Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de Mme Brigitte Bourguignon.
La mission d'information procède à l'audition de Mme Marisol Touraine, ancienne ministre des Affaires sociales et de la santé (2012 – 2017).
Mme la ministre, de nombreuses évolutions ont eu lieu durant les cinq ans où vous avez été ministre de la santé : restructuration des agences sanitaires – avec la création de Santé publique France ; élaboration du plan d'Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (ORSAN), qui a tiré les enseignements de l'épidémie du virus Ebola ; évolution de la doctrine d'utilisation et de stockage des masques.
Ce dernier point fait l'objet d'une importante controverse relative au niveau et à l'état des stocks stratégiques de masques car, suite à l'audit de 2018, la majeure partie d'entre eux s'est révélée inutilisable. Les équipements de protection ont aussi manqué aux personnels soignants : une réforme doit être menée pour que l'on ne se retrouve pas de nouveau dans une telle situation. Votre expérience sera précieuse pour éclairer les travaux de notre mission.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « je le jure ».
(Mme Marisol Touraine prête serment)
La covid-19 a provoqué une crise sanitaire sans précédent dans notre pays, sans parler de ses conséquences économiques. J'espère que l'amélioration sensible de la situation sera durable et que la course contre la montre engagée à travers le monde pour trouver des traitements efficaces, et surtout un vaccin, aboutira rapidement.
Je suis désormais présidente d'Unitaid, organisation internationale engagée en faveur de la recherche de solutions concrètes pour l'accès à la santé dans les pays à faibles revenus. À ce titre, je mesure l'intensité des espoirs, mais aussi la fragilité des perspectives.
Dans cette crise, nos concitoyens ont fait preuve d'une maîtrise et d'un sang-froid remarquables. Je veux exprimer ma solidarité aux malades, aux familles endeuillées ; je m'associe à leur peine. Je salue également l'engagement et l'efficacité des professionnels de santé. Les hôpitaux ont déployé une réactivité et une capacité d'innovation scrutées avec attention depuis l'étranger.
Il est légitime de se demander si la France était prête à affronter une telle épidémie. J'ai été ministre des affaires sociales et de la santé pendant cinq ans et j'ai accordé, sans relâche, la priorité à la sécurité et à la protection de nos concitoyens, dans toutes les circonstances de leur vie, y compris dans les moments de crise. Je l'ai fait avec une vision globale de ce que devait être notre système de santé car la veille et la sécurité sanitaires s'inscrivent nécessairement dans une politique d'ensemble qui porte à la fois sur l'organisation du système de soins – pour s'assurer de la capacité à prendre en charge les malades – et sur la prévention.
La prévention a représenté un engagement fort : j'ai parfois dû combattre en ce sens, mais les résultats sont là, notamment sur la lutte contre le tabagisme, Nutriscore ou la PrEP, ce traitement prophylactique contre le sida ? Sans politique de prévention, le risque de crise est plus fort.
J'ai été amenée à gérer plusieurs crises. Chacune était particulière. Chaque soir, je lisais le bulletin des alertes sanitaires. De nombreuses crises étaient liées à des produits de santé ou à des épisodes de grippes sévères. C'est à l'occasion de l'épidémie de grippe survenue durant l'hiver 2013-2014 que des changements importants sont intervenus dans la gestion des lits à l'hôpital, avec la mise en place de lits d'aval, et de gestionnaires de lits, pour désengorger les urgences. Le MERS-CoV, les épidémies de Zika, de Chikungunya ou de dengue, Ebola, surtout, et, bien entendu, les attentats de Paris et de Nice ont été d'une intensité particulière. Chacune de ces crises a appelé des décisions différentes, mais toutes exigeaient une réactivité dans l'action, une organisation cohérente et des moyens adaptés.
Lorsque j'ai été nommée en 2012, il m'a semblé qu'il manquait une colonne vertébrale à notre politique de sécurité sanitaire. Certes, la réflexion avait commencé avant : les nombreuses agences sanitaires, souvent de petites tailles – c'était le cas de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) – souffraient d'un manque de coordination et étaient incapables de peser. J'ai proposé de créer Santé publique France ; vous avez voté la création de cette nouvelle agence à l'unanimité. Il était indispensable de traiter ensemble la connaissance scientifique, les messages de prévention cohérents et la réponse opérationnelle aux situations d'urgence.
D'autres réformes sont venues renforcer la sécurité sanitaire. Ce fut, d'abord, en 2014, la conception d'une organisation de la réponse du système de santé en situation sanitaire exceptionnelle (ORSAN), qui s'est appliquée pour la première fois lors de l'épidémie d'Ebola. ORSAN comporte un volet dédié aux pandémies grippales, inscrit dans la loi pour lui donner plus de force.
Ce fut, ensuite, la transformation du système d'alerte sanitaire – jusque-là éparpillé – avec la création d'un portail unique des vigilances.
Ce fut, enfin, la volonté de maintenir des stocks stratégiques importants – pas seulement pour les masques – et de créer des conditions de stockage sécurisées dans les entrepôts de Vitry-le-François, avec une chaîne de décisions et un pilotage clairement identifiés. Les stocks stratégiques ne se limitaient – et ne se limitent toujours pas – aux masques. Nous avons pris des décisions importantes pour d'autres produits et la direction générale de la santé a passé des commandes de renouvellement chaque année – j'étais informée de certaines d'entre elles.
Nous n'avons pas changé de doctrine concernant les masques entre 2012 et 2017. Nous nous sommes inscrits dans la nouvelle doctrine définie par le Haut conseil de la santé publique en 2011. Rien ne m'a semblé justifier de la remettre en cause.
À mon arrivée, il y avait 730 millions de masques chirurgicaux et, à mon départ, 754 millions. Nous avons fait un effort spécifique pour renforcer les capacités en pédiatrie puisque 40 millions de masques ont été achetés à cet effet. Ces masques étaient destinés à la population générale. Ils ne comportaient pas de date de péremption et aucune alerte n'est jamais remontée. Les évaluations postérieures ont démontré qu'ils pouvaient être utilisés par le grand public.
Les stocks de masques FFP2, comportant tous une date de péremption, se sont logiquement réduits puisque la doctrine de 2011 en avait limité drastiquement les cas d'utilisation.
Permettez-moi de conclure par une observation probablement décalée par rapport à vos préoccupations. Je me garderai bien de donner la moindre leçon, tant je connais la difficulté de l'exercice des responsabilités. Toutefois, inspirée par mon expérience internationale, il me semble que l'articulation des réponses nationales et internationales – notamment européennes – est très certainement une piste à creuser.
En tant qu'ancienne ministre de la santé, comment appréciez-vous la gestion de la crise du covid ? Quels sont les points forts et les points faibles de la réponse apportée – gestion des masques, des dépistages, organisation du système de soins ?
Le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) n'a pas été actualisé depuis 2011. Des stocks stratégiques de masques, mais aussi de médicaments, sont donc progressivement arrivés à péremption. Peut-on considérer que les enjeux de préparation de la crise sanitaire sont passés au second plan au cours de la dernière décennie ?
Je le répète, il me paraît difficile de porter un jugement sur la gestion d'une crise aussi difficile, aussi inattendue, aussi massive.
