Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la mission d'information
La mission procède à l'audition de M. Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris, accompagné du professeur Catherine Paugam-Burtz, directrice générale adjointe et du professeur Bruno Riou, directeur médical de crise de l'AP-HP, et de M. Christophe Gautier, directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, accompagné du professeur Jean-Marie Danion, président de la commission médicale d'établissement et de M. Rodolphe Soulié, directeur adjoint du CHU de Strasbourg.
Nous abordons aujourd'hui la thématique de la prise en charge hospitalière des malades du covid et, plus largement, celle de la réponse du système de santé à la crise sanitaire, qui a requis le déploiement dans l'urgence de moyens considérables, et a rudement mis à l'épreuve tous les soignants et les personnels administratifs. Tous les Français ont eu conscience de cette mobilisation et, je crois, de la grande qualité de la prise en charge à l'hôpital.
Reste qu'il faut tirer le bilan des difficultés rencontrées, pour anticiper l'automne et le risque de résurgence de l'épidémie – que l'on constate actuellement dans certains pays, notamment en Australie –, si nous voulons être prêts en cas d'une éventuelle recrudescence du virus.
À ce propos, quatre hôpitaux parisiens ont expérimenté le dispositif Covisan permettant de repérer et d'isoler les cas positifs, sur lequel nous reviendrons.
Nous accueillons M. Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris, qui est accompagné du professeur Catherine Paugam-Burtz, directrice générale adjointe, et du professeur Bruno Riou, directeur médical de crise de l'AP‑HP, ainsi que M. Christophe Gautier, directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), accompagné du professeur Jean-Marie Danion, président de la commission médicale d'établissement (CME) et de M. Rodolphe Soulié, directeur adjoint du CHU de Strasbourg.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(MM. Martin Hirsch et Christophe Gautier, Mme Catherine Paugam-Burtz et MM. Bruno Riou, Jean-Marie Danion et Rodolphe Soulié prêtent successivement serment.)
Je suis accompagné de deux personnes qui ont joué un rôle-clé dans cette crise : Bruno Riou a été directeur médical de crise depuis le déclenchement du plan blanc jusqu'à il y a quelques jours et pourrait le redevenir, si nécessaire ; le professeur Catherine Paugam, avant d'être directrice générale adjointe, s'est occupée de coordonner les réanimations au moment de la montée en charge. Si j'avais pu être accompagné de trois personnes, aurait également été présent François Crémieux, qui est un de mes adjoints et qui a joué auprès de moi le rôle fondamental de coordinateur non médical de la crise.
Je voudrais, plus largement, rendre hommage à l'ensemble des équipes, qui ont fait preuve d'une mobilisation exceptionnelle, ainsi qu'aux cinq membres de l'AP-HP dont nous avons à déplorer la mort, des suites du covid.
Je tiens à souligner d'emblée que nous avons travaillé pendant toute cette période de manière extrêmement étroite, en l'occurrence minute après minute, avec l'Agence régionale de santé. Cela a permis – et c'est important – qu'en Île-de-France, les hôpitaux de l'AP-HP, les hôpitaux publics hors AP-HP, les établissements à but non lucratif de la région et les établissements privés travaillent tous ensemble. De ce fait, l'AP-HP a reçu énormément de patients, mais ils ne représentent pas la majorité des patients admis en réanimation en Île-de-France.
Je voudrais enfin remercier la population pour son soutien, qui n'a pas été qu'un soutien psychologique. Dans bien des cas, il s'est agi d'un soutien concret, soit sous forme de dons – dons de masques ou dons d'argent –, soit sous la forme de soutien en personnel, puisqu'un des faits notables de cette crise pour les hôpitaux d'Île-de-France, c'est qu'ils ont attaqué cette crise dans les pires conditions, avec un déficit d'environ un millier de personnels soignants et donc autant de postes vacants. Cette pénurie qui s'est accentuée pendant toute l'année 2019 fait que des lits de soins critiques ont dû être fermés par manque de personnel, et ce pour des raisons structurelles dont j'espère qu'elles seront corrigées rapidement.
Malgré cela, nous avons quasiment pu tripler nos capacités de soins critiques, grâce à la mobilisation du personnel, à des changements d'horaires et à la mobilisation de renforts à hauteur d'environ dix mille personnes, incluant, sous l'autorité du doyen des doyens, les personnels en formation, qu'ils soient étudiants en médecine ou étudiants infirmiers, ainsi que des équipes venues de toute la France. C'est pour cela que nous considérons que nous devons rendre ce qui nous a été donné et aider la Guyane, qui connaît actuellement des difficultés.
Cela étant dit, quelles sont les décisions importantes que nous avons été amenés à prendre ? La première a été de s'organiser en mode de crise, en appliquant tout simplement le plan blanc, qui prévoit la désignation d'un directeur médical de crise ainsi que la désignation de directeurs médicaux de crise sur chacun des sites. Cela a permis à tous les acteurs hospitaliers d'avoir des repères, un commandement et un schéma d'organisation dans lequel chacun savait ce qu'il avait à faire.
Ensuite, nous avons très tôt mis en place le dispositif Covidom, permettant de prendre en charge des patients sans qu'ils aient besoin de se déplacer ou de venir à l'hôpital. Nous avons pris en charge au total 75 000 patients : 15 000 patients dans nos lits, 60 000 patients dans leur lit. Covidom est un système de suivi à distance, auxquels ont participé la moitié des médecins généralistes d'Île-de-France. La décision de sa mise en œuvre a été prise dès le 1er mars et, dès le 10 mars, il concernait déjà 2 500 patients, chiffre qui est donc monté à plus de 60 000 patients, lesquels ont pu être suivis, soit par leur médecin traitant, soit par le médecin hospitalier, soit par l'un puis l'autre ; en cas d'aggravation de leur état, le SAMU intervenait ou ils étaient hospitalisés.
Notre troisième décision importante a été de lancer Covisan, le lendemain du jour où nous avons atteint le pic de l'épidémie, soit le 8 avril. Le 9 avril, Covisan a été lancé. Il s'agit de prévenir la deuxième vague, ce qui signifie sortir de nos missions hospitalières stricto sensu pour participer à la prévention, ainsi que le prévoit le code de la santé publique, et faire en sorte qu'on puisse casser les chaînes de transmission en allant prélever l'ensemble des personnes atteintes ou des personnes contacts avant le déconfinement. Concrètement, cela signifie que 7 000 personnes ont été testées et accompagnées, notamment en recevant des masques, du soluté hydro-alcoolique ainsi que des conseils destinés à éviter qu'ils soient contaminants.
Nous avons également mis en place une régulation centralisée de tous les établissements, publics et privés, sous l'autorité du directeur médical de crise et en lien étroit avec l'Agence régionale de santé, de sorte qu'il ne puisse arriver qu'un malade se retrouve sans lit, tandis qu'ailleurs un lit de réanimation aurait été inoccupé.
C'est parce que nous savions que nous utilisions tous les lits disponibles que nous avons exprimé le besoin non seulement de recourir à l'aide de professionnels extérieurs mais également de procéder à des évacuations sanitaires. Il y a donc eu des évacuations sanitaires à partir du 26 mars et pendant trois semaines. Ces évacuations sanitaires ont sauvé des vies. J'ai entendu récemment certaines critiques selon lesquelles ces évacuations s'apparentaient à des paillettes : les paillettes ne sauvent pas de vies, les évacuations sanitaires si, et je pense que mes collègues de l'Est ne diront pas différemment.
En matière de renforts, nous avons intégré 10 000 personnes, ce qui a signifié, en amont, la réquisition de plusieurs centaines de personnels pour organiser ces renforts. Au plus fort de l'épidémie, 31 000 personnes étaient inscrites sur MedGo, la plateforme lancée avec l'ARS. Trouver dans ce vivier l'infirmière de réanimation pouvant être opérationnelle deux jours après exigeait de faire un tri et une recension rapides des candidatures. Cela a été fait dans l'urgence, et il me semble qu'une des leçons que nous pouvons d'ores et déjà tirer de la crise est la nécessité d'organiser en amont cette réserve, afin qu'elle soit qualifiée, opérationnelle – donc préparée et formée en permanence – et mobilisable à chaque instant.
Il a fallu également que nous nous organisions de façon à disposer d'une vision intégrée de la montée en charge des soins critiques, sachant que nous avons dû multiplier nos capacités par trois et donc disposer des lits, des respirateurs, des pousse-seringues et des personnels formés nécessaires. Cela a été le travail d'une cellule placée au cœur de l'AP, sous l'autorité conjointe de Catherine Paugam et de son collègue Antoine Vieillard-Baron, qui, chaque jour, évaluait les besoins de l'ensemble des services de réanimation afin de les satisfaire au plus vite, dans les conditions de tension que vous connaissez.
Par ailleurs, dans le climat d'incertitude scientifique dans lequel nous nous trouvions, tout particulièrement au début de l'épidémie, nous avons décidé de la mise en place d'un Comité de pilotage recherche covid-19, composé d'experts couvrant l'ensemble des spécialités. Il s'agissait d'avoir une approche collégiale de l'expertise et de la prise de décision, de partager l'ignorance comme la connaissance, et de proposer une vision commune des protocoles thérapeutiques comme des actions à mener en gériatrie, en soins palliatifs ou pour la protection des personnels. Dans ce cadre, nous avons fait en sorte de coordonner très tôt les recherches, afin que le maximum de patients puissent être intégrés dans les protocoles qui avaient été validés. Le nombre de patients ayant ainsi intégré des protocoles de recherche validés est de l'ordre de 8 000 ou 9 000, ce qui est extrêmement important et a permis de faire avancer la recherche pour tous.
