Oui. Le suivi des stocks de FFP2 revenait aux établissements. La surveillance de leur organisation en vue de la constitution des stocks n'a pas démarré tout de suite. Il a fallu instituer un système d'information, qui était déployé à hauteur de 87 % en 2017, ce qui signifie que les établissements participaient aux échanges d'informations, sans être pour autant, aux yeux du ministère, obligés de renseigner le système. Les ARS, pour leur part, instruisaient les dossiers. Je rappelle que les FFP2 étaient destinés à des populations de médecins extrêmement spécifiques. Les établissements pouvaient faire appel à un certain nombre d'entre eux, en période dite de paix comme en situation pandémique – ce nombre pouvant varier considérablement d'un établissement à l'autre, selon qu'il emploie, par exemple, un anesthésiste-réanimateur ou un pneumologue pratiquant la fibroscopie.
Le recensement des données s'est fait d'une façon de plus en plus automatisée, en particulier pour les PSM1 et les PSM2, grâce à ce système d'information, que nous avons énormément amélioré au fil du temps. Le système d'information des alertes et des crises permet au Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales du ministère (CORRUSS) de recueillir l'ensemble des alertes sur le territoire. Un portail est dédié au signalement des événements sanitaires indésirables. Le système d'information de veille et de sécurité sanitaire, destiné aux Agences Régionales de Santé, a été interconnecté, lorsque j'étais directeur général de la santé, afin que les agences connaissent dans le détail les alertes sanitaires nationales ou régionales. Le système d'information national de dépistage du covid-19 (SIDEP) est le dernier en date ; le système d'information pour le suivi des victimes d'attentats et de situations sanitaires exceptionnelles (SIVIC), mis en place en 2016-2017, à la suite des attentats de novembre 2015, recense les présences à l'hôpital et en a assuré le suivi durant la crise du covid. Les passages aux urgences ont été répertoriés par le système OSCOUR (organisation de la surveillance coordonnée des urgences). On disposait ainsi, avant que les tests ne se développent et que leur suivi par SIDEP soit complètement opérationnel, d'un système d'alerte très précoce. Cette structure dense de systèmes d'information permet de recueillir toutes les données relatives au déploiement des stocks tactiques et à leur suivi. Elle s'est progressivement développée à mesure qu'on a pu établir des recensements de plus en plus étendus.
Depuis novembre 2011, les Agences Régionales de Santé sont devenues les principaux interlocuteurs des établissements de santé publics et privés, comme des professionnels libéraux. L'articulation de leur mission avec celle des préfets est prévue par ORSAN. Ce dispositif a permis la transmission d'informations aux Agences Régionales de Santé, en lien avec les préfets, à partir de mai 2014. Auparavant, une circulaire d'août 2013 de M. Valls, alors ministre de l'intérieur, et de Mme Touraine, ministre de la santé, a défini l'organisation à déployer sur le terrain pour assurer les stockages et la distribution. Les Agences Régionales de Santé sont désormais responsables de ce système très élaboré qui est, d'une certaine façon, déconcentré. Elles ont en charge le contrôle des stocks de masques. Le ministère, quant à lui, recueille l'information déconcentrée, qui permet de dresser un état des lieux en fonction des circonstances.
Il n'y a pas de débat, au ministère de la santé, sur l'efficacité des masques. On sait que celle-ci est d'autant plus grande que l'agent pathogène respiratoire est contagieux. Dans le cas particulier du covid, l'agent peut être présent chez une personne asymptomatique, ce qui a créé des difficultés redoutables de gestion de l'épidémie. Les différentes études qui ont précédé la constitution des stocks, qu'il s'agisse du plan pandémie grippale, de l'avis du Haut conseil de la santé publique ou des travaux repris par Jean-Paul Stahl dans son rapport d'expertise – présenté en septembre 2018 à François Bourdillon et au directeur général de la santé, puis publié en mai 2019 –, se fondent sur des travaux montrant que l'efficacité du masque est d'autant plus grande que le virus est pathogène et d'origine respiratoire.
