En fait, l'hôpital a réussi à gérer cette crise parce que tout s'est arrêté dans l'hôpital et en dehors. Nous devons nous interroger sur ce que nous ferons à l'automne lorsque tout ne s'arrêtera plus et que les personnels d'anesthésie, les IADE, tous les personnels auxquels nous avons pu recourir ne seront plus aussi disponibles qu'ils l'ont été. La grande interrogation est là.
Vous n'avez pas tort s'agissant de l'hospitalisation des résidents en EHPAD : cette question s'est probablement posée dans certains territoires. Un médecin traitant appelant une régulation s'est peut-être entendu dire : « Ton patient a tel âge, telle ou telle comorbidité, il n'a aucune chance de survivre en réanimation donc prends-le en charge dans ton EHPAD ». Cela nous a très vite posé beaucoup de questions et beaucoup d'établissements ont envoyé des équipes mobiles de gériatrie au plus près des EHPAD, publics ou privés. Nous avons par exemple ouvert pour l'équipe de soins mobiles un numéro d'accès 24 heures/24, dédié aux soins palliatifs, pour aider les médecins traitants à prendre en charge les fins de vie des patients en EHPAD.
Cela doit nous conduire à une réflexion plus large : comment médicaliser nos EHPAD ? Quel doit être le rôle du médecin référent, du médecin coordonnateur d'un EHPAD ? Quelle doit être la paramédicalisation des EHPAD ? Comment organiser la permanence paramédicale de nuit ? Nous devons nous poser toutes ces questions, bien sûr pour répondre à cette crise, mais plus fondamentalement, pour réellement prendre en charge nos aînés.
Nous avons bien sûr manqué de respirateurs, et nous avons lancé un cri d'alarme extrêmement tôt par tous les canaux possibles. Très clairement, il n'y avait plus de respirateurs disponibles sur le marché international : les Italiens, les Américains et les Allemands avaient phagocyté les stocks. Ces derniers figurant parmi les principaux producteurs de machines de réanimation lourdes, il n'y avait plus grand-chose.
Le temps d'absorber les premiers malades, nous avons trouvé des solutions en rapatriant des respirateurs lourds, par exemple d'Épinal et de Charleville-Mézières, que nous avons ensuite retournés dans ces établissements. Mais évidemment, cela nous a posé de grandes difficultés. Comme les réanimateurs sont inventifs, après la première période en réanimation lourde, ils sont passés sur des réanimateurs plus légers, mais très clairement, la production de 8 500 respirateurs légers n'est pas la réponse. Ce sont des respirateurs de transport, qui peuvent aider à une partie de la prise en charge. Par exemple, nous avons très tôt trachéotomisé nos patients à Colmar, parce que cela facilitait la prise en charge, et nous permettait de les sortir plus tôt de la réanimation lourde pour les ventiler avec des machines moins lourdes. C'est une partie de la réponse, mais elle ne sera pas univoque et permanente si, à côté, on n'a pas les équipements.
Si un établissement achète dix respirateurs, c'est un investissement de 500 000 euros. Compte tenu des restrictions des dix-quinze dernières constituer des réserves de respirateurs lourds n'était pas la préoccupation de nos directeurs. Le problème est donc encore devant nous.
Il semblerait que les trois ou quatre gros fabricants mondiaux ont fabriqué un certain nombre de respirateurs lourds. Cela reste à vérifier, et il faudra surtout aider les établissements à investir suffisamment. Vous savez que les sociétés savantes parlent de réanimation éphémère, pour avoir une sorte de volant de manœuvre qui permette d'équiper des unités de soins continus rapidement en réanimation lourde.
Le problème des personnels est bien évidemment plein et entier. Nous n'avons pas formé ces quinze dernières années suffisamment de réanimateurs, qu'ils soient chirurgicaux ou médicaux, et nous avons donc un problème de compétence et d'accès à la compétence. On devra rapidement s'interroger sur le partage et l'acculturation des anesthésistes avec les réanimateurs, d'autant que, dans le nouveau cursus, les parcours de formation sont extrêmement distincts et vont avoir tendance à se séparer franchement.
C'est pareil pour les IADE et les infirmières de réanimation qui ne sont pas tout à fait les mêmes. On a aussi un vrai problème de formation d'infirmières de réanimation. On pourrait le traiter par des stages, effectués dans les semaines ou les mois qui viennent, pour acculturer un certain nombre d'infirmières à ces techniques de réanimation lourde. Cela permettrait de combler les manques sur des équipements supplémentaires qui seraient nécessaires à l'automne.
En matière d'équipement de protection individuelle, du point de vue d'un médecin de base, cela été– pardonnez-moi l'expression – « un foutoir sans nom ». Entre les différentes chaînes logistiques de l'État, l'ARS, Santé publique France, les départements, les régions, les municipalités, nous ne savions jamais quand, combien, réceptionner et à qui donner ces masques.
Au-delà des masques, la fourniture des autres équipements de protection, en particulier des sur-blouses, a été très rapidement totalement défaillante. Elle le reste d'ailleurs, puisqu'il y a toujours une pénurie majeure de sur-blouses au niveau mondial. Nous nous sommes donc « arrangés » en lavant des sur-blouses à usage unique, trois fois, cinq fois, six fois, tant qu'elles tenaient. On a même fabriqué des sur-blouses en tissu. Cela reste un problème crucial pour cet automne, si nous en avons à nouveau besoin. Il faut vraiment clarifier le rôle de chaque acteur : qui stocke ? Qui fournit ? Et à qui ? Comment on distribue ? Pour l'heure, ce n'est pas clair du tout.