Lorsque j'étais ministre, j'ai été confrontée à une série de crises d'intensités différentes. Aucune n'a atteint l'intensité de celle que nous traversons, mais certaines ont provoqué de très fortes inquiétudes. Ainsi, Ebola a déclenché des situations de panique et nous avons dû prendre des mesures. Elles se sont révélées excessives puisque la maladie n'a pas touché notre territoire, même si nous avons assumé nos responsabilités en rapatriant des malades d'Ebola dans nos hôpitaux, principalement à Paris. Mais, à chaque crise, nous apprenons quelque chose. Un plan n'est jamais défini une fois pour toutes.
Au moment d'Ebola, nous nous sommes interrogés sur les stocks. De même, le premier attentat, celui de Charlie Hebdo, nous a aussi conduits à réfléchir et à prendre des décisions relatives au matériel destiné aux enfants. Nous en parlions peu, pour ne pas donner de mauvaises idées à ceux qui voulaient nous mettre à genoux, mais nous redoutions un attentat visant ces derniers. Nous nous sommes donc progressivement adaptés.
Nous avons mené des exercices. En 2014, j'ai moi-même supervisé un exercice pandémique : il commençait au ministère de la santé ; l'épidémie devenait pandémie, puis touchait l'ensemble des secteurs d'activité du pays. Le centre de crise était alors transféré au ministère de l'intérieur afin de permettre une gestion interministérielle impliquant tous les départements concernés. Nous avons également réalisé des exercices, malheureusement utiles, entre l'attentat de Charlie Hebdo et les attentats d'Île-de-France, dits du Bataclan. L'un d'entre eux avait eu lieu quelques heures avant les attentats du Bataclan…
Pour illustrer la difficulté à émettre un avis extérieur sur la crise que nous traversons, je donnerai un exemple relatif aux masques. Spontanément, leur réquisition semblait être la bonne décision à prendre puisque nous en manquions. Or beaucoup d'acteurs locaux ont trouvé que cette mesure, qui partait pourtant d'une volonté éminemment positive, avait compliqué les approvisionnements. Les hôpitaux, les communes, les agences régionales de santé (ARS), les régions, les entreprises avaient leurs propres filières. Tout d'un coup, elles se sont trouvées bloquées. Cela illustre qu'il faut évaluer le contexte dans lequel les décisions sont prises.
La dimension européenne et internationale me semble majeure, pas uniquement en matière de coopération. Elle a présenté des faiblesses. Or la capacité d'alerte, le croisement des alertes, ainsi que celui des analyses, sont capitaux.
Concernant la gestion des stocks et leur péremption pendant la période 2012-2017, je rappelle que les stocks stratégiques sont composés de dizaines de produits. Certains sont simples à manipuler, d'autres beaucoup moins. Certains peuvent être présentés de manière très transparente à l'ensemble de la population, d'autres sont placés sous un régime de confidentialité défense afin de nous permettre de faire face à d'éventuelles attaques terroristes.
Ces stocks étaient gérés par l'EPRUS avant de lui être confiés au sein de Santé publique France. Un pharmacien en chef les suivait directement et leurs quantités remontaient à la DGS tous les trois mois. Les commandes de renouvellement étaient passées tous les ans – généralement en début d'année – pour certains produits. Je peux vous fournir les documents l'attestant.
La création des entrepôts de Vitry-le-François a constitué un élément décisif de la stratégie appliquée entre 2012 et 2017 pour concentrer, rationaliser et sécuriser le maintien de stocks de natures différentes. Je vous invite à consulter les photos des entrepôts. Vous constaterez qu'ils sont propres, gérés et organisés.
Durant cette période, il y a eu des alertes et, dès mon arrivée, je me suis préoccupé des stocks stratégiques pour deux raisons. La première, c'est que nous sortions de la crise du virus H1N1. Avant de devenir ministre en 2012, je siégeais sur vos bancs et nous avions débattu de la gestion et des stocks, notamment pour les vaccins. La deuxième raison, c'est que le directeur général de la santé de l'époque, Jean-Yves Grall, m'avait préparé, dans ce que l'on appelle le dossier ministre, une note destinée à m'informer de l'évolution de la doctrine en 2011 et de la gestion des stocks. En tant que ministre, j'ai eu à prendre des décisions et je peux vous confirmer qu'il existe une chaîne de commandement claire. Nous savons qui fait quoi mais, évidemment, un ou une ministre ne compte pas les ampoules à Vitry-le-François et ne vérifie pas l'état des palettes. Une ministre s'appuie sur des personnes compétentes qui ont sa confiance : directeur général de la santé, opérateur en charge de la gestion, qui lui-même s'appuie sur un pharmacien en chef. Une ministre marque des orientations, prend les arbitrages, est amenée à poser des questions et à prendre position.
Lorsque je suis arrivée, il y avait eu un changement de doctrine en 2011. Je me suis alors demandé si elle était bonne et adaptée. Dans des discussions informelles, j'ai appris qu'il existait une alternative : le passage à des stocks tampons. Cela consiste à diminuer les quantités en stock, tout en s'assurant de pouvoir monter en puissance rapidement, si nécessaire. La question a donc été débattue avec la DGS et les équipes spécialisées. Je n'ai jamais accepté de changement de doctrine et j'ai maintenu qu'il fallait disposer de stocks importants – et pas uniquement pour les masques. C'est la raison pour laquelle le stock s'élevait à 754 millions de masques à la fin de mon mandat.
Il m'a aussi fallu prendre des décisions rapides concernant la disponibilité des vaccins antigrippaux – une mission d'information comme la vôtre pourrait d'ailleurs s'intéresser à la lenteur des processus. Le rapport Delattre évoque la problématique de la disponibilité, et, de manière très louangeuse, les démarches que la DGS et moi avons engagées à partir de 2013.
Comment éviter des stocks trop importants ? Peut-on imaginer des procédures de pré-achats, payés à l'avance, garantissant leur disponibilité au niveau national ou européen ? Au niveau national, malgré des discussions avec plusieurs entreprises, nous n'avons pas trouvé de solution. Nous avons donc intégré un programme européen commun d'actions, afin de disposer de doses garanties de vaccins grâce à des pré-achats européens groupés. Dès 2013, nous avons engagé les négociations et l'accord a été passé en 2015, après autorisation du Parlement. Il a ensuite été ratifié en 2016 et la loi a été promulguée le 2 février 2017.
Les appels d'offres ont été lancés par l'Union européenne peu avant mon départ, mais les premières procédures sont intervenues nettement plus tard, d'où ma remarque sur la lenteur des procédures…
Le troisième exemple est lié à un sujet sensible. Entre 2012 et 2017, nous avons dû faire face à des alertes concernant la variole. C'est dans ce contexte qu'en 2015, j'ai rencontré Louis Gautier, directeur du secrétariat général de la défense et de la sécurité et nationale. Nous disposions de vaccins de première et deuxième générations et attendions l'arrivée des vaccins de troisième génération. En 2012, la nouvelle doctrine recommandait de limiter le nombre de vaccinations à un public cible, aux clusters et de se contenter d'un nombre limité de doses.
Nous avons commencé à acquérir ces doses de troisième génération et avons fait évaluer les stocks de sérums anti-varioliques de première et deuxième générations : il y en avait 82 millions. Nous en avons fait détruire 6 millions, inutilisables, et nous avons conservé les autres. Même si elles ne se trouvaient pas au cœur de la stratégie, nous ne pouvions pas exclure que ces doses soient utiles un jour.
Le quatrième exemple est lié aux antiviraux et au Tamiflu. Là aussi, j'ai dû prendre des décisions.
