La manière dont tout cela s'est organisé est totalement archaïque. L'idée qu'il faut s'appuyer sur des centres nationaux de référence de diagnostic est vieille de quarante ans. Aujourd'hui, avec le multiplexage, quand quelqu'un a une infection respiratoire, il y a vingt virus à tester et on les fait tous d'un coup : on ne recourt pas à quatre ou cinq laboratoires. À l'IHU, on n'en est même plus là : on fait du séquençage massif. On séquence tout et on regarde ce qu'on a. Quand nous avons eu notre premier cas positif, nous avons eu le génome entier au bout de huit heures. On aurait pu le faire pour n'importe quel virus et l'identification sur une base de données ne nécessite aucune spécialisation.
Avoir des centres spécialisés pour tenir à jour la bibliographie, c'est utile, mais pas pour le diagnostic : cela n'a aucun sens. L'IHU est devenu le centre national de référence pour les Rickettsies, parce que la sérologie était très difficile à l'époque, mais c'est dérisoire. À part dans quelques niches, des tests diagnostiques arrivent sur le marché. Il est tout à fait ridicule que les CNR aient eu à se prononcer sur la valeur des tests qui sont passés au marquage CE (conformité européenne) et FDA (Food and Drug Administration). L'idée selon laquelle on pourrait tout réinventer en France, dans un petit centre de référence, est absurde.
Laissez-moi vous donner un autre exemple, qui ne vous paraîtra pas suspect : on a actuellement une énorme épidémie d'infections à Clostridium difficile, qui m'inquiète beaucoup. Le centre national de référence pour cette infection est tenu par un bon ami à moi, Raymond Ruimy, à Nice. Dès qu'il a eu dix cas, il n'avait plus les moyens de faire la culture du virus et son génotypage. L'IHU s'en est occupé et on en a fait dix par semaine, parce qu'on avait la taille et l'équipement. Il faut sortir de cette logique où Paris répartit les virus entre les différents centres pour ne vexer personne.
Cela fait longtemps que je dis qu'il faut confier les maladies émergentes à deux centres capables de tout faire à la fois – Didier Houssin, que vous venez d'entendre, avait presque accepté cette proposition. C'est le choix qu'ont fait les Chinois : ils n'ont pas des petits centres spécialisés, mais des centres capables de détecter tout à la fois. Il faut pouvoir faire de la culture virale, avoir les moyens de faire du séquençage massif et avoir de la microscopie électronique – je rappelle, en disant cela, que j'ai un conflit d'intérêts dans ce domaine.
Cette organisation est désuète : je l'écrivais déjà il y a vingt ans et je n'ai pas changé d'avis. Je ne tiens pas à ce que l'IHU ait le monopole de la recherche sur les maladies émergentes : j'ai toujours dit le contraire. Il faut six ou sept centres en France, mais il faut que l'État se saisisse de cette question pour éviter l'autogestion des maladies infectieuses par quelques tout petits centres nationaux de référence, car cela ne marche pas. Quand une nouvelle infection arrive, tout le monde y voit une aubaine, cherche à se l'accaparer et les choses deviennent difficiles.
Je l'ai dit en face à Jean-François Delfraissy : on pouvait faire les tests, à condition de le décider – puisqu'on devait les faire, on aurait trouvé le moyen de les faire. J'aurais été ravi de donner mon opinion, mais si je ne suis pas resté dans ce conseil scientifique, c'est parce que je considérais que ce n'en était pas un. Je sais ce qu'est un conseil scientifique et je peux vous dire que celui de l'IHU fait rêver le monde entier : il n'y a que des stars dans leur domaine. Pour moi, le conseil scientifique devait s'occuper de questions scientifiques et non pas réfléchir au confinement ou à des questions de ce genre. Les discussions qui s'y déroulaient ne me concernaient pas. Quand j'ai appris que les essais de Yazdan Yazdanapanah, comme le projet scientifique du ministère de la recherche, avaient été lancés en dehors de tout conseil scientifique, cela a confirmé mon opinion.
J'ai dirigé un certain nombre de conseils scientifiques depuis 1989, dans mon université, puis au ministère de la recherche, en 1993, je sais ce que c'est. Un conseil scientifique, ce n'est pas une bande de types qui ont l'habitude de travailler entre eux et qui donnent leur avis : il faut analyser des données, rien que des données, et lancer des propositions pour faire de la science et de la médecine. Je ne me suis pas fâché et, pour ne pas donner le signe d'une désapprobation publique, je n'ai pas démissionné. J'ai dit que je continuerais d'informer le ministre des solidarités et de la santé et l'Élysée de mes recherches, ce que j'ai fait. Mais le conseil scientifique ne me semblait pas adéquat : il ne comprenait pas un seul des dix spécialistes français du coronavirus – vous pouvez trouver leurs noms sur le site expertscape.com.
Dans mon rapport de 2003, j'avais déjà pointé deux problèmes : les conflits d'intérêts et la sélection des experts. Je disais que les conflits d'intérêts allaient nous polluer. On a eu le Médiator, on va avoir Gilead et les autres : il serait temps de s'en occuper… Dominique Maraninchi, lorsqu'il était directeur de l'ANSM, a créé avec Xavier Bertrand la base de données publique Transparence - Santé (www . transparence-sante.gouv). C'est très bien, mais il faut l'utiliser !