Devant la campagne outrancière et les accusations dont j'ai été l'objet et qui ont tellement fait souffrir mes proches, certains m'ont dit que je n'avais qu'à me réfugier derrière l'OMS et de l'accuser.
Telle n'est pas ma conception de l'action publique. Aucune action ne m'a été dictée par l'OMS. L'OMS est un centre de référence, qui qualifie la pandémie et donne des indications. Il existe des règlements sanitaires internationaux mais le pays, ses gouvernants et ses ministres agissent en conscience. Cela n'a jamais été ma position que de me réfugier derrière qui que ce soit. J'ai pris ces décisions de façon libre, sur la base d'indications diverses et variées.
Si je me refuse à faire des comparaisons et des leçons, c'est que nous avons eu beaucoup de chance en 2009.
D'abord, la pandémie s'est déclarée bien après l'alerte officielle de l'OMS : celle‑ci est intervenue le 24 avril ; le premier cas a été signalé dans la région toulousaine le 23 juillet ; le premier décès, hélas, d'une jeune fille de quatorze ans, le 30 juillet. Nous avons eu du temps pour nous préparer. Ce n'est pas toujours le cas, mais c'est extrêmement important.
Ensuite, à l'époque, nous avions rencontré un véritable problème avec les pays du Sud-Est asiatique pour l'épidémie de grippe aviaire, relative à la propriété de la découverte génétique. Ces pays ne voulaient pas nous transmettre le virus pour qualifier le génome, estimant qu'ils avaient droit à des réparations financières dans ce domaine. Cette affaire est réglée.
Lorsque l'épidémie est arrivée du Mexique, nous sommes trouvés face à un pays parfaitement clair dans ce domaine. La caractérisation du génome a été faite par les CDC américains qui ont immédiatement transmis les informations à l'Institut Pasteur. La chaîne de fabrication des tests et des réactifs a été extrêmement rapide : l'épidémie a débuté le 24 avril et le 5 mai, l'Institut Pasteur a qualifié la séquence du génome – ces petits bouts de matériel génétique qui permettent d'hameçonner l'ARN du virus et, ainsi, de le multiplier, constituant la base du test RT-PCR. Une semaine après, nous l'envoyions aux vingt‑six laboratoires de référence, dont cinq en outre-mer, permettant de réaliser ces tests.
Nous avons eu beaucoup de chance. Nous étions dans des pays démocratiques. D'ailleurs, la gestion de la crise dans ce fameux G7 a associé le Mexique. Lors de toutes les réunions internationales que j'ai eues au plus haut niveau pour gérer cette crise, en particulier avec mes collègues américains, les Mexicains étaient toujours associés. Nous avons bénéficié d'une transparence totale dans cette pandémie, que n'a pas eue le Gouvernement actuel à partir de la Chine.
C'est la raison pour laquelle je me refuse toujours en faire des comparaisons hasardeuses et toujours difficiles. Il faut rester extrêmement modeste en ce domaine. Je sais ce que j'ai fait, je sais les outils dont je disposais, les connaissances que j'avais, et je ne suis pas à la manœuvre aujourd'hui.
Il est sûr que nous n'avons pas une culture de la santé publique dans ce pays. Nous avons la culture de l'assurance maladie, non pas de l'assurance santé. C'est tout à fait évident. C'est un de mes regrets, bien sûr. Mais nous avons construit notre identité à partir d'un système de solidarité qui fait notre force, notre fierté. On peut certainement l'améliorer. Mais avoir une vraie politique de santé publique, c'est accepter de diriger les dépenses d'une autre façon. Je ne suis pas pour autant une émule d'Ivan Illich… quoi que ! Je rappelle qu'il disait que les extraordinaires progrès de la santé et de l'espérance de vie en bonne santé étaient dus pour 10 % à la médecine et pour 90 % à d'autres facteurs.