Intervention de Didier Raoult

Réunion du mercredi 24 juin 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Didier Raoult, directeur de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection :

. Je veux d'abord signaler que j'ai un lien avec Hitachi pour le développement de microscopes électroniques en microbiologie clinique et que je suis membre fondateur de cinq start-up, qui n'ont pas encore rapporté d'argent.

Commençons par la mortalité : sur le Charles de Gaulle, il n'y a pas eu de morts – les sujets, jeunes, ont été pris en charge relativement tôt ; sur le Diamond Princess, il y en a eu 2 % – les passagers étaient plus âgés. La sévérité des cas dépend des caractéristiques de la population touchée. Il est donc difficile de faire des généralités. La mortalité par tranche d'âge est un élément important qui doit amener à réfléchir aux stratégies de prise en charge thérapeutique. En Europe, il y a eu un peu moins de 200 000 morts : 10 % avaient moins de soixante-cinq ans, 50 % plus de quatre-vingt-cinq ans.

J'aime les données chiffrées brutes et me méfie beaucoup de la manière dont on les enrobe et les manipule – Husserl disait que « les méthodes mathématiques sont les habits des idées » – même s'il est bien sûr nécessaire de les pondérer : la perte d'espérance de vie n'est pas la même à vingt ans qu'à quatre-vingt-cinq ans. Il y aura un effort à demander aux uns et aux autres pour une transparence totale sur les chiffres de la mortalité. Des différences s'observent entre régions mais elles sont difficiles à expliquer. Certaines sont liées à des phénomènes d'écosystème. Pourquoi le Grand Est a-t-il été davantage touché ? Est-ce dû à des rassemblements religieux ?

Tous les gens qui vous diront que l'épidémiologie des maladies infectieuses est une chose simple sont des inconscients et ceux qui construisent des modèles projectifs sur des maladies non encore connues sont des fous. Une telle croyance dans les modèles mathématiques s'apparente à de la religion.

La santé publique, c'est 70 % à 80 % de politique et 20 % à 30 % de sciences et de médecine. Jamais des données scientifiques ne pourront prouver le bien-fondé des décisions purement politiques que sont le confinement ou le port du masque dans la rue. La charge de ces décisions a été déplacée sur les scientifiques et des décisions médicales ont été préemptées par le politique, ce sur quoi je suis en désaccord. Il faut réfléchir aux rôles respectifs du politique, du médecin et du scientifique car les délimitations en santé publique sont toujours complexes. Les scientifiques doivent apporter des connaissances supplémentaires, qui ne peuvent émerger que progressivement s'agissant d'une maladie nouvelle ; les médecins doivent faire leur métier, qui est de soigner ; les politiques doivent organiser la société.

Sur le plan épidémiologique, le Covid-19 a des caractéristiques très particulières, qui n'étaient pas prévisibles : les enfants sont très peu touchés et encore moins souvent malades. Nous qui avons beaucoup testé avons pu établir qu'il n'affectait presque pas les moins d'un an, extrêmement rarement les moins de cinq ans, davantage les dix à quinze ans. Ces différences ne sont pas liées à des comportements. Nous avons eu l'occasion d'étudier de très nombreux cas dans la communauté israélite après la fête de Pourim pendant laquelle tout le monde a été exposé de la même manière. Le taux d'attaque a été de l'ordre de 20 % chez les enfants et de 95 % chez les adultes. Cette non-réceptivité des enfants est unique car ce sont eux les plus touchés pour toutes les autres infections respiratoires virales. J'en ai parlé au Président de la République et je pense que cela a hâté sa décision de reprise de l'école. Il est possible que cela soit lié à une immunité antérieure développée au contact de coronavirus, beaucoup plus fréquents chez les enfants, ayant sévi quelques mois avant. Des travaux de 2013 avaient déjà mis en évidence ces réactions croisées.

« L'avenir n'est à personne, l'avenir est à Dieu » disait Victor Hugo. Nous ne pouvons pas prévoir. Il faut laisser à chacun sa part de responsabilité. Moi, je ne peux pas prédire l'avenir.

La mise en place du traitement, comme vous le savez, a donné lieu à un énorme conflit. Les premières données étaient tirées d'une étude menée sur le SARS, pour lequel le Dr Fauci avait déclaré que le traitement était la chloroquine. Les Chinois, après des tests, ont rapporté la sensibilité à la chloroquine et au remdesivir et ont décidé d'utiliser la chloroquine qui ne coûtait rien. Nous avons ensuite confirmé leurs résultats préliminaires, en particulier en association avec l'azithromycine. L'opposition pour ou contre a pris les proportions d'une guerre, aux mobiles complexes, qui s'est insérée dans le contexte de la guerre civile entre démocrates et républicains aux États-Unis. Je vous le dis publiquement – et je sais que j'encours cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende si je ne dis pas la vérité : je ne connais ni Trump ni Bolsonaro. Ce n'est pas moi qui leur ai dit d'utiliser la chloroquine, médicament recommandé pour 4,5 milliards de personnes dans le monde.

