Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, vice-président de la mission d'information
La mission d'information procède à l'audition de MM. Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) ; Jean-Marie Woehl, président de la commission médicale d'établissement (CME) des hôpitaux civils de Colmar ; et Alexis Thomas, directeur de cabinet de la Fédération hospitalière de France.
Nous allons entendre les représentants de la Fédération hospitalière de France, qui compte 1 000 hôpitaux publics et 3 800 établissements publics médico-sociaux. Il est important pour nous de pouvoir faire le point sur les mesures de réorganisation de l'offre hospitalière et l'adaptation du système de soins qui ont permis de prendre en charge un grand nombre de patients, notamment dans les services de réanimation. Nous souhaitons également aborder la question des établissements médico-sociaux, et en particulier celle des EHPAD, et la façon dont la prise en charge et le traitement des personnes atteintes y ont été effectués. Enfin, l'organisation de la gestion de crise et l'appel aux services de secours ayant fait l'objet de critiques, nous souhaiterions connaître votre point de vue sur ce sujet.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire je le jure.
(MM. Frédéric Valletoux, Jean-Marie Woehl et Alexis Thomas prêtent serment)
La Fédération hospitalière de France est une association qui fédère l'ensemble de l'offre de soins publics. Il ne s'agit pas d'une maison des directeurs ni d'une maison des médecins : elle fonctionne en donnant la voix à la pluralité des communautés hospitalières. Nos instances sont composées d'un tiers d'élus locaux qui sont parties prenantes de la gestion des établissements, d'un tiers de médecins et d'un tiers de cadres de direction. C'est une fédération, c'est-à-dire que nous sommes présents dans toutes les régions.
J'aimerais rappeler en premier lieu – c'est le principal enseignement de cette crise et les Français l'ont vu de leurs yeux – que l'hôpital public a tenu. Dans son fonctionnement, dans son organisation, l'hôpital public – qui a fait l'objet de nombreuses réformes ces dernières années et qui est sujet de tant de débats – a réussi à faire face, malgré tout, et dans l'état dans lequel il se trouve. Il a démontré sa capacité d'adaptation et, finalement, de réponse à la crise malgré des années et des années de coupes budgétaires intenses : je ne donnerai qu'un chiffre, celui des 9,4 milliards d'euros économisés par les hôpitaux ces seize dernières années…
Si deuxième vague il doit y avoir, on peut se demander ce qu'il y aurait de bon à retenir de ce passé récent ; quels sont les éléments qui ont bien fonctionné ; et a contrario, quels seraient les points à améliorer.
Ce qui a bien fonctionné, c'est la mobilisation des hospitaliers et la capacité d'adaptation des établissements. C'est aussi la coopération entre le public et le privé, la coopération entre les régions et la coopération avec nos voisins européens. C'est également la chaîne des services publics. Je pense notamment aux dispositifs de garde d'enfants pour les professionnels des hôpitaux et des établissements de santé organisés par les collectivités locales avec l'Éducation nationale. Cet accompagnement par les autres services publics a permis la mobilisation des hospitaliers.
Les EHPAD publics ont plutôt bien fonctionné aussi. Grâce à leur médicalisation, grâce aussi souvent à leurs liens avec des filières de gériatrie publiques, ils ont été moins touchés que les EHPAD privés, qui sont moins bien intégrés dans ces filières
Ce qui a bien fonctionné et a facilité la réponse sanitaire, c'est l'usage de la télémédecine : alors qu'elle se développait très lentement dans notre pays, elle a vu son usage considérablement accéléré à l'occasion de cette crise. Enfin – c'est moins visible et ce n'est pas toujours une dimension mise en avant –, la mobilisation des hôpitaux psychiatriques a aussi bien fonctionné. Ils ont su créer des unités covid de soutien psychologique, à destination aussi bien des professionnels que de la population confinée qui en ressentait le besoin.
Bien sûr, les points à améliorer sont nombreux. Certains n'ont pas été perçus immédiatement.
Il s'agit bien sûr, et très clairement, du problème des équipements de protection individuels et des médicaments ; de l'organisation nationale en temps de crise avec la multiplication des cellules au gré des sujets, que ce soit les masques, les médicaments, etc. et des agences comme Santé publique France… Il y a des marges de progrès immenses à faire dans la réponse logistique à la crise.
