Concernant la question d'une agence dédiée aux crises sanitaires, mon sentiment est que si l'on veut plus de réactivité et plus de responsabilité, il faut une agence dédiée aux crises en général, rassemblant l'ensemble des compétences. Ce que j'ai vu dans le ministère montre que les crises sont le plus souvent intriquées et complexes : le levier sanitaire ne suffit pas. C'est probablement un des grands retours d'expérience de cette crise.
Concernant les masques, il y en avait bien 714 millions en 2017. Le directeur général de la santé a demandé en avril 2017 que l'on contrôle la qualité de tous les produits stockés par l'agence, et pas seulement les masques. La réponse est parvenue à Santé publique France en octobre 2018 – je rappelle que tout cela n'est pas à mon niveau de connaissance : je reconstitue l'histoire sur la base des archives et des auditions de la mission d'information. On nous dit que les stocks de masques sont périmés. Ce que je comprends a posteriori, c'est que certains sont vraiment moisis, abîmés par des rongeurs, tandis que d'autres sont périmés par rapport à une norme de 2014. Santé publique France a demandé à l'établissement belge chargé d'évaluer la filtration des masques et leur qualité si ces masques étaient utilisables pour les soignants ou pour des malades au regard de cette norme : la réponse est non car ils ne filtrent plus correctement. Une décision de destruction est donc prise – cela fait partie de la gestion habituelle des stocks – mais on s'aperçoit que tout n'a pas été détruit. Dès lors, une nouvelle question est posée sur les masques restants : sont-ils suffisamment filtrants pour être distribués, non pas à des malades ou à des soignants, mais à la population générale ? La réponse étant positive, les masques sont de nouveau mis en circulation.
Sincèrement, si la question m'avait été posée en 2018, je ne pense pas que j'aurais pris le risque à la fois sanitaire et politique de décider de mettre en circulation des masques dont une agence de certification dit qu'ils ne sont pas bons. Il faut se mettre à la place d'une ministre, qui plus est médecin : c'est une décision politique lourde. La question de savoir si l'on pouvait tout de même les utiliser pour la population générale n'a pas été posée en 2018, ce qui était normal car les recommandations internationales, en mars 2020 encore, soit après mon départ, étaient de donner les masques aux malades et aux soignants. On ne se pose cette question que lorsque l'épidémie arrive et que l'on se rappelle que les masques font partie des gestes barrières en population générale. Le glissement dans la perception que nous en avons est intervenu par la suite mais on gère une crise en fonction de l'état des connaissances et de la sensibilité d'une population au port du masque. C'est vraiment une question qui doit se poser pour l'avenir.
Les ARS ont été exemplaires dans la gestion de la crise sanitaire. Quand j'étais ministre, j'ai vu leur mobilisation : elles ont travaillé nuit et jour pour recevoir 500 personnes rapatriées de Wuhan, elles ont préparé en l'espace de quarante-huit heures des centres de vacances avec la Croix rouge et la réserve sanitaire pour placer 450 personnes en quarantaine. Il y avait, dans ces centres, des dizaines et des dizaines de personnes pour gérer les rapatriés, avec des masques, avec des gants. Il a fallu concevoir des circuits d'alimentation pour éviter les contaminations. Vous n'imaginez pas la complexité de l'organisation à Carry-le-Rouet ! De même, lorsque nous avons appris qu'un touriste anglais malade se trouvait dans un chalet aux Contamines-Montjoie, il a fallu contacter les résidents de ce chalet, les mettre en quarantaine, les tester, les envoyer dans trois hôpitaux parce qu'ils étaient positifs. On s'est aperçu que l'un d'entre eux était un enfant qui s'était rendu dans trois écoles : il a fallu tester 200 enfants contacts dans la journée, avec des files dédiées à la prise en charge de ces familles potentiellement contaminées et contaminantes. On leur a demandé à toutes de se mettre en quarantaine, on les a appelées tous les jours – il faut savoir ce que c'est que la gestion d'un cluster ! Je ne jetterai donc pas la pierre aux ARS.
Il y a sûrement des améliorations à apporter : parfois le lien avec les collectivités locales ou les préfets ne fonctionne pas bien, mais les ARS ont énormément travaillé pendant cette crise, nuit et jour ! Je suis partie avant la circulation du virus mais ce que j'ai pu voir quand j'étais ministre, à Carry-le-Rouet et aux Contamines-Montjoie, toutes ces nuits passées à contacter les gens, à rassurer les familles, à organiser, à travailler avec des gens potentiellement contaminés et contagieux, c'était remarquable. Du reste, il n'y a eu aucun cas secondaire à partir de ces clusters.