En 2014, lorsqu'une nouvelle norme a été définie, on a dû probablement s'interroger sur le volume et le caractère opérationnel de notre stock de masques. On a pourtant attendu 2017 pour réagir, ce qui signifie qu'entre 2014 et 2017, on a accepté et assumé qu'un doute existe sur son état de conservation. Si l'épidémie survenue en 2020 nous avait frappés en 2015 ou en 2016, on n'aurait sans doute pas été capable d'indiquer aux décideurs publics s'il était possible de les utiliser.
Par ailleurs, en 2010, des fabricants indiquent que les produits livrés auront désormais une date de péremption, pour les raisons que vous nous avez indiquées. Cela devait, me semble-t-il, conduire à se poser deux questions. Premièrement, on pouvait se demander si les masques fabriqués antérieurement n'avaient pas, eux aussi, une durée de vie limitée ; je vous demande seulement de nous faire part de votre sentiment, étant rappelé que vous n'étiez pas aux responsabilités en 2010. Deuxièmement, je n'ai pas eu l'impression, à vous écouter, que le ministère de la santé ait eu son mot à dire sur la date de péremption décrétée par les fabricants ou qu'il ait pu la vérifier. S'il y avait eu une obsolescence programmée – ce qui aurait été pour le moins cynique –, elle n'aurait pas été contrôlée. On a constaté que des masques FFP1 théoriquement périmés ont conservé une bonne partie de leurs propriétés.
On nous a expliqué que les établissements publics de santé consomment 200 à 250 millions de masques par an. En 2010, on nous impose une péremption de cinq ans, et on s'assigne l'objectif de stocker 1 milliard de masques. Peut-être est-ce un raisonnement simpliste, mais pourquoi, plutôt que de demander aux hôpitaux d'acheter leurs masques, n'en prélève-t-on pas chaque année 200 ou 250 millions dans un stock stratégique reconstitué au fur et à mesure ? J'ai été maire, le rapporteur président d'un conseil départemental : c'est une démarche assez naturelle dans nos collectivités. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait chez moi lorsque j'ai constaté qu'une nouvelle règle s'appliquait en matière d'achat de masques.
La nouvelle doctrine du SGDSN a confié aux employeurs – administrations, hôpitaux, entreprises – la responsabilité de constituer des stocks de masques. Normalement, les ARS auraient dû les contrôler. En votre qualité de directeur général de la santé entre 2013 et 2018, en pleine période de transition, avez-vous donné des instructions aux ARS pour ce faire ? Vous en êtes-vous entretenu avec les préfets des sept zones de défense, qui avaient théoriquement pour mission, eux aussi, de vérifier les stocks une fois par an ? Si cela n'a pas été fait, si vous n'avez pas été entendu ou si les ARS n'y ont pas pensé, quelles en sont les raisons ?
Une dernière chose me turlupine, dont nous a fait part l'ancien directeur général de Santé publique France, qui a géré la fusion. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale soutient qu'en cas d'épidémie, le port du masque est utile ; vous vous assignez d'ailleurs l'objectif de constituer un stock d'un milliard de masques. Mais à la tête du ministère de la santé, cela ne concerne sans doute pas seulement les responsables actuels, certains émettent ou ont émis des doutes à ce sujet et ne partagent pas la doctrine du SGDSN. On a véritablement l'impression d'une dichotomie à la tête de l'État. Vous qui avez travaillé avec Mme Touraine, pensez-vous que cette divergence ait joué un rôle dans la décision de ne pas reconstituer les stocks ? On découvre que des masques ne sont théoriquement pas opérationnels, on les bazarde, mais on ne rachète pas la quantité correspondante. En avez-vous discuté avec Jérôme Salomon, lorsqu'il était conseiller de Mme Touraine ? J'imagine qu'il y avait un débat au sein du ministère de la santé.