Le conflit qui a surgi dès la création des ARS, entre les préfets et les directeurs généraux d'ARS, ainsi qu'avec l'assurance maladie est une question essentielle. Dans cette volonté de créer une structure régionalisée sanitaire, les préfets ont mené une guerre sans merci contre les ARS. L'assurance maladie non plus ne voulait pas des ARS.
Néanmoins, remettre les ARS sous la houlette des préfets ne me paraît pas une bonne stratégie. Cela ne signifie pas qu'un partenariat ou un dialogue ne soit pas possible, mais il faut quitter cette culture de guerre entre ces administrations. Elles ont chacune leur rôle. Le travail qui a été entrepris pour décloisonner le système sanitaire, social et médico-social est absolument indispensable. Au-delà des caricatures absolument odieuses de personnels qui ont parfois travaillé de jour et de nuit, présentés comme des assassins alors qu'ils se sont mobilisés d'une manière extraordinaire – je pense à Aurélien Rousseau à la tête de l'ARS d'Île-de-France, mais à bien d'autres également – les procès qui ont été faits et qui ont été mal vécus dans les ARS, étaient largement injustes.
Demain, je l'espère, il y aura un vaccin. Il y en aura même plusieurs, le plus difficile n'étant pas de trouver un vaccin, mais d'opérer une vaccination. Cela exige une logistique considérable.
Il s'agit, tout d'abord, de savoir quel vaccin acheter. De mémoire, pour la grippe A (H1N1), nous nous sommes trouvés face à une dizaine de fournisseurs de vaccins. J'ai voulu que ces fournisseurs soient diversifiés pour ne pas être entre les mains d'un seul, qu'ils aient une certaine surface de fabrication pour prévenir les aléas de livraison, et qu'ils soient procurés au moindre coût.
C'est la raison pour laquelle j'ai procédé à des commandes chez quatre fournisseurs, les plus fiables : 50 millions de Pandemrix, vaccin adjuvanté auprès du laboratoire GSK ; 16 millions de Focetria chez Novartis, vaccin également adjuvanté avec un adjuvant différent ; 28 millions de Panenza chez Sanofi Aventis, vaccin non adjuvanté mais livrable très postérieurement aux deux premiers ; ainsi qu'une toute petite commande de 50 000 vaccins chez Baxter, les plus coûteux, commercialisés sous le nom de Celvapan, livrés dès septembre, qui me permettait de faire vacciner les femmes enceintes.
Mais il me faut expliquer les raisons pour lesquelles j'ai commandé 94 millions de doses, car étant donné le panier de bêtises que j'entends sur cette affaire, je suis heureuse de donner quelques explications.
Tout d'abord, je n'ai pas acheté 94 millions de vaccins, mais 94 millions de doses, puisqu'il fallait un vaccin et un rappel. J'ai donc acheté 47 millions de vaccins.
La caractéristique de ces vaccins était d'être présentés en boîtes non déconditionnables de 500 doses. Ce n'était pas une des moindres difficultés de la logistique. En effet, 2 millions de doses n'étaient conditionnées que dans 4 000 boîtes de vaccins. S'il est possible de déconditionner du paracétamol, on ne peut déconditionner des vaccins. J'ai imaginé pouvoir le faire, mais il aurait alors fallu créer un laboratoire avec des chambres à 4 °C et des personnels équipés pour reloter ces produits.
De plus, lorsque vous avez piqué une seringue dans le bouchon d'un flacon multidoses, vous êtes contraint de jeter le flacon de vaccin à la fin de la journée, même si celui‑ci contient du thiomersal en désinfectant.
Le fait de procéder à des injections dans des centres de vaccination permettait de réduire les pertes de façon considérable. En utilisant un centre de vaccination, la perte est d'environ 10 %. Plus l'arrosoir se disperse, plus grande est la perte. Nous avons limité la casse, si je puis dire, en décidant d'opérer par centres de vaccination, ce qui était d'ailleurs rendu absolument indispensable par leur dispensation dans ces boîtes de 500 doses non déconditionnables.
Nous avions donc 42 millions de vaccins utilisables.
Nous sommes le seul pays à avoir utilisé le concept de coefficient d'attrition. Nous avons décidé que, même en cas de pandémie grave, un certain nombre de nos concitoyens ne se feraient pas vacciner. Pour bâtir ce coefficient d'attrition, qui est une construction intellectuelle, nous nous sommes appuyés sur deux références : les intentions de vaccination telles qu'elles apparaissaient dans l'opinion publique, mais également dans les bassins de méningite. Il apparaissait que, sous l'effet du stress d'une épidémie de méningite, entre 80 et 90 % des personnes se faisaient vacciner.
Je reconnais que cette conception du coefficient d'attrition peut poser débat. D'aucuns peuvent juger qu'elle était soit trop, soit insuffisamment ambitieuse. Nous l'avons fixé à 33 % – d'où ce chiffre de 42 millions de vaccins pour une population de quelque 65 millions d'habitants.
Dans les regrets que j'ai et qui me poursuivent parfois la nuit, je me suis demandé, si la pandémie avait été grave, si je n'avais pas fixé un coefficient d'attrition trop élevé. Les autres pays ont été plus ambitieux puisque la Grande-Bretagne a acheté 130 millions de doses, les Pays-Bas, avec 17 millions d'habitants, 34 millions. L'Autriche, avec 8 millions d'habitants, en a acheté 16 millions. Les États-Unis, avec Barack Obama, voulaient en acheter 600 millions, mais n'ont pas trouvé le marché suffisant. Tous avaient décidé de protéger leur population sans utiliser de coefficient d'attrition. Il est tout à fait remarquable que personne, dans ces pays, n'ait fait procès aux gouvernements d'avoir fait un achat de vaccins bien plus coûteux qu'en France. Il n'y a qu'en France que cette affaire a fait scandale et a mis le gouvernement en accusation.