Intervention de Martin Hirsch

Réunion du lundi 6 juillet 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris :

Je suis accompagné de deux personnes qui ont joué un rôle-clé dans cette crise : Bruno Riou a été directeur médical de crise depuis le déclenchement du plan blanc jusqu'à il y a quelques jours et pourrait le redevenir, si nécessaire ; le professeur Catherine Paugam, avant d'être directrice générale adjointe, s'est occupée de coordonner les réanimations au moment de la montée en charge. Si j'avais pu être accompagné de trois personnes, aurait également été présent François Crémieux, qui est un de mes adjoints et qui a joué auprès de moi le rôle fondamental de coordinateur non médical de la crise.

Je voudrais, plus largement, rendre hommage à l'ensemble des équipes, qui ont fait preuve d'une mobilisation exceptionnelle, ainsi qu'aux cinq membres de l'AP-HP dont nous avons à déplorer la mort, des suites du covid.

Je tiens à souligner d'emblée que nous avons travaillé pendant toute cette période de manière extrêmement étroite, en l'occurrence minute après minute, avec l'Agence régionale de santé. Cela a permis – et c'est important – qu'en Île-de-France, les hôpitaux de l'AP-HP, les hôpitaux publics hors AP-HP, les établissements à but non lucratif de la région et les établissements privés travaillent tous ensemble. De ce fait, l'AP-HP a reçu énormément de patients, mais ils ne représentent pas la majorité des patients admis en réanimation en Île-de-France.

Je voudrais enfin remercier la population pour son soutien, qui n'a pas été qu'un soutien psychologique. Dans bien des cas, il s'est agi d'un soutien concret, soit sous forme de dons – dons de masques ou dons d'argent –, soit sous la forme de soutien en personnel, puisqu'un des faits notables de cette crise pour les hôpitaux d'Île-de-France, c'est qu'ils ont attaqué cette crise dans les pires conditions, avec un déficit d'environ un millier de personnels soignants et donc autant de postes vacants. Cette pénurie qui s'est accentuée pendant toute l'année 2019 fait que des lits de soins critiques ont dû être fermés par manque de personnel, et ce pour des raisons structurelles dont j'espère qu'elles seront corrigées rapidement.

Malgré cela, nous avons quasiment pu tripler nos capacités de soins critiques, grâce à la mobilisation du personnel, à des changements d'horaires et à la mobilisation de renforts à hauteur d'environ dix mille personnes, incluant, sous l'autorité du doyen des doyens, les personnels en formation, qu'ils soient étudiants en médecine ou étudiants infirmiers, ainsi que des équipes venues de toute la France. C'est pour cela que nous considérons que nous devons rendre ce qui nous a été donné et aider la Guyane, qui connaît actuellement des difficultés.

Cela étant dit, quelles sont les décisions importantes que nous avons été amenés à prendre ? La première a été de s'organiser en mode de crise, en appliquant tout simplement le plan blanc, qui prévoit la désignation d'un directeur médical de crise ainsi que la désignation de directeurs médicaux de crise sur chacun des sites. Cela a permis à tous les acteurs hospitaliers d'avoir des repères, un commandement et un schéma d'organisation dans lequel chacun savait ce qu'il avait à faire.

Ensuite, nous avons très tôt mis en place le dispositif Covidom, permettant de prendre en charge des patients sans qu'ils aient besoin de se déplacer ou de venir à l'hôpital. Nous avons pris en charge au total 75 000 patients : 15 000 patients dans nos lits, 60 000 patients dans leur lit. Covidom est un système de suivi à distance, auxquels ont participé la moitié des médecins généralistes d'Île-de-France. La décision de sa mise en œuvre a été prise dès le 1er mars et, dès le 10 mars, il concernait déjà 2 500 patients, chiffre qui est donc monté à plus de 60 000 patients, lesquels ont pu être suivis, soit par leur médecin traitant, soit par le médecin hospitalier, soit par l'un puis l'autre ; en cas d'aggravation de leur état, le SAMU intervenait ou ils étaient hospitalisés.

Notre troisième décision importante a été de lancer Covisan, le lendemain du jour où nous avons atteint le pic de l'épidémie, soit le 8 avril. Le 9 avril, Covisan a été lancé. Il s'agit de prévenir la deuxième vague, ce qui signifie sortir de nos missions hospitalières stricto sensu pour participer à la prévention, ainsi que le prévoit le code de la santé publique, et faire en sorte qu'on puisse casser les chaînes de transmission en allant prélever l'ensemble des personnes atteintes ou des personnes contacts avant le déconfinement. Concrètement, cela signifie que 7 000 personnes ont été testées et accompagnées, notamment en recevant des masques, du soluté hydro-alcoolique ainsi que des conseils destinés à éviter qu'ils soient contaminants.

