Depuis le début de la crise, nous utilisons chaque jour 166 000 masques chirurgicaux et 43 000 masques FFP2, contre respectivement 37 000 et 3 500 l'année dernière. Début mars, nous avions en stock 1,2 million de masques chirurgicaux, plus 1,8 million qui avaient déjà été commandés et sont arrivés quelque temps après, ce qui fait un total de 3 millions ; nous disposions aussi d'1 million de masques FFP2. S'y ajoutaient 3,1 millions de masques issus des crises précédentes, dont la date de péremption était dépassée mais qui ont pu être conservés et utilisés pour éviter une pénurie. Il y a eu des périodes difficiles, au cours desquelles nous ne savions pas combien de temps nous pourrions tenir.
Nous avons en revanche connu une pénurie de surblouses. Est arrivé un moment où nous avons cessé d'en recevoir ; pendant quelques jours, nous avons appelé la terre entière pour en obtenir. Nous faisons partie de ceux qui ont commandé des sacs plastiques pour les découper et les utiliser en guise de surblouses ; nous en avons commandé 1,2 million. Nous avons aussi testé la possibilité de laver des blouses à usage unique pour pouvoir les réutiliser, et nous avons utilisé des blouses non jetables. Cette période a été particulièrement inconfortable.
Au sein de notre personnel, nous avons identifié environ 4 800 personnes ayant été atteintes par le covid-19, et cinq décès. Ce chiffre sous-estime sans doute la réalité : la moitié des personnels de l'AP-HP ont déjà effectué des tests sérologiques, et ceux-ci indiquent plutôt que 11 à 13 % d'entre eux ont été touchés, même si ces résultats ne sont pas définitifs. Parmi les personnes testées positives en sérologie, une sur deux ne savait pas qu'elle avait été atteinte.
La montée des contaminations s'est faite pendant la deuxième quinzaine de mars, et le nombre de personnels contaminés chaque semaine amorce déjà sa décrue en avril, au moment où le nombre de patients pris en charge est le plus élevé. Il faudra que nous travaillions pour savoir dans quelles conditions la contamination s'est faite, et ce qui a permis de mettre en œuvre une protection efficace.
C'est le 1er mars que le port du masque est devenu systématique dans les services d'urgence, dans les services d'accueil en général, et pour les patients symptomatiques. La généralisation à l'ensemble des personnels – administratifs inclus – a été décidée le 19 mars.
En ce qui concerne le renoncement aux soins, pendant toute cette période, des transplantations ont été effectuées, les grandes gardes ont fonctionné, et l'hôpital n'a pas esquivé ses missions, même s'il y a en effet eu un fort taux de déprogrammation. Certains patients ont spontanément renoncé aux soins, y compris au mois de mai, parce qu'ils avaient peur d'aller à l'hôpital, mais nous avons organisé des circuits distincts pour la prise en charge hors covid-19. Il ne faut pas hésiter à se rendre à l'hôpital quand c'est nécessaire, et il vaut mieux venir quand on est appelé pour une visite de contrôle, une coloscopie ou autre, plutôt que de s'abstenir.
S'agissant des questions relatives aux consignes de fin de vie, un groupe de travail réunissant notamment des éthiciens, des gériatres et des réanimateurs a assez tôt émis des consignes établies de manière collégiale que nous avons immédiatement publiées sur notre site.
J'en viens aux pesanteurs qui font de notre système le plus normé au monde : si un contingent de quinze heures supplémentaires par mois et par personne peut être mobilisé, aller au-delà pour que les agents dont on a besoin soient à leur poste de travail nécessite de ma part un courrier motivé, courrier que j'envoie donc systématiquement avant la grippe, avant la bronchiolite et avant la canicule. Il n'existe pas à mon sens d'autre pays où une telle demande doive se faire en écrivant au ministre de la santé ou peut-être, demain, au directeur général de l'ARS.
Je rappelle, s'agissant du ratio de personnel administratif par rapport au personnel soignant, que nous devons employer 1 500 agents administratifs à la vérification des droits de mutuelle des patients auprès de plus d'une centaine de payeurs différents. Le directoire de l'AP-HP a donc proposé deux solutions afin que cette tâche ne soit plus assurée par l'hôpital, dont le travail est plutôt de soigner les gens : soit l'assurance-maladie prend en charge l'ensemble des soins hospitaliers, soit elle paye l'hôpital et se fait ensuite rembourser. Je préférerais évidemment faire de ces agents, au travers d'un plan de formation efficace, des aides-soignants ou des infirmiers.
Il en va de même des agents qui doivent aller vérifier que les patients règlent le supplément chambre individuelle : cette procédure, qui me semblait inappropriée avant la crise, me semble désormais tout à fait inappropriée, dans la mesure où l'objectif pendant la crise était qu'ils en bénéficient tous.
Autre exemple de pesanteur concernant les lits fermés en soins critiques : lorsque des infirmiers et des infirmières éprouvent des difficultés à aller travailler en réanimation où ils vont être soumis à des contraintes et à des prises de risques particulières, nous n'avons pas le droit de les rémunérer différemment des autres, car cela nécessiterait une modification du décret sur la nouvelle bonification indiciaire (NBI),
Il serait par conséquent préférable d'adapter ce dispositif afin de pouvoir ouvrir des lits en hiver, lors des épisodes de bronchiolite, et des lits de réanimation toute l'année : les établissements hospitaliers pourraient ainsi mieux faire leur travail au service des patients.