Enfin, parmi les mesures que nous avons mises en œuvre, figure le soutien au personnel. Il fallait d'abord les protéger du mieux possible, malgré le manque de masques et, plus encore, de blouses de protection jetables. Nous leur devions par ailleurs la transparence sur l'état des contaminations chez les personnels mais également sur les stocks de protection. Des mesures d'aides matérielles ont également été prises : gratuité des crèches, logement en hôtels, gratuité des taxis, pris en charge par l'État – ce qui a été une décision remarquable, prise dès le début de la crise – ou encore facilités d'alimentation : il fallait que le personnel, soumis à une pression énorme, puisse travailler dans de bonnes conditions.
J'ajoute qu'ayant eu recours à une gestion centralisée des approvisionnements, nous avons pu, quand cela était possible, faire des dons de masques ou de matériel à d'autres hôpitaux, voire à d'autres régions.
Je conclurai enfin, malgré la polémique de ces derniers jours, sur les moyens du SAMU qui ont été considérablement renforcés en matière de réponse à l'urgence, grâce à des dotations en informatique et en personnel, et la mise en œuvre d'un fonctionnement adapté pour répondre à la fois aux patients covid et aux patients non covid.
Je vous remercie de nous permettre de faire ce retour d'expérience au titre des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, qui a été un CHU particulièrement exposé, puisqu'il a été atteint par cette vague épidémique plus tôt que les autres.
Je suis, pour ma part, accompagné du professeur Jean-Marie Gagnon, président de la commission médicale d'établissement, qui a copiloté avec moi la cellule de crise, et de M. Rodolphe Soulié, directeur adjoint qui, lui, a coordonné la cellule territoriale.
Vous retrouverez dans ce rapide propos introductif beaucoup d'éléments déjà mentionnés par Martin Hirsch.
Le CHU de Strasbourg a été très tôt concerné par cette vague épidémique. Nous avons hébergé notre premier patient le 25 février ; le 3 mars, nous avions un premier patient en réanimation et, le 16 mars, il y avait 149 patients covid, dont 54 en réanimation ; le 2 avril, nous atteignions notre pic avec 601 patients, dont 180 en réanimation, ce qui donne une idée de la cinétique de l'épidémie.
Dès le début de cet épisode, ainsi que nous l'avions d'une certaine manière anticipé lors de réunions préalables, nous avons opté pour une gestion de crise assez identique à celle qui vient d'être décrite pour l'AP-HP. Nous avons donc réuni une cellule de crise autour du directeur général et du président de la CME, avec l'ensemble des ressources mobilisables, pour transformer en profondeur notre CHU, en d'autres termes le rendre compatible avec la prise en charge du covid.
Cela s'est fait selon trois axes essentiels. D'abord la déprogrammation massive d'activités, ensuite une transformation capacitaire très importante, enfin le redéploiement et la formation coordonnés du personnel.
La cellule de crise a siégé pendant quarante jours, quasiment sans discontinuer, assumant à la fois une réflexion de fond sur les transformations capacitaires et les décisions infra-quotidiennes qu'il nous fallait prendre pour toujours garder deux ou trois jours d'avance sur la progression de l'épidémie, notamment en ce qui concerne nos capacités de réanimation.
Parmi les mesures que nous avons prises, figurent la création d'une plateforme de régulation spécifique pour décharger le 15, et la mise en place d'un centre ambulatoire de dépistage, ce qui a nécessité un gros déploiement de moyens.
Nous avons également porté une attention toute particulière aux dispositifs de protection des personnels, notre doctrine étant l'éviction de toute personne ayant été testée positive.
L'essentiel de notre action a cependant concerné la transformation de nos capacités, ce qui nous a permis de disposer, au plus fort de la crise, de 425 lits affectés à des patients covid, alors que l'unité des maladies infectieuses n'en comportait à l'origine que quarante. Nous avons surtout – et ce fut là l'enjeu le plus important en termes d'équipes et de matériels – multiplié par 2,5 nos capacités de réanimation – quasiment par 3 à l'échelle du territoire.
Nous avons bénéficié pour ce faire de renforts homothétiquement semblables à ceux de l'AP, soit environ un millier de personnes, dont 500 venant de l'extérieur.
En ce qui concerne la coordination territoriale, elle a été animée par le CHU sur son territoire et par l'ARS pour ce qui concerne la région, les autorités préfectorales ayant joué, aux côtés de l'agence, un rôle fondamental.
Je voudrais insister à mon tour sur le fait que, si nous avons réussi à passer le pic de crise, c'est grâce à la solidarité nationale et internationale qui a rendu possible une politique de transferts dès le 22 mars, date à laquelle a eu lieu le premier transfert à destination de l'Allemagne, tandis que, le 26 mars, le premier train médicalisé quittait Strasbourg. Je rejoins donc les propos de Martin Hirsch et ai été heurté par les polémiques récentes sur l'intérêt des évacuations sanitaires : elles ont été indispensables pour permettre à chaque patient de pouvoir bénéficier des soins adaptés à son état.
Sur les 1 856 patients que nous avons accueillis au CHU de Strasbourg, dont 492 en réanimation, tous ont pu bénéficier des soins adaptés à leur état, y compris en réanimation lourde, et ce, grâce à ces dispositifs d'évacuation sanitaire. Cela a été capital et doit être souligné.
Je voudrais à mon tour insister également sur ce qu'a été l'effort exceptionnel de notre communauté hospitalière et sur la solidarité qui s'est manifestée chez tous les acteurs du territoire, qu'ils appartiennent au secteur public ou au secteur privé. L'État, enfin, s'est montré un partenaire de qualité, en permettant à chaque patient de pouvoir bénéficier d'une prise en charge appropriée.
Permettez-moi d'abord, au moment où nous abordons l'audition des professionnels directement impliqués dans la prise en charge des patients, de vous exprimer notre reconnaissance et celle de la Nation, pour tous les personnels soignants et administratifs qui, sous votre autorité, se sont mobilisés avec beaucoup de dévouement et de courage – certains l'ayant payé de leur vie.
Monsieur le directeur général de l'AP-HP, des polémiques inopportunes ont surgi et vous ont conduit à prendre position à propos de certaines déclarations du professeur Raoult et de certains chiffres qu'il a avancés. Sans doute serait-il souhaitable que vous vous exprimiez ici sur ce sujet.
Certainement, monsieur le rapporteur, en rappelant que je viens de prêter serment comme, j'imagine, le professeur Raoult.
J'ai en effet réagi sur deux accusations graves qui ont été portées. La première concerne un patient atteint du covid que, par ignorance et par incompétence, nous aurions renvoyé chez lui, où il aurait contaminé sa fille, avant d'être hospitalisé de nouveau. C'est un mensonge, ainsi que peuvent en attester les revues scientifiques puisqu'elles ont recensé et décrit les premiers cas.
Le patient dont il est question a été admis dans un service d'urgences, le samedi 25 janvier. Il n'a effectivement pas été considéré comme atteint du covid, compte tenu des critères alors diffusés par Santé publique France, mais a été traité comme tel, c'est-à-dire qu'il a été équipé d'un masque, tout comme les personnels soignants qui en avaient la charge. Il n'est jamais ressorti de l'hôpital mais a été transféré en réanimation dans le centre de référence de Bichat. Pour des raisons documentées, ce patient est décédé, mais sa fille, également prise en charge, a, elle, été sauvée.
Je réfute donc ce qui a été dit sur notre négligence ou notre incompétence, c'est factuellement faux.
La seconde accusation concerne les taux de mortalité en réanimation. Il a été question d'un taux de 43 % à l'AP-HP – chiffre avancé d'après un document datant du 14 avril, alors que l'audition se déroulait fin juin. Ce taux de 43 % a été mis en regard du taux de mortalité à Marseille, qui n'aurait pas dépassé les 16,7 %, laissant sous-entendre qu'avec un taux de mortalité trois fois plus élevé, nous serions des criminels et que nous aurions laissé mourir nos patients parce que nous refusions de leur donner un certain médicament.
Je dois attirer votre attention sur plusieurs points. En premier lieu, personne ne peut encore donner à l'heure actuelle le taux de mortalité définitif dans les services de soins critiques de l'AP-HP, pour la simple raison qu'il y a encore des patients en réanimation et que nous espérons les sauver ; ce taux ne sera donc connu que dans quelques semaines.
Cela étant, si l'on se fonde sur le décompte officiel de la Direction générale de la santé, qui demande à chaque établissement de santé de recenser tous les patients hospitalisés dans les services de soins critiques, le taux de mortalité pour l'AP-HP s'établit aujourd'hui à 25 %. On peut également se fonder sur une cohorte que nous avons élaborée pour l'étudier et d'où il ressort que ce taux se situerait entre 31 et 35 %.
Le taux de mortalité n'est donc en aucun cas de 43 %. Je ne prétends pas connaître ce taux pour Marseille. J'attire juste votre attention sur le fait que, pour être pertinentes, ces comparaisons doivent prendre en compte de nombreux facteurs.
Nous savons dire, à l'AP-HP, que, pour 10 % des patients en réanimation, il a fallu avoir recours à la circulation extracorporelle à cause de graves défaillances respiratoires. Je ne sais pas ce qu'il en est pour les autres établissements, mais nous savons, par exemple, que ce taux est beaucoup plus élevé qu'en Italie, ce qui signifie qu'il s'agit de patients beaucoup plus sévères.
Ensuite, selon le nombre de patients à prendre en charge, vous pouvez, si ce nombre est faible, admettre en réanimation des patients plus légèrement atteints ; s'il est très élevé, vous n'y admettrez que les patients les plus graves. Cela a évidemment une incidence sur le taux de mortalité.
Les comparaisons doivent reposer sur des études sérieuses, et c'est la raison pour laquelle nous avons lancé le programme Covid-ICU – Intensive Care Unit – une étude permettant d'étudier de manière détaillée le comportement des patients en réanimation. On sait par exemple que le taux de mortalité des patients de plus de quatre-vingts ans en réanimation est bien plus élevé que les autres, ce qui fait que, selon que vous avez 4 ou 6 % de patients de plus de quatre-vingts ans dans un service, votre taux de mortalité global s'en trouvera considérablement modifié.
