministère. En effet, alors qu'aucune ligne n'était dédiée aux urgences, on a dû faire face, notamment, à Ebola en 2014 puis aux attentats en 2015. Ces événements ont conduit à un changement de trajectoire, au détriment des achats de masques. Y a-t-il aujourd'hui, au sein de Santé publique France, une ligne dédiée aux urgences ?
En 2018, vous dites avoir reçu une instruction de commande de la part de la DGS d'une faible quantité de masques, qui n'a pas permis de faire remonter le stock. Jérôme Salomon a évoqué hier une commande de 100 millions. Celle-ci a fait débat et n'apparaîtrait pas dans la liste des appels d'offres passés par Santé publique France. Confirmez-vous que cette commande a été passée et réceptionnée ?
M. Salomon nous a dit que le changement de doctrine expliquerait beaucoup de choses. Pourtant, il me semble qu'il concerne davantage l'aspect qualitatif – FFP2 ou masques chirurgicaux – que la dimension quantitative. En juin 2019, soit un an après le constat de la faiblesse du stock, un avis d'experts de Santé publique France a été publié, indiquant qu'il n'y avait aucun élément nouveau qui amènerait à modifier les recommandations émises par le passé : le besoin en masques chirurgicaux pour équiper la population seule en cas de pandémie est évalué à 1 milliard. Par la suite, aucune décision n'a été prise pour renflouer les stocks. Quelle a été la position de Santé publique France à ce moment ?
Lorsque survient une crise de cette ampleur, Santé publique France se mobilise dans son ensemble pour assurer ses fonctions d'alerte, de surveillance, de prévention et de réserve sanitaire, voire d'établissement pharmaceutique. Nos collaborateurs ont une très grande expérience des épidémies ; l'institution en recueille la mémoire. Nous avons essayé toutes les modalités de communication, à un moment ou à un autre. Cela étant, face à une crise de cet ordre, le monitoring relève d'une architecture interministérielle, car il faut penser au-delà de l'aspect strictement sanitaire. La question est de savoir comment Santé publique France contribue au processus de décision. J'ai vu que la directrice générale était associée au comité d'experts placé auprès d'Emmanuel Macron, mais j'ignore si elle a été impliquée dans tous les processus de décision.
Toute crise aboutit à un retour d'expérience de Santé publique France écrit et classé. La question du pilotage et de la coordination est systématiquement soulevée. Après le passage de l'ouragan Irma, on a mis en lumière la complexité des chaînes de commandement, qui impliquaient les responsables du Samu, les réservistes, la sécurité civile, les préfets et le directeur général de la santé. Il faut élaborer un système, qui doit être prévu dans la doctrine de réponse. Celle-ci est très importante, car elle permet de fixer le cadre et de procéder à des tests, concernant, par exemple, les établissements de santé de référence pour les risques infectieux ou le bioterrorisme : en fonction de la réactivité des hôpitaux, on réalise des corrections. Il est essentiel d'avoir une doctrine écrite, et de la faire évoluer. Nous étions sans doute préparés pour faire face à une pandémie grippale, mais pas pour affronter un coronavirus. On a connu précédemment deux coronavirus, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV). À chaque fois, la France s'en est bien sortie, ne déplorant que deux cas de MERS-CoV. On a estimé qu'on savait gérer un coronavirus et on en a ressenti une forme de toute-puissance. Lorsque l'alerte chinoise a été lancée, on pensait donc arriver à y faire face. Personne n'imaginait que le virus circulait – comme cela a probablement été le cas – dès septembre en France.
La doctrine émane, par définition, du Gouvernement. Il paraît logique d'associer à son élaboration des agents de Santé publique France, mais il ne faut pas être juge et partie : l'agence ne doit pas bâtir des doctrines, car elle risquerait de prêcher pour sa paroisse. Dans le processus de décision, les agences sanitaires ne peuvent avoir cette attribution. Les arbitrages doivent être réalisés par les ministères de la santé et des finances. On ne peut pas imaginer qu'une agence aille frapper à toutes les portes.
Cela dit, j'ai beaucoup plaidé, avant mon départ, pour que l'agence soit financée exclusivement par l'assurance maladie, en lieu et place de l'État, afin de protéger l'emploi et, de manière générale, l'institution. L'assurance maladie a en effet la santé dans ses gènes et dispose des moyens de fonctionner. Nous avons subi, depuis 2010, une baisse de 20 % de nos effectifs.
Il y a eu des diminutions lors des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) successifs.
En effet, nous avons subi de nombreuses diminutions. Dans toutes les réunions auxquelles vous m'avez convié, j'ai indiqué, chaque année, que j'étais inquiet de la baisse des crédits de fonctionnement et des effectifs, et que je ne savais pas comment j'arriverais à m'en sortir. J'ai même été convoqué pour avoir tenu des propos qui allaient à l'encontre de la position officielle.
S'agissant des masques, le débat demeure en la matière. Il y a toujours des croyances. Certains se prononcent sur l'efficacité des masques, tandis que d'autres se focalisent sur la réduction du risque au sein de la population, qui sont deux approches complémentaires. Lorsque les services de réanimation accueillent un grand nombre de malades du covid, les masques doivent empêcher le passage de la plus fine particule, parce qu'on ne peut pas aller contre les soignants. Inversement, pour le grand public, la réduction du risque a du sens quand le virus circule largement.
