Je ne participais pas directement à de tels échanges, qui réunissaient, outre le personnel de Santé publique France, la DGS et le Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS). Des comptes rendus ont sûrement été rédigés, mais je n'en dispose pas.
La France était-elle prête ? Ce que je peux dire, pour l'avoir créée, c'est que Santé publique France l'était. L'agence dispose d'un personnel très compétent, doté d'un vrai savoir, dans tous les champs de la santé publique, scientifiques – épidémiologie, prévention – comme logistiques.
Chaque mission a été pleinement remplie. L'alerte a été donnée grâce au système de veille de l'agence, qui est très important. Le travail de surveillance effectué, à moyens constants, a été considérable. Le bulletin épidémiologique hebdomadaire compile des informations dont le spectre va des hôpitaux aux médecins généralistes, et inclut des données sur la mortalité et les tests. Peu d'organismes au monde sont en mesure de produire de tels chiffres pour éclairer ceux qui pilotent un pays. Les responsables des systèmes d'information ont travaillé jour et nuit pour publier ce bulletin. Tous les modélisateurs ont d'ailleurs puisé dans les données de Santé publique France, à l'instar des autorités ou des médias, qui communiquaient essentiellement des chiffres issus de l'agence. Toutes les données brutes sont accessibles et téléchargeables ; 400 000 connexions pour récupérer ces données ont ainsi été enregistrées, dont celles de l'hôpital universitaire Johns Hopkins, aux États-Unis.
En matière de prévention, toute la communication a été construite par Santé publique France, mais on perçoit malheureusement la mainmise du service d'information du Gouvernement (SIG). Si je n'ai pas voulu interférer dans le travail de mes anciens collègues, car il est toujours délicat qu'un ancien directeur général revienne par la fenêtre, il me semble que la ligne a été assez axée sur la peur, or cette approche n'est pas l'ADN de Santé publique France, qui prône plutôt la responsabilité. Dix vidéos très intéressantes sur la vie quotidienne ont été publiées et traduites en vingt-quatre langues. Des contacts ont été pris avec de nombreuses associations, notamment ATD Quart Monde et la Fondation Abbé Pierre, pour que les informations parviennent aux plus démunis.
Concernant la réponse, nous avons déjà évoqué la question des masques, donc le travail de l'unité établissement pharmaceutique, et on peut dire de la réserve sanitaire qu'elle a été très réactive et fortement mobilisée. Le procès qui lui a été fait dans la presse était injustifié : la start-up créatrice de l'application mettant en relation un hôpital et un médecin ou un soignant volontaire ne fournit pas un service comparable. La mobilisation ne concerne que des demi-journées, comme dans l'intérim, les dossiers ne sont pas analysés, aucun contrôle n'est effectué sur les compétences des personnes intéressées. Le travail fourni par l'unité de la réserve sanitaire est exceptionnel compte tenu des moyens dont celle-ci dispose.
Évidemment, ce serait mieux avec un budget plus important. En cas de crise, l'établissement pharmaceutique, par exemple, passe brutalement de la gestion d'un stock dormant par quelques logisticiens sur le site de Marolles, sous l'autorité d'un pharmacien responsable, à une période de folie pure – 2 milliards d'euros ont été débloqués pour l'achat de masques. Dans de tels moments, tout s'emballe. Pour faire face à une pandémie, il faut des personnels nombreux. Il faut donc disposer d'une micro-équipe suffisamment bien pilotée pour encadrer des personnes supplémentaires. Cet effet d'accordéon est très compliqué à gérer. Je considère donc que Santé publique France a vraiment joué son rôle, et pour avoir conservé des contacts personnels avec plusieurs agents, je peux vous dire qu'ils sont tous à genoux.
Pourquoi y a-t-il eu un retard en matière de tests ? Je ne sais pas. Toujours est-il que la recommandation de l'OMS était claire : « testez, testez, testez ». Il est extrêmement important de le faire. À cet égard, plutôt que des tests sérologiques, ce sont des tests RT-PCR qu'il faut réaliser, car il importe également d'identifier les contacts. C'est incontestablement ce qui est fait désormais : les résultats des RT-PCR ont permis d'identifier cent clusters, ce qui montre que la procédure est efficace. Santé publique France en a la charge : les épidémiologistes, outre la confection des courbes et des graphiques et le rassemblement des données, font ce que l'on appelle le contact tracing. Bien sûr, les brigades de l'assurance maladie l'ont fait elles aussi, mais c'est le métier de l'agence ; c'est dans ses gènes.
Je vais vous raconter une anecdote amusante. Quand j'ai vu le titre de l'enquête épidémiologique de Santé publique France sur Les Contamines-Montjoie, cela m'a fait rire : c'est aux Contamines-Montjoie qu'on se contamine… L'agence a effectué le contact tracing à partir d'un chalet qui avait accueilli des Britanniques, où 75 % des occupants avaient été contaminés. Elle a identifié 176 personnes contacts, réalisé environ soixante-dix tests RT-PCR et trouvé un cas de covid-19. Il y avait là-bas des enfants, lesquels ne sont pas très contaminants. Par ailleurs, j'ai regardé précisément ce que les RT-PCR avaient révélé. Il y avait beaucoup de coronavirus, d'adénovirus et de virus grippaux. Même si, avec ces tests, on cherchait spécifiquement le covid-19, je me suis alors dit que l'immunité croisée intervenait probablement – c'est sans doute ce qui explique que la courbe de l'épidémie se soit cassée. À partir de ce moment-là, j'ai été beaucoup plus confiant s'agissant de la dynamique de l'épidémie : avec l'immunité croisée, la population est protégée, parce qu'elle a déjà attrapé d'autres coronavirus. Comme quoi, faire des analyses de terrain, être en mesure de les publier rapidement et savoir les lire permet d'éclairer une situation.