Si vous ne connaissez pas l'âge des patients ni les facteurs de comorbidité, ni la gravité de leur état, il est impossible d'établir de comparaison. Et, à ma connaissance, aucune étude scientifique comparative n'a, à ce jour, été publiée. Je ne me prononce donc pas sur ce qui s'est passé ailleurs ; j'affirme que ce qui a été dit et sous-entendu sur les hôpitaux de l'AP-HP est contraire à la réalité des chiffres.
Votre courrier, ainsi que ceux de la Haute autorité de santé et du Conseil scientifique, ont été transmis à chaque membre de la mission d'information ; nous prenons acte de ce que vous venez de dire, sachant que vous avez témoigné sous serment, comme M. Raoult et toutes les personnes qui ont été – et seront – auditionnées. Nous ne sommes pas là pour juger l'AP-HP, mais au contraire pour saluer votre travail.
Ce document du 14 avril, extrait du registre REVA (Réseau européen de recherche en ventilation artificielle) et qui évoque un taux de mortalité de 43 % est donc exact ?
Il l'était à une date donnée. Ce tableau vient de chez nous, et le taux indiqué était exact à ce moment précis. Mais à la page précédente, il est rappelé que 50 % des patients ne sont pas sortis de réanimation et ne sont donc pas comptabilisés dans le dénominateur.
Dans votre réponse, vous évoquez deux questions qui me paraissent essentielles sur la prise en charge des patients en réanimation.
Y a-t-il eu une forme de régulation consistant à prendre en compte l'âge des patients au moment de leur admission en réanimation – vous avez notamment évoqué le cas des personnes très âgées ? Vous venez également de nous dire que, si la place manquait, seuls les cas les plus graves étaient admis. Comment s'est effectuée la régulation dans l'accueil des patients au sein des services de soins critiques ?
Nous avons augmenté les capacités en réanimation pour qu'aucun patient ne soit privé de la possibilité d'accéder aux soins critiques, et pour que ce qui continue à compter pendant toute la période de crise soit uniquement le critère médical, c'est-à-dire le fait que l'admission en soins critiques aide ou non le patient concerné. Lors de nos réunions, nous nous sommes attachés à faire en sorte qu'en temps de crise, les réanimateurs continuent à utiliser les mêmes critères qu'en période normale – même quand un service de réanimation est vide, le fait d'intuber un patient, et donc de le soumettre à un traitement agressif, ne l'aide pas nécessairement.
Ce sont les patients dont l'état de santé était le plus grave qui ont été dirigés de manière prioritaire vers les services de réanimation, là où les soins sont les plus lourds ; c'est ce qui explique le taux très élevé de patients ayant bénéficié d'une assistance circulatoire – l'oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO). Cela nous a permis de ne pas organiser de tri entre les patients.
Nous avons également été très attentifs à ce sujet. Les critères qui présidaient à l'admission en réanimation pendant la crise étaient identiques à ceux qui lui préexistaient. L'âge est un facteur parmi d'autres et, au moment de considérer les critères d'éligibilité, nous avons toujours examiné la balance bénéfice-risque. C'est ce qui a conditionné cette expansion très importante des capacités de réanimation, réalisée de manière à ce que nous ne soyons jamais contraints par le critère limitatif du manque de capacités. Nous avons réussi à le faire, notamment grâce aux évacuations sanitaires qui ont été mises en œuvre lorsque la capacité maximale a été atteinte, et qui ont permis aux patients de continuer à bénéficier des meilleures techniques de réanimation possibles.
Dans vos deux régions – le Grand Est, où un établissement a compté plusieurs dizaines de morts, et l'Île-de-France –, des EHPAD ont été lourdement touchés et ont subi des cas très graves. Comment s'est opéré le lien avec ces établissements ? À quel stade les patients ont-ils été pris en charge ? N'auraient-ils pas dû être hospitalisés plus en amont, et pourquoi ne l'ont-ils pas été ? Les médecins coordonnateurs des EHPAD ont-ils été en contact avec les autorités de régulation ?
Une équipe mobile coordonnée par un médecin gériatre des Hôpitaux universitaires de Strasbourg a été créée. Elle a été en contact avec les médecins coordonnateurs des EHPAD qui ont souhaité recourir à ses services et à ses avis ; elle a été mise à leur disposition, se rendant pleinement disponible pour évaluer la situation, discuter des bonnes pratiques et répondre aux demandes de transfert qui ont été formulées.
Sur ce point, nous avons copié ce qu'a fait la région Grand Est, qui a eu le malheur d'être frappée avant les autres ; nous y avons envoyé entre le 18 et le 22 mars le professeur Benoît Vallet, que vous avez auditionné, pour voir comment la crise était gérée et tenter de nous y préparer.
Les enseignements tirés de ses observations nous ont conduits à ouvrir un centre d'appels que les EHPAD pouvaient mobiliser. Des médecins se sont aussi rendus dans les EHPAD, et la mise en œuvre du programme COVIDIAG a permis de réaliser de nombreux tests dans les établissements qui avaient été désignés comme prioritaires par l'ARS.
Il a beaucoup été question de la pénurie, qui a d'abord été une pénurie de masques, de blouses et de matériels de protection en général. À quel stade avez-vous pu lui apporter une réponse efficace ? Aviez-vous des stocks dormants de masques datant de l'époque des épidémies de grippe H1N1 et H5N1 ? Quel était le volume de ces stocks ?
Comment avez-vous répondu à la pénurie de médicaments, en particulier de curares, ces anesthésiques utiles en réanimation ?
Comment s'est effectué le lien entre les établissements publics qui sont les vôtres et les établissements privés, en particulier en Île-de-France, où certains établissements privés ont dit avoir attendu en vain d'être sollicités ? Il y aurait eu du retard à l'allumage dans la mise en œuvre de transferts entre public et privé. Une cartographie a-t-elle été élaborée sous la direction de l'ARS ? Comment le dispositif a-t-il été organisé au quotidien, et disposiez-vous de statistiques précises sur le nombre de lits ou de respirateurs disponibles ?
Enfin, il faudrait dresser un bilan du renoncement aux soins – s'agissant notamment des interventions chirurgicales – lié à la crise, dont on commence à parler. Comment cela a-t-il été géré dans des hôpitaux tels que la Pitié-Salpêtrière ou les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ? Pour ma part, j'ai vu comment les choses se passaient au sein d'un service régional, dans lequel il était possible de différer les interventions, mais disposez-vous déjà, en la matière, de statistiques issues des services de vos établissements ?
S'agissant de la pénurie, l'ancienne ministre de la santé nous a indiqué qu'elle mesurait les effets de ce qui allait arriver dès la fin du mois de décembre, et que la première commande de matériel était intervenue fin janvier – 1,5 million de masques. Pouvez-vous nous indiquer quels sont vos besoins hospitaliers en masques pour une semaine ?
Concernant la question de la fin de vie, dans quelles conditions les personnes atteintes du covid-19 sont-elles décédées dans vos établissements ? Quelles consignes particulières avez-vous données à vos personnels pour les accompagner dans ces moments douloureux ? Comment avez-vous géré cette situation, et y a-t-il eu un tri des patients ?
Parmi le personnel soignant, combien ont été victimes du covid-19, et combien sont décédés ? Comment avez-vous géré les cellules post-traumatiques d'accompagnement ? Monsieur Hirsch, vous avez dit qu'il manquait 1 000 postes en 2019 ; comment l'appel aux renforts de personnels a-t-il été géré ?
Enfin, vous avez fait appel à l'Allemagne pour effectuer des évacuations sanitaires. À l'inverse, je n'ai pas vu de patients étrangers venir en France. Dans le département des Pyrénées-Atlantiques, il y avait soixante lits en réanimation, et aucun n'a été proposé aux autorités espagnoles. Que doit-on faire pour mettre en œuvre une gestion de ce type de pandémie qui soit davantage européenne ?
Monsieur Hirsch, dans une interview donnée aux Échos le 24 mai dernier, vous avez mis en exergue un certain nombre de problèmes rencontrés par le personnel et la direction des hôpitaux. Vous indiquez que, sous prétexte de qualité et de sécurité des soins, l'hôpital français est depuis vingt ans le plus normé au monde – ce sur quoi je suis d'accord avec vous –, que les pesanteurs bureaucratiques empêchent les services hospitaliers d'être pleinement efficaces, et que les clivages entretenus entre le pouvoir administratif et le pouvoir médical, notamment s'agissant de la gouvernance des hôpitaux, est un véritable problème. Selon vous, cette crise aurait permis de dépasser un certain nombre de ces clivages et de ces pesanteurs.
Notre organisation est-elle réellement efficace ? Cette commission d'enquête doit participer à l'amélioration du système de santé dans nos territoires et de la gouvernance des hôpitaux. Quand je vois qu'il y a dix salariés administratifs pour dix personnels soignants, je me demande si c'est gage d'efficacité ou si c'est le signe d'une suradministration lourde.
Vous nous indiquez par ailleurs que la rigidification des statuts est une réalité, et qu'un certain nombre de personnels sortent du cadre qui devrait les protéger parce que celui-ci est trop complexe.
Je voudrais également connaître votre avis sur la situation qui conduit certains médecins à démissionner de leur poste à l'hôpital, avant d'y revenir en intérim pour y gagner jusqu'à dix fois plus. Comment mettre un terme à de tels dysfonctionnements, qui ont un impact important sur le budget des hôpitaux ?
Les masques constituent un sujet de préoccupation majeur. L'instruction du 16 mai 2013 a confié à l'employeur la responsabilité de son stock ; elle a été complétée par celle du 15 mai 2014 sur la gestion du stock tactique, qui a fait l'objet d'une description et d'un financement par une mission d'intérêt général, et dont l'objectif est précisément défini par les circulaires.
