Intervention de Marisol Touraine

Réunion du mercredi 1er juillet 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Marisol Touraine, ancienne ministre des affaires sociales et de la santé :

La covid-19 a provoqué une crise sanitaire sans précédent dans notre pays, sans parler de ses conséquences économiques. J'espère que l'amélioration sensible de la situation sera durable et que la course contre la montre engagée à travers le monde pour trouver des traitements efficaces, et surtout un vaccin, aboutira rapidement.

Je suis désormais présidente d'Unitaid, organisation internationale engagée en faveur de la recherche de solutions concrètes pour l'accès à la santé dans les pays à faibles revenus. À ce titre, je mesure l'intensité des espoirs, mais aussi la fragilité des perspectives.

Dans cette crise, nos concitoyens ont fait preuve d'une maîtrise et d'un sang-froid remarquables. Je veux exprimer ma solidarité aux malades, aux familles endeuillées ; je m'associe à leur peine. Je salue également l'engagement et l'efficacité des professionnels de santé. Les hôpitaux ont déployé une réactivité et une capacité d'innovation scrutées avec attention depuis l'étranger.

Il est légitime de se demander si la France était prête à affronter une telle épidémie. J'ai été ministre des affaires sociales et de la santé pendant cinq ans et j'ai accordé, sans relâche, la priorité à la sécurité et à la protection de nos concitoyens, dans toutes les circonstances de leur vie, y compris dans les moments de crise. Je l'ai fait avec une vision globale de ce que devait être notre système de santé car la veille et la sécurité sanitaires s'inscrivent nécessairement dans une politique d'ensemble qui porte à la fois sur l'organisation du système de soins – pour s'assurer de la capacité à prendre en charge les malades – et sur la prévention.

La prévention a représenté un engagement fort : j'ai parfois dû combattre en ce sens, mais les résultats sont là, notamment sur la lutte contre le tabagisme, Nutriscore ou la PrEP, ce traitement prophylactique contre le sida ? Sans politique de prévention, le risque de crise est plus fort.

J'ai été amenée à gérer plusieurs crises. Chacune était particulière. Chaque soir, je lisais le bulletin des alertes sanitaires. De nombreuses crises étaient liées à des produits de santé ou à des épisodes de grippes sévères. C'est à l'occasion de l'épidémie de grippe survenue durant l'hiver 2013-2014 que des changements importants sont intervenus dans la gestion des lits à l'hôpital, avec la mise en place de lits d'aval, et de gestionnaires de lits, pour désengorger les urgences. Le MERS-CoV, les épidémies de Zika, de Chikungunya ou de dengue, Ebola, surtout, et, bien entendu, les attentats de Paris et de Nice ont été d'une intensité particulière. Chacune de ces crises a appelé des décisions différentes, mais toutes exigeaient une réactivité dans l'action, une organisation cohérente et des moyens adaptés.

Lorsque j'ai été nommée en 2012, il m'a semblé qu'il manquait une colonne vertébrale à notre politique de sécurité sanitaire. Certes, la réflexion avait commencé avant : les nombreuses agences sanitaires, souvent de petites tailles – c'était le cas de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) – souffraient d'un manque de coordination et étaient incapables de peser. J'ai proposé de créer Santé publique France ; vous avez voté la création de cette nouvelle agence à l'unanimité. Il était indispensable de traiter ensemble la connaissance scientifique, les messages de prévention cohérents et la réponse opérationnelle aux situations d'urgence.

D'autres réformes sont venues renforcer la sécurité sanitaire. Ce fut, d'abord, en 2014, la conception d'une organisation de la réponse du système de santé en situation sanitaire exceptionnelle (ORSAN), qui s'est appliquée pour la première fois lors de l'épidémie d'Ebola. ORSAN comporte un volet dédié aux pandémies grippales, inscrit dans la loi pour lui donner plus de force.

Ce fut, ensuite, la transformation du système d'alerte sanitaire – jusque-là éparpillé – avec la création d'un portail unique des vigilances.

Ce fut, enfin, la volonté de maintenir des stocks stratégiques importants – pas seulement pour les masques – et de créer des conditions de stockage sécurisées dans les entrepôts de Vitry-le-François, avec une chaîne de décisions et un pilotage clairement identifiés. Les stocks stratégiques ne se limitaient – et ne se limitent toujours pas – aux masques. Nous avons pris des décisions importantes pour d'autres produits et la direction générale de la santé a passé des commandes de renouvellement chaque année – j'étais informée de certaines d'entre elles.

Nous n'avons pas changé de doctrine concernant les masques entre 2012 et 2017. Nous nous sommes inscrits dans la nouvelle doctrine définie par le Haut conseil de la santé publique en 2011. Rien ne m'a semblé justifier de la remettre en cause.

À mon arrivée, il y avait 730 millions de masques chirurgicaux et, à mon départ, 754 millions. Nous avons fait un effort spécifique pour renforcer les capacités en pédiatrie puisque 40 millions de masques ont été achetés à cet effet. Ces masques étaient destinés à la population générale. Ils ne comportaient pas de date de péremption et aucune alerte n'est jamais remontée. Les évaluations postérieures ont démontré qu'ils pouvaient être utilisés par le grand public.

Les stocks de masques FFP2, comportant tous une date de péremption, se sont logiquement réduits puisque la doctrine de 2011 en avait limité drastiquement les cas d'utilisation.

Permettez-moi de conclure par une observation probablement décalée par rapport à vos préoccupations. Je me garderai bien de donner la moindre leçon, tant je connais la difficulté de l'exercice des responsabilités. Toutefois, inspirée par mon expérience internationale, il me semble que l'articulation des réponses nationales et internationales – notamment européennes – est très certainement une piste à creuser.

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