Le directeur général de la santé, M. Benoît Vallet, coordonnait de nombreuses agences. Il tenait des réunions mensuelles avec les agences sanitaires, et plusieurs réunions par an avec toutes les agences qui traitaient de sujets en lien avec la santé. Fin 2016, il a demandé à Santé publique France de faire des propositions au regard de la doctrine, concernant les quantités de produits – masques, antiviraux et antigrippaux. Notre stratégie a donc consisté à suivre précisément la situation des stocks.
M. Jérôme Salomon, l'actuel directeur général de la santé, a été votre conseiller. La presse a révélé, dans les mails de l'affaire WikiLeaks, qu'il avait remis une note d'alerte – prémonitoire –, à Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, dans laquelle il expliquait que la France n'était pas prête à affronter une crise sanitaire majeure.
Quel rôle jouait Jérôme Salomon au sein de votre cabinet ? Vous avait-il alertée de cette impréparation ? Avez-vous ressenti cette analyse, très pertinente, comme une forme de critique du travail effectué ?
Vos propos démontrent une maîtrise et une connaissance parfaite des dossiers. Vous êtes allée au fond de votre analyse sur l'évaluation et le renouvellement des stocks stratégiques de l'État que vous avez voulu maintenir. Les chiffres que vous citez au sujet des masques chirurgicaux le démontrent. Comment disposiez-vous d'un regard sur les stocks stratégiques qui relevaient d'abord de l'EPRUS, puis de Santé publique France ? Receviez-vous des notes de cette dernière ? Vous étaient-elles adressées directement ou à votre directeur de cabinet ? Évoquiez-vous ces stocks dans des réunions ? Les avez-vous évaluées et contrôlées ?
Vous avez évoqué la circulaire de M. Xavier Bertrand de novembre 2011, qui distingue moyens tactiques et stocks stratégiques. Comment ces moyens tactiques sont-ils contrôlés ? Est-ce la mission des ARS ? Le ministère, la DGS, les agences régionales de santé ont-ils donné des instructions concernant leur composition ? Les masques en font-ils partie ? Quel contrôle a été réalisé pendant la crise ?
Jérôme Salomon a été mon conseiller en sécurité sanitaire. C'était un excellent conseiller, un spécialiste reconnu, parfaitement au point sur les dossiers. J'avais avec lui une relation de confiance et il m'a épaulé dans toutes les crises que j'ai eues à gérer.
Jérôme Salomon m'a fait des recommandations et, en lien avec le directeur général de la santé, nous avons transformé le paysage de la sécurité sanitaire. La plupart des notes qu'il m'a remises se sont traduites par des décisions et des changements.
Le premier de ces changements est la création d'une agence intégrée, Santé publique France. Le paysage sanitaire était alors éparpillé, avec parfois des doublons, sans parler des enjeux financiers ou organisationnels, des difficultés à coordonner les connaissances scientifiques, le travail de recherche, de prévention, d'élaboration des messages et la mise en place des données opérationnelles.
C'est la raison pour laquelle, en 2013, j'ai demandé à M. Benoît Vallet – nouveau DGS – et à Mme Françoise Weber – présidente de l'Institut national de la veille sanitaire (INVS) – de faire un point sur ce qui existait à l'étranger et d'identifier les différentes options. C'est ainsi que nous avons créé Santé publique France.
Deuxième dossier : l'organisation d'une réponse aux situations d'urgence sanitaire, qui a été activée pendant la crise du covid. Le pan ORSAN, créé en 2014, est décliné en cinq catégories de risques, dont le risque pandémique. La DGS a envoyé une circulaire à toutes les agences régionales de santé qui a impliqué un bouleversement de notre organisation.
Pour donner de la force à ORSAN, je l'ai inscrit dans la loi de modernisation du système de santé promulguée au début de l'année 2016. Le 6 octobre 2016, un décret en Conseil d'État a défini ses modalités d'application. Au même moment, un guide d'utilisation a été envoyé aux préfets et aux ARS. Il précise la manière dont fonctionne ORSAN, les questions qu'il faut poser, la façon dont le dialogue doit se nouer avec les établissements de santé, les établissements médico-sociaux et les professionnels libéraux.
Troisième mesure : un portail unique des vigilances, à la suite du rapport, fin 2013, de l'ancien directeur de la santé, Jean-Yves Graal, sur la réorganisation du système d'alerte et de vigilance.
J'ai déjà parlé de la plateforme de Vitry-le-François et des exercices. Sur proposition de Jérôme Salomon, nous avons également créé un poste de directeur général de la santé adjoint, nommé en conseil des ministres, chargé de la coordination des agences sanitaires.
Je n'en ai pas parlé avec lui, mais au moment où Jérôme Salomon fait le choix de soutenir la candidature d'Emmanuel Macron, je pense qu'il estime que la culture de l'urgence et de l'exception est trop inégalement partagée en France. Nos hôpitaux ont montré leurs savoir-faire en matière d'urgence et leur réactivité, mais toutes les agences régionales de santé n'ont pas la même culture et la même aptitude face à l'urgence. La préoccupation de Jérôme Salomon – mais également la mienne – était de s'assurer que chacun saurait s'emparer de la même manière et au même moment des moyens opérationnels disponibles.
À tous les échelons de la vie nationale, il est possible d'être confronté à ce problème : on prend des décisions, on fait des exercices, on donne des moyens, mais il faut une acculturation – il faut le reconnaître, la culture de l'urgence est particulière.
Vous m'avez également interrogée sur les moyens stratégiques et les informations relatives aux stocks stratégiques de masques. Il y avait régulièrement des réunions. Elles ne se déroulaient pas toutes à mon niveau, mais j'en avais connaissance. Des réunions mensuelles se tenaient entre mon directeur de cabinet et le directeur de Santé publique France – auparavant avec le directeur de l'EPRUS – mais aussi, vraisemblablement toutes les semaines, entre le directeur général de la santé et les différents opérateurs de l'État, et toutes les semaines – si ce n'est davantage – entre le directeur général de la santé et moi-même.
À ces occasions, il est arrivé qu'on me fasse remonter des difficultés. En revanche, à aucun moment, la question des masques n'a été évoquée. Ce sujet ne faisait pas non plus l'objet de discussions avec mes homologues étrangers, alors que nous étions confrontés aux mêmes défis et que nous échangions régulièrement.
En revanche, on m'a expliqué que nous n'avions pas besoin de maintenir les masques FFP2 dans les stocks stratégiques puisqu'ils étaient réservés à des actes limités. On peut d'ailleurs s'interroger sur la pertinence de cette position : ne faudrait-il pas un petit stock tampon ? On m'a également dit que les masques n'avaient pas de date de péremption et qu'avec 730 millions de masques, nous étions donc en mesure de faire face aux différents risques. Il y a quelques semaines, si nous avions disposé de ces stocks, la situation aurait été, au moins psychologiquement, différente.
Vous avez évoqué les moyens tactiques. Ceux-ci sont définis au niveau des zones de défense. Un préfet et une ARS sont responsables de ces moyens, en lien avec des établissements de référence – CHU, SAMU, SMUR, et parfois les établissements médico-sociaux. Le 21 août 2013, avec Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, nous avons publié une circulaire pour définir le circuit de distribution des produits de santé et des masques. Une série d'actions, diligentées par la DGS, a permis d'informer les différents acteurs.
À partir de 2014, un système informatique permet aux établissements de renseigner les moyens dont ils disposent. Le renseignement des informations relatives aux stocks de masques y est facultatif.
En avril 2017, peu avant mon départ, François Bourdillon, directeur de Santé publique France, a demandé au directeur général de la santé de faire un point de l'état de renseignement de l'application. Son avis était très positif. Je le tiens à votre disposition.