Nous avons fait face à cette obligation par la passation d'un marché ouvert, auquel émargent à peu près tous les CHU, par l'intermédiaire d'une centrale d'achat ; cela ouvre une possibilité de commande non fermée, adaptée aux besoins. Au CHU de Strasbourg, nous consommons en moyenne 114 000 masques chirurgicaux par mois, et notre stock maximum s'élève à 125 000 masques, soit un stock de trente jours ; une procédure de déclenchement de nouvelle commande est lancée dès que le stock descend à un certain niveau, en l'occurrence vingt jours de stock. Avec un délai de réapprovisionnement de cinq jours en moyenne, nous avons toujours été en capacité théorique de nous approvisionner. La seule chose qui n'était pas prévisible, c'est la rupture de la filière d'approvisionnement : nos fournisseurs se sont trouvés dans l'incapacité de répondre à nos commandes. Si la filière avait continué à fonctionner, le système en lui-même n'aurait pas posé de difficultés, car le seuil de déclenchement de la commande nous a toujours permis de faire face à nos besoins.
Des tensions sont apparues au milieu du mois de février, et nous avons commencé à être livrés sur le stock national à partir du 6 mars. Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ont bénéficié de huit livraisons jusqu'au 11 mai, pour un total de 2 millions de masques chirurgicaux. À aucun moment nous n'avons été confrontés à une pénurie nette : grâce à cet approvisionnement sur le stock national, l'ensemble des masques nécessaires ont toujours été disponibles, en conformité avec les doctrines d'utilisation. Nous avons connu des phases de tension, notamment du 4 au 23 mars, surtout s'agissant des masques FFP2 pour lesquels la doctrine à appliquer était plus restrictive – ils sont réservés aux gestes invasifs –, mais nous n'avons heureusement pas connu de rupture dans l'approvisionnement de masques.
La coopération entre établissements publics et privés a été assez remarquable dans notre secteur. Nous avons très vite installé une cellule de coordination à l'échelle du territoire, qui a permis une participation active des établissements privés ; ayant d'ailleurs rapidement obtenu des autorisations dérogatoires pour effectuer des réanimations, ils ont pleinement joué leur rôle dans l'accueil des patients. Cela n'a pas été pour nous un sujet de difficulté, et la coordination territoriale a bien fonctionné.
Les retards de soins sont un autre sujet de préoccupation ; c'est peut-être pour nous le plus important. L'arrêt de l'activité chirurgicale a été massif, et sa reprise pleine et entière est difficile, car elle est limitée par un certain nombre de règles – l'utilisation des chambres à deux lits est rendue plus difficile, et les protocoles sanitaires très stricts ralentissent l'activité opératoire. Nous déployons tous nos efforts pour que l'activité redémarre le plus normalement possible, et la gestion des files actives de patients est réalisée au plus près par les équipes médicales, qui s'efforcent de prioriser les interventions. Les gestes semi-urgents, qui ont été décalés, deviennent urgents maintenant, et chaque équipe médicale effectue un suivi très attentif des situations individuelles de façon à déterminer les critères d'éligibilité, et à ne pas causer de dommages aux patients.
Les fins de vie, qui se sont déroulées dans des conditions de strict respect des protocoles sanitaires, ont été douloureuses pour les familles. Nous avons cherché autant que possible à humaniser ces moments inéluctables, même si cela devait parfois légèrement déroger au contrôle strict de présence dans les services de réanimation. Nous nous sommes attachés à concilier l'exigence très stricte de l'observation des règles et la plus grande humanité.
Il n'y a pas eu de tri des patients. Les critères d'admission en réanimation que j'ai exposés précédemment ont été scrupuleusement observés, et appliqués à un très grand nombre de patients ; ils ont été exactement les mêmes qu'avant le déclenchement de la crise, à savoir des critères médicaux permettant de déterminer l'éligibilité en réanimation en tenant compte de la balance bénéfice-risque. Le critère de disponibilité n'a jamais induit une notion de tri.
Au CHU de Strasbourg, sur 12 500 salariés, près de 600 de nos collègues ont été atteints par le covid-19 ; un seul est décédé, un médecin vacataire et collaborateur occasionnel. La médecine du travail a mis en œuvre un suivi très attentif, avec des dépistages systématiques et des mesures de précaution pour les cas contacts, pour qui le port du masque était obligatoire. Le 23 mars, compte tenu de la dissémination des cas et de la nécessité de protéger les personnels, nous avons préconisé le port du masque généralisé pour l'ensemble des acteurs à l'intérieur des hôpitaux. C'est toujours un sujet majeur de préoccupation ; il fait l'objet d'une cellule psychologique, COVIPSY, qui suit nos équipes de manière tout à fait attentive.
Depuis le début de la crise, nous utilisons chaque jour 166 000 masques chirurgicaux et 43 000 masques FFP2, contre respectivement 37 000 et 3 500 l'année dernière. Début mars, nous avions en stock 1,2 million de masques chirurgicaux, plus 1,8 million qui avaient déjà été commandés et sont arrivés quelque temps après, ce qui fait un total de 3 millions ; nous disposions aussi d'1 million de masques FFP2. S'y ajoutaient 3,1 millions de masques issus des crises précédentes, dont la date de péremption était dépassée mais qui ont pu être conservés et utilisés pour éviter une pénurie. Il y a eu des périodes difficiles, au cours desquelles nous ne savions pas combien de temps nous pourrions tenir.
Nous avons en revanche connu une pénurie de surblouses. Est arrivé un moment où nous avons cessé d'en recevoir ; pendant quelques jours, nous avons appelé la terre entière pour en obtenir. Nous faisons partie de ceux qui ont commandé des sacs plastiques pour les découper et les utiliser en guise de surblouses ; nous en avons commandé 1,2 million. Nous avons aussi testé la possibilité de laver des blouses à usage unique pour pouvoir les réutiliser, et nous avons utilisé des blouses non jetables. Cette période a été particulièrement inconfortable.
Au sein de notre personnel, nous avons identifié environ 4 800 personnes ayant été atteintes par le covid-19, et cinq décès. Ce chiffre sous-estime sans doute la réalité : la moitié des personnels de l'AP-HP ont déjà effectué des tests sérologiques, et ceux-ci indiquent plutôt que 11 à 13 % d'entre eux ont été touchés, même si ces résultats ne sont pas définitifs. Parmi les personnes testées positives en sérologie, une sur deux ne savait pas qu'elle avait été atteinte.
La montée des contaminations s'est faite pendant la deuxième quinzaine de mars, et le nombre de personnels contaminés chaque semaine amorce déjà sa décrue en avril, au moment où le nombre de patients pris en charge est le plus élevé. Il faudra que nous travaillions pour savoir dans quelles conditions la contamination s'est faite, et ce qui a permis de mettre en œuvre une protection efficace.
C'est le 1er mars que le port du masque est devenu systématique dans les services d'urgence, dans les services d'accueil en général, et pour les patients symptomatiques. La généralisation à l'ensemble des personnels – administratifs inclus – a été décidée le 19 mars.
En ce qui concerne le renoncement aux soins, pendant toute cette période, des transplantations ont été effectuées, les grandes gardes ont fonctionné, et l'hôpital n'a pas esquivé ses missions, même s'il y a en effet eu un fort taux de déprogrammation. Certains patients ont spontanément renoncé aux soins, y compris au mois de mai, parce qu'ils avaient peur d'aller à l'hôpital, mais nous avons organisé des circuits distincts pour la prise en charge hors covid-19. Il ne faut pas hésiter à se rendre à l'hôpital quand c'est nécessaire, et il vaut mieux venir quand on est appelé pour une visite de contrôle, une coloscopie ou autre, plutôt que de s'abstenir.
S'agissant des questions relatives aux consignes de fin de vie, un groupe de travail réunissant notamment des éthiciens, des gériatres et des réanimateurs a assez tôt émis des consignes établies de manière collégiale que nous avons immédiatement publiées sur notre site.
J'en viens aux pesanteurs qui font de notre système le plus normé au monde : si un contingent de quinze heures supplémentaires par mois et par personne peut être mobilisé, aller au-delà pour que les agents dont on a besoin soient à leur poste de travail nécessite de ma part un courrier motivé, courrier que j'envoie donc systématiquement avant la grippe, avant la bronchiolite et avant la canicule. Il n'existe pas à mon sens d'autre pays où une telle demande doive se faire en écrivant au ministre de la santé ou peut-être, demain, au directeur général de l'ARS.
Je rappelle, s'agissant du ratio de personnel administratif par rapport au personnel soignant, que nous devons employer 1 500 agents administratifs à la vérification des droits de mutuelle des patients auprès de plus d'une centaine de payeurs différents. Le directoire de l'AP-HP a donc proposé deux solutions afin que cette tâche ne soit plus assurée par l'hôpital, dont le travail est plutôt de soigner les gens : soit l'assurance-maladie prend en charge l'ensemble des soins hospitaliers, soit elle paye l'hôpital et se fait ensuite rembourser. Je préférerais évidemment faire de ces agents, au travers d'un plan de formation efficace, des aides-soignants ou des infirmiers.
Il en va de même des agents qui doivent aller vérifier que les patients règlent le supplément chambre individuelle : cette procédure, qui me semblait inappropriée avant la crise, me semble désormais tout à fait inappropriée, dans la mesure où l'objectif pendant la crise était qu'ils en bénéficient tous.
Autre exemple de pesanteur concernant les lits fermés en soins critiques : lorsque des infirmiers et des infirmières éprouvent des difficultés à aller travailler en réanimation où ils vont être soumis à des contraintes et à des prises de risques particulières, nous n'avons pas le droit de les rémunérer différemment des autres, car cela nécessiterait une modification du décret sur la nouvelle bonification indiciaire (NBI),
Il serait par conséquent préférable d'adapter ce dispositif afin de pouvoir ouvrir des lits en hiver, lors des épisodes de bronchiolite, et des lits de réanimation toute l'année : les établissements hospitaliers pourraient ainsi mieux faire leur travail au service des patients.
