C'est surtout à moi-même que je rends des comptes, car j'essaie d'être en accord avec moi-même. J'ai pensé que je pouvais être utile dans cette crise, parce que j'ai une expérience extrême dans ce domaine. J'ai essayé de le faire comme je pouvais. Il se trouve que j'étais un ovni dans ce conseil scientifique, ou un extraterrestre : il n'y avait pas de compatibilité génétique entre nous. Les gens qui en faisaient partie se connaissaient, ils travaillaient ensemble au sein du groupe REACTing de l'INSERM depuis des années. Je pense que c'est le Président de la République qui a souhaité que j'en fasse partie mais je suis arrivé parmi des gens qui étaient habitués à travailler ensemble, qui avaient déterminé à l'avance ce qu'il fallait faire. Or je n'étais pas d'accord. Il y a deux molécules dont on pensait qu'elles pouvaient être efficaces et je pensais qu'il fallait faire l'essai avec les deux molécules. Mais nous n'arrivions pas à nous parler. J'ai continué à penser que je pouvais être utile et je crois que c'est ce qu'ont aussi pensé le Président de la République et le ministre des solidarités et de la santé. À chaque fois que nous avons trouvé quelque chose, j'en ai toujours informé le ministre ou un de ses conseillers avant d'en parler publiquement.
Je pense avoir convaincu le président Macron qu'il fallait tester massivement. Je lui ai montré le début de l'inversion de la courbe, qui permettait d'envisager une sortie de crise en mai. Je lui ai montré, aussi – j'étais l'un des premiers à le dire à l'époque – que le virus touchait peu les enfants. M. Delfraissy disait que les choses n'étaient pas si claires, mais moi, j'ai sorti le papier que j'avais écrit sur le dosage chez les enfants : comme j'étais le seul à m'être intéressé à cette question, j'étais le seul, dans le pays, à savoir. Cela vous donne une idée du niveau des discussions au sein du conseil scientifique… On doit débattre en mettant des données sur la table. Je ne suis pas un homme de réunions, je suis un homme de données : j'aime en créer et réfléchir à partir d'elles. C'est moi aussi qui ai dit au Président de la République qu'il fallait ressusciter la médaille d'honneur des épidémies, dont peu de gens se souvenaient. Je pense qu'il va le faire, parce qu'au cours d'une épidémie, certaines personnes font preuve d'un dévouement incroyable et il faut que la République reconnaisse leur effort. Cela ne doit pas forcément passer par l'ordre du mérite ou par la légion d'honneur. Vous le voyez, plusieurs des choses dont nous avons parlé ont eu des conséquences.
Dès que j'ai eu des données sur les séquelles, je l'en ai informé – je l'ai fait hier encore. Vous savez que la perte de l'odorat, qu'on a longtemps négligée, est un signe clinique important, notamment chez les personnes de moins de cinquante ans – comme la perte du goût, qui est une question encore plus complexe. La perte de l'odorat est généralement associée à des formes sans gravité de la maladie. Nous avons interrogé 3 000 personnes dont le test sérologique était positif : celles qui ont perdu l'odorat se rappellent très précisément le moment où c'est arrivé. La perte de l'odorat a une valeur prédictive de 66 % : cela signifie que dans 66 % des cas, lorsque vous êtes positif et que vous avez moins de cinquante ans, vous avez une perte de l'odorat. Or 30 % de ces gens n'ont pas récupéré leur odorat.
Au PET scan, on voit que le cerveau olfactif, qui est juste au-dessus des sinus, fonctionne moins bien : il présente un hypométabolisme qui peut s'étendre à l'arrière et toucher la concentration, l'équilibre et la mémoire. Certaines personnes ont aujourd'hui des troubles de la concentration ou de la mémoire, qui sont des séquelles de la maladie. Il est souvent difficile de mesurer ce genre de données subjectives, mais nous avons des outils pour le faire. J'en ai immédiatement informé le ministre des solidarités et de la santé, comme je lui avais dit que les scans low dose montrent un certain pourcentage de fibroses chez les gens qui ont été en réanimation. Tout ce que j'aurais dû transmettre au conseil scientifique – c'est-à-dire des données scientifiques –, je l'ai transmis directement à l'Élysée et au ministère des solidarités et de la santé, absolument tout. Tout ce que j'ai pu annoncer publiquement, je l'avais d'abord annoncé à mes autorités de tutelle.