À plusieurs reprises, vous avez évoqué le changement de doctrine de 2011. Or, en 2013, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale s'exprime sur la doctrine de protection des travailleurs et distingue stocks stratégiques d'État et moyens tactiques en région. Le 11 juin 2013, une circulaire, émanant de votre ministère, est publiée.
Si vous pensiez qu'il fallait reconstituer les stocks de masques FFP2, qu'est-ce qui vous en a empêchée ? Concernant les masques chirurgicaux, vous nous avez dit avoir maintenu le stock. Avez-vous passé commande de 100 millions de masques chaque année ?
Vous l'avez reconnu, il existe des interférences sur la ligne budgétaire, notamment en raison d'Ebola, des attentats de 2015 et de l'acquisition des antiviraux en 2016. Qu'avez-vous commandé ?
Vous, ou vos conseillers, avez-vous été alertés du fait que les stocks sanitaires de la France allaient dépendre de la Chine ? Le sénateur Delattre estimait que cette dépendance n'est pas grave.
Enfin, vous dénoncez « l'ARS bashing », mais vous plaidez en même temps pour davantage de liens avec les élus. Comment analysez-vous l'organisation territoriale de la santé, notamment le lien entre les ARS et les EHPAD en France ?
La note de Jérôme Salomon, votre conseiller qui deviendra directeur général de la santé, est alarmante. Il estime que le pays n'est pas prêt à affronter certains risques. Lorsque vous quittez votre fonction de ministre, partagez-vous ce sentiment ? Quelles défaillances, mises en lumière par la crise actuelle, aviez-vous identifiées ? En quoi consiste le changement de doctrine d'emploi des stocks stratégiques de 2013 ?
En 2018, un changement de doctrine, informel, semble avoir conduit à la destruction de 600 millions de masques non conformes et à une reconstitution très parcimonieuse – avec l'achat de 50 millions, puis 50 autres millions. Ce type d'information – qui nous semble constitutif d'un changement de doctrine – peut-il échapper à une ministre, comme nous l'a dit Agnès Buzyn ? Pour votre part, auriez-vous demandé à vos collaborateurs de la porter à votre connaissance ?
Quelles sont les responsabilités respectives de Santé publique France, de la DGS, du SGDSN et de la ministre s'agissant de la doctrine des stocks stratégiques ?
C'est durant votre passage au ministère que la doctrine a été modifiée, puis appliquée, et qu'il a fallu vérifier son fonctionnement effectif. Vous avez donc joué un rôle important.
La doctrine du SGDSN de 2013 prévoyait que les protections à destination des salariés devaient désormais être acquises par les employeurs. Jérôme Salomon était alors votre conseiller pour la sécurité sanitaire. Avez-vous instauré des contrôles pour vérifier le respect de cette décision dans les entreprises et les établissements de santé ? Avez-vous donné instruction aux ARS de le faire ? Avez-vous, comme la doctrine le prévoyait, demandé aux préfets de zones de défense de faire ces vérifications dans les établissements de santé et chez les employeurs ? Reste-t-il des traces de ces contrôles ?
Si ces contrôles avaient eu lieu, nous nous serions rendu compte que nous étions démunis bien avant la crise. Le préfet des Hauts-de-France a affirmé qu'ils n'avaient pas eu lieu. Nous ignorons en revanche s'ils ont été demandés et s'ils étaient de votre responsabilité.
Le ministre de la santé a-t-il une vision de l'état des stocks ? Avez-vous échangé avec MM. Graal et Vallet sur le sujet ? Le ministre de la santé est-il consulté concernant l'acquisition des stocks ou cela relève-t-il exclusivement de la responsabilité du DGS ?
Vous avez évoqué des exercices : Combien ont eu lieu ? Quelles en ont été les conclusions ? Était-on prêt ? Que fallait-il corriger ?
M. Salomon a affirmé avoir dû mettre hors-service 600 millions de masques pour péremption ou non-validité en 2018. Il a ensuite pris la décision de n'en commander que deux fois 50 millions. Cela vous paraît-il cohérent et raisonnable ? Cette décision ne faisait-elle pas courir un risque inconsidéré aux Français, sous prétexte de prévoir un stock dynamique ? Ces débats n'avaient-ils pas déjà eu lieu au ministère de la santé à votre époque, comme vous nous l'avez expliqué ?
En 2011, juste avant que vous ne deveniez ministre de la santé, la doctrine concernant les stocks de masques a changé. Les hôpitaux devaient désormais disposer de stocks de masques FFP2 pour faire face à d'éventuelles épidémies. Mme Buzyn nous a expliqué qu'en janvier dernier, il n'était pas certain que la doctrine de 2011 avait été comprise et appliquée dans les hôpitaux. Cela expliquait la constitution d'un stock d'État d'un million de masques FFP2, dans l'attente d'obtenir des remontées de terrain. Comment se fait-il que la ministre n'ait pas eu l'assurance que la doctrine de 2011 était bien appliquée et comprise ? Quel fut votre rôle dans ce changement ? Quelles recommandations ont été données aux hôpitaux ? Des mesures d'évaluation et de contrôle ont-elles été prises pour s'assurer que les stocks destinés à anticiper une éventuelle épidémie étaient correctement constitués ?
Lorsque vous avez quitté votre ministère en 2017, vous nous avez dit que 754 millions de masques chirurgicaux étaient en stock. Comment cette information vous est-elle parvenue ? Quel était l'état de ces masques ? Saviez-vous que les masques allaient être périmés ?
Par ailleurs, sous votre gouvernement, le budget de l'EPRUS, agence chargée de faire face aux épidémies en constituant des stocks stratégiques de produits de santé, tels les masques chirurgicaux, a continué à fondre, passant de 281 millions d'euros en 2007 à 25,8 millions en 2015. Comment l'expliquez-vous ?
Enfin, vous avez fermé plus de 15 000 lits d'hospitalisation complète : regrettez-vous ce choix ?
Il n'y a pas eu de changement de doctrine en 2013. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale a fait le choix d'une doctrine de protection de travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire, qui ne modifiait pas celle du Haut conseil pour la santé publique.
C'est écrit noir sur blanc dans le document : la doctrine du SGDSN tire d'une part les conséquences du changement de doctrine de 2011, qui réduit drastiquement l'utilisation des masques FFP2. D'autre part, elle rappelle les dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, issus de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, qui font porter sur les employeurs la responsabilité de la sécurité et de la santé physique et psychologique des salariés.
Ces deux changements sont intervenus avant 2012 et le SGDSN n'a fait qu'acter qu'il appartient désormais aux employeurs, au nom de leur responsabilité dans la protection de leurs salariés, de constituer des stocks s'ils le souhaitent. Le document n'y oblige pas les employeurs, mais précise que « l'employeur devra prendre les mesures d'organisation nécessaires pour que les travailleurs ne soient en contact qu'avec les personnes à qui on aura préalablement distribué des masques anti-projections et qui les porteront effectivement ». Il n'y a donc pas de changement de doctrine.
En conséquence, le SGDSN, rattaché aux services du Premier ministre, a demandé à chaque ministère de faire passer la consigne aux secteurs dont il a la tutelle. Il ne m'appartenait donc pas de transmettre ces consignes aux entreprises privées – cela relevait de la direction générale du travail. Je ne sais pas si cela a été fait, mais il existe un accusé de réception.