Comment est défini le stock d'équipements de protection individuelle comme les masques, constitué par chaque établissement en application de la circulaire du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) de 2013 ? Faisait-il l'objet d'un contrôle ou d'une évaluation, de la part notamment des ARS ?
Monsieur Gautier, vous avez indiqué que le port du masque généralisé était intervenu dans vos établissements le 23 mars, contre le 19 mars à Paris, c'est-à-dire un mois après le pic constaté en Italie : n'était-ce pas trop tardif ? Cela n'a-t-il pas fragilisé la protection des personnels soignants à un moment où nous savions que la vague était devant nous et où vous l'affrontiez déjà ?
Deux éléments ont été pris en considération : d'une part, les consignes établies par les hauts conseils et par les hygiénistes, qui ont d'abord conduit à restreindre le port du masque, à l'étendre à partir du 1er mars, puis, trois semaines après, à le généraliser ; d'autre part, l'état des stocks, question à laquelle j'ai été confronté fin février, lorsque les premiers patients du département de l'Oise ont été hospitalisés à Paris, à l'hôpital Tenon, et au moment où les premières contaminations intra-hospitalières ont été constatées. La question de la protection systématique des 100 000 personnels de l'AP-HP ou du maintien d'une protection plus graduée s'est alors posée.
Or passer dès ce moment à une consommation de 160 000 masques par jour risquait d'en priver quelques jours plus tard les agents en poste dans les unités de soins critiques ou dans les services recevant des patients atteints du Covid-19.
Les doctrines ont donc évolué, et les difficultés que nous rencontrions dans la reconstitution de nos stocks ont été prises en compte : aujourd'hui, fournir un masque à tous et à toute heure reste un impératif que nous ne remettrions bien évidemment pas en cause en cas de deuxième vague.
On peut distinguer trois phases : celle allant du 22 janvier au 4 mars, marquée par le respect de l'avis national du Haut Conseil de la santé publique ; celle du 4 au 23 mars, marquée par un avis des sociétés françaises d'hygiène hospitalière ; et la plus récente, car s'imposait la protection des sujets contacts des collègues réputés positifs et, compte tenu de la dissémination du virus à l'intérieur de l'établissement, le port du masque obligatoire pour tous est donc devenu une nécessité évidente.
Nous ne nous sommes jamais, à proprement parler, écartés des différentes doctrines, que nous avons déclinées ; de même, nous n'avons pas souffert de rupture d'approvisionnement puisque nous avons pu être servis sur le stock national. La généralisation du port du masque est intervenue dans le prolongement de notre politique de prévention visant à protéger les personnes contacts.
Vous n'avez pas répondu à ma question sur la définition du stock tactique. Par ailleurs, j'observe que, si vous n'avez pas été en rupture d'approvisionnement, votre réponse dénote le fait qu'une forme de régulation a dû intervenir : si vous aviez utilisé plus de masques plus tôt, vous y auriez été confrontés.
Oui. En ce qui concerne le stock tactique, il répond à une instruction de 2014 très normée sur les équipements individuels de protection…
Il ne comporte effectivement que très peu sur les masques. La gestion de nos stocks intégrait cependant celle d'un stock de précaution qui correspondait, au CHU de Strasbourg, à trente jours de consommation pour les masques chirurgicaux et à quatre-vingts jours pour les masques FFP2, avec des réapprovisionnements non limités en quantité, ce qui aurait fonctionné sans la rupture de la filière d'approvisionnement, laquelle était difficilement prévisible au moment où une telle doctrine a été établie.
Monsieur Hirsch, si votre présentation laissait transparaître une forme de positive attitude, n'avez-vous pas ressenti de la colère ? Je l'ai pour ma part sentie chez les personnels qui m'ont interpellé tout au long de la crise sur les pénuries répétées.
Vous affirmez n'avoir pas connu de rupture. Or cela n'est dû qu'à une gestion visant à économiser les stocks, alors même que vous avez été confrontés à des difficultés majeures que nous avons besoin de connaître.
N'avez-vous pas été conduits, avant la crise, à opérer des arbitrages concernant ces mêmes stocks et leur alimentation régulière, au regard des moyens dont dispose l'hôpital public ? Ces stocks étaient-ils à jour au moment où la crise est survenue ? La politique de distribution des masques n'a-t-elle pas, au-delà de ceux dédiés à la gestion du covid-19, contribué à la circulation du virus dans les autres services ?
Comment avez-vous vécu les consignes transmises s'agissant des tests à effectuer sur le personnel ? Par ailleurs, les primes annoncées ont-elles été versées, y compris à ceux qui n'ont pas été présents pendant toute la durée de la crise ?
Notre système a été très critiqué, notamment lorsqu'il été comparé avec le système allemand, mais il semble à la néophyte que je suis que le fait que nous disposions de trois types de lits – lits de réanimation, lits de soins intensifs ou lits de soins de suite –, a fait que nous avons eu la souplesse nécessaire pour nous adapter de manière remarquable à la vague qui arrivait, nonobstant les problèmes de personnel et d'équipements de protection.
A-t-on besoin, dans ces conditions, comme l'Allemagne, de deux fois plus de lits de réanimation ? Serait-ce justifié en temps normal ? Quelle serait la jauge qui, en termes d'équipements et de personnels, nous permettrait de nous adapter rapidement en cas de nouvelle mise en tension du système ?
Interrogée ici même sur les personnels administratifs, Mme Roselyne Bachelot s'est interrogée sur leur définition : un technicien en radiologie appartient-il à cette catégorie ? Qu'en pensez-vous ?
Monsieur Hirsch, vous avez déclaré début mars que l'hydroxychloroquine n'a jamais fonctionné sur quiconque. Vous êtes-vous fondé sur des bases scientifiques, et si oui, lesquelles ? Avez-vous diffusé des consignes pour qu'elle ne soit pas utilisée dans vos services, et si oui, pourquoi ?
Un essai avec le tocilizumab a été mis en place au sein de vos établissements : vous vous êtes d'ailleurs réjoui, le 27 avril, des premiers effets de cette molécule. Le 29 avril, le ministre de la santé a repris vos propos, mais le 30 avril, le comité de surveillance des essais Covid-19 menés à l'AP-HP démissionnait. Ne s'agit-il pas d'une occasion ratée ?
Monsieur Gautier, à partir de quelle date avez-vous pu tester vos personnels, sachant que vous avez rappelé que 600 agents avaient été infectés ? Compte tenu des carences en personnels, n'avez-vous pas été contraint de leur demander de revenir assez vite en service ?
Une gouvernance plus souple, sans la nécessité d'en référer à l'ARS, ne vous aurait-elle pas en outre permis de mieux collaborer notamment avec l'énorme clinique privée Rhéna, dont une grande partie du personnel est restée au chômage technique pendant toute la durée du confinement ?
Monsieur Hirsch, si la promptitude de votre réaction visant à prendre par écrit la défense des personnels de l'AP-HP me semble naturelle s'agissant d'une aussi belle institution, vous venez d'avouer que le document en question, qui fait état d'un taux de mortalité de 43 % au sein de l'AP-HP au 14 avril, provient bien du registre Réseau européen de recherche en ventilation artificielle (REVA) de l'Unité de recherche clinique (URC) concernée.
Vous avez indiqué que ce taux de mortalité faisait fi de 50 % des patients : qu'entendez-vous par là ? Pensez-vous à ceux qui ont survécu et qui sont toujours hospitalisés ? Un tel taux n'a en effet de valeur qu'à un instant t, comme tous les autres indicateurs qui nous ont permis de suivre l'évolution de l'épidémie de covid-19.
En accusant le professeur Raoult d'avoir tenu des propos diffamatoires, il me semble que vous avez pris le risque de faire de même : l'apaisement ne serait-il pas préférable à des querelles qui prennent un tour personnel ? Le but n'est pas de s'accuser les uns les autres.
S'agissant du tocilizumab, vous avez également été prompt, le 27 avril, à en relever les effets très positifs. La démission le 30 avril du comité de surveillance a-t-elle eu un impact sur l'évolution de cette étude ?
Il n'y a pas eu de rupture par rapport à la doctrine établie en matière de masques. Si je n'ai pas évoqué, comme l'a fait Martin Hirsch, la question des surblouses, nous avons également fait face à une rupture très nette d'approvisionnement. Leur coefficient d'utilisation a été multiplié par soixante-quatre au moment du pic de l'épidémie, ce qui nous a également contraints à trouver des solutions alternatives.
Les tests destinés aux personnels ont été réalisés et leurs primes bien versées. Nous n'avons d'ailleurs pas éprouvé de difficultés particulières avec les organisations syndicales au moment d'adapter les différentes circulaires.
L'adaptation du système hospitalier est en effet tout à fait essentielle : à cet égard, l'extension des capacités de réanimation a été la clé de la qualité de la prise en charge des patients.
Cela étant, le déploiement, hors contexte de crise, de capacités dimensionnées au pic du besoin ne serait ni pertinent, ni utile, ni efficient. La réflexion conduite dans de nombreux établissements vise au contraire à déployer des capacités dites de réanimation éphémère, ce qui impose de disposer de protocoles de déploiement portant à la fois sur les lieux, les équipements et les équipes à mobiliser en cas de pic épidémique.
Je suis un peu surpris des chiffres évoqués s'agissant du personnel administratif : au CHU de Strasbourg, il représente en effet moins de 9 % de la totalité des personnels, sachant qu'il inclut les secrétariats médicaux. Nous sommes donc bien loin d'un rapport de parité avec les personnels soignants.
Nous avons toujours été capables de mener des tests, soit 300 par jour au début de la crise, 450 à la mi-mars, 700 début avril et 2 000 dès que la machine à tests rapides nous a été octroyée, ce qui a servi à dépister tous les agents présentant des symptômes.