Concernant la grippe saisonnière, des discussions ont eu lieu sur la base d'études randomisées qui ne mettaient pas toujours en évidence l'efficacité du masque. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles celui-ci n'est pas entré dans la culture nationale pour la grippe saisonnière, au contraire des pays asiatiques. C'est sans doute une des évolutions à engager. Jérôme Salomon a évoqué l'expérimentation menée, en application de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, afin d'assurer le déploiement du masque au sein de la population générale de la Nouvelle-Aquitaine, en période de grippe hivernale, et de faire en sorte qu'une culture du masque s'installe.
On n'aurait pas demandé de commander des masques en quantité suffisante pour protéger 20 millions de personnes à raison d'une boîte de cinquante par personne si l'on n'avait pas cru à l'intérêt de cette mesure. On ne se serait pas obligé à tous ces efforts de rationalisation de ce stock central, pour redéfinir son emplacement et son utilisation. Comme M. Bourdillon l'a rappelé hier, le port du masque est une mesure de protection parmi d'autres. Parmi ses très nombreux enseignements, le covid nous aura appris que chaque mesure s'additionne et concourt à la baisse de la transmission d'une personne atteinte à une personne contact. Cette doctrine sera de plus en plus reconnue : l'université de Berkeley a passé en revue les usages du masque dans le monde et a montré que son utilisation était systémique, participait de la culture nationale dans les pays asiatiques – c'est le cas, notamment, en Corée du sud et à Singapour. Cette étude a révélé que le port du masque avait joué un rôle important dans la baisse du nombre de personnes concernées par la pathologie, entraînant une diminution de moitié de la transmission. D'autres mesures, tel le repérage rapide et étendu des personnes contacts, y ont aussi vraisemblablement contribué.
On peut donc espérer qu'en appliquant encore assez longtemps, de manière renforcée, des mesures telles que l'usage du masque et du gel hydroalcoolique, le respect, autant qu'il est possible, de la distance physique, et l'identification des personnes atteintes et des personnes contacts, on évitera l'obligation d'un reconfinement massif, hautement préjudiciable à nos organisations sociales.
La définition d'une nouvelle norme, en 2014, nous conduit à réévaluer l'état de nos masques, dont une partie ne comportait pas de date de péremption. De fait, nous considérions jusqu'alors que leur durée de vie était pour ainsi dire illimitée. Nous en avons fait entrer de nouveaux, en suivant la logique d'un stock progressivement tournant. Mais on n'est pas allé beaucoup plus loin, à un moment où l'on était en train de centraliser des équipements jusque-là très dispersés. La question s'est posée après une nouvelle expertise et la formulation d'autres hypothèses.
Les établissements utilisent, en période normale, 40 à 50 millions de masques chirurgicaux adultes en une année ; en situation de crise, une telle quantité de masques est consommée en une semaine. Les stocks sont établis à partir de l'hypothèse d'une première vague de douze semaines, puis, cinq semaines après, d'une deuxième vague de dix à douze semaines. En se fondant sur une consommation de 40 millions par semaine, cela représente environ 800 millions de masques. Telle devrait être la dimension d'un stock fixe, dont une partie pourrait notamment être destinée, comme vous l'évoquez, à la population en période hivernale – l'expérience menée en Nouvelle-Aquitaine est à cet égard intéressante. Le stock pourrait être ventilé au fur et à mesure des échéances de péremption, puisqu'elles sont désormais mentionnées. Je n'ai pas souvenir qu'il y ait eu un échange entre le ministère de la santé et les producteurs pour vérifier les dates de péremption, ce qui aurait été difficile. Les normes changeant très régulièrement, il paraît raisonnable de se caler sur une durée de vie limitée et d'utiliser les produits dans le délai imparti.
Favoriser une production nationale – question sur laquelle on s'est concentré jusqu'en 2011-2012 – impose une réflexion au sein de l'État, compte tenu des règles européennes de concurrence. Il faut déterminer si l'on reconstitue les stocks et, le cas échéant, de quelle manière, afin de ne pas concurrencer des organisations qui vendent des masques. Il y a là un sujet à approfondir.