Intervention de Benoît Vallet

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 14h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Benoît Vallet, directeur général de la santé de 2013 à 2018 :

Vos nombreuses questions montrent votre connaissance du sujet…

Pour ce qui est du nombre de masques, lorsque je suis arrivé à la DGS fin 2013, les stocks stratégiques d'État s'élevaient à 616 millions de masques pour adultes, 113 millions de masques pédiatriques et 380 millions de masques FFP2.

Durant la période où j'étais en fonctions, j'ai fait rentrer 100 millions de masques chirurgicaux adultes, ce qui fait qu'en 2017 on en comptait au total 714 millions – 616 plus 100, moins 2 millions d'unités éliminées car considérées comme inutilisables, dans le cadre des inventaires effectués de façon récurrente mais non détaillée : on vérifiait pour l'essentiel l'état des boîtes et des conteneurs. À noter que ces chiffres ne correspondent pas forcément au seul site de Vitry-le-François : le stock stratégique de l'État est également réparti, dans une logique de proximité d'action, dans les zones de défense et en outre-mer, mais le dispositif a été restructuré et concentré : de soixante-treize sites en activité conservant des masques en 2010, dont sept plateformes nationales, on est passé à une plateforme nationale et sept plateformes de stockage situées dans chacune des sept zones de défense, dans une logique de proximité d'action.

Pendant toute cette période, nous estimions que ce stock pouvait être utilisé puisque les 616 millions de masques pour adultes dont j'ai parlé n'avaient pas de date de péremption. En revanche, les 100 millions de masques chirurgicaux que nous avons achetés en comportaient une, les industriels ayant considéré à partir de 2010 qu'il était compliqué de garantir des dispositifs médicaux sans date de péremption. En principe, les masques chirurgicaux ne se dégradent pas, contrairement aux masques FFP2 dont les modules hydrostatiques qui permettent de retenir les aérosols perdent leurs propriétés en trois, quatre ou cinq ans : cela a d'ailleurs été un des arguments forts employés pour dire que l'on ne pouvait pas les stocker, dans la mesure où ils allaient inévitablement se dégrader. Et le même problème se posera de fait pour les masques chirurgicaux depuis que les industriels ont décidé de leur appliquer désormais une date de péremption.

En tout état de cause, le stock dont nous disposions à l'origine était considéré comme non périssable et censé nous garantir une grande sécurité en termes d'utilisation.

Pourquoi les choses ont-elles changé ? Pas tant à cause de cette décision des industriels, mais plutôt parce qu'une nouvelle norme est apparue en 2014 : aux deux critères de la qualité de la filtration et de la résistance à la ventilation – les masques tissés étant d'ailleurs de ce point de vue plus résistants et plus confortables que les masques chirurgicaux, en raison de leur capacité à laisser passer l'air – est venu s'en ajouter un troisième : la non-contamination bactérienne. On considère qu'une quantité donnée de présence bactérienne sur les masques doit être observée pour qu'ils puissent être utilisés ou non. Les masques ne sont pas des outils stériles, ils sont naturellement contaminés, mais la contamination ne doit pas dépasser un niveau extrêmement faible, dit de propreté microbienne, exprimé en unités formant colonie (UFC) par gramme.

L'apparition de cette nouvelle norme nous a logiquement conduits à réévaluer notre stock de masques : j'ai donc sollicité l'ANSM pour connaître son opérabilité, laquelle m'a répondu que seulement deux laboratoires – Nelson, en Amérique du Nord et Centexbel, en Belgique – disposaient du savoir-faire nécessaire à l'évaluation de l'ensemble de ces critères.

Les discussions débutent donc en 2015, et des demandes sont adressées au directeur de l'EPRUS pour savoir comment organiser l'appel d'offres et le plan d'échantillonnage, ce qui correspond au moment où commencent les mouvements de concentration du stock stratégique : plus de 1 000 camions se sont mis à transporter, tout au long de cette année et durant une bonne partie de 2016, l'essentiel des palettes entreposées dans les sept plateformes nationales jusqu'à la plate-forme centrale de Vitry-le-François, dûment contrôlée, sécurisée et non identifiée, qui offrait toutes les garanties de température et d'hygrométrie, mais également la possibilité de réaliser un inventaire de façon récurrente et une évaluation à partir d'un échantillonnage. Toutefois, il nous a semblé raisonnable d'attendre la fin de cette noria et de la constitution du stock central pour lancer l'appel d'offres et commencer une évaluation à partir d'un plan d'échantillonnage le plus large possible. On me dira que nous aurions pu le faire avant ; à ceci près que des cartons peuvent être abîmés en cours de route – les deux millions de masques écartés dont je parlais tout à l'heure –, et dans ce cas, tout l'échantillonnage est réduit à néant.