Je suis formel : nous n'avons jamais demandé à des personnels testés positifs de rester en poste ou d'y revenir, cette question ayant notamment fait l'objet d'un suivi très attentif de la part de la médecine du travail, qui s'est également penchée sur les évictions préventives, en raison par exemple d'une fragilité immunitaire.
Enfin, la collaboration mise en place au sein de la cellule de coordination territoriale entre le CHU de Strasbourg et la clinique Rhéna a été tout à fait efficace.
Deux solutions s'offraient à nous et à l'ensemble des établissements privés : soit ils essayaient de dégager des équipes, notamment en anesthésie, pour les affecter au CHU qui aurait détenu le monopole d'accueil des patients, soit au contraire ces derniers étaient répartis au mieux des différentes capacités. Nous avons opté pour cette dernière solution, notamment grâce à des autorisations particulières de réanimation, accordées aux établissements privés par l'agence régionale de santé : ainsi chacun a pu jouer son rôle en lissant le nombre de patients admis dans les établissements publics ou privés du territoire de santé.
Suis-je en colère ? Il me semble que le rôle du directeur d'un grand établissement de santé n'est pas, en cas de crise, de s'abandonner à la colère mais plutôt d'être à l'écoute de son personnel et de prendre les mesures adéquates pour le protéger : c'est la raison pour laquelle il m'est parfois arrivé d'indiquer qu'à défaut de tel ou tel élément, la situation sanitaire pouvait présenter un risque.
J'ai d'ailleurs participé ce matin au comité technique d'établissement : les représentants des personnels y ont rendu hommage à la direction pour la transparence, l'écoute et la prise en considération de leurs préoccupations dont elle a fait preuve. Nous avons été meilleurs sur certains points que sur d'autres, mais nous avons cherché en permanence à partager les informations disponibles, notamment avec les représentants élus des personnels que nous avons réunis en conférence téléphonique plusieurs fois par semaine. Ils étaient ainsi informés des questions relatives aux stocks et aux méthodes de travail employées avec les uns et les autres, sans occulter les difficultés rencontrées.
Je rends d'ailleurs hommage à ces représentants du personnel : les permanents à plein temps de l'AP-HP ont en effet remis la blouse pour aller travailler, tout en participant, avec leur première casquette, à ces réunions en faisant preuve d'un sens des responsabilités qui donne encore plus envie qu'avant de doter l'hôpital d'espaces de dialogue social. Avec un plus de souplesse, il y aura plus de choses à négocier dans le cadre de ce dialogue social.
Les personnels ont-ils pu bénéficier de tests dits polymerase chain reaction (PCR) ? Oui, c'est ce qui nous a poussés à ouvrir d'autres espaces de test, notamment à l'Hôtel-Dieu, de façon à ce que ceux qui étaient installés dans les hôpitaux se concentrent sur les patients hospitalisés et qu'il n'y ait pas de concurrence entre les deux populations à tester.
Nous avons ensuite commandé des tests sérologiques ; à l'heure actuelle, 50 000 de ces tests ont été pratiqués sur les personnels.
Concernant l'adaptation du système, je précise tout d'abord que le retour d'expérience n'est pas terminé. Dans un premier temps, nous nous concentrons sur les prévisions dans la perspective d'une éventuelle deuxième vague – quel niveau de reconstitution des stocks de masques et de médicaments, quels enseignements tirer des tensions sur l'utilisation de ces derniers ? Dans un second temps, probablement en septembre ou en octobre, nous vous ferons part de nos réflexions plus générales.
Aujourd'hui, je ne suis pas en mesure de vous répondre s'agissant des capacités d'accueil. Nous révisons l'ensemble de nos projets, dont celui de l'hôpital Grand Paris-Nord, pour savoir s'il importe de disposer d'un plus grand nombre de lits, de lits de soins critiques, etc. Je peux toutefois vous dire d'ores et déjà qu'avant les conditions matérielles ou spatiales, c'est le nombre de personnels qui est problématique. Nous devons immédiatement travailler à la question de la réserve, à sa constitution, à ses modalités d'intervention et à la formation des volontaires.
Pour éviter les difficultés lorsqu'il faut augmenter le nombre de lits de réanimation, nous devons pouvoir disposer de personnels qui travaillent en dehors des unités de réanimation mais qui sont formés à cette spécialité, qui ont passé quelques semestres ou quelques années dans ces services, dont les compétences sont entretenues et reconnues, et qui peuvent être réquisitionnés. C'est essentiel, faisable, et cela ne nécessite pas des investissements importants. C'est ainsi que nous serons moins dépendants des tensions pesant sur les personnels.
Ai-je donné des consignes pour ne pas prescrire d'hydroxychloroquine ? Non. Outre que nous n'avons pas besoin de donner des consignes de prescription aux médecins, les seules qui aient été données pendant la crise l'ont été conjointement par les représentants médicaux. Je note d'ailleurs que la consommation de Plaquenil a augmenté dans les hôpitaux d'Île-de-France.
Nous avons rédigé – et nous avons bien fait – un texte commun avec les représentants des chercheurs, des cliniciens et le directeur médical de crise, pour rappeler que l'utilisation d'un médicament en dehors des règles prévues suppose de le faire dans un cadre collégial. Il ne s'agit pas d'interdire ou de promouvoir un médicament mais de prendre en compte l'ensemble des données, dont le bénéfice-risque, et d'insister sur la nécessité de privilégier les tests plutôt que de ne toujours pas savoir, trois mois après, si le médicament est ou non efficace.
Le programme Corimuno-19 comprend un essai thérapeutique sur le tocilizumab. Le 27 avril, nous avons choisi de communiquer, avec prudence, un certain nombre de données faisant état de résultats prometteurs. Une polémique s'en est suivie, puis la démission du comité de surveillance et la nomination d'un nouveau comité. L'essai a été prolongé, monitoré ; il fera l'objet d'une publication mais nous nous sommes engagés, d'ici là, à ne pas communiquer à nouveau pour éviter de nouvelles polémiques. J'espère que cette étude sera publiée bientôt et qu'elle permettra de répondre à vos inquiétudes.
Suis-je trop prompt à répondre ? Soyons précis. Mon rôle n'est pas de faire la police des pourcentages ou des statistiques. Si un expert que vous avez auditionné avait déclaré, sans vouloir prendre parti, attaquer ou défendre une thèse, que le taux de mortalité se situait à un moment donné entre 40 % ou 45 %, je n'aurais pas écrit ce courrier. En l'occurrence, nous sommes dans une situation différente : fin juin, on prétend que les malades ont été mal traités à partir d'un état des lieux du 14 avril ! Les Américains, à un moment donné, ont aussi fait état d'un taux de mortalité de 80 % des malades en réanimation, puis ils ont reconnu que ce n'était pas exact ! Nous avons quant à nous choisi de suivre jour après jour l'évolution de la situation sur des tableaux de bord, que je peux vous donner, pour les quatre-vingt-dix jours de crise : toutes les données y figurent, de même que nos interprétations.
S'il s'agit de laisser penser à la commission d'enquête, à partir d'une donnée tronquée, comparée à une autre – dont je ne connais pas la source –, que les 100 000 personnels des hôpitaux parisiens ont mal traité les patients, ne les ont pas bien pris en charge, que leurs pratiques thérapeutiques ont entraîné une mortalité plus élevée que dans d'autres régions, alors oui, c'est mon rôle de réagir promptement en vous communiquant toutes les données dont je dispose, avec leurs limites, et les éléments qui expliquent leurs variations. Elles ne correspondent pas à ce que j'ai lu et entendu lors de la mise en cause de l'Assistance publique et de ses trente-neuf hôpitaux.
Il n'est pas question d'opposer les soignants et les établissements de santé dans une sorte de compétition macabre mais de constater que le taux de mortalité a évolué : il a été plus élevé que d'habitude, plus élevé qu'il n'avait été estimé au début de la crise et plus élevé que celui annoncé par M. Salomon le 17 avril, qui était de 10 %. Des taux de 30 % à 40 % ont été observés, vous l'avez dit, comme le professeur Caumes, de la Pitié-Salpêtrière, le 27 juin.
Qu'en est-il du nombre de personnes testées dans la population, en valeur absolue et en cinétique ? Y-a-t-il eu une montée en puissance ? Quand avez-vous procédé aux premiers tests et quand avez-vous testé des patients asymptomatiques ?
Enfin, pouvez-vous nous certifier que les transferts de patients à l'autre bout de la France ou à l'étranger s'expliquent par l'absence de place dans les établissements de santé privés ?
Vous avez dit que les transferts se justifiaient par un nombre de lits insuffisant et le manque de soins adaptés. Pourriez-vous décrire leur fonctionnement ? Pourriez-vous également préciser les processus qui président à de telles décisions ?
Je tiens tout d'abord à souligner le travail considérable que vous avez accompli dans des circonstances très difficiles et à remercier celles et ceux qui, sous votre responsabilité, se sont mobilisés.
Cette commission d'enquête vise à déterminer les chaînes de décision, la pertinence des décisions prises, les éventuels manquements, et à préparer l'avenir. À vous écouter, on comprend que la situation a donc été très difficile mais on a du mal à situer ces difficultés puisqu'elles ont été surmontées, dites-vous. Même si les retours d'expérience sont en cours, je l'ai bien compris, et si nous n'avons aucune certitude sur la possibilité d'une seconde vague, nous devons l'envisager.
Je souhaite donc avoir des réponses aussi précises que possible en ce qui concerne les stocks stratégiques. Ont-ils fait défaut ? Faut-il reconstituer des stocks stratégiques d'État de masques FFP2 ? Dans quelle mesure avez-vous besoin de stocks beaucoup plus importants que ceux dont vous avez disposé et qui vous ont conduits à avoir une gestion peut-être plus précautionneuse qu'elle ne l'aurait été dans le cas contraire ? Le nombre de personnels contaminés glace le sang ! Un plus grand nombre de stocks aurait-il permis de réduire les contaminations ?
