Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mardi 30 juin 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Agnès Buzyn, ancienne ministre des solidarités et de la santé :

Il est de plus en plus difficile de trouver des directeurs d'agence, non pas faute de candidats mais parce qu'il faut un très bon niveau scientifique pour présider une agence de cette importance. Or, souvent, les scientifiques ne souhaitent pas s'engager dans des postes très administratifs, préférant se consacrer à leurs travaux de recherche. Mme Geneviève Chêne avait d'ailleurs refusé une première fois avant d'accepter.

Il faut ensuite s'assurer qu'ils n'ont aucun conflit d'intérêts industriels. Or les médecins professeurs d'université travaillent souvent avec l'industrie, ce qui n'est pas compatible. En réalité, le pool des personnes en capacité de reprendre des agences sanitaires est en train de se réduire. Cela faisait un an que nous cherchions : j'avais rencontré beaucoup de personnes – je suis même allée chercher à l'étranger, auprès de Suisses et de Belges parlant français – mais soit ils n'avaient pas la compétence nécessaire, soit ils ne le souhaitaient pas. C'est très difficile et cela n'ira pas en s'améliorant – et je ne parle même pas d'un directeur général de la santé ! Des personnes ayant la compétence, la connaissance administrative, sachant faire du management et sans aucun lien d'intérêt, cela se compte sur les doigts d'une main !

Pour ce qui est des stocks, il est demandé aux agences non pas de décider, mais de proposer des doctrines et des scénarios au ministère, qui décide ensuite. Santé publique France a pour mission d'éclairer les décisions futures des autorités sanitaires en mobilisant de l'expertise sur l'adéquation optimale aux besoins des différents types de stocks stratégiques. Les agences doivent travailler ensemble, parce que les doctrines de gestion des stocks peuvent dépendre de plusieurs agences, comme l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il faut agréger l'expertise autour de chaque produit pour déterminer quel est le besoin, comment il se gère, etc. Cela, c'est la mission de l'EPRUS, intégré dans Santé publique France.

J'en reviens à la découverte d'octobre 2018. Dans la très grande majorité des pays, il n'y a pas de stocks d'État. Dans son rapport, M. Stahl dresse le tableau des stocks stratégiques d'État au Canada, aux USA, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suisse : soit il n'y en a pas du tout, c'est-à-dire que chaque établissement de santé se débrouille, soit il est bien inférieur au nôtre. Ainsi, concernant le stock stratégique des masques, le Canada n'en a pas ; les USA en ont 37 millions et le Royaume-Uni 350 millions. L'Allemagne n'a pas de stockage centralisé, tandis que la Suisse oblige les établissements à constituer des réserves de trois mois – c'est sans doute une bonne leçon –, l'obligation d'avoir des réserves pesant également sur la population. Chaque pays a des doctrines différentes mais, en dehors du Royaume-Uni, ils n'ont pas de stock stratégique d'État. Je pourrais également vous citer les chiffres pour les antibiotiques ou les antiviraux.

Lorsque Santé publique France mobilise un groupe d'experts pour établir ce rapport, l'objet est la reconstitution du stock d'antiviraux : la saisine de Santé publique France ne portait pas sur les masques. C'est le groupe d'experts qui a rappelé que la grippe pouvait nécessiter des gestes barrières et des masques. Selon le rapport, il n'y a aucune raison de changer les recommandations : les masques chirurgicaux sont à destination des gens atteints de la grippe et de leur entourage familial. Il émet toutefois une hypothèse : si 20 millions de personnes étaient atteintes de la grippe en France – ce serait une pandémie très sévère : en général, la grippe touche entre 3 et 5 millions de personnes par an –, il faudrait alors une boîte de 50 masques par foyer pour chaque personne malade, soit 20 millions, c'est-à-dire 1 milliard de masques. Concernant le coronavirus, soyons clairs : personne ne peut imaginer qu'il y ait 20 millions de malades en même temps en France ! Nous en sommes déjà à 500 000 morts dans le monde avec 10 millions de malades : c'est un virus qui tue beaucoup plus que la grippe. Les services d'urgence sont déjà en tension pendant les épidémies de grippe : nos systèmes de santé ne supporteraient pas 20 millions de personnes infectées par le coronavirus. Le confinement est la seule solution.

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