Le 3 janvier 2020, l'alerte fait l'objet d'un premier échange entre Santé publique France et la direction générale de la santé. Le 10 janvier, nous publions la première définition de cas, ce qui permet de commencer le signalement des cas, la réalisation de tests diagnostiques et la prise en charge des patients constituant des cas avérés.
Le 17 janvier, le CNR de l'institut Pasteur met au point le test diagnostique et, le 24 janvier, les trois premiers cas de covid-19 sont confirmés en France – ils seront d'ailleurs les trois premiers cas confirmés sur le sol européen. Cela ne signifie pas qu'aucun Français n'a été atteint avant le 24 janvier, mais qu'à partir de cette date, on est en mesure d'identifier des cas à partir des signalements qui sont faits – je précise que pour ces trois premiers cas, on a pu remonter la chaîne de transmission jusqu'en Chine. Le 26 janvier, à la demande de la direction générale de la santé, et conformément à notre mission, nous produisons une première note d'analyse de risques portant sur des situations liées au coronavirus, auquel nous savons avoir affaire. Si certains des coronavirus tels que le SRAS et le MERS présentent une gravité particulière, d'autres sont assez bénins, puisqu'ils correspondent à de simples rhumes.
Trois scénarios sont donc identifiés, dont un scénario du type SRAS et deux scénarios de type pandémique, l'un avec un impact sanitaire et social significatif, l'autre avec un impact sanitaire et sociétal majeur. Nous indiquons alors tous les éléments qui nous manquent pour préciser nos hypothèses.
Ce même jour, le 26 janvier, je prends l'initiative d'appeler mon collègue des centres chinois pour le contrôle et la prévention des maladies ( Centers for Disease Control and. Prevention, CDC) – je rappelle qu'à l'époque, la grande majorité des cas se trouve en Chine, avec quelques cas isolés en Thaïlande et au Japon – et j'obtiens de lui parler pendant un quart d'heure. Afin que nous puissions avoir une idée plus précise de l'évolution de la pandémie, je souhaite l'interroger sur deux points. Premièrement, y a-t-il des cas asymptomatiques, quelle est leur fréquence, et peuvent-ils donner lieu à une transmission du virus ? Deuxièmement, quelle est la proportion de cas graves ?
Pour ce qui est de la gravité des cas, mon collègue m'indique que les Chinois sont en train d'analyser les premières séries, et me conseille de consulter régulièrement le site internet sur lequel il publie un bulletin quotidien. En ce qui concerne la proportion de cas asymptomatiques, il me dit qu'ils sont rares, et qu'il n'y a aucune certitude sur le fait que ces cas puissent être contaminants ; cette hypothèse, qui peut expliquer la contamination de personnels de santé, est toutefois à l'étude en Chine.
Le 7 février, quand le ministère nous demande de commander 1,1 million de masques FFP2, il y a moins de dix cas confirmés en France : on est encore dans une phase très précoce de l'épidémie, où tous les cas sont hospitalisés. Au même moment, la doctrine relative aux stocks stratégiques de masques change, et il est décidé de constituer des stocks pour les professionnels de santé.
Vous m'avez interrogée sur la place de Santé publique France dans la stratégie de lutte contre le covid-19. Santé publique France est une agence sanitaire, qui a pleinement accompli sa mission en matière de stratégie de surveillance, d'investigation, de collecte des données et de conception des indicateurs. Nous sommes partis du décompte de cas confirmés pour ensuite faire évoluer notre système de surveillance en même temps que l'épidémie. Pour cela, nous avons adapté notre système de surveillance de la grippe, qui mobilise à la fois le réseau Sentinelles des médecins généralistes, SOS Médecins, l'ensemble des indicateurs hospitaliers et des indicateurs pour la mortalité, le tout constituant une surveillance qualifiée de « populationnelle ». À ce stade, on ne compte plus nécessairement tous les cas un par un et, de fait, la stratégie ne consiste plus à diagnostiquer toutes les personnes : on analyse l'ensemble des compartiments de la population pour observer l'évolution de la dynamique de l'épidémie – c'est aussi ce qui nous permet d'analyser cette évolution et, chaque soir, de communiquer sur ce point.
Lors du confinement, nous avons poursuivi cette surveillance épidémiologique, ce qui nous a permis de constater une évolution favorable, jusqu'à ce que le pic de l'épidémie soit passé. Aujourd'hui, les laboratoires nous font remonter l'ensemble des données qu'ils collectent, ce qui suppose une mobilisation extrêmement importante de ces laboratoires, en particulier ceux effectuant les tests de type virologique RT-PCR. Nous disposons donc de nouveaux indicateurs, à savoir le nombre de tests positifs et le taux de nouveaux cas, les chiffres correspondants étant déclinés au niveau des territoires. Ce que nous faisons évoluer dans notre système de surveillance, c'est la capacité à collecter et à analyser l'ensemble des données de surveillance à l'échelon territorial le plus fin – au moins celui du département –, ce qui permet d'identifier et d'isoler les cas et les contacts, mais aussi de prendre toutes les mesures afin de maîtriser l'épidémie de façon prospective.
Nous avons également mobilisé deux autres systèmes de surveillance : d'une part, la collecte de cas et de décès au sein des EHPAD et des établissements médico-sociaux, d'autre part, le décompte du nombre de cas parmi les professionnels de santé en établissement de santé.
Le premier volet de notre mission consiste à collecter ces données, les fiabiliser, construire des indicateurs, les analyser quotidiennement et les mettre à la fois au service des pouvoirs publics, afin d'éclairer leurs prises de décision, et de la population, en publiant nos données sur notre site internet et dans notre bulletin épidémiologique hebdomadaire.
Le deuxième volet de notre mission consiste en la diffusion de recommandations à l'ensemble de la population, en portant une attention particulière aux populations les plus vulnérables, ce qui nous conduit à travailler avec un réseau d'associations comprenant notamment ATD Quart monde, avec lesquelles l'agence a construit des relations de confiance extrêmement précieuses.
Santé publique France anime également la réserve sanitaire, dans le cadre de laquelle elle mobilise des professionnels de santé et des logisticiens auprès des services de santé, à la demande des ARS ; enfin, sur les instructions de l'État, elle veille à constituer et maintenir les stocks stratégiques.
L'agence s'est-elle acquittée de toutes ses missions durant la crise du covid-19 ? Je dirai oui pour ce qui est de la surveillance, des recommandations, de la mise en place des campagnes de prévention – nous avons même créé un baromètre servant à mesurer l'adhésion aux gestes barrières et certains phénomènes de santé résultant de l'impact du covid-19 –, de la réserve sanitaire et du stock stratégique.