Vous avez évoqué la question de la gouvernance. Que faudrait-il changer dans les rapports entre personnels soignant et administratif ?
Par ailleurs, des moyens d'investissements supplémentaires seront débloqués. Or, par exemple, l'hôpital Grand Paris-Nord n'a-t-il pas obéré des investissements plus courants, n'a‑t‑il pas conduit à réaliser des économies d'effectifs, selon le fameux ratio 1 sur 15 ? Enfin, quelles ont été vos relations avec l'ARS et les préfectures ?
En tant que réserviste sanitaire, je peux témoigner de la réactivité de l'Agence régionale de santé de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur : les renforts ont été convoyés depuis leur parking personnel, notamment par l'armée de l'air, jusqu'à Strasbourg, et je tiens à remercier les personnels de l'opération « Résilience ».
Quel regard portez-vous sur la réserve sanitaire ? A-t-elle suffi ? A-t-elle joué un rôle essentiel ? Sera-t-elle un pilier de la résilience nationale en cas de nouvelle crise sanitaire ?
Enfin, aviez-vous prévu ou non de tester les personnels de réserve après leurs missions ?
L'AP-HP a subi des mesures d'austérité budgétaire afin de réduire le déficit, ce qui s'est traduit par la baisse des effectifs et des prises en charge médicales, et la fermeture de nombreux lits d'hospitalisation en médecine et en chirurgie.
Malgré les alertes – Ebola, grippe A, inscription du risque sanitaire au Livre blanc dès 2008 –, considérez-vous que l'AP-HP était prête à gérer cette crise et que l'austérité budgétaire a eu une incidence sur sa gestion ?
Les établissements de santé ont fait preuve d'une grande réactivité, l'ensemble des personnels médicaux ou paramédicaux ayant été mobilisés. Toutes les spécialités se sont montrées solidaires, en lien avec les malades et les familles. Vous avez su vous organiser, vous mettre en ordre de marche pour faire face à cette épidémie d'une ampleur inédite et pour adapter vos moyens. Je tiens à vous rendre hommage, ainsi qu'à l'ensemble des personnels.
De nombreuses initiatives ont été prises ou suivies par l'AP-HP : Covidom, Covisan, Renforts-Covid, Corimuno-19. Quelles sont celles qui doivent être maintenues et quelles leçons tirez-vous de la crise ?
Les transferts sanitaires ont obéi à une logique d'évaluation médicale et au souci d'apporter aux patients les meilleures conditions de réanimation, ce qui nous a conduits à déployer les capacités de réanimation supplémentaires que nous avons évoquées. Lorsque cela n'a plus été possible, les transferts étaient inévitables. Chaque patient a fait l'objet d'une évaluation très précise afin de déterminer son éligibilité au transfert, lequel est toujours une opération risquée.
Il est évident que la question du stock stratégique de masques peut se poser à nouveau ou, à tout le moins, celle des filières d'approvisionnement. Même si les établissements ne disposent pas d'un stock stratégique physique, il faut que les filières d'approvisionnement soient sécurisées. C'est une des leçons que nous pouvons tirer de cette crise, où nos établissements ont été de ce point de vue fragilisés.
J'insiste : la mobilisation exceptionnelle à laquelle nous avons assisté ne peut pas se reproduire indéfiniment. J'ai dû gérer de très nombreuses situations d'urgence ou de crise et j'ai pu constater que, chaque fois, les hospitaliers étaient au rendez-vous, mais ce ne sera plus possible si l'on n'améliore pas l'attractivité des carrières et si l'on ne s'interroge pas sur un certain nombre de modèles d'organisation et sur les conditions d'allocation de la ressource, autant de points qui sont au cœur du « Ségur de la santé ».
Cette crise a montré combien les personnels soignants et les personnels dits administratifs partagent la même vision. Les débats que nous avons à ce propos me semblent parfois assez éloignés de la réalité que nous vivons, des relations de travail vécues par l'ensemble des équipes hospitalières. Nous sommes hospitaliers avant tout, nous avons le même objectif – la meilleure prise en charge possible des patients, dont nous avons eu un très bel exemple dans le cadre des cellules de crise partagées et copilotées. C'est là encore une leçon de cette crise, mais qui n'a fait que confirmer ce qui existait déjà.
Les relations entre l'ARS et la préfecture ont été évidemment très intenses. Je tiens à souligner l'excellence de nos relations avec la préfecture. Chaque soir, nous étions en cellule de crise avec la préfète de région. Je salue la réactivité et l'efficacité dont ont fait preuve l'ensemble des services publics, sous la coordination de la préfecture de région, qui nous ont permis de surmonter bien des difficultés. Je ne peux que m'en féliciter.
Deux points s'agissant du processus de décision des évacuations sanitaires. En Île-de-France, nous avons obtenu l'accord de l'ARS et du comité CORRUSS du ministère sur le nombre d'évacuations et les régions de destination, en veillant à ce que ces dernières conservent des places pour leurs propres patients et que l'Île-de-France ne soit pas favorisée par rapport à la région Grand Est. Le processus a été relativement rapide à partir d'une analyse fondée sur une seule obsession : ne pas attendre d'être dépassés par le nombre de malades et ne pas attendre le dernier jour, que le dernier malade ait pris le dernier lit disponible, pour nous mobiliser.
Nous avons déclenché les évacuations sanitaires lorsque nous avons constaté que, compte tenu de la cinétique de la maladie, notre visibilité concernant le nombre de lits disponibles se réduisait à quelques jours, à une semaine. Elles ont été réalisées sous l'autorité du professeur Riou, à partir de critères médicaux de gravité : les cas ne devaient pas être trop graves compte tenu des conditions de transport mais l'être suffisamment pour nécessiter la poursuite de la réanimation, tout ceci bien évidemment en accord avec les familles. Nous avons d'emblée instauré un suivi entre nos équipes médicales et les équipes d'accueil, ce qui nous a permis de savoir où étaient nos patients, quel était leur état de santé, à quel moment, éventuellement, ils pouvaient revenir et quelle filière ils pourraient intégrer parmi les trois existantes.
Oui, les difficultés étaient immenses. Je ne sais pas si nous les avons toutes surmontées mais nous nous sommes mobilisés, avec des limites. Si nous avions disposé de stocks de masques plus importants, nous en aurions donné à nos personnels pour qu'ils s'en servent dans les transports en commun. Je regrette de ne pas avoir pu le faire car nous aurions pu ainsi éviter une proportion non négligeable de contaminations. Au début de la crise, nous ignorions l'état des stocks nationaux. Nous l'avons découvert probablement en même temps que vous.
L'hôpital Grand Paris-Nord n'a obéré aucun investissement… parce qu'il n'est pas encore construit ; nous n'avons donc pas encore dépensé d'argent. Le besoin de financer des investissements a-t-il des répercussions sur notre exploitation courante ? La réponse est oui, ce n'est pas un scoop. Ces dernières années, nous avons fait l'effort de ne pas obérer l'avenir en maintenant un taux d'investissement très important : le matériel doit être renouvelé, les équipements doivent être à jour, les normes de sécurité doivent être respectées, d'importants travaux doivent également être réalisés compte tenu du fort taux de vétusté de nos bâtiments, ce qui a des conséquences sur l'exploitation courante. Il importe donc d'être à même de refinancer un certain nombre d'investissements en maintenant une exploitation courante forte.
Je l'ai dit et je l'ai écrit dans un livre paru il y a trois ans : l'hôpital public français court un risque depuis des années compte tenu du faible niveau de salaire des personnels paramédicaux. Je n'ai pas attendu la crise pour entendre leur colère, leurs difficultés de logement, probablement plus aiguës en Île-de-France qu'ailleurs. Dans les autres pays, les rémunérations ne sont pas identiques pour tous les métiers en raison des contraintes différentes selon les régions. Ils tiennent compte du coût de la vie, ce qui est assez logique. Si tel n'est pas le cas, les effets peuvent être délétères.
Vous nous avez demandé si nous étions prêts. Le 1er mars, je vous aurais répondu par la négative, en raison de la fermeture d'un certain nombre de lits de soins critiques faute de personnels – j'ai toujours reconnu que nous n'avions pas abordé la crise dans les meilleures conditions. Il n'en reste pas moins que les remarquables efforts de l'ensemble des équipes administratives, techniques, soignantes, ont permis de contrebalancer en partie cet état de fait, de même que la modification des conditions de travail, notamment l'obtention d'un certain nombre de dérogations et l'appel à des renforts.
Je suis l'un des premiers à avoir demandé publiquement des primes pour les personnels travaillant dans les services covid parce que c'était justice. Comment demander aux gens d'aller travailler dans des conditions aussi difficiles sans leur dire que leurs efforts seront récompensés ? Nous avons fait en sorte de verser la prime rapidement – 90 % l'ont été à la fin du mois de mai – et nous avons ensuite examiné les situations au cas par cas afin de procéder, le cas échéant, à des rattrapages. La prime est également versée aux personnels qui ont été atteints par le covid-19 et qui n'ont pas pu travailler mais elle ne l'est pas à ceux d'entre eux qui étaient en congé maladie pour d'autres motifs, conformément au décret.
Des innovations doivent-elles être maintenues ? Trois fois oui ! Je serai très rapide mais je vous enverrai des documents.
Covidom a permis à la médecine de ville et à la médecine hospitalière de travailler ensemble, de faire de la télésurveillance, de prendre en charge des patients dans de bonnes conditions sans qu'ils aient à se déplacer, autant de dimensions qui seront intégrées au service d'accès aux soins (SAS). Nous travaillons avec les collègues libéraux pour que ces différents modes de fonctionnement se développent. La crise a montré que nous savions travailler en ce sens, ensemble, de manière qualitative et sécurisée.