C'est également le cas des relations entre la filière sanitaire, le médico-social et la médecine de ville. Les filières de prise en charge et de soins sont encore beaucoup trop cloisonnées. Le fonctionnement des ARS est également à améliorer, notamment dans les départements des très grandes régions où le siège de l'ARS s'est beaucoup éloigné des territoires. On a souvent évoqué les problèmes de coordination entre l'appareil d'État, côté sécurité civile intérieure qui est organisé au niveau des départements, et les ARS organisées au niveau des régions. La faiblesse des Agences régionales de santé dans leurs représentations départementales a été mise en lumière lors de cette crise.
Les points à améliorer, ce sont aussi les mesures de valorisation qui sont devenues un objet non plus de gratification mais de contestation. Il faut aussi améliorer la compréhension des Français afin qu'en cas de nouvelle épidémie, ils ne renoncent pas aux soins comme ils l'ont fait massivement pendant le confinement, car cela aura bien sûr d'autres conséquences, lourdes pour l'appareil sanitaire et l'ensemble du système de santé.
Fondamentalement, la crise sanitaire a révélé – en avait-on besoin pour le savoir ? – de manière criante l'urgence d'une réforme systémique du système de santé. C'est la raison pour laquelle notre fédération a plaidé très tôt pour une remise à plat, non pas du fonctionnement de l'hôpital mais du fonctionnement de notre système de santé, et pour un Ségur non pas de l'hôpital, mais du monde de la santé. L'hôpital est, au sein du système de santé, celui sur lequel l'État a le plus la main et dont il peut réguler à la fois financièrement et administrativement le fonctionnement. Il n'est néanmoins qu'une partie, même si c'est la plus importante, d'un système de santé qui fait intervenir un ensemble d'acteurs beaucoup plus vaste. Ces dernières années, c'est l'ensemble des dysfonctionnements du système de santé qui ont pesé sur l'hôpital et l'ont fragilisé.
C'est pour y remédier, parce que nous sommes persuadés que l'avenir de l'hôpital, cette institution à laquelle tiennent les Français, passe d'abord par-là, que nous avons proposé un new deal de la santé. Cela ne signifie pas que tout va bien à l'hôpital, mais si les seuls maux de notre système de santé se situaient entre ses quatre murs, nous le saurions.
Que pensez-vous du plan blanc, en particulier du travail effectué entre privé et public ? Cela peut-il déboucher sur une meilleure congruence peut-être par un recours aux établissements privés en dehors des GHT (groupements hospitaliers de territoire) ?
Que pensez-vous par ailleurs de la « sous-utilisation » – je cite – du 18 et des pompiers par rapport aux 15 et au SAMU ?
Quel est enfin votre point de vue quant aux difficultés qu'ont pu rencontrer les patients fragiles, notamment ceux qui étaient dans les EHPAD, pour accéder à l'hospitalisation ? On nous a parlé hier d'un éventuel « tri » des patients en amont, face au manque de de places.
Le plan blanc a plutôt bien fonctionné. Certes un plan d'une telle ampleur était inédit, mais les hôpitaux ont l'habitude des plans blancs et de leur fonctionnement. Ce n'est pas dans la première phase de la crise qu'on a perçu des difficultés, même si j'ai moi-même alerté, dès le 18 ou le 19 mars, le ministre de la santé du manque de moyens. Mon courrier abordait aussi un aspect non essentiel mais important pour nous : la prise en charge des enfants pour libérer les soignants dans leur vie familiale et leur permettre de se consacrer autant que possible à leur mission. Le plan blanc consiste à bousculer les organisations internes et faire en sorte que tout le monde soit mobilisé pour la réponse à la crise sanitaire. En contrepartie, il faut faciliter la disponibilité des personnels ou les libérer.
La montée progressive en puissance du plan blanc à partir de fin février, avec la mobilisation de trente-cinq hôpitaux, et le fléchage d'autres hôpitaux pour accueillir les cas de covid en urgence, s'est plutôt bien passée.
S'agissant du débat avec le privé, Jean-Marie Woehl, qui a vécu en première ligne la situation dans le Grand-Est, où il était sur le front dans un service d'urgences vous répondra mieux que moi. La mobilisation du privé a sans doute un peu cafouillé. C'est en tout cas ce qu'a ressenti ce secteur, davantage d'ailleurs dans Grand-Est que dans les autres régions, notamment en Île-de-France. Il s'est passé quelques jours ou quelques semaines entre le moment où l'on a demandé aux hôpitaux du Grand-Est de déprogrammer des actes ou des interventions pour libérer des plages de prise en charge, et le moment où les premiers patients sont arrivés. En France, on attend que les hôpitaux publics soient, sinon à la limite extrême, du moins proches de la saturation, avant de basculer les patients vers l'offre privée. C'est ainsi qu'a été conçue la réponse dans le Grand-Est.