C'est également suite à cette publication que le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, et moi-même avons pris une circulaire à destination des préfets de zone et des agences régionales de santé, le 21 août 2013. Elle précise notamment que la compétence d'achat et de gestion des stocks de masques relève désormais des établissements de santé.
La DGS – et elle seule, la décision ne relevant pas de mon niveau de compétence – adopte alors des procédures pour créer un système d'information, le SIGeSSE (Système d'Information et de Gestion des Situations Sanitaires Exceptionnelles). Les établissements le renseignent et il permet de s'assurer que ces derniers disposent bien des masques dont ils ont besoin. La plupart des établissements de référence avaient des stocks de masques en quantité variable, la moyenne semblant s'établir autour de deux mois – pour une utilisation en situation normale.
Ai-je commandé des masques ? La doctrine de 2011 ne parle pas d'un milliard de masques, mais j'ai toujours considéré que nous devions nous approcher au maximum de cet objectif. Je ne me levais pas tous les matins en me disant « un milliard, un milliard, un milliard ! », mais je n'ai jamais considéré que nous devions réduire le nombre de masques !
Il y a eu des interférences : les deux plus importantes ont été la variole et Ebola. Nous avons acquis 140 millions de masques, dont 56 millions le 21 février 2014, 20 millions le 20 mai 2015 et 10 millions en 2016. Nous sommes ainsi parvenus à 754 millions de masques. Cela ne fait pas un milliard mais c'est plus que les 730 millions que j'ai trouvés à mon arrivée. Cela démontre notre volonté, d'autant qu'on m'expliquait que nous étions parés avec 750 millions de masques et qu'ils n'avaient pas de date de péremption.
En ce qui concerne les FFP2, certes, l'analyse a été différente, mais nous disposions de stocks jusqu'en 2016. Ils ont ensuite décru au fur et à mesure de leur péremption. En période normale, leur consommation est très limitée car leur utilisation est très ciblée – moins de 10 millions par an. Peut-être faudrait-il maintenir des stocks ? C'est une piste à explorer.
Vous semblez avoir, et c'est tout à votre honneur, suivi personnellement la problématique du nombre de masques.
L'État payait ! Je ne suivais pas quotidiennement l'état des stocks mais, lors de mes rendez-vous réguliers avec la direction générale de la santé, nous évoquions de nombreux sujets, dont celui-là. On m'a demandé de me prononcer sur les achats conjoints d'antigrippaux au niveau européen, le Tamiflu pour la grippe, le vaccin contre la variole et leurs modalités de financement.
On ne m'a jamais dit : « Madame la ministre, m'autorisez-vous à ne plus acheter de masques ? ». Je donnais la ligne, puis les arbitrages se faisaient dans des réunions opérationnelles qui réunissaient la DGS et Santé publique France ou, avant sa création, l'EPRUS. Ils choisissaient ensemble les achats qui devaient avoir la priorité. En revanche, lorsque le DGS estimait qu'il existait un enjeu politique, il me faisait remonter l'information. J'ai toujours fait confiance à Benoît Vallet – et avant lui à Jean-Yves Graal – car ils étaient très rigoureux et savaient distinguer ce qui relevait de la technique opérationnelle de ce qui relevait de la décision politique.
Le pharmacien en chef de Santé publique France, et auparavant celui de l'EPRUS, fait un travail remarquable. Je n'imagine pas que Benoît Vallet aurait pris la décision de détruire des stocks significatifs de masques ou de sérums varioliques sans m'en parler.
Vous paraît-il concevable que la ministre de la santé qui vous a succédé, ainsi que son cabinet, n'aient eu aucune information sur le stock stratégique de masques pendant trois ans ?
Chaque ministre, chaque gouvernement, a son organisation. J'ignore comment ils fonctionnent. À titre personnel, si je n'avais pas disposé de ces informations, je me serais fâchée très fort ! Ma successeure souhaitait peut-être avoir un regard direct sur certains sujets et n'a pas délégué les mêmes compétences ou responsabilités que moi au DGS, au directeur général de l'offre de soins (DGOS) ou au directeur de la sécurité sociale (DSS).
Je ne peux expliquer que ce que j'ai fait, ce qui m'a animé pour défendre des valeurs et des idées. J'ai défendu une politique de sécurité sanitaire et de prévention à partir d'un cadre politique. Ce n'est pas uniquement une question de chiffres, de statistiques ou d'additions.
Les ARS ont été créées dans un projet de loi défendu par Roselyne Bachelot. J'ai voté pour leur création. C'était une bonne décision, mais l'échelon départemental constitue leur principale faiblesse : si la direction générale des ARS est très solide, les compétences des directeurs et directrices départementaux sont plus variables. Il faut leur offrir des perspectives ; un important travail de ressources humaines reste à effectuer.
Concernant l'EPRUS, je vous renvoie au rapport Delattre. Il est élogieux sur la création de Santé publique France et m'invite en 2015 à faire des économies sur l'EPRUS ! Or on l'invoque désormais pour me reprocher de n'avoir pas consacré suffisamment de crédits à l'EPRUS ! Au moment de la grippe H1N1, l'EPRUS n'avait pas consommé d'importantes dotations financières. Nous n'avons pas réduit le budget de l'EPRUS, mais les dotations de l'État et de la sécurité sociale, afin de consommer les fonds de roulement considérables de l'établissement. Les dépenses annuelles de l'EPRUS – le rapport Delattre le montre très bien – étaient chaque année supérieures aux dotations de l'État et de la sécurité sociale car il consommait ses réserves. Je me sentais aussi responsable de la bonne gestion publique : les fonds de roulement ont diminué, mais les dépenses ont été maintenues. Être ministre, c'est aussi se préoccuper des déficits, du budget, de l'organisation et de la soutenabilité des politiques.
On peut s'interroger sur la double dotation de l'État et de la sécurité sociale – les cofinancements sont toujours compliqués. J'ai suivi une recommandation et fait basculer le financement de l'EPRUS du côté de la sécurité sociale, plutôt que de celui de l'État, afin de le sanctuariser. La direction de la sécurité sociale de mon ministère n'était pas enthousiaste, mais le budget de la sécurité sociale augmentait plus que le budget de l'État. J'ai pensé que cette décision permettrait de protéger les financements de l'EPRUS.
Concernant les lits, pendant les cinq ans où j'ai été ministre, il y a eu une légère augmentation, de 735 lits en médecine. Vous pouvez le vérifier dans les documents publiés annuellement par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). Le nombre de lits de réanimation a été stabilisé. En 2009, il y avait 6 200 lits de réanimation, 4 800 en 2012, puis 5 000 en 2013 et les années suivantes. Même si le sujet est annexe, je ne peux que souscrire aux propos de Mme Buzyn, les modalités de comptabilisation de lits en réanimation diffèrent d'un pays à l'autre. Ainsi, l'Allemagne et la Grande-Bretagne n'utilisent pas la même méthode que celle de la France – plus complexe à mon sens.
Il y a donc eu une légère augmentation des lits en médecine, une stabilisation des lits en réanimation, et une baisse d'environ 10 000 lits de chirurgie, au profit de la chirurgie en ambulatoire. J'assume cette évolution : la France était très en retard par rapport à d'autres pays européens. En 2013-2014, elle ne pratiquait que 36 % des actes de chirurgie en ambulatoire alors que les pays du Nord étaient déjà à plus de 60 %.