Jamais dans ma carrière, je n'ai vécu de telles tensions. Des revues m'ont demandé s'il était vrai que j'avais oublié de déclarer des conflits d'intérêts avec Sanofi ou que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ne m'avait pas donné son accord pour la première étude. C'est allé jusqu'à la publication d'un article dans The Lancet dont n'importe qui de mon niveau reconnaîtrait le caractère totalement faux et mensonger. Il est indiqué par exemple qu'en Afrique, les gens fument autant qu'en Asie, ce qui est faux ; que l'obésité est aussi répandue en Afrique qu'aux États-Unis, ce qui est faux aussi. La même équipe a publié dans The New England Journal of Medicine – les meilleurs journaux ont été des cibles – un autre article reposant sur des données d'hôpitaux français indiquant l'ethnicité des patients, chose impossible puisque la loi interdit de faire figurer dans le dossier médical cet élément. Les positions pour ou contre la chloroquine ont même entraîné des fluctuations des actions de la société Gilead Sciences. Je sais que la Fed a commencé une enquête et je crois que nous ne pourrons éviter un examen approfondi de cette question.

S'agissant des tests, je ne suis pas d'accord avec la décision qui a été prise de ne pas les généraliser. Dès le début du mois de mars, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé de tester tous les cas suspects ou les cas contacts. Pendant toute cette période, on n'a pas dit la vérité car notre pays avait les moyens de le faire : les tests PCR sont d'une simplicité enfantine, comme je l'ai expliqué au Président, puisqu'il suffit de changer les amorces. Tous les laboratoires peuvent le faire. Nous pratiquons 300 000 tests par an et en effectuer quelques milliers de plus n'a pas été un problème. Des laboratoires vétérinaires nous ont même donné des réactifs. L'ingénieur qui en a la charge à l'IHU a pu faire 450 000 préparations, que nous avons fournies à d'autres établissements, à Nice et Toulon notamment. Le problème principal était l'extraction et nous avons acheté plusieurs machines pour varier les modalités. Beaucoup des problèmes que je soulève sont structurels, et donc anciens. Un des problèmes de fond réside dans ce que l'on appelle les centres nationaux de référence. Il ne pouvait pas y avoir de centre national de référence pour ce coronavirus, lequel n'existait pas jusqu'alors, mais cela n'a pas empêché certaines personnes de décréter que c'étaient elles, la référence. Au début, on m'a même dit que je ne pouvais même pas faire de diagnostics de coronavirus !

Ces tests étaient indispensables pour étudier cette maladie qu'on ne connaissait pas. Les premières déductions, qui ont été faites à partir de la grippe, n'étaient pas justes. On sait maintenant que la dyspnée, l'essoufflement, n'est pas un signe du coronavirus. Pour la grippe, l'insuffisance respiratoire s'explique par une chute du taux d'oxygène et une augmentation du taux de gaz carbonique, qui provoque l'essoufflement. Or, la maladie du covid peut s'accompagner d'une hypoxie heureuse : le taux d'oxygène descend à 95 %, 92 % voire 90 % sans que les patients ne soient essoufflés alors même que leur état réclame des soins en réanimation. L'essoufflement n'est donc pas un signe, mais on ne pouvait le savoir qu'en observant les malades. Nous savons depuis peu qu'avec cette maladie, le taux de gaz carbonique peut diminuer aussi, alors que c'est l'augmentation de ce taux qui provoque l'essoufflement. Cette double diminution caractérise les embolies pulmonaires et les patients atteints par le covid en ont plusieurs petites. Les Chinois avaient déjà décrit cette absence de signes pulmonaires car ils font systématiquement des scanners thoraciques à faible dose, au lieu de téléthorax encore pratiqués dans notre pays, qui accuse un grand retard en matière d'équipements. Il a été établi que 65 % des patients sans signes respiratoires avaient des lésions visibles au scanner et parmi eux, 11 % ont des lésions sévères qui provoquent des séquelles comme des fibroses pulmonaires.

Pour arriver à de telles conclusions, il fallait observer et pour observer, il fallait faire des diagnostics. Tout dans cette maladie apparaissait bizarre. Elle se développe en quatre étapes : virus ; association virus-réponse immunitaire ; réponse immunitaire sans presque plus de charge virale ; destruction des tissus. Appliquer le même médicament à chacune de ces étapes est une fantaisie. Nous le savons depuis la grippe : le Tamiflu, mis au point par Gilead, n'est efficace que pendant les deux premiers jours. Le remdesivir ne peut fonctionner pour les formes graves. Et s'il convient aux formes initiales banales, on ne peut le prescrire car il y a 8 à 10 % d'insuffisance rénale. La fenêtre de tir est donc extrêmement limitée.

Il y a une grande folie autour de l'hydroxychloroquine. Sur les quatre études randomisées, trois disent que ce médicament fonctionne mieux que le placebo. Le temps fera son œuvre. En sciences, les disputes sont courantes. Je pense que le ministre a été mal entouré. Il aurait dû être conseillé par des personnes capables de discerner les solutions raisonnables et d'analyser les articles scientifiques de manière à ne pas se retrouver à faire des déclarations en plein week-end sans qu'ils aient été lus. Dominique Maraninchi, précédent directeur de l'ANSM, et Jean-Louis Harrousseau, ancien président de la Haute Autorité de santé, ont dit leur désaccord dans une tribune.

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