Suis-je en colère ? Il me semble que le rôle du directeur d'un grand établissement de santé n'est pas, en cas de crise, de s'abandonner à la colère mais plutôt d'être à l'écoute de son personnel et de prendre les mesures adéquates pour le protéger : c'est la raison pour laquelle il m'est parfois arrivé d'indiquer qu'à défaut de tel ou tel élément, la situation sanitaire pouvait présenter un risque.
J'ai d'ailleurs participé ce matin au comité technique d'établissement : les représentants des personnels y ont rendu hommage à la direction pour la transparence, l'écoute et la prise en considération de leurs préoccupations dont elle a fait preuve. Nous avons été meilleurs sur certains points que sur d'autres, mais nous avons cherché en permanence à partager les informations disponibles, notamment avec les représentants élus des personnels que nous avons réunis en conférence téléphonique plusieurs fois par semaine. Ils étaient ainsi informés des questions relatives aux stocks et aux méthodes de travail employées avec les uns et les autres, sans occulter les difficultés rencontrées.
Je rends d'ailleurs hommage à ces représentants du personnel : les permanents à plein temps de l'AP-HP ont en effet remis la blouse pour aller travailler, tout en participant, avec leur première casquette, à ces réunions en faisant preuve d'un sens des responsabilités qui donne encore plus envie qu'avant de doter l'hôpital d'espaces de dialogue social. Avec un plus de souplesse, il y aura plus de choses à négocier dans le cadre de ce dialogue social.
Les personnels ont-ils pu bénéficier de tests dits polymerase chain reaction (PCR) ? Oui, c'est ce qui nous a poussés à ouvrir d'autres espaces de test, notamment à l'Hôtel-Dieu, de façon à ce que ceux qui étaient installés dans les hôpitaux se concentrent sur les patients hospitalisés et qu'il n'y ait pas de concurrence entre les deux populations à tester.
Nous avons ensuite commandé des tests sérologiques ; à l'heure actuelle, 50 000 de ces tests ont été pratiqués sur les personnels.
Concernant l'adaptation du système, je précise tout d'abord que le retour d'expérience n'est pas terminé. Dans un premier temps, nous nous concentrons sur les prévisions dans la perspective d'une éventuelle deuxième vague – quel niveau de reconstitution des stocks de masques et de médicaments, quels enseignements tirer des tensions sur l'utilisation de ces derniers ? Dans un second temps, probablement en septembre ou en octobre, nous vous ferons part de nos réflexions plus générales.
Aujourd'hui, je ne suis pas en mesure de vous répondre s'agissant des capacités d'accueil. Nous révisons l'ensemble de nos projets, dont celui de l'hôpital Grand Paris-Nord, pour savoir s'il importe de disposer d'un plus grand nombre de lits, de lits de soins critiques, etc. Je peux toutefois vous dire d'ores et déjà qu'avant les conditions matérielles ou spatiales, c'est le nombre de personnels qui est problématique. Nous devons immédiatement travailler à la question de la réserve, à sa constitution, à ses modalités d'intervention et à la formation des volontaires.
Pour éviter les difficultés lorsqu'il faut augmenter le nombre de lits de réanimation, nous devons pouvoir disposer de personnels qui travaillent en dehors des unités de réanimation mais qui sont formés à cette spécialité, qui ont passé quelques semestres ou quelques années dans ces services, dont les compétences sont entretenues et reconnues, et qui peuvent être réquisitionnés. C'est essentiel, faisable, et cela ne nécessite pas des investissements importants. C'est ainsi que nous serons moins dépendants des tensions pesant sur les personnels.
Ai-je donné des consignes pour ne pas prescrire d'hydroxychloroquine ? Non. Outre que nous n'avons pas besoin de donner des consignes de prescription aux médecins, les seules qui aient été données pendant la crise l'ont été conjointement par les représentants médicaux. Je note d'ailleurs que la consommation de Plaquenil a augmenté dans les hôpitaux d'Île-de-France.
Nous avons rédigé – et nous avons bien fait – un texte commun avec les représentants des chercheurs, des cliniciens et le directeur médical de crise, pour rappeler que l'utilisation d'un médicament en dehors des règles prévues suppose de le faire dans un cadre collégial. Il ne s'agit pas d'interdire ou de promouvoir un médicament mais de prendre en compte l'ensemble des données, dont le bénéfice-risque, et d'insister sur la nécessité de privilégier les tests plutôt que de ne toujours pas savoir, trois mois après, si le médicament est ou non efficace.
Le programme Corimuno-19 comprend un essai thérapeutique sur le tocilizumab. Le 27 avril, nous avons choisi de communiquer, avec prudence, un certain nombre de données faisant état de résultats prometteurs. Une polémique s'en est suivie, puis la démission du comité de surveillance et la nomination d'un nouveau comité. L'essai a été prolongé, monitoré ; il fera l'objet d'une publication mais nous nous sommes engagés, d'ici là, à ne pas communiquer à nouveau pour éviter de nouvelles polémiques. J'espère que cette étude sera publiée bientôt et qu'elle permettra de répondre à vos inquiétudes.
Suis-je trop prompt à répondre ? Soyons précis. Mon rôle n'est pas de faire la police des pourcentages ou des statistiques. Si un expert que vous avez auditionné avait déclaré, sans vouloir prendre parti, attaquer ou défendre une thèse, que le taux de mortalité se situait à un moment donné entre 40 % ou 45 %, je n'aurais pas écrit ce courrier. En l'occurrence, nous sommes dans une situation différente : fin juin, on prétend que les malades ont été mal traités à partir d'un état des lieux du 14 avril ! Les Américains, à un moment donné, ont aussi fait état d'un taux de mortalité de 80 % des malades en réanimation, puis ils ont reconnu que ce n'était pas exact ! Nous avons quant à nous choisi de suivre jour après jour l'évolution de la situation sur des tableaux de bord, que je peux vous donner, pour les quatre-vingt-dix jours de crise : toutes les données y figurent, de même que nos interprétations.
S'il s'agit de laisser penser à la commission d'enquête, à partir d'une donnée tronquée, comparée à une autre – dont je ne connais pas la source –, que les 100 000 personnels des hôpitaux parisiens ont mal traité les patients, ne les ont pas bien pris en charge, que leurs pratiques thérapeutiques ont entraîné une mortalité plus élevée que dans d'autres régions, alors oui, c'est mon rôle de réagir promptement en vous communiquant toutes les données dont je dispose, avec leurs limites, et les éléments qui expliquent leurs variations. Elles ne correspondent pas à ce que j'ai lu et entendu lors de la mise en cause de l'Assistance publique et de ses trente-neuf hôpitaux.