Je répète qu'il y a des problèmes structurels. Nous n'aurions pas ce type de difficultés si le monde scientifique était constitué de vrais sachants, dépourvus de conflits d'intérêts, qui débattent entre eux. Lorsque Philippe Lazar a été nommé président de l'INSERM en 1981, il a commencé par virer les cinq personnes les plus connues en France dans le domaine de la médecine, parmi lesquelles Jean Hamburger, le premier à avoir fait une greffe de rein au monde, Georges Mathé, qui a inventé le traitement du cancer de la vessie par le BCG, qu'on utilise tout le temps, et Jean Dausset, le seul prix Nobel en exercice. M. Lazar avait décidé qu'on ne pouvait pas diriger une unité de l'INSERM plus de douze ans. À ce propos – et je l'ai dit au Président –, quand j'ai été viré par M. Lévy, j'ai eu le sentiment d'appartenir à un club dont je ne savais pas que j'avais le niveau. Ça a été le début d'un mouvement de sortie de l'INSERM des hôpitaux, alors que cet institut avait été créé pour faire de la recherche médicale dans les hôpitaux et que toutes les premières unités y avaient été implantées. La recherche médicale qui reste à l'hôpital manque d'organisation : c'est un vrai problème, qui n'est pas nouveau.
Le législateur a introduit la tarification à l'activité (T2A) et défini des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (MERRI), dont vous votez le budget tous les ans, sur des critères objectifs, puisqu'ils sont bibliométriques. Mais il se trouve que les sommes que vous allouez à la recherche ne la financent pas, parce qu'on a oublié de prendre un arrêté sur la non-fongibilité de ce budget. Le conseil d'administration fait ce qu'il veut de cet argent et il n'a aucun compte à rendre. C'est pourquoi il n'y a pas d'argent pour faire de la recherche dans les hôpitaux – sauf à faire de la recherche sauvage.
La troisième source de financement, c'est l'industrie pharmaceutique, qui a un budget de financement égal au volume complet du budget de l'INSERM. Comme il existe une agence chargée spécifiquement de la recherche sur le sida et les hépatites, 70 à 75 % de la production scientifique, dans le domaine des maladies infectieuses, concerne le sida, les hépatites et les antibiotiques. Et tout le reste ne représente que 25 %. Si nous n'avons pas de sachants dans ces domaines, et si le financement autonome de la recherche dans les hôpitaux n'est pas assuré, il ne faut pas s'étonner que nous n'ayons pas la recherche que nous méritons. Je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises à ce sujet et c'est d'ailleurs pourquoi le directeur de l'INSERM m'était très hostile.
Je crois, comme Michel Foucault, que la vie sociale, c'est la guerre civile. On se dispute pour faire avancer les choses et il est normal, quand les choses vont mal, qu'il y ait des conflits. Si les choses vont mal, c'est qu'il y a des problèmes de fond. Dans cette affaire, j'ai été l'instrument de ce qu'Hegel appelle la ruse de la raison : à certains moments, la raison utilise des humains, les héros – même si je ne crois pas être un héros, ou alors un héros fictif – pour faire émerger un problème qui n'a pas été résolu et pour le mettre à plat. Je ne vous dis pas que j'ai raison : j'ai écrit cela il y a vingt ans et je le pense encore. En tout cas, je n'ai pas été démenti par les faits que j'ai pu observer.
Le problème n'est pas résolu et il reviendra. Si vous confiez la refondation de la recherche médicale à un groupe réunissant des gens de l'INSERM, de l'Institut Pasteur et quelques personnes qui travaillent avec l'industrie pharmaceutique, on retombera dans la même crise.