Intervention de Martin Hirsch

Réunion du lundi 6 juillet 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris :

Deux points s'agissant du processus de décision des évacuations sanitaires. En Île-de-France, nous avons obtenu l'accord de l'ARS et du comité CORRUSS du ministère sur le nombre d'évacuations et les régions de destination, en veillant à ce que ces dernières conservent des places pour leurs propres patients et que l'Île-de-France ne soit pas favorisée par rapport à la région Grand Est. Le processus a été relativement rapide à partir d'une analyse fondée sur une seule obsession : ne pas attendre d'être dépassés par le nombre de malades et ne pas attendre le dernier jour, que le dernier malade ait pris le dernier lit disponible, pour nous mobiliser.

Nous avons déclenché les évacuations sanitaires lorsque nous avons constaté que, compte tenu de la cinétique de la maladie, notre visibilité concernant le nombre de lits disponibles se réduisait à quelques jours, à une semaine. Elles ont été réalisées sous l'autorité du professeur Riou, à partir de critères médicaux de gravité : les cas ne devaient pas être trop graves compte tenu des conditions de transport mais l'être suffisamment pour nécessiter la poursuite de la réanimation, tout ceci bien évidemment en accord avec les familles. Nous avons d'emblée instauré un suivi entre nos équipes médicales et les équipes d'accueil, ce qui nous a permis de savoir où étaient nos patients, quel était leur état de santé, à quel moment, éventuellement, ils pouvaient revenir et quelle filière ils pourraient intégrer parmi les trois existantes.

Oui, les difficultés étaient immenses. Je ne sais pas si nous les avons toutes surmontées mais nous nous sommes mobilisés, avec des limites. Si nous avions disposé de stocks de masques plus importants, nous en aurions donné à nos personnels pour qu'ils s'en servent dans les transports en commun. Je regrette de ne pas avoir pu le faire car nous aurions pu ainsi éviter une proportion non négligeable de contaminations. Au début de la crise, nous ignorions l'état des stocks nationaux. Nous l'avons découvert probablement en même temps que vous.

L'hôpital Grand Paris-Nord n'a obéré aucun investissement… parce qu'il n'est pas encore construit ; nous n'avons donc pas encore dépensé d'argent. Le besoin de financer des investissements a-t-il des répercussions sur notre exploitation courante ? La réponse est oui, ce n'est pas un scoop. Ces dernières années, nous avons fait l'effort de ne pas obérer l'avenir en maintenant un taux d'investissement très important : le matériel doit être renouvelé, les équipements doivent être à jour, les normes de sécurité doivent être respectées, d'importants travaux doivent également être réalisés compte tenu du fort taux de vétusté de nos bâtiments, ce qui a des conséquences sur l'exploitation courante. Il importe donc d'être à même de refinancer un certain nombre d'investissements en maintenant une exploitation courante forte.

Je l'ai dit et je l'ai écrit dans un livre paru il y a trois ans : l'hôpital public français court un risque depuis des années compte tenu du faible niveau de salaire des personnels paramédicaux. Je n'ai pas attendu la crise pour entendre leur colère, leurs difficultés de logement, probablement plus aiguës en Île-de-France qu'ailleurs. Dans les autres pays, les rémunérations ne sont pas identiques pour tous les métiers en raison des contraintes différentes selon les régions. Ils tiennent compte du coût de la vie, ce qui est assez logique. Si tel n'est pas le cas, les effets peuvent être délétères.

Vous nous avez demandé si nous étions prêts. Le 1er mars, je vous aurais répondu par la négative, en raison de la fermeture d'un certain nombre de lits de soins critiques faute de personnels – j'ai toujours reconnu que nous n'avions pas abordé la crise dans les meilleures conditions. Il n'en reste pas moins que les remarquables efforts de l'ensemble des équipes administratives, techniques, soignantes, ont permis de contrebalancer en partie cet état de fait, de même que la modification des conditions de travail, notamment l'obtention d'un certain nombre de dérogations et l'appel à des renforts.

Je suis l'un des premiers à avoir demandé publiquement des primes pour les personnels travaillant dans les services covid parce que c'était justice. Comment demander aux gens d'aller travailler dans des conditions aussi difficiles sans leur dire que leurs efforts seront récompensés ? Nous avons fait en sorte de verser la prime rapidement – 90 % l'ont été à la fin du mois de mai – et nous avons ensuite examiné les situations au cas par cas afin de procéder, le cas échéant, à des rattrapages. La prime est également versée aux personnels qui ont été atteints par le covid-19 et qui n'ont pas pu travailler mais elle ne l'est pas à ceux d'entre eux qui étaient en congé maladie pour d'autres motifs, conformément au décret.

Des innovations doivent-elles être maintenues ? Trois fois oui ! Je serai très rapide mais je vous enverrai des documents.

Covidom a permis à la médecine de ville et à la médecine hospitalière de travailler ensemble, de faire de la télésurveillance, de prendre en charge des patients dans de bonnes conditions sans qu'ils aient à se déplacer, autant de dimensions qui seront intégrées au service d'accès aux soins (SAS). Nous travaillons avec les collègues libéraux pour que ces différents modes de fonctionnement se développent. La crise a montré que nous savions travailler en ce sens, ensemble, de manière qualitative et sécurisée.

Le programme Covisan, bien évidemment, n'a pas été interrompu. Il a montré que nous savions former des personnels rapidement, que nous savions faire travailler ensemble personnels, renforts et volontaires, autant de choses que nous n'osions pas faire jusqu'à présent.

L'AP-HP a créé le fonds APRES (Appui aux Projets pour le REnforcement du Sens) afin que des initiatives soient déclarées, financées, qu'elles soient prolongées et qu'elles puissent, le cas échéant, faire école ailleurs.

Sur la dimension européenne, il y aurait beaucoup à dire. J'évoquerai simplement deux points. Premièrement, des experts auraient pu, dans le cadre d'une mission européenne, être dépêchés en Italie, où la crise a commencé, et partager ensuite utilement leur expérience avec les différents acteurs. Deuxièmement, l'Europe est dépendante de deux autres continents en matière d'approvisionnement, notamment en médicaments et en équipements. Elle doit donc pouvoir s'organiser – ce n'est pas du protectionnisme – de manière à être, en période normale et a fortiori en période de crise, autosuffisante dans ces domaines. Je dirai même qu'elle doit l'être également au plan de la gestion de ses données. De fait, cette crise sanitaire est probablement la première durant laquelle les big data ont été utiles dans les prises de décision quotidiennes ; c'est historique. L'Europe a donc intérêt à être maîtresse de ses données, qu'elle doit éviter de stocker sur d'autres continents. Cette période a montré en quoi la notion de souveraineté européenne pouvait être utile en matière sanitaire.

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