Nous avons également mis en place une régulation centralisée de tous les établissements, publics et privés, sous l'autorité du directeur médical de crise et en lien étroit avec l'Agence régionale de santé, de sorte qu'il ne puisse arriver qu'un malade se retrouve sans lit, tandis qu'ailleurs un lit de réanimation aurait été inoccupé.

C'est parce que nous savions que nous utilisions tous les lits disponibles que nous avons exprimé le besoin non seulement de recourir à l'aide de professionnels extérieurs mais également de procéder à des évacuations sanitaires. Il y a donc eu des évacuations sanitaires à partir du 26 mars et pendant trois semaines. Ces évacuations sanitaires ont sauvé des vies. J'ai entendu récemment certaines critiques selon lesquelles ces évacuations s'apparentaient à des paillettes : les paillettes ne sauvent pas de vies, les évacuations sanitaires si, et je pense que mes collègues de l'Est ne diront pas différemment.

En matière de renforts, nous avons intégré 10 000 personnes, ce qui a signifié, en amont, la réquisition de plusieurs centaines de personnels pour organiser ces renforts. Au plus fort de l'épidémie, 31 000 personnes étaient inscrites sur MedGo, la plateforme lancée avec l'ARS. Trouver dans ce vivier l'infirmière de réanimation pouvant être opérationnelle deux jours après exigeait de faire un tri et une recension rapides des candidatures. Cela a été fait dans l'urgence, et il me semble qu'une des leçons que nous pouvons d'ores et déjà tirer de la crise est la nécessité d'organiser en amont cette réserve, afin qu'elle soit qualifiée, opérationnelle – donc préparée et formée en permanence – et mobilisable à chaque instant.

Il a fallu également que nous nous organisions de façon à disposer d'une vision intégrée de la montée en charge des soins critiques, sachant que nous avons dû multiplier nos capacités par trois et donc disposer des lits, des respirateurs, des pousse-seringues et des personnels formés nécessaires. Cela a été le travail d'une cellule placée au cœur de l'AP, sous l'autorité conjointe de Catherine Paugam et de son collègue Antoine Vieillard-Baron, qui, chaque jour, évaluait les besoins de l'ensemble des services de réanimation afin de les satisfaire au plus vite, dans les conditions de tension que vous connaissez.

Par ailleurs, dans le climat d'incertitude scientifique dans lequel nous nous trouvions, tout particulièrement au début de l'épidémie, nous avons décidé de la mise en place d'un Comité de pilotage recherche covid-19, composé d'experts couvrant l'ensemble des spécialités. Il s'agissait d'avoir une approche collégiale de l'expertise et de la prise de décision, de partager l'ignorance comme la connaissance, et de proposer une vision commune des protocoles thérapeutiques comme des actions à mener en gériatrie, en soins palliatifs ou pour la protection des personnels. Dans ce cadre, nous avons fait en sorte de coordonner très tôt les recherches, afin que le maximum de patients puissent être intégrés dans les protocoles qui avaient été validés. Le nombre de patients ayant ainsi intégré des protocoles de recherche validés est de l'ordre de 8 000 ou 9 000, ce qui est extrêmement important et a permis de faire avancer la recherche pour tous.

Enfin, parmi les mesures que nous avons mises en œuvre, figure le soutien au personnel. Il fallait d'abord les protéger du mieux possible, malgré le manque de masques et, plus encore, de blouses de protection jetables. Nous leur devions par ailleurs la transparence sur l'état des contaminations chez les personnels mais également sur les stocks de protection. Des mesures d'aides matérielles ont également été prises : gratuité des crèches, logement en hôtels, gratuité des taxis, pris en charge par l'État – ce qui a été une décision remarquable, prise dès le début de la crise – ou encore facilités d'alimentation : il fallait que le personnel, soumis à une pression énorme, puisse travailler dans de bonnes conditions.

J'ajoute qu'ayant eu recours à une gestion centralisée des approvisionnements, nous avons pu, quand cela était possible, faire des dons de masques ou de matériel à d'autres hôpitaux, voire à d'autres régions.

Je conclurai enfin, malgré la polémique de ces derniers jours, sur les moyens du SAMU qui ont été considérablement renforcés en matière de réponse à l'urgence, grâce à des dotations en informatique et en personnel, et la mise en œuvre d'un fonctionnement adapté pour répondre à la fois aux patients covid et aux patients non covid.

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