Intervention de Didier Raoult

Réunion du mercredi 24 juin 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Didier Raoult, directeur de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection :

Vous aurez compris que je n'ai pas beaucoup de sentiments sur l'avenir : ce n'est pas dans ma nature. Si j'ai un talent, en tant que scientifique, c'est l'observation. Je suis un bon observateur et je vois les choses là où les gens ne les voient pas. Mais ce n'est pas parce que j'ai une barbe que je suis un prophète. Même pour quelque chose d'aussi bête que la grippe, on ne sait jamais, d'une année à l'autre, si l'on va avoir une épidémie de grippe H1N1, H2N3 ; parfois on a une grippe de type B, parfois il n'y en a pas du tout… L'évolution des maladies infectieuses est extrêmement complexe.

Je pense qu'il y a une vraie réflexion à mener sur la recherche médicale et sur son orientation, notamment sur la question de la créativité. Je suis extrêmement heureux de faire le métier que je fais et je pense que cela se voit : ne vous inquiétez pas, je ne risque pas de faire le vôtre, sauf si on me met dehors et encore je trouverais d'autres choses à faire car j'adore écrire – j'ai des facilités pour ça ! Je suis très heureux, parce que nous vivons une époque merveilleuse, celle des découvertes technologiques – ce que l'on appelle les « omics » – mais je regrette que l'Europe soit à la traîne derrière l'Extrême-Orient. Cela a commencé avec le génome : sur cette question, déjà, la France a pris un retard colossal ; l'Institut Pasteur disait que cela ne servait à rien et mes équipes et moi-même étions les seuls à vouloir travailler dessus. Depuis, nous n'avons pas arrêté : tous les jours, nous décidons de séquencer une nouvelle bactérie. Après le génome, il y a eu les protéines, la morphologie et puis les cultures tous azimuts.

Les pays qui sont arrivés les derniers dans la course, la Chine et la Corée, ont pris le train en marche et se sont massivement suréquipés. Ils ont une technologie de pointe extraordinaire et un développement industriel hallucinant. Chaque jour révolutionne nos connaissances et c'est enthousiasmant. Je vous assure qu'à l'IHU, on s'amuse beaucoup : nous avons isolé cent cinquante nouvelles espèces bactériennes chez l'homme, que nous n'avons même pas le temps de décrire. Mais je regrette que cette nouvelle façon de faire de la science et de la recherche médicale ne soit pas plus générale.

Les essais thérapeutiques, pour les maladies infectieuses, ont un intérêt très limité. Il faut changer nos modèles de pensée et arrêter avec les études randomisées. Pour savoir si un médicament marche contre le sida ou l'hépatite C, il suffit de mesurer l'évolution de la charge virale. On abaisserait considérablement le coût du traitement de l'hépatite C si l'on considérait qu'après trois tests où la charge virale est négative, on peut arrêter le traitement. Il suffit de surveiller les gens et de les traiter à nouveau, le cas échéant. Au lieu de ça, on a imposé une durée de traitement que rien ne justifie et qui ne tient pas compte de la grande variabilité d'un patient à l'autre. Ce n'est pas de la médecine, ce sont des recettes.

Je pense qu'il faut faire de moins de moins de théorie parce que, dans le domaine de la microbiologie, la période qui s'ouvre est l'équivalent du XVIe siècle pour la géographie : on est en train de découvrir un nouveau monde. Le microbiote est un changement de perspective majeur. Rendez-vous compte que le médicament le plus révolutionnaire du XXIe siècle pour les maladies infectieuses, si l'on excepte le traitement de l'hépatite C, c'est la greffe fécale ! On sauve des gens en leur faisant une greffe fécale. Voyez où se trouve l'innovation ! Ça irrite ceux qui voudraient le commercialiser, parce que c'est quelque chose qui ne peut pas rapporter d'argent. Et pourtant, elle permet de traiter la maladie émergente la plus violente qu'on ait connue en France depuis vingt ans, avec 2 500 morts déclarées par an – peut-être le double en réalité.

Cela pose un grand nombre de questions. Par exemple, les changements d'écosystème sont-ils médiés par les microbes ? Le froid a-t-il un effet sur les microbes des muqueuses nasales, qui nous rendrait plus vulnérables ? Nous sommes à une époque de grandes découvertes mais je regrette que nous ne fassions pas la course en tête. L'IHU est compétitif face à la Chine, parce que nous nous équipons en permanence et massivement avec des outils de pointe. La Corée a sorti un appareil pour PCR qui fait les tests en vingt minutes, alors que nous, il nous faut deux heures quarante. C'est un tout petit appareil, dont on pourrait équiper les cabinets médicaux : cela changerait totalement les modes de prise en charge et la place des biologistes – il faudrait revoir la loi actuelle. Regardons toutes ces évolutions en face et leur vitesse. Demain, on fera le génome humain entier pour cent dollars. Aux États-Unis, la société 23andMe peut déjà vous prédire les maladies que vous aurez au cours de votre vie. On est dans un monde complètement fou, celui de la course à la technique, et c'est intéressant.

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