Je crois que les retards, constatés rapidement dans le Grand-Est, ont été gérés en Île-de-France et que cela s'est très bien passé. Les cliniques franciliennes n'ont pas fait les mêmes remarques que leurs homologues du Grand-Est.
Ce plan blanc a été particulier par sa durée. Nous avons l'habitude de déclencher des plans blancs ou des plans de tension, mais pas pendant deux mois, et même bien plus, puisqu'il continue de courir. C'est une particularité qui pose des questions en termes de gestion des personnels, des congés et des repos, qui ne sont pas habituellement abordées dans les plans blancs.
À propos de la collaboration public-privé, j'insiste sur le fait que nous avons vécu, à Mulhouse et à Colmar, dès le 3 mars et en l'espace de quelques jours, l'arrivée d'un tsunami. L'image est juste. Très rapidement, la collaboration avec nos collègues du privé s'est mise en place, mais ces établissements ne peuvent donner que ce qu'ils ont. Si je prends l'exemple du Haut-Rhin, deux gros établissements, à Colmar et Mulhouse, réalisent 25 000 actes chirurgicaux par an, et une grosse fondation privée, la Fondation de la maison du Diaconat, qui a trois cliniques chirurgicales et médicales – deux à Mulhouse et une à Colmar – 30 000 actes chirurgicaux par an. C'est donc une activité très importante. Lorsque nous nous sommes réunis pour voir comment graduer l'offre de soins, nos collègues du privé n'avaient que trois respirateurs lourds, alors que, nous avions quarante lits équipés à Colmar et autant à Mulhouse. C'est dire que le concours du privé – qui nous a été d'un grand secours – n'a pu se faire que dans une gradation de l'offre de soins, en deuxième rideau. Je répète que cela nous a énormément servi, mais on ne peut pas demander aux gens ce qu'ils ne peuvent pas faire.
Cela vaut aussi pour les personnels, médicaux et non médicaux. Nos collègues de la clinique, majoritairement des anesthésistes, ont l'habitude de gérer des blocs opératoires et des anesthésies, pas de la réanimation lourde. Notre chef de pôle d'anesthésie-réanimation a travaillé avec nos collègues d'anesthésie du privé lors de séquences de mise à niveau leur permettant d'accueillir des patients lourds. De même, une infirmière anesthésiste diplômée d'État (IADE) ne fait pas le même travail qu'une infirmière de réanimation. C'est donc par la gradation et la complémentarité de l'offre, que nous avons réussi à sortir de cette difficulté.
Vous avez évoqué les GHT. Le sud du Haut-Rhin est organisé en un GHT unique autour de l'établissement fusionné de Mulhouse, alors que Colmar a un GHT plus fédéral, avec deux autres établissements MCO (Médecine-Chirurgie-Obstétrique) de tailles beaucoup plus réduites. La complémentarité a été bonne, puisque nous avons pu réactiver dix lits d'unité de soins continus en réanimation lourde dans l'établissement partenaire de Sélestat. Cette gradation dans la prise en charge nous a permis de répondre à la demande.
Vous nous interrogez sur la répartition entre le 18 et le 15. Pour ma part, je suis médecin lieutenant-colonel de sapeurs-pompiers, je réponds donc aux deux numéros… Ma réflexion n'engage que moi, mais je crois que cette polémique est mal venue. Nous n'en sommes pas à l'heure de la revendication. Il y a probablement dans le rapport que vous avez évoqué énormément de maladresse, d'exagération, tout comme il n'est pas vrai, comme l'affirment mes collègues des centres de régulation 15 que tout s'est bien passé.
Dans le Haut-Rhin le flux habituel de 500 à 600 appels par jour au SAMU 68 est monté en 48 heures à plus de 2 000 appels quotidiens de patients. Bien sûr qu'il n'a pas pu y répondre seul. Avec l'aide des médecins libéraux, des étudiants en médecine, nous avons monté une première puis une deuxième salle de délestage, qui n'ont pas suffi. Nous en avons monté une troisième, en cellule de crise à la préfecture ; puis une quatrième… Tout cela a été réalisé avec les médecins-pompiers, les médecins des SAU (Service d'accueil des urgences), médecins pompiers eux-mêmes, qui régulaient, tous ensemble. Et je pense que nous n'aborderons efficacement la deuxième vague – dont la probabilité est loin d'être éliminée – que si nous restons unis et de convergents.
