Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mardi 30 juin 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Agnès Buzyn, ancienne ministre des solidarités et de la santé :

Effectivement, mais je ne sais plus s'il a été transféré à l'assurance maladie avant ou après mon entrée en fonctions, cela ayant été le cas pour plusieurs agences à tour de rôle.

Comme toutes les agences, celles du domaine de la santé font l'objet d'une discussion budgétaire se déroulant dans le cadre de leur conseil d'administration. À la question de savoir si nous avons reçu des alertes sur le financement de l'EPRUS, je répondrai que cela n'a pas été davantage le cas pour cet établissement que pour un autre : tout au plus a-t-il dû se soumettre, comme tous les autres, aux injonctions de sobriété, pour ne pas dire de rigueur budgétaire, qui se sont multipliées au cours des dernières années.

Santé publique France est investie de nombreuses missions, consistant notamment à tenir des registres et à assurer la surveillance du territoire, et il est certain que la fusion entre l'institut de veille sanitaire (INVS), l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) et l'EPRUS a permis de réaliser des économies sur les fonctions support. Je crois que, lors de la première année ayant suivi la fusion, le budget correspondant à l'ex-EPRUS a été reconduit à l'identique, et qu'on a ensuite considéré que la mutualisation des fonctions support permettait d'allouer moins à certaines de ces fonctions : il n'aurait pas été logique de financer l'équivalent de trois services de communication, par exemple. En tout état de cause, je n'ai pas été saisie d'alertes particulières portant sur le financement de l'EPRUS.

La question de la bureaucratie, évoquée par M. Pancher, nous conduit à nous interroger sur ce que pourrait être une meilleure organisation. Mon expérience de la gestion de la crise de Fukushima lorsque j'étais présidente de l'IRSN me conduit à penser que la gestion du temps long et celle des crises ne doivent pas être confiées aux mêmes personnes, car l'une et l'autre font appel à des compétences très différentes. Pour ma part, je suis favorable à ce que la gestion des crises, qui requiert de faire preuve d'anticipation et de réactivité, soit confiée à une agence dédiée à cette mission.

Cela ne vaut pour les crises de tout type, d'autant qu'elles sont généralement intriquées, comme j'ai eu l'occasion de le constater lors de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, dont les conséquences sont tout à la fois environnementales, chimiques et de santé publique. Avec une agence qui ne serait chargée que des crises sanitaires, on risque de passer à côté de certaines choses, et il serait ensuite difficile d'y remédier. Certains pays se sont déjà dotés d'une agence dédiée aux crises et j'y vois une bonne chose, car la personne responsable de ce type d'agence est ainsi amenée à rendre des comptes sur une gestion de crise qu'elle assume entièrement, ce qui n'est pas le cas d'une organisation dans laquelle les responsabilités sont diluées – sans parler du fait qu'une telle organisation est certainement moins réactive face à la crise.

Faut-il considérer que la gestion de la crise a souffert d'une organisation trop bureaucratique ? Je n'en suis pas persuadée, car j'ai obtenu des réponses sur les stocks de masques moins de deux jours après les avoir demandées, par exemple.

Une première commande de masques FFP2 est passée le 2 février, quand je décide de constituer un stock ayant vocation à suppléer, dans l'hypothèse où tout le monde ne serait pas prêt ou n'aurait pas parfaitement appliqué la doctrine de mise en œuvre de 2001, le stock d'État inexistant.

Une fois que les ARS nous ont fait remonter, au moyen de la note que le DGS a reçue le 6 février, les informations que nous leur avons demandées, nous faisons partir, le 7 février, une commande comprenant 28 millions de FFP2, 3 millions de paires de gants, 200 000 charlottes, 50 000 paires de lunettes, 200 000 paires de surchaussures et 100 000 litres de solution hydroalcoolique – je précise que ce n'est pas moi qui décide des chiffres : je ne fais qu'acter globalement la commande, établie sur la base des chiffres proposés par les services. Il est prévu que ces équipements soient distribués aux médecins libéraux, aux infirmières et aux pharmaciens, ainsi qu'aux EHPAD et aux établissements de santé.

C'est à ce moment que nous prenons conscience des tensions sur la production, qui seront à l'origine de l'une des grandes leçons de cette crise : pour réduire les risques de subir des difficultés d'approvisionnement, nous devons augmenter notre souveraineté en termes de capacité de production, mais surtout diversifier les sources d'approvisionnement. Cette idée rejoint le plan pour agir contre les pénuries de médicaments que j'avais présenté en juillet 2019, et qui correspond bien au retour d'expérience que nous avons à l'occasion de la crise du covid-19. Ce plan mettait l'accent sur trois points. Premièrement, la nécessité de diversifier les sources d'approvisionnement, trop centralisées ; deuxièmement, celle de disposer en France de stocks de trois mois pour tous les médicaments indispensables – à mon sens, c'est également ce dont devraient disposer en permanence les établissements de santé, ce qui n'est pas précisé dans la doctrine de 2011 ; troisièmement, celle de travailler sur une relocalisation de la production des médicaments en Europe.

M. Pancher m'a interrogée sur l'alerte que j'ai donnée le 30 janvier. Ce jour-là, je me trouve avec le Premier ministre au Conseil économique, social et environnemental (CESE), pour le lancement de la conférence de financement des retraites. Après avoir travaillé pendant trois heures avec toutes les organisations syndicales, et être tombés d'accord sur le fait qu'un rapport sur le financement des retraites et l'âge pivot devra nous être remis pour fin avril, nous nous retrouvons dans un grand bureau avec une vingtaine de personnes. Lors de la discussion de salon à laquelle nous prenons part, Édouard Philippe évoque le fait qu'il va se présenter aux élections municipales au Havre, et je lui dis alors : « Si cette épidémie progresse et arrive en Europe, les élections ne pourront peut-être pas se tenir » – je rappelle que cette phrase a été prononcée alors qu'il y a moins de 1 000 cas déclarés en Chine, et le jour même où l'OMS déclare l'urgence internationale. Voyant son étonnement, je lui confirme que, si l'épidémie chinoise devenait une épidémie mondiale, il se pourrait qu'elle empêche la tenue du scrutin prévu pour le mois de mars. La phrase que j'ai prononcée ne constituait pas une alerte formelle, mais la suite des événements devait malheureusement me donner raison, du moins pour ce qui est du second tour.

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