C'est ainsi que fin 2016 les réunions sur ce sujet ont conduit à la saisine d'avril 2017 visant à avoir une idée de l'état de ce stock, un certain nombre de produits ayant plus de dix ans.

Le site de Vitry-le-François n'a rien d'un dépôt de second ordre. Il héberge un établissement pharmaceutique validé par l'ANSM en 2015 comme répondant aux bonnes pratiques pharmaceutiques, et la partie entrepôt, avec une présence physique : un pharmacien y tient une permanence deux jours par semaine pour surveiller l'état du stock. Si une partie s'abîme, tout ce qui est en dessous sera immédiatement analysé ou écarté. Je peux vous faire parvenir des photos si vous le souhaitez : c'est tout à fait rassurant, et montre le sérieux de cet établissement.

J'en viens à l'analyse menée par Centexbel, dont je n'ai pas eu le retour, puisqu'elle a été rendue après mon départ de la DGS le 8 janvier 2018, c'est-à-dire en septembre 2018. Elle a cependant été présentée dans Libération, et M. François Bourdillon l'a expliqué hier, comme ayant été menée sur quatre des douze références composant le stock. Chaque producteur s'était vu commander un nombre déterminé de lots, répartis par références, correspondant à un nombre de masques donné. Centexbel a choisi de faire porter ses analyses sur quatre références, choisies parmi les plus gros volumes qui représentaient, à croire le journal, 80 % des analyses, en testant un nombre limité d'échantillons composés chacun de vingt-cinq masques par lot. Les huit références restantes n'ont semble-t-il pas été analysées par la suite.

Cette analyse, très exigeante, reprenait les critères que je vous ai indiqués plus haut. Son résultat a fait ressortir une non-conformité à la norme de 2014, sachant que des masques produits en 2005 ou en 2006 ne pouvaient en toute logique pas être conformes à une norme de 2014 : en vertu de quoi, un ordre de destruction a donc été émis. Je n'ai jamais dit durant les échanges que j'ai eus avec les différentes cellules dans le cadre de la commission Casteix que ces masques auraient dû être conservés pour être utilisés : aucun élément ne me permettait de l'affirmer. Reste que lorsque la question s'est posée des critères de qualité applicables aux masques dits grand public, ils ont fait l'objet d'une nouvelle analyse combinée par la Direction générale de l'armement (DGA) et de l'Agence nationale de sécurité du médicament. Pourquoi n'avaient-elles pas été pas été sollicitées au moment de l'appel d'offres ? Tout simplement parce que l'ANSM ne s'occupait que de la partie contamination bactériologique, et les autres laboratoires du reste, alors que Centexbel faisait l'ensemble. C'est donc pour des raisons de savoir-faire, je suppose, que le choix s'est porté sur un autre partenaire. Toujours est-il que l'action conjuguée de la DGA et de l'ANSM a conclu que ces masques pouvaient répondre aux critères applicables à la nouvelle catégorie « grand public », ce qui les rendait compatibles avec un usage par la population générale.

Pour déterminer l'utilité des masques, il faut considérer trois groupes de personnes : la population générale, avec des personnes malades ou non, les professionnels de santé qui ne procèdent pas à des actes invasifs et ceux qui sont amenés à en réaliser. Des actes tels que la laryngoscopie ou l'aspiration bronchique, réalisées par un anesthésiste-réanimateur, la fibroscopie digestive pratiquée par un gastro-entérologue ou encore la fibroscopie bronchique effectuée par un pneumologue, amènent à des situations où peut se produire une aérosolisation : la protection doit alors être garantie par des masques FFP2, qui ont une capacité hydrostatique.

Le Haut conseil de la santé publique avait indiqué, dans son avis du 1er juillet 2011, de quelle façon les masques devaient être attribués, et avait recommandé que les masques FFP2 ne soient remis qu'aux professionnels pratiquant ces actes invasifs. Ce n'était pas le cas antérieurement : du temps où M. Houssin était délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, on ne faisait pas de distinction entre FFP2 et masques chirurgicaux dans la constitution des stocks stratégiques. Avant que le Haut conseil de la santé publique ne publie sa nouvelle doctrine, on considérait que le masque FFP2 était destiné à tous les soignants ; à partir de 2011, on a lui a attribué des indications précises. Et dans un nouvel avis le 10 mars 2020, le Haut conseil a renouvelé sa recommandation d'attribuer les masques en fonction des profils des soignants.

Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et les ministères concernés ont établi, avec la représentation de l'Élysée et de Matignon, une nouvelle doctrine concernant les masques FFP2, sans changer pour autant la logique des stocks stratégiques d'État : la cible du milliard de masques – qui n'est pas une obsession personnelle – reste revendiquée.

Au regard de la réévaluation réalisée par la DGA et de l'ANSM, on peut se dire que ces masques auraient pu trouver un emploi dans la population générale. Ils ont par exemple été recommandés pour le déconfinement, dans les transports en commun. En effet, deux personnes portant un masque peuvent sans danger se trouver face à face et ne sont pas considérées comme des cas contacts – même si, en parallèle, il est souhaitable que les barrières physiques soient, autant que possible, respectées.

On pouvait formuler l'hypothèse, que, si les masques ne répondaient plus aux conditions de qualité d'un masque chirurgical adulte pour un professionnel de santé non spécifiquement exposé à l'aérosolisation, ils pouvaient néanmoins être utilisés par la population générale et les personnes non malades. Ce point me paraissait mériter réflexion ; du reste, une partie des masques ont été déclassés et utilisés – Mme Chêne a indiqué que 86 millions sur 260 n'ont finalement pas été détruits.

J'en viens aux stocks tactiques et stratégiques. Les premiers nommés sont des stocks d'intervention, destinés à répondre aux besoins des victimes pendant vingt-quatre heures. Ils sont répartis entre les SAMU, qui représentent plus de 100 établissements nationaux, pour de petits volumes, et les CHU, soit une trentaine de centres, pour des quantités plus élevées. Dans le premier cas, il s'agit de postes sanitaires mobiles (PSM) de niveau 1, pouvant prendre en charge 25 victimes et, dans la seconde hypothèse, de postes de niveau 2, à même de venir en aide à 200 victimes. Les PSM 2 permettent de réaliser de la chirurgie initiale. Ils avaient été rénovés dans le contexte des attentats, pour effectuer, par exemple, du damage control, c'est-à-dire de la chirurgie interventionnelle, sur le terrain, destinée à limiter notamment les lésions hémorragiques avant le transport des victimes vers une ressource sanitaire de niveau supérieur. À la suite de l'attentat de Nice, j'avais demandé la création de PSM pédiatriques afin de prendre en charge les enfants de moins de dix ans – à l'exclusion des nouveau-nés ; vingt-cinq d'entre eux ont été créés en 2017.

On pourrait logiquement se demander si les stocks tactiques comportent des masques FFP2. Il n'y a pas d'obligation en la matière. Toutefois, les éléments de doctrine rénovés que vous avez évoqués – l'avis du HCSP de 2011 et la doctrine du SGDSN de 2013 – avaient été transmis par M. Grall, mon prédécesseur, aux Agences Régionales de Santé. Le volume des stocks de FFP2 n'a pas été précisé. Le changement de doctrine, je le rappelle, est lié à la fragilité de ces masques, qui se dégradent rapidement en raison de la qualité hydrostatique qu'ils doivent présenter ; par ailleurs, ces masques sont désormais réservés à une catégorie très limitée de professionnels de santé. Sur la base de ces éléments, l'application de cette doctrine évolutive a été transférée aux services de santé par le biais des Agences Régionales de Santé. Dès novembre 2011, la gestion des situations sanitaires exceptionnelles revenait de plus en plus à ces agences, dans le cadre d'une logique d'animation de la cartographie sanitaire et des établissements de santé. La nouvelle doctrine du SGDSN, qui ne changeait pas la logique du milliard pour les stocks stratégiques d'État, a donné la main aux établissements de santé pour la constitution de stocks de FFP2.

La mise en place des stocks tactiques, autrement dit des PSM1, PSM2 et PSM pédiatriques, et leur usage – des ventilateurs ont par exemple été utilisés lors de la crise du covid – a nécessité un suivi afin de savoir si les produits stockés, particulièrement les antidotes et autres spécialités pharmaceutiques, sont correctement régénérés ou s'ils arrivent à péremption. Nous avons institué, à partir de 2015, le système d'information et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles (SIGESSE), qui est renseigné sur l'état de ces stocks tactiques et les divers éléments à suivre. Les établissements de santé peuvent l'alimenter en données concernant l'état de leurs stocks de FFP2. Le système a été utilisé, je pense, durant la crise du covid, pour recenser les moyens au niveau national. Je n'ai pas eu, à titre personnel, d'éléments de réponse quant à son usage.

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