Bien sûr qu'il y a à redire, des deux côtés – j'y insiste : des deux côtés. Mais, très sincèrement, l'heure n'est pas à la polémique mais à se demander de quelle manière on peut travailler ensemble. Dans le Haut-Rhin, l'immense majorité des médecins-pompiers sont médecins du SAU et médecins SMUR (Service mobile d'urgence et de réanimation). Nous sommes même bleu-blanc-rouge, puisque nous équipons l'hélicoptère de la gendarmerie et que nous médicalisons l'unité médicale d'intervention du RAID de Strasbourg. Nous participons aux gardes de sapeurs-pompiers, aux gardes de SAU… Je crois que c'est le modèle que l'on doit suivre à l'avenir.
Très clairement, la réponse apportée à la situation dans les EHPAD a été décalée dans le temps par rapport à l'attention portée, d'abord, à l'appareil hospitalier et à l'appareil sanitaire. Nous avons écrit très tôt au ministère que l'on voyait monter une inquiétude chez des directeurs et des médecins d'EHPAD. Les premières indications données par le ministre – sur le port du masque seulement lorsque les premiers cas de covid étaient avérés dans l'établissement, etc. – ont sans doute ralenti la mobilisation. Mais pouvait-on savoir ce qui se passait à partir du moment où on avait des difficultés dans la détection de la présence ou non du virus chez les résidents des établissements ? Qui plus est, la stratégie d'utilisation des équipements de protection a elle-même été flottante dans les premières semaines.
Il a fallu que nous intervenions, et nous l'avons fait aussi dans les médias, pour rappeler que les EHPAD ne devaient pas rester l'angle mort de la prise en charge du covid par l'État. C'était le cas au début du mois de mars. Nous l'avons dit avec force et cela a sans doute permis de révéler cette situation et d'accélérer sa prise en compte.
S'agissant de la notion de « tri », dans les services d'urgence et de réanimation, la question s'est posée très rapidement de savoir si nous arriverions à accueillir tous les patients qui le nécessitaient en réanimation. À Colmar – et je crois que mes collègues de Mulhouse ont agi de la même manière –, nous avons très vite réuni l'ensemble de nos collègues et nous avons fait un certain nombre de choix.
Le premier était de discuter de toute prise en charge dans la collégialité : ce n'est pas un urgentiste ou un réanimateur qui décide seul, c'est au terme d'une confrontation d'avis que la décision est prise.
Le deuxième choix était de considérer qu'il n'y avait pas de limite d'âge. Cela doit être toutefois pondéré par le fait que toutes les études internationales montrent qu'au-delà de 80 ans, la réanimation d'un SDRA (syndrome de détresse respiratoire aiguë), se traduit par plus de 90 % de mortalité, avec toutes les souffrances et toute la difficulté que l'on sait pour les patients. Le critère d'âge entrait donc dans l'évaluation de la prise en charge, mais il n'a pas été, au moins dans notre environnement, déterminant.
Le 1er avril, Monsieur le président de la FHF, vous avez lancé un cri d'alarme, disant, en substance : « Nous sommes au bord de la noyade » et considérant qu'il fallait « changer de braquet ». Aujourd'hui, vous nous dites : « L'hôpital a tenu ». Ce constat ne doit-il donc pas être nuancé par le fait qu'au début de la crise, on n'a peut-être pas accueilli à l'hôpital tous les patients qui étaient malades à domicile ou en EHPAD ? Vous avez en partie répondu, mais au-delà de la question souvent posée du tri, il y a aussi celle des malades des EPHAD qui n'ont pas été pris en charge.
Certes, globalement, l'hôpital a tenu : au total 104 000 personnes ont été hospitalisées dans les services de réanimation, avec un pic à 7 000 le 8 avril. Mais au début du mois de mars, lorsque la crise avançait de façon extrêmement préoccupante, n'y a-t-il pas eu des refus de prises en charge ? Un médecin coordonnateur d'EHPAD de mon département m'a dit avoir appelé le 15 qui lui aurait répondu en substance : « Il vaut mieux qu'il meure chez toi que chez moi ; de toute façon il va mourir ». Ce type d'attitude a-t-il existé ? Si l'hôpital a tenu, n'est-ce pas aussi au prix d'une sélection des patients ?