Le programme Covisan, bien évidemment, n'a pas été interrompu. Il a montré que nous savions former des personnels rapidement, que nous savions faire travailler ensemble personnels, renforts et volontaires, autant de choses que nous n'osions pas faire jusqu'à présent.
L'AP-HP a créé le fonds APRES (Appui aux Projets pour le REnforcement du Sens) afin que des initiatives soient déclarées, financées, qu'elles soient prolongées et qu'elles puissent, le cas échéant, faire école ailleurs.
Sur la dimension européenne, il y aurait beaucoup à dire. J'évoquerai simplement deux points. Premièrement, des experts auraient pu, dans le cadre d'une mission européenne, être dépêchés en Italie, où la crise a commencé, et partager ensuite utilement leur expérience avec les différents acteurs. Deuxièmement, l'Europe est dépendante de deux autres continents en matière d'approvisionnement, notamment en médicaments et en équipements. Elle doit donc pouvoir s'organiser – ce n'est pas du protectionnisme – de manière à être, en période normale et a fortiori en période de crise, autosuffisante dans ces domaines. Je dirai même qu'elle doit l'être également au plan de la gestion de ses données. De fait, cette crise sanitaire est probablement la première durant laquelle les big data ont été utiles dans les prises de décision quotidiennes ; c'est historique. L'Europe a donc intérêt à être maîtresse de ses données, qu'elle doit éviter de stocker sur d'autres continents. Cette période a montré en quoi la notion de souveraineté européenne pouvait être utile en matière sanitaire.
Je regrette que les présidents des commissions médicales d'établissement ou les coordonnateurs de l'AP-HP n'aient pas pris la parole pour répondre à nos questions ; peut-être est-ce, du reste, l'un des problèmes de la gouvernance des hôpitaux.
Lorsque nous leur avons posé la question, vos collaborateurs nous ont indiqué qu'ils n'avaient pas le droit de s'exprimer.
J'ai annoncé dès le début de cette audition que, si le nombre des interventions liminaires était limité, vous étiez libres de vous organiser comme vous l'entendiez pour répondre aux différentes questions. Tout le monde peut s'exprimer.
Monsieur le directeur de l'AP-HP, vous avez évoqué, tout à l'heure, à propos des enjeux et des difficultés, la question des personnels. Outre la constitution d'une réserve plus élaborée, vous avez mentionné la nécessité d'une plus grande souplesse. Celle-ci concerne-t-elle le statut de ces personnels ? Souhaitez-vous qu'ils puissent être recrutés et rémunérés plus facilement ? Il s'agit d'une piste importante, dans la perspective des propositions que nous serons amenés à formuler.
Je vous propose de laisser les médecins répondre à cette question !
La souplesse du recrutement est une chose. S'agissant du personnel de réanimation, par exemple, notamment des infirmières et des infirmiers, on a reconnu, au cours de la crise, combien leurs compétences étaient spécifiques. Une démarche, soutenue par les sociétés savantes, est d'ailleurs en cours pour faire reconnaître ces compétences. Mais une telle reconnaissance doit probablement être aussi d'ordre financier – je pense à la nouvelle bonification indiciaire ou aux primes. Or, actuellement, ce n'est pas possible.
Au plan du recrutement, il me paraît important de pouvoir envoyer des signaux aux plus jeunes, ne serait-ce que pour leur indiquer à quel moment ils pourront être recrutés sur tel ou tel poste. Actuellement, la phase de recrutement est si complexe que la visibilité est souvent faible et qu'il nous est difficile de dire à un jeune que nous voulons recruter quand il pourra l'être et selon quel échelonnement.
Nous rencontrons également – je parle ici en tant que doyen – des difficultés en matière de formation des personnels. En effet, nous ne disposons pas d'une évaluation de la démographie médicale ou paramédicale, spécialité par spécialité, à cinq ou dix ans. Ainsi, personne ne se penche sur la question du nombre actuel des urgentistes, de leur âge, de la date à laquelle ils partiront à la retraite et des besoins qui existent dans ce domaine. Je cite l'exemple des urgentistes, mais le problème s'est posé, il y a plus de vingt ans, à propos des anesthésistes-réanimateurs. Nous ne disposons pas d'une prospective qui nous permette de procéder à des ajustements en matière de formation.
De combien de manipulateurs radio ou de gériatres avons-nous besoin, compte tenu de l'évolution prévisible de la médecine dans les prochaines années ? Cette information n'est pas disponible, et elle n'est même pas recherchée. Le nombre d'internes à former chaque année est géré sans véritable ajustement ni stratégie. Ainsi, nous avons probablement été insuffisamment véloces ou agiles pour créer, par exemple, les nouveaux métiers intermédiaires entre médecins et infirmiers, qu'on appelle aujourd'hui « infirmiers de pratique avancée ». Nous n'avons pas consenti les efforts nécessaires pour adapter la démographie médicale et paramédicale à la complexité de la médecine actuelle et à celle de demain. Voilà quelques pistes de réflexion.
Je partage les propos de mes collègues. La notion de prospective est essentielle et elle doit se décliner dans la construction de parcours construits à façon pour les jeunes médecins, notamment pour pouvoir irriguer l'ensemble des hôpitaux d'un même territoire.
Par ailleurs, à notre triple mission de médecins universitaires – soin, enseignement et recherche – s'ajoutent des missions de gouvernance ou des tâches administratives. Celles-ci doivent être reconnues en tant que telles, et il doit pouvoir y avoir des dominantes pour certains médecins, en fonction de leur avancement dans la carrière. Ainsi, l'ensemble de ces missions incomberaient à l'équipe médicale, plutôt qu'à des individus. Cela permettrait davantage de souplesse dans la construction des équipes. Enfin, il devrait être plus facile pour les médecins d'articuler public et privé à différents moments de leur carrière.
Le Dr Lila Bouadma, membre du Conseil scientifique, a critiqué les respirateurs commandés en urgence, qu'elle juge totalement inadaptés. Par ailleurs, dans son rapport, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France a indiqué que le délai de réponse, de 45 minutes au SAMU de Paris et de 37 minutes au SAMU 95, avait entraîné une perte de chance pour les malades qui n'étaient pas atteints du covid-19. Je sais que des réponses officielles ont été apportées, mais peut-être pourriez-vous nous livrer brièvement votre appréciation sur ces deux points d'ordre médical.
Il existe quatre types de respirateurs, plus ou moins performants. Les services de réanimation sont majoritairement équipés d'appareils extrêmement performants. Parmi ceux qui ont été commandés, un certain nombre provenait d'une réserve ancienne de l'EPRUS, constituée à un moment où l'on craignait de devoir faire face à des attaques toxiques. Il s'agit de respirateurs assez simples qui, en effet, auraient été insuffisants pour les patients atteints du covid-19. Mais nous n'avons pas eu à les utiliser. Nous avons eu recours à des respirateurs intermédiaires tels que ceux qui équipent, par exemple, l'ensemble des lits du nouveau bâtiment de l'hôpital Henri-Mondor.
Le rapport de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, dont j'ai pris connaissance ce week-end, m'a un peu consterné. Mais je crois que vous devez auditionner le président de SAMU-Urgences de France ; je m'en tiendrai donc à deux points. Tout d'abord, nous avons été confrontés à une crise sanitaire sans précédent. À ma connaissance, les pompiers ne sont pas chargés de gérer ce type de crise, ni le problème crucial des lits de réanimation, pour la partie hospitalière, ou la prise en charge des patients en médecine de ville.
Ensuite, les SAMU, comme l'hôpital, ont été confrontés, que ce soit dans l'est de la France ou en Île-de-France, à une augmentation considérable du nombre des appels, qui a parfois quadruplé. Dans les SAMU, la mobilisation, non seulement des soignants, mais aussi des assistants de régulation médicale, de l'administration – qui a mis à disposition des lignes téléphoniques et du matériel supplémentaires – et des étudiants en médecine, qui ont été les premiers renforts, a été extraordinaire. Je citerai un simple chiffre. Alors que le nombre des appels a été multiplié par quatre dans certains SAMU, celui des appels vers le 18 a été multiplié au maximum, à ma connaissance, au niveau national, par 1,2. Si les SAMU avaient été réellement débordés et injoignables, les patients auraient immédiatement composé d'autres numéros d'urgence, et cela se serait vu... J'ajoute que les SAMU ont innové, en pratiquant ce qu'on appelle le « décrocher-raccrocher » : si l'appel n'avait pas un caractère d'urgence, ils raccrochaient et rappelaient le patient ultérieurement. Ce type de pratiques a contribué à une gestion correcte de la crise.
Enfin, la gestion des appels a permis d'éviter les files d'attente que l'on a pu constater dans les services d'urgence d'autres pays. Or, composées de patients potentiellement contaminants, ces files d'attente provoquent un accroissement du nombre de patients contaminés, donc une augmentation du nombre des patients en réanimation et, en définitive, même si la mortalité de cette maladie est faible, du nombre des décès.
Je vous remercie infiniment. Je suis désolée que cette audition ait été un peu troublée, mais je viens d'apprendre que je suis nommée au Gouvernement. (Applaudissements.) Je ne pourrai donc plus présider cette mission d'information ni la commission des affaires sociales. Je souhaite à mes collègues, notamment à notre méticuleux rapporteur, de poursuivre ces travaux dans le même esprit que celui qui a prévalu jusqu'à présent, pour que nous sachions exactement où nous en sommes.
Mes chers collègues, je suis heureux de féliciter, en votre nom à tous, notre présidente pour sa nomination au Gouvernement. Je regrette qu'elle quitte la présidence de cette mission et je lui souhaite beaucoup de réussite dans la mission ô combien importante qu'elle aura à accomplir.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du lundi 6 juillet 2020 à 17 heures
Présents. - Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Éric Ciotti, Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Anne Genetet, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. David Habib, M. Roland Lescure, Mme Sereine Mauborgne, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, M. Joachim Son-Forget, M. Jean Terlier, M. Boris Vallaud, Mme Martine Wonner