On ne peut pas demander à la médecine de ville de prendre ses responsabilités, souhaiter que l'hôpital ne soit pas l'unique lieu d'accès aux soins ou vouloir décharger les urgences hospitalières, sans mener une politique résolue pour soutenir la médecine de ville et organiser des filières. C'est pour cela que j'ai créé 1 200 maisons de santé, des communautés territoriales professionnelles de santé et que j'ai généralisé le tiers payant – une manière d'éviter le recours aux urgences. La médecine ambulatoire permet aussi de renforcer l'hôpital, mais cela implique une diminution des lits en chirurgie.
Jérôme Salomon qui a été votre conseiller a ensuite rédigé une note au futur Président de la République pour l'informer que nous n'étions pas prêts à gérer une crise sanitaire. Vous a-t-il remis des documents ou transmis des courriers pour vous avertir que nous étions en danger et qu'il fallait prendre des décisions ? Existe-t-il des traces ou ces informations sont-elles restées dans le mail préparé pour le Président la République ?
Le sujet des masques a déjà été évoqué, mais les annonces d'un ministre de la République qui, dans un premier temps, annonce leur inutilité avant de préconiser leur utilisation, ont semé l'émoi dans l'opinion publique.
Des raisons budgétaires ont-elles guidé vos choix stratégiques ? Avez-vous été empêchée, pour ces raisons, de définir une stratégie et de la mettre en application ?
On sait qu'il existait des stocks décentralisés. Les ARS ont-elles bien fait remonter leurs quantités ?
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi 95 % des antiviraux étaient périmés ?
Comment auriez-vous ressenti l'arrivée d'un comité scientifique si vous aviez été ministre lors de sa création ? J'estime qu'il a fait un bon travail, mais n'est-il pas le signe que les agences n'ont pas été à la hauteur ? Depuis le début des auditions, nous avons le sentiment que toutes les informations ne remontent pas à la ministre, qu'il existe une forme d'opacité et d'incompréhension, la politique publique en pâtissant in fine.
Enfin, quelle décision auriez-vous prise au sujet de l'hydroxychloroquine ?
Avez-vous été destinataire de la note de Jérôme Salomon envoyée en 2016 au candidat Emmanuel Macron ? Lors de la passation de pouvoirs, avez-vous porté à l'attention de Mme Agnès Buzyn les points que nous venons d'évoquer sur la gestion de crise ?
Nous ne parvenons pas à comprendre l'organisation de la gestion des stocks de produits susceptibles de devenir périmés. On vous a indiqué que certains produits n'avaient pas de date de péremption. Cela peut s'entendre de deux façons : on sait que le produit se périme, mais on ne sait pas quand, ou bien le produit est pérenne. Avez-vous évoqué ce point ?
L'action publique du ministère de la santé et ses responsabilités ne sont-elles pas diluées par le nombre important d'agences ?
Les moyens de Santé publique France ont été réduits – ils avaient été réduits de 10 % et ont connu une nouvelle réduction de 10 %. Cela ne pose-t-il pas problème ?
Vous avez indiqué qu'il appartient aux employeurs de constituer des stocks pour leurs employés. Le ministère est-il de son côté en mesure de s'assurer de la capacité de production de ces matériels – et non pas seulement de leur approvisionnement ?
Enfin, existe-t-il un dispositif de contrôle des stocks des hôpitaux ?
Dans Le Quotidien du médecin, avec d'autres ministres, vous avez évoqué l'imprévisibilité des risques. En conséquence, existe-t-il des priorités concernant les équipements de protection ?
Existe-t-il un lien entre les interrogations de M. Salomon et l'enquête générale diligentée par M. Vallet sur l'état et la qualité des stocks de notre pays ? C'est seulement dix-huit mois plus tard que Santé publique France évoque un niveau de stock faible, et beaucoup de produits périmés.
Pensez-vous que la reconstitution des stocks, représentant plusieurs milliards d'euros de dépenses, était soutenable financièrement ?
Vous êtes l'auteure, et vous pouvez en être fière, de la loi de modernisation du système de santé de 2015. Cette loi était très hospitalo-centrée. Durant la crise, les malades atteints du covid ont été uniquement orientés vers une prise en charge hospitalière et les médecins libéraux ont été écartés de l'accompagnement et du soin de leurs patients. Dans les médias, il était demandé aux malades de prendre du Doliprane, de rester chez eux et de ne se rendre à l'hôpital qu'en cas de décompensation. L'hôpital public et les soignants ont fait un travail remarquable mais, dans l'Est de la France, très vite, les capacités hospitalières ont été saturées et les patients réorientés vers d'autres régions en TGV sanitaires, voire à l'étranger. Cette stratégie très hospitalo-centrée n'est-elle pas un mal dû exclusivement aux différents ministres de la santé ?
Lorsque vous étiez en poste, vous avez fait face à un autre coronavirus, le MERS-CoV, dont le réservoir se trouve au Moyen-Orient. À l'époque, une importante production scientifique expliquait les risques potentiels de développement de ces coronavirus et comment leur grande contagiosité pouvait créer des problèmes pandémiques. En 2015, l'alerte s'est limitée au contexte hospitalier en Corée du sud. Mais, auparavant, il y avait eu le SRAS-CoV1 et d'autres risques pandémiques. Cette production scientifique importante a-t-elle alimenté votre inquiétude et vous a-t-elle conduits – vous, votre ministère, certains experts – à préparer l'éventualité d'une pandémie globale ?
Il existe une confusion entre l'avis du Haut conseil de la santé publique de 2011 – demandé par votre prédécesseur – et la directive du 16 mai 2013 signée par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. C'est bien cette directive qui s'applique.
Vous avez stabilisé le stock de masques à 750 millions. Pourquoi en a-t-on brutalement détruit 360 millions en 2018, peu après votre départ ? Pourriez-vous nous transmettre les commandes effectuées annuellement entre 2012 et 2017.
Nous avons voté l'intégration de l'EPRUS à Santé publique France. Cependant, nous avions fait des recommandations, au Sénat et à l'Assemblée nationale, et précisé qu'il fallait placer l'État en condition de se défendre en cas de menace sanitaire. Le 14 avril 2016, le comité technique de l'EPRUS avait émis une recommandation, dont personne n'a eu connaissance. Il serait intéressant de se la procurer, afin de connaître son avis sur l'intégration de l'EPRUS au sein de Santé publique France.
Cette crise est paradoxale. Nous n'avons jamais eu autant d'informations en direct sur tout ce qui se passait dans le monde – et cela a permis de constater que la France s'en est plutôt bien sortie – mais nous n'avons pas vu venir cette pandémie, qui se diffusait d'est en ouest comme une traînée de poudre. Chaque zone semblait découvrir la pandémie sans vraiment intégrer ce qu'il s'était passé dans la zone précédemment contaminée.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur le manque de coordination des organismes internationaux et sur le rôle de l'OMS ?
En 2013 – vous étiez alors ministre –, il a été décidé que ce ne serait plus à l'État de prévoir les stocks de masques FFP2, mais aux établissements de santé. En même temps, pour réduire le déficit, en tant que ministre de la santé, vous avez exercé une très forte pression sur les budgets de ces établissements. Leur avez-vous accordé les moyens nécessaires pour gérer leurs stocks et tenir leurs engagements ?
Vous estimez avoir rempli votre mission afin d'anticiper au mieux une crise épidémique du type de celle que nous avons vécue. Je l'entends, mais M. Hollande, ancien Président de la République, reconnaît quant à lui sa part de responsabilité dans la situation de l'hôpital. Il évoque notamment le manque de renouvellement des masques, tout en critiquant l'absence de contrôle régulier des stocks. Dans un article du 25 mai 2020, il déclare : « j'ai ma part de responsabilité aussi dans la situation de l'hôpital durant la crise du coronavirus. Depuis des années, on a contraint l'hôpital et j'y ai pris ma part. Je ne veux pas du tout m'exclure ». Qu'en est-il pour vous ?
