Les masques constituent un sujet de préoccupation majeur. L'instruction du 16 mai 2013 a confié à l'employeur la responsabilité de son stock ; elle a été complétée par celle du 15 mai 2014 sur la gestion du stock tactique, qui a fait l'objet d'une description et d'un financement par une mission d'intérêt général, et dont l'objectif est précisément défini par les circulaires.
Nous avons fait face à cette obligation par la passation d'un marché ouvert, auquel émargent à peu près tous les CHU, par l'intermédiaire d'une centrale d'achat ; cela ouvre une possibilité de commande non fermée, adaptée aux besoins. Au CHU de Strasbourg, nous consommons en moyenne 114 000 masques chirurgicaux par mois, et notre stock maximum s'élève à 125 000 masques, soit un stock de trente jours ; une procédure de déclenchement de nouvelle commande est lancée dès que le stock descend à un certain niveau, en l'occurrence vingt jours de stock. Avec un délai de réapprovisionnement de cinq jours en moyenne, nous avons toujours été en capacité théorique de nous approvisionner. La seule chose qui n'était pas prévisible, c'est la rupture de la filière d'approvisionnement : nos fournisseurs se sont trouvés dans l'incapacité de répondre à nos commandes. Si la filière avait continué à fonctionner, le système en lui-même n'aurait pas posé de difficultés, car le seuil de déclenchement de la commande nous a toujours permis de faire face à nos besoins.
Des tensions sont apparues au milieu du mois de février, et nous avons commencé à être livrés sur le stock national à partir du 6 mars. Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ont bénéficié de huit livraisons jusqu'au 11 mai, pour un total de 2 millions de masques chirurgicaux. À aucun moment nous n'avons été confrontés à une pénurie nette : grâce à cet approvisionnement sur le stock national, l'ensemble des masques nécessaires ont toujours été disponibles, en conformité avec les doctrines d'utilisation. Nous avons connu des phases de tension, notamment du 4 au 23 mars, surtout s'agissant des masques FFP2 pour lesquels la doctrine à appliquer était plus restrictive – ils sont réservés aux gestes invasifs –, mais nous n'avons heureusement pas connu de rupture dans l'approvisionnement de masques.
La coopération entre établissements publics et privés a été assez remarquable dans notre secteur. Nous avons très vite installé une cellule de coordination à l'échelle du territoire, qui a permis une participation active des établissements privés ; ayant d'ailleurs rapidement obtenu des autorisations dérogatoires pour effectuer des réanimations, ils ont pleinement joué leur rôle dans l'accueil des patients. Cela n'a pas été pour nous un sujet de difficulté, et la coordination territoriale a bien fonctionné.
Les retards de soins sont un autre sujet de préoccupation ; c'est peut-être pour nous le plus important. L'arrêt de l'activité chirurgicale a été massif, et sa reprise pleine et entière est difficile, car elle est limitée par un certain nombre de règles – l'utilisation des chambres à deux lits est rendue plus difficile, et les protocoles sanitaires très stricts ralentissent l'activité opératoire. Nous déployons tous nos efforts pour que l'activité redémarre le plus normalement possible, et la gestion des files actives de patients est réalisée au plus près par les équipes médicales, qui s'efforcent de prioriser les interventions. Les gestes semi-urgents, qui ont été décalés, deviennent urgents maintenant, et chaque équipe médicale effectue un suivi très attentif des situations individuelles de façon à déterminer les critères d'éligibilité, et à ne pas causer de dommages aux patients.
Les fins de vie, qui se sont déroulées dans des conditions de strict respect des protocoles sanitaires, ont été douloureuses pour les familles. Nous avons cherché autant que possible à humaniser ces moments inéluctables, même si cela devait parfois légèrement déroger au contrôle strict de présence dans les services de réanimation. Nous nous sommes attachés à concilier l'exigence très stricte de l'observation des règles et la plus grande humanité.
Il n'y a pas eu de tri des patients. Les critères d'admission en réanimation que j'ai exposés précédemment ont été scrupuleusement observés, et appliqués à un très grand nombre de patients ; ils ont été exactement les mêmes qu'avant le déclenchement de la crise, à savoir des critères médicaux permettant de déterminer l'éligibilité en réanimation en tenant compte de la balance bénéfice-risque. Le critère de disponibilité n'a jamais induit une notion de tri.
Au CHU de Strasbourg, sur 12 500 salariés, près de 600 de nos collègues ont été atteints par le covid-19 ; un seul est décédé, un médecin vacataire et collaborateur occasionnel. La médecine du travail a mis en œuvre un suivi très attentif, avec des dépistages systématiques et des mesures de précaution pour les cas contacts, pour qui le port du masque était obligatoire. Le 23 mars, compte tenu de la dissémination des cas et de la nécessité de protéger les personnels, nous avons préconisé le port du masque généralisé pour l'ensemble des acteurs à l'intérieur des hôpitaux. C'est toujours un sujet majeur de préoccupation ; il fait l'objet d'une cellule psychologique, COVIPSY, qui suit nos équipes de manière tout à fait attentive.