Enfin, aurait-il résisté si le virus avait eu le même impact dans l'ensemble du territoire national ? Trois régions ont été terriblement touchées et des transferts ont été nécessaires. Ce sont des opérations extrêmement risquées, périlleuses même et traumatisantes pour les malades. J'aurais donc tendance à apporter une nuance importante à votre constat : on a tenu, oui, mais à quel prix ?
L'une des réussites que vous évoquiez a été la capacité d'adaptation, on peut effectivement le dire. Néanmoins, j'aimerais vous interroger à propos des respirateurs. On est passé de 5 000 à plus de 10 000 lits de réanimation en un temps record. Mme Lila Bouadma, membre du Conseil scientifique, nous a déclaré que les respirateurs achetés étaient des respirateurs de transport, pas vraiment adaptés à la situation. Quel est votre regard à ce sujet ? Qu'est ce qui a été fait depuis, et que faudrait-il faire qui n'a pas déjà été fait, pour qu'en septembre ou avant, malheureusement – si nous sommes confrontés à un second choc épidémique –, nous soyons prêts et disposions à la fois des personnels formés et du matériel adapté pour armer ces lits de réanimation ? Quant à la coopération entre le public et le privé, a-t-elle été vraiment opérante ?
Une dernière famille de questions est au cœur de beaucoup de travaux de notre commission : celle des moyens de protection individuels pour les soignants, que ce soit à l'hôpital ou dans les EHPAD, et de leurs stocks. Vous nous avez déclaré que les EHPAD publics ont mieux tenu le choc que les privés. D'après ce que j'ai pu mesurer dans mon département, c'est empiriquement confirmé. Les plus traumatismes les plus importants sont intervenus dans des établissements privés. Pour quelle raison, selon vous ? Vous avez parlé de stratégie « flottante » dans les EHPAD et de décision tardive pour le port du masque. N'a-t-on pas pris un retard extraordinairement dangereux qui a pu coûter la vie à des patients ? Quel regard portez-vous sur la mise à disposition de ces équipements de protection pour les soignants et pour les résidents dans les EHPAD ?
De façon plus globale, à l'hôpital, existait-il une évaluation et un contrôle – et si oui, de qui ? – des moyens tactiques ? Je parle en premier lieu de ceux qui entrent dans la stratégie globale de l'État, déployés dans les services de secours, les SMUR, les SAMU… Les masques ne figurent pas au nombre de ces moyens tactiques : cela nous a été rappelé par M. Xavier Bertrand, qui avait adopté cette doctrine, que je trouve pertinente, d'équipements au plus près en matière de risques. Disposez-vous d'une évaluation centralisée de ces moyens ? Et si non, faudrait l'instaurer ?
Selon la doctrine de 2013 du secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale, la constitution des stocks de protection, dont les masques, pour les personnels des établissements revient aux établissements eux-mêmes. Aviez-vous une visibilité sur ces stocks ? Étaient-ils définis et par qui ? Cela fait beaucoup d'interrogations auxquelles nous avons toujours des réponses différentes. Comment a-t-on calculé ces stocks dans les établissements : de quelques jours dans certains établissements, à quelques semaines voire quelques mois dans d'autres ? Faudrait-il selon vous une vraie réforme définissant une durée pertinente la constitution des stocks afin de faire face à un pic de crise ?
Lorsque j'avais déclaré que nous étions au bord de la noyade, c'était pour accélérer les transferts de patients et pour lancer un appel à une mobilisation générale des professionnels de santé afin qu'ils se rendent dans les régions touchées, notamment le Grand-Est à l'époque, et l'Île-de-France où l'on voyait le problème arriver. Tous les matins, notre fédération démarrait la journée par une réunion d'une ou deux heures avec les chefs d'établissements des régions concernées. Les délégués régionaux faisaient le tour de France de la situation dans les régions, évidemment de manière plus longue et plus appuyée pour les plus touchées : nous avions ainsi un panorama à 360 degrés. Très vite, on nous a fait part, en tout cas dans le Grand-Est, des délais avant la décision d'évacuer des patients vers les pays voisins ou les régions de métropole qui pouvaient les accueillir. Par cette interpellation, nous avons voulu faire accélérer les choses.