Comme tous les ministres de la santé, vous êtes responsable de l'acquisition et du renouvellement des masques. Nous avons beaucoup parlé des différentes doctrines, mais ce qui importe, c'est : y a-t-il des masques ? Combien ? Pour qui ? Où ? Tout le reste est de la littérature.
Si la doctrine ne change pas, la quantité de masques évolue : en 2012, nous disposions de 800 millions de masques chirurgicaux et de 600 millions de FFP2, soit 1,4 milliard. En 2017, il n'y avait plus que 750 millions de masques chirurgicaux. Le stock total a donc été divisé par deux – nous avons encore un doute sur la quantité de masques FFP2. Mais les stocks ont clairement baissé, tant en quantité qu'en qualité.
Avez-vous poussé au renouvellement du stock de masques FFP2 ? Avez-vous vérifié l'état des stocks de ces masques ? Y a-t-il eu un monitoring des stocks de l'État, de ceux des hôpitaux et des EHPAD ? S'il y a eu transfert de compétences, s'est-il accompagné d'un transfert de financement ?
François Hollande a déclaré qu'il assumait sa part de responsabilité. Avez-vous évoqué la question des stocks avec le Président de la République, ou avec le Premier ministre ?
Lors de votre passage au ministère de la santé, le Premier ministre, Manuel Valls, avait souhaité lancer un appel à projets pour douze plates-formes génomiques. Celles-ci sont particulièrement importantes pour la recherche, y compris pour le Covid. Malheureusement, en décembre 2016, l'appel à projets national ne concernait plus que deux plates-formes génomiques qui sont encore très peu opérationnelles. La France est désormais déclassée, et se situe bien loin derrière le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Grèce et le Portugal. Là aussi, votre ministère est directement concerné.
Vous nous avez expliqué avoir développé le volet « gestion d'une épidémie ou pandémie sur le territoire national, pouvant comprendre l'organisation d'une campagne de vaccination exceptionnelle par le système de santé », dit EPI-VAC, du plan ORSAN, ancêtre du volet « prise en charge des patients dans le cadre du risque épidémique et biologique connu ou émergent », dit REB, du plan ORSAN.
Le guide méthodologique qui figure, dans sa version de 2014, sur le site du ministère de la santé n'évoque les masques qu'une seule fois, à la page 73, en annexe qui parle d'équipements de protection dédiés. En revanche, le volet REB du plan ORSAN de 2020 est extrêmement précis : il mentionne cinq fois les masques et explique comment les traiter, les stocker, les jeter, etc. Le volet EPIC-VAC du plan ORSAN, que vous avez piloté, n'a-t-il pas fait l'impasse sur les masques ? Cela ne reflète-t-il pas une culture de l'agence, plutôt qu'une culture de l'urgence ?
À partir de 2013, sur décision du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, la responsabilité de constituer des stocks de masques incombe aux employeurs privés et publics. Il s'agit donc d'un changement majeur. Or vous avez indiqué que cela ne représente pas une obligation. Comment imaginer qu'un stock stratégique repose sur le volontariat ?
Vous expliquez que les masques étaient stockés dans un lieu sain. Pourtant, ils étaient moisis. Comment est-ce possible ?
Selon vous, comment s'explique la décision d'interdire aux médecins libéraux de prescrire de l'hydroxychloroquine ?
En 2013, la doctrine du SGDSN n'invente pas la responsabilité des employeurs à l'égard de leurs salariés. Cette responsabilité est inscrite dans le code du travail depuis 2007 et s'applique aux employeurs privés et publics. D'ailleurs, le SGDSN a transmis une note au ministère de la santé – comme aux autres ministères – pour savoir comment il comptait assumer cette responsabilité vis-à-vis de ses agents. Il revient donc aux hôpitaux de constituer leurs stocks de masques chirurgicaux et FFP2, mais ces masques ne font pas partie des stocks stratégiques.
La doctrine de 2011 précise que le stock stratégique est constitué, entre autres choses, principalement de masques chirurgicaux. Les masques FFP2 n'y sont plus nécessaires et c'est la raison pour laquelle leur stock décroît progressivement. Il passe de 75 millions en 2014-2015 à 750 000 en 2016. Ces masques FFP2 ne font pas partie des stocks stratégiques. Ce ne sont même pas des stocks tactiques. Ils doivent être constitués par les établissements de référence, par les employeurs et par les hôpitaux pour faire face à leur activité habituelle.
La littérature scientifique a-t-elle conduit la direction générale de la santé à engager des réflexions ? Bien sûr, et cela nous a amenés à faire des exercices et à étudier la question très sensible des vaccins et des antiviraux. Après avoir tenté de travailler avec des entreprises françaises – qui ont toutes refusé, je tiens à le souligner –, nous avons lancé une procédure complexe et nous nous sommes inscrits dans une dynamique d'acquisitions communes au niveau européen.
Je ne sais pas ce qu'a dit le comité technique de l'EPRUS, monsieur Door. J'avais demandé à M. Bourdillon – et je l'avais écrit dans sa lettre de mission – de réaliser la fusion entre les agences existantes, en veillant à accorder la plus grande vigilance aux salariés. La principale économie de ce projet reposait sur la rationalisation immobilière, avec le regroupement des trois sites sur un seul lieu. Il y avait trois agences, avec des histoires et des cultures propres. Les salariés étaient légitimement inquiets et redoutaient de changer de lieu de travail.
Le monitoring des masques relevait de l'EPRUS, puis de Santé publique France, qui doit faire remonter une alerte. L'alerte n'est pas remontée. Je ne peux pas l'inventer ! En outre, tout monde considérait et me disait que les masques n'avaient pas de date de péremption.
Il y a eu des destructions de masques. Cependant, de manière fortuite, suite à l'incendie de l'usine Lubrizol, certains lots qui devaient être détruits ne l'ont pas été et une nouvelle évaluation a été diligentée par la direction générale de l'armement (DGA), qui conclut que les masques non-détruits pouvaient être utilisés par le grand public. Je rappelle que la doctrine de 2011 disposait que les masques chirurgicaux étaient destinés à la population générale…
J'ignore s'il y avait des masques inutilisables à Vitry-le-François et combien de masques étaient réutilisables mais, ce dont je suis certaine, c'est que 100 % des lots n'étaient pas bons à jeter. Vous le savez bien : dans vos collectivités, pendant la crise, des masques qui dataient de la même période ont fait l'objet de dons et ont été utilisés par les EHPAD, les médecins libéraux, des salariés ou par le personnel soignant. J'ai lu dans la presse que Mme Hidalgo avait donné un million de masques périmés à l'AP-HP. Ils n'étaient donc pas impropres à l'utilisation ! Ces masques étaient vérifiés, monitorés et on me disait qu'ils pouvaient être utilisés. J'ai légitimement pensé que l'on pouvait compter sur ce stock de masques.
