S'agissant des tests, je rappelle que, durant la période où j'exerçais mes fonctions, le virus ne circulait pas en Europe – il n'a commencé à le faire qu'à la fin du mois de février – et que je n'ai eu à gérer que des cas importés. Il n'y avait donc pas lieu de faire des tests. Dans la phase 1 des épidémies, on ne teste pas toute la population. Ce qui importait, c'était d'identifier les malades arrivant de Chine pour les entourer : c'est ce que j'ai appelé la stratégie coréenne, pour simplifier. Il s'agissait d'isoler les malades pendant quatorze jours et d'identifier les cas contacts. J'avais tellement conscience qu'on risquait d'avoir des clusters et des cas contacts à isoler que j'avais demandé à tous les internes de santé publique de France de se mobiliser le 30 janvier pour venir aider les ARS et les centres de crise, au cas où il y aurait des clusters : il fallait renforcer les agences pour téléphoner aux cas contacts.
Tester la population quand il n'y a pas d'épidémie n'a pas de sens. L'urgence, pour moi, c'était de déployer des tests dans tous les hôpitaux pour tester l'ensemble des cas suspects envoyés par le centre 15. À l'époque dont je parle, nous étions capables de faire quelques centaines ou milliers de tests par jour. Lorsque l'épidémie arrive, on entre dans une autre logique : il faut pouvoir tester massivement lorsque plusieurs clusters apparaissent dans une même région, par exemple. Mais cette question ne se posait pas quand j'étais en fonction.
On m'a énormément attaquée parce que j'ai déclaré, le 23 janvier, qu'il était inutile de porter un masque. Mais il n'y avait aucune raison de dire aux Français de porter un masque en janvier, alors qu'il n'y avait aucun cas en Europe ! Cela n'a pas de sens ! À l'époque, les recommandations internationales, notamment celles de l'OMS, disaient toutes la même chose, et c'est déjà ce que disait le rapport Stahl de 2018 : les masques sont pour les malades et pour les soignants. On peut, avec le recul, s'interroger sur le bien-fondé de ces recommandations mais, à l'époque, tous les pays les suivaient – les États-Unis, la Chine ou l'Allemagne, pour ne citer qu'eux.
Il est normal que les mentalités évoluent au cours d'une épidémie et que des questions apparaissent. Nous ne les avions pas toutes anticipées, notamment celle du port du masque en population générale. En tout cas, on ne peut pas me reprocher d'avoir dit, le 23 janvier, qu'il ne fallait pas porter de masque, alors que la doctrine internationale disait de réserver les masques aux gens malades et fragiles.
S'agissant de mon choix de partir en campagne, j'avais le sentiment que j'avais fait tout ce que je savais et pouvais faire – avant même, je le répète, que beaucoup de gens aient perçu le risque. Un ministre de la défense ne pourrait-il donc jamais partir en campagne ? Vous êtes des élus, vous savez ce qu'était le contexte politique. J'avais lancé le plan ORSAN-REB dans toutes les régions, j'avais écrit une lettre de mobilisation générale aux ARS. Quand je pars, tout est prêt, et c'est ce que je dis à mon successeur. Je suis partie en campagne en me disant qu'un maire a aussi un rôle majeur à jouer.
Vous m'interrogez sur le classement de l'hydroxychloroquine sur la liste II des substances vénéneuses – des médicaments qui nécessitent une prescription médicale. Il faut savoir que ce produit était en vente libre, alors que son homologue, la chloroquine, est vendue sur ordonnance depuis vingt ans. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, comme les centres de pharmacovigilance, reçoit en permanence des remontées sur la dangerosité de certains médicaments et elle a dû recevoir des signalements d'accidents causés par l'hydroxychloroquine. Elle a alors demandé à l'ANSES un avis sur la dangerosité de ce produit, qui a été rendu en novembre 2019. Conformément à cet avis, l'ANSM a ensuite demandé au ministère de classer ce médicament parmi les substances vénéneuses. Le directeur général de la santé a entériné cette décision par un arrêté, comme cela se produit tous les jours. Le seul médicament dont j'ai interdit la vente libre, en tant que ministre, c'est un sirop pour la toux à base de codéine : des jeunes en avaient mis dans des cocktails et étaient morts par surdosage. Pour le reste, la remontée d'information est le processus normal. Après la crise du Médiator, on ne peut pas reprocher au ministère de la santé de veiller à ce que les Français ne consomment pas trop de médicaments sans ordonnance. Moins on consomme de médicaments, mieux on se porte. J'ai vu des théories complotistes circuler sur cet arrêté, mais il est pris le 12 janvier. À cette date, on compte cinquante cas en Chine, et un mort…
Vous m'interrogez sur l'IHU de Marseille et REACTing. Mon mari a créé le comité REACTing à la suite de la crise d'Ebola en 2014. Il s'agissait de mobiliser les équipes de recherche pour travailler sur ce nouveau virus et coordonner les recherches sur les maladies émergentes. En tant que président de l'INSERM, mon mari a créé ce comité, qui a un rôle fonctionnel de coordination : lorsqu'une épidémie survient, l'Institut Pasteur, le CNRS, les universités se mettent autour de la table et voient comment ils peuvent travailler de la manière la plus efficiente. Mon mari a quitté l'INSERM en 2018 et le comité REACTing est maintenant présidé par le professeur Yazdan Yazdanpanah. C'est la structure de recherche que Frédérique Vidal et moi-même convoquons le 6 ou le 7 février : nous leur demandons un plan pour répondre à l'émergence de ce nouveau virus. C'est à eux de nous présenter un plan de recherche.
Je n'ai aucun souvenir de l'inauguration de l'IHU de Marseille, ni d'aucun IHU, quand j'étais ministre. Tout ce que je peux dire, c'est que l'IHU de Marseille a fait l'objet d'un financement hors norme : il a été le plus financé de tous les IHU français. Avec Frédérique Vidal, nous avons renouvelé les financements des IHU, dont celui de Marseille, en 2019 pour plus de 70 millions d'euros. Il n'y a pas de traitement particulier ni de contournement de l'IHU de Marseille.
M. le député Julien Aubert me demande s'il y a des conflits d'intérêts entre REACTing et Gilead. REACTing est un comité activé par le ministre en cas de virus émergent. Des personnes morales y sont représentées, et non des personnes physiques ayant des conflits d'intérêts. Cette organisation fonctionnelle met autour de la table toutes les structures de recherche françaises – le CNRS, l'INSERM, l'Institut Pasteur, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), etc. – afin qu'elles se répartissent la tâche, proposent un plan d'action de recherche efficace et rapide et activent telle ou telle équipe selon le type d'épidémie.