Le système de la réserve sanitaire a montré de grandes limites pendant cette période. On l'a constaté plus tard en Île-de-France : si la plateforme Renforts-covid n'avait pas été montée par l'ARS d'Île-de-France et n'avait pas permis de mobiliser plusieurs milliers de professionnels d'autres régions ou qui s'étaient éloignés du soin –, l'Île-de-France aurait vécu plus difficilement l'épidémie. Voilà donc le sens de l'expression « au bord de la noyade ». Nous pensions que nous pouvions tenir mais qu'il fallait changer de braquet dans l'utilisation de certains moyens.
Je laisserai répondre Jean-Marie Woehl à votre question sur les respirateurs : il est médecin alors que je ne le suis pas, mais la question des matériels, est liée celle des femmes et des hommes. On peut toujours constituer des stocks de respirateurs, si nous n'avons pas les gens formés pour s'en servir, leur capacité d'utilisation restera limitée. L'enjeu est plutôt celui-là. Et la réflexion qu'on doit mener à moyen et long terme, c'est sans doute d'arrêter de réduire les capacités et le nombre de lits des services de réanimation, mais, au-delà, c'est surtout de former massivement des personnels.
En fait, l'hôpital a réussi à gérer cette crise parce que tout s'est arrêté dans l'hôpital et en dehors. Nous devons nous interroger sur ce que nous ferons à l'automne lorsque tout ne s'arrêtera plus et que les personnels d'anesthésie, les IADE, tous les personnels auxquels nous avons pu recourir ne seront plus aussi disponibles qu'ils l'ont été. La grande interrogation est là.
Vous n'avez pas tort s'agissant de l'hospitalisation des résidents en EHPAD : cette question s'est probablement posée dans certains territoires. Un médecin traitant appelant une régulation s'est peut-être entendu dire : « Ton patient a tel âge, telle ou telle comorbidité, il n'a aucune chance de survivre en réanimation donc prends-le en charge dans ton EHPAD ». Cela nous a très vite posé beaucoup de questions et beaucoup d'établissements ont envoyé des équipes mobiles de gériatrie au plus près des EHPAD, publics ou privés. Nous avons par exemple ouvert pour l'équipe de soins mobiles un numéro d'accès 24 heures/24, dédié aux soins palliatifs, pour aider les médecins traitants à prendre en charge les fins de vie des patients en EHPAD.
Cela doit nous conduire à une réflexion plus large : comment médicaliser nos EHPAD ? Quel doit être le rôle du médecin référent, du médecin coordonnateur d'un EHPAD ? Quelle doit être la paramédicalisation des EHPAD ? Comment organiser la permanence paramédicale de nuit ? Nous devons nous poser toutes ces questions, bien sûr pour répondre à cette crise, mais plus fondamentalement, pour réellement prendre en charge nos aînés.
Nous avons bien sûr manqué de respirateurs, et nous avons lancé un cri d'alarme extrêmement tôt par tous les canaux possibles. Très clairement, il n'y avait plus de respirateurs disponibles sur le marché international : les Italiens, les Américains et les Allemands avaient phagocyté les stocks. Ces derniers figurant parmi les principaux producteurs de machines de réanimation lourdes, il n'y avait plus grand-chose.
Le temps d'absorber les premiers malades, nous avons trouvé des solutions en rapatriant des respirateurs lourds, par exemple d'Épinal et de Charleville-Mézières, que nous avons ensuite retournés dans ces établissements. Mais évidemment, cela nous a posé de grandes difficultés. Comme les réanimateurs sont inventifs, après la première période en réanimation lourde, ils sont passés sur des réanimateurs plus légers, mais très clairement, la production de 8 500 respirateurs légers n'est pas la réponse. Ce sont des respirateurs de transport, qui peuvent aider à une partie de la prise en charge. Par exemple, nous avons très tôt trachéotomisé nos patients à Colmar, parce que cela facilitait la prise en charge, et nous permettait de les sortir plus tôt de la réanimation lourde pour les ventiler avec des machines moins lourdes. C'est une partie de la réponse, mais elle ne sera pas univoque et permanente si, à côté, on n'a pas les équipements.
Si un établissement achète dix respirateurs, c'est un investissement de 500 000 euros. Compte tenu des restrictions des dix-quinze dernières constituer des réserves de respirateurs lourds n'était pas la préoccupation de nos directeurs. Le problème est donc encore devant nous.