Concernant les antiviraux, les stocks n'avaient pas de date de péremption, mais une date de fabrication. Sur cette base, la DGS, l'EPRUS puis Santé publique France projetaient la durée potentielle de ces stocks. En 2015, le service de santé des armées – partenaire de ce stock qui pouvait être utilisé en période de tension stratégique – a décidé de réviser les dates de péremption, en réduisant de deux ans leur durée de validité. Du jour au lendemain, nous nous sommes des millions de doses sont devenues inutilisables, alors que nous pensions qu'elles étaient valables au moins deux ans de plus. Nous avons donc envisagé leur renouvellement et fixé un objectif de rachat en 2016, que nous n'avons pas tout de suite atteint. Des doses ont été rachetées. Toutefois, des doses dont la date de péremption avait été modifiée du fait du changement d'analyse du service de santé des armées sont restées en stock.
Jérôme Salomon a quitté mon cabinet en 2016 après m'avoir informé qu'il soutiendrait la candidature d'Emmanuel Macron. Dans mon cabinet, plusieurs personnes ont soutenu des candidats différents ! Il ne m'avait toutefois pas informé de sa note, dont j'ai pris connaissance dans la presse. Durant notre collaboration, nous avons régulièrement évoqué la question de l'acculturation des administrations à l'urgence et à l'exception.
Le comité scientifique était une bonne idée. Le travail de personnalités reconnues ne peut qu'aider et soutenir. Si j'avais été ministre lors de sa création, je ne l'aurais pas pris comme une mise en cause, mais comme une aide à la décision.
Vous dites : « nous avons l'impression que tout ne remonte pas à la ministre ». Heureusement, sinon ce serait la thrombose ! Être ministre, c'est savoir trier les informations et donner des consignes claires à ceux qui travaillent avec vous sur ce qui doit, et ne doit pas, remonter. Il m'est arrivé que certains collaborateurs, parce qu'ils considéraient qu'il s'agissait de sujets techniques, ne fassent pas remonter des décisions importantes. C'est inadmissible et ils se souviennent encore de la manière dont j'ai réagi. Je suis très carrée : je fais confiance aux équipes, mais elles travaillent dans un cadre. Ce qui structure des choix d'avenir, implique la politique nationale, des professions, ou des mouvements sociaux relève du ministre.
Bien sûr, la dimension technique est importante. Je ne suis pas médecin et j'étais donc entourée de médecins, de pharmaciens et de professionnels exceptionnels. Cela me permettait de les interroger sur ce qui leur paraissait des évidences, de leur demander d'utiliser des mots simples ou de se mettre à la place d'un patient. C'est le rôle d'un ministre. Il ne doit pas se perdre dans les documents.
Concernant l'hydroxychloroquine, je crois aux essais cliniques et à la recherche scientifique. C'est sur ces bases que les décisions doivent se prendre.
J'ai quitté mes fonctions de ministre il y a trois ans, mais je ne pense pas qu'il y ait trop d'agences. Certaines pourraient peut-être être regroupées, mais je ne crois pas à une superstructure. On ne peut pas plaider pour qu'on laisse davantage d'initiative au terrain, aux élus, qu'on favorise les initiatives locales, qu'on responsabilise les collectivités, et imaginer que tout va se passer dans des superstructures.
Lors de la création de Santé publique France, le budget a été gelé. Pendant un an, elle n'a connu aucune diminution d'emploi et de budget, contrairement à d'autres agences.
Vous avez raison, monsieur Dharréville, la capacité de production des médicaments est essentielle. Lorsque j'étais ministre, j'ai été confrontée à une pénurie de vaccins. Je ne me suis pas posé la question de nos capacités de production de masques, mais je me la suis posée au sujet de tous les vaccins. Dans la loi de 2015, j'ai donc fait voter un dispositif. Alors que nous connaissions une pénurie, j'avais convoqué les principaux laboratoires concernés et je leur avais fixé des objectifs quantitatifs – l'usine était en Pologne. On parlait de centaines de milliers de doses… Je leur avais expliqué que la responsabilité stratégique de l'État consistait à garantir à ses citoyens qu'ils pourront se faire vacciner. Benoît Vallet avait ensuite assuré le suivi.
Je n'entre pas dans les détails, monsieur Lescure, mais le système international est à revoir, notamment le système d'alerte, y compris au niveau de l' European Centre for Disease prevention and control (ECDC).
Y avait-il des priorités ? Bien sûr, elles étaient liées à la situation internationale, à des risques stratégiques comme la variole, à l'état des stocks des antigrippaux ou encore au Tamiflu. À quelques reprises, le directeur général de la santé m'a alertée sur ses difficultés à maintenir l'équilibre financier en les finançant toutes. Nous avons donc ajusté les financements. Mais la question ne m'a pas été posée en ces termes pour les masques. Le sentiment général était que le stock était suffisant et nous n'avions pas d'alerte quant à leur qualité. Pour une grande partie d'entre eux, ces masques étaient utilisables.
On m'a beaucoup reproché d'être hospitalo-centrée, madame Wonner. Je ne crois pas que la loi l'était – l'hôpital n'y représente qu'un titre sur quatre.
Je vous rejoins sur un point. J'avais d'ailleurs critiqué la gestion de la crise relative à la grippe H1N1 dans cette même enceinte sur ce point : la crise avait conduit à écarter les médecins libéraux, en contact avec les patients, qui peuvent les rassurer. Un ministre doit se poser cette question : comment se donner tous les moyens de convaincre, de rassurer, de mobiliser, d'inquiéter s'il le faut les patients ? Les professionnels de proximité sont irremplaçables.
Monsieur Aubert, concernant les documents techniques du plan ORSAN, je suis très humble : si le guide 2020 est meilleur que celui de 2014, je m'en réjouis. C'est que nous avons appris !
Lors d'Ebola, j'ai eu de nombreux échanges avec le président Hollande, ainsi qu'avec le Premier ministre, mais nous ne parlions pas uniquement des stocks stratégiques. Nous évoquions également le rapatriement des malades travaillant pour des ONG – ce n'était pas le choix d'autres pays… À cette occasion également, monsieur Lescure, il y aurait eu beaucoup à dire sur nos relations avec l'Union européenne. Bien sûr, parfois, j'aurais souhaité obtenir davantage de moyens – comme beaucoup de ministres.
Lorsque le Président Hollande s'est exprimé, il évoquait sans doute le sujet de la rémunération des personnels soignants. Je n'ai pas discuté de la question des masques avec lui – ce n'est pas un sujet à évoquer avec le Président de la République. J'ai pu avoir des désaccords avec lui, ne pas obtenir ce que je souhaitais, mais j'ai été sa ministre et ma loyauté lui est acquise.
Hier, nous avons évoqué le recours à des cabinets d'audit pour la restructuration de structures hospitalières et, de manière plus étonnante, pour évaluer l'organisation de la gestion de crise ou notre capacité à réaliser des tests. Avez-vous eu recouru à ces cabinets d'audit et, si oui, dans quel cadre ?
Je ne peux vous répondre de manière exhaustive. J'ai le souvenir d'un recours à un cabinet extérieur : la direction de la sécurité sociale m'avait présenté un budget qui me paraissait peu compréhensible pour l'opinion publique. Je souhaitais que le budget soit restructuré très rapidement, en fonction de priorités clairement présentées. Compte tenu des délais très courts, j'ai répondu favorablement à la demande de la direction de la sécurité sociale de se faire assister par un cabinet financier.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mercredi 1er juillet 2020 à 15 heures
Présents. - M. Damien Abad, M. Julien Aubert, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Éric Ciotti, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Françoise Dumas, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. David Habib, Mme Monique Iborra, M. Roland Lescure, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, M. Joachim Son-Forget, M. Jean Terlier, M. Boris Vallaud
Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Philippe Vigier, Mme Martine Wonner