Je ne sais pas ce qu'il en est de la gestion des masques FFP2 au sein des structures hospitalières et en médecine de ville. Cela rejoint la question que j'ai posée tout à l'heure sur la gouvernance de l'hôpital et de la médecine de ville, dans le cadre du changement de doctrine. Je n'ai pas la réponse, je n'avais pas la responsabilité de ces questions. Il est important d'essayer de comprendre.
Lorsque j'hérite de l'EPRUS – dont je n'étais pas le directeur général – en 2016, la première question qu'on se pose concerne l'état du stock. Nous avons travaillé sur ce point avec la direction générale de la santé.
La discussion a lieu environ six mois après le vote de la loi de mai 2016. On a jugé nécessaire d'expertiser des masques qui avaient plus de dix ans d'âge. Au sein de l'établissement pharmaceutique, un pharmacien est responsable de la gestion et de la qualité des stocks, y compris des vaccins, des niveaux de température... Mon pharmacien responsable m'a dit qu'il fallait analyser les stocks. Nous l'avons demandé à la DGS, qui nous a fait une lettre de saisine.
Le conseil d'administration de Santé publique France se réunit quatre fois par an et traite de nombreux sujets, dont beaucoup sont prioritaires. Souvent, le sujet pandémique n'est pas primordial car il n'est pas d'actualité. Nous avons fait part de cette question lors des auditions parlementaires consacrées au projet de loi de finances (PLF) et au PLFSS, et nous avons eu des échanges de courrier avec la DGS, mais nous n'avons jamais eu, dans mon souvenir, de discussions à ce sujet, hormis peut-être lors de pré-conseils d'administration entre les services de l'État. Toutefois, ceux-ci étaient gérés par mon adjoint ; je ne peux donc pas répondre véritablement à cette question.
Il est certain qu'Ebola, les attentats et l'ouragan Irma ont dévié des crédits du ministère de la santé. Il me paraîtrait nécessaire de présenter l'état des stocks stratégiques au Parlement chaque année, en même temps que les lignes budgétaires qui leur sont consacrées.
Elle me paraît réaliste et constituerait une protection. On ne saurait s'en remettre à une ligne budgétaire de prévention, utilisable en cas de difficultés car, le jour où survient une épidémie, on se retrouve dans la situation actuelle.
Je précise que j'ai quitté l'agence parce que j'ai atteint la limite d'âge – j'aurais volontiers prolongé mon activité. Une structure de cette taille, qui est l'agence de référence de sécurité sanitaire, a besoin d'un directeur général. Mon adjoint, qui est quelqu'un de très solide, grand connaisseur de la santé publique, a assuré l'intérim. C'est une position difficile, par nature temporaire, où on est amené à gérer les affaires courantes. Le directeur général est très exposé, assume de lourdes responsabilités, fait face à de nombreuses tensions, assure l'interface quotidienne avec le politique ; à cela s'ajoute la dimension scientifique. Beaucoup hésitent à quitter le confort de l'université et leur liberté de parole pour occuper cette fonction. Il faut probablement revoir la formation en santé publique pour disposer d'un vivier de professionnels à même d'occuper ce type de postes. Je rappelle mon itinéraire : j'ai fait de la médecine hospitalière, du cabinet et j'ai assumé des fonctions au ministère de la santé, ce qui m'a permis de connaître tous les mondes. À cet égard, j'ai un profil très atypique. On a besoin, pour occuper ce poste, de personnes passées par une ARS, par le ministère, qui entretiennent beaucoup de liens avec les professionnels de santé. À l'origine, Santé publique France était le Réseau national de santé publique. Le réseau est primordial : on ne peut faire fonctionner l'institution que si on connaît énormément de gens et que l'information remonte. Ce délai de six mois a donc été dommageable.
Nous vous remercions pour vos réponses précises. Nous avons pris note de votre proposition d'accorder au Parlement un droit de regard sur la gestion des stocks stratégiques. Par ailleurs, on pourrait envisager de maintenir à leur poste les directeurs de certaines institutions, qu'ils aient ou non atteint la limite d'âge, jusqu'à la nomination d'un successeur, pour éviter un intérim trop long.
La question des tests qui ont été pratiqués sur les masques stockés n'étant pas complètement élucidée, je vous propose que nous auditionnions M. Meunier, qui fut le dernier directeur de l'EPRUS et le chef de cabinet de Marisol Touraine.
L'audition s'achève à dix-sept heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mercredi 17 juin 2020 à 15 h 30
Présents. - M. Damien Abad, M. Julien Aubert, M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, Mme Josiane Corneloup, M. Olivier Damaisin, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Caroline Fiat, M. David Habib, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Fiona Lazaar, M. Bertrand Pancher, Mme Barbara Pompili, M. Bruno Questel, M. Joachim Son-Forget, M. Boris Vallaud, M. Philippe Vigier, Mme Martine Wonner.