Il semblerait que les trois ou quatre gros fabricants mondiaux ont fabriqué un certain nombre de respirateurs lourds. Cela reste à vérifier, et il faudra surtout aider les établissements à investir suffisamment. Vous savez que les sociétés savantes parlent de réanimation éphémère, pour avoir une sorte de volant de manœuvre qui permette d'équiper des unités de soins continus rapidement en réanimation lourde.
Le problème des personnels est bien évidemment plein et entier. Nous n'avons pas formé ces quinze dernières années suffisamment de réanimateurs, qu'ils soient chirurgicaux ou médicaux, et nous avons donc un problème de compétence et d'accès à la compétence. On devra rapidement s'interroger sur le partage et l'acculturation des anesthésistes avec les réanimateurs, d'autant que, dans le nouveau cursus, les parcours de formation sont extrêmement distincts et vont avoir tendance à se séparer franchement.
C'est pareil pour les IADE et les infirmières de réanimation qui ne sont pas tout à fait les mêmes. On a aussi un vrai problème de formation d'infirmières de réanimation. On pourrait le traiter par des stages, effectués dans les semaines ou les mois qui viennent, pour acculturer un certain nombre d'infirmières à ces techniques de réanimation lourde. Cela permettrait de combler les manques sur des équipements supplémentaires qui seraient nécessaires à l'automne.
En matière d'équipement de protection individuelle, du point de vue d'un médecin de base, cela été– pardonnez-moi l'expression – « un foutoir sans nom ». Entre les différentes chaînes logistiques de l'État, l'ARS, Santé publique France, les départements, les régions, les municipalités, nous ne savions jamais quand, combien, réceptionner et à qui donner ces masques.
Au-delà des masques, la fourniture des autres équipements de protection, en particulier des sur-blouses, a été très rapidement totalement défaillante. Elle le reste d'ailleurs, puisqu'il y a toujours une pénurie majeure de sur-blouses au niveau mondial. Nous nous sommes donc « arrangés » en lavant des sur-blouses à usage unique, trois fois, cinq fois, six fois, tant qu'elles tenaient. On a même fabriqué des sur-blouses en tissu. Cela reste un problème crucial pour cet automne, si nous en avons à nouveau besoin. Il faut vraiment clarifier le rôle de chaque acteur : qui stocke ? Qui fournit ? Et à qui ? Comment on distribue ? Pour l'heure, ce n'est pas clair du tout.
Sur la question des EHPAD, il est vrai que le ministère de la santé a commencé à réunir les fédérations dès fin février. Il me semble que le ministre a participé à la deuxième réunion qui s'est déroulée le 2 ou le 3 mars à la direction générale de la cohésion sociale pour sensibiliser à la montée de l'épidémie. Il est vrai aussi que les premières consignes ont été données le 28 février mais elles restaient sommaires : elles ne concernaient que les professionnels, ou évoquaient la question des personnes proches des résidents qui revenaient de zones ou qui auraient pu revenir de zones déjà touchées. On était loin de la mobilisation générale.
Les instructions suivantes restaient sans doute un peu légères, comme le rappel des gestes barrière et la doctrine d'utilisation des masques dans les EHPAD, uniquement à partir du moment où un résident était touché par le covid. On voit bien que, même si le confinement dans les EHPAD a été décrété une semaine avant le confinement général du 17 mars, dans cette première période, il y a eu une sous-estimation des risques dans le secteur médico-social. On a oublié que chez des personnes et des résidents fragiles, le virus pouvait provoquer des dégâts beaucoup plus importants que dans la population générale.
C'est cette mobilisation que nous avons essayé de susciter au travers d'un certain nombre de courriers et de prises de parole publiques. Elle a fini par venir, mais quand on voit que la moitié des décès covid sont des décès de résidents d'EHPAD on peut effectivement se poser des questions sur cette prise de conscience tardive et les moyens qui ont été donnés tardivement aux personnels des EHPAD.
Pensez-vous que si cette prise de conscience avait été effective plus tôt, au début du mois de mars, par exemple, on aurait évité ce nombre de victimes très lourd en EHPAD ?
Sans doute aurait-il fallu fermer plus tôt l'accès aux EHPAD. On peut penser que, mécaniquement, on aurait évité le nombre de morts que l'on constate. Mais il y a aussi la question des tests ; celle de l'isolement des personnes déjà contaminées, donc repérées ; celle de la suppression des visites ; celle de l'équipement et de la protection des personnels qui vont et viennent… car à partir du moment où les familles n'avaient plus accès aux EHPAD, les seuls liens avec l'extérieur étaient les personnels qui, eux, entraient et sortaient. Il est indéniable que la mobilisation générale a été tardive.
Nous avons répertorié la liste des courriers que nous avons envoyés à partir de du 18 mars. Nous vous les communiquerons si vous le souhaitez.
Le plan blanc 2011, suite au H1N1 et au H5N1, avait été bâti après une dizaine d'exercices nationaux. Y a-t-il eu des exercices dans les hôpitaux entre 2011 et 2020 ?
Peut-on par ailleurs connaître les stocks dont vous disposiez en masques, équipements de protection, et en médicaments ?
Je reviens sur le problème des respirateurs : l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l'EPRUS avait acquis plus de 2 500 respirateurs en application de plans pandémie. Les avez-vous reçus ?
Généralement, la réanimation et l'unité de soins intensifs sont proches dans l'hôpital. Cela vous a-t-il aidé à avoir une réaction positive ? Par ailleurs, pensez-vous qu'il faille réformer la permanence des soins ambulatoires ? La PDSA fonctionne toujours aujourd'hui sur un mode volontaire et ne permet qu'une permanence des soins réduite.
Le personnel infirmier nous a parlé hier des primes. Elles sont à la discrétion du directeur de l'hôpital, ce qui est un peu délicat, puisqu'il est obligé de faire une sélection. Leur distribution ne devrait-elle pas être plutôt le fait de l'ARS, qui déciderait que tout le monde perçoit la même prime ?
Quel est l'impact de la crise sanitaire sur l'équilibre économique des hôpitaux ?
Enfin, les personnels nous ont évidemment parlé des dysfonctionnements au niveau des EHPAD. Ils ont aussi évoqué l'hospitalisation à domicile et les groupements d'intervention rapide, les fameux GIR. Comment cela s'est-il organisé par exemple dans la région de Colmar ?
Vos réponses nous sont très utiles pour apprécier en profondeur les difficultés que vous avez connues, car le discours « l'hôpital a tenu » ne nous aide pas beaucoup à anticiper la suite. Dire que cela a été « un foutoir sans nom » et de quelle manière, afin que cela ne se reproduise pas, me paraît tout à fait nécessaire. Nous avons voté une loi d'état d'urgence sanitaire qui, rétrospectivement, nous paraît incomplète. On aurait pu considérer que c'était une loi d'état d'urgence pandémique, mais sur le plan sanitaire, on a constaté des non-recours aux soins, des problèmes dans la continuité des soins et des thérapies ; il y a eu beaucoup de morts à domicile, des malades qui ne se sont pas présentés aux urgences.
J'aimerais savoir de quelle manière vous étiez préoccupés de la continuité des soins ? Le fait que les hôpitaux soient sur le pied de guerre a pu conduire à ce que beaucoup moins de patients que d'ordinaire se présentent aux urgences, et entraîner des situations compliquées.
Je voudrais également savoir comment vous avez travaillé avec les pompiers : nous avons appris par voie de presse qu'un rapport des sapeurs-pompiers de France laissait entendre qu'ils avaient été assez largement écartés de la gestion de la crise et qu'ils constataient eux-mêmes le grand bazar dans le « qui fait quoi » et dans l'articulation entre les préfectures et les ARS. J'aimerais d'ailleurs avoir votre point de vue sur ce point.
Enfin, parmi les difficultés rencontrées, vous avez évoqué le cloisonnement ville/hôpital : de votre point de vue la médecine de ville a-t-elle été au rendez-vous de cette crise pandémique ?
Ma première question porte sur les stocks : à partir de quand, vous avez été informés qu'il revenait aux établissements de s'occuper des stocks, notamment des équipements de protection individuelle. Par quel canal avez-vous été informés que cette décision vous incombait ? J'aimerais savoir ensuite si la constitution de ces stocks n'a pas posé un certain nombre de problèmes d'arbitrage, eu égard aux besoins de l'hôpital public ?
Ma deuxième question concerne les personnes victimes du covid en EHPAD : y a-t-il eu et à quel moment des consignes ou un enchaînement peut-être de consignes plus ou moins claires, sur la gestion des demandes d'hospitalisation ?
Il apparaît que les lits qui ont été créés pendant la crise n'étaient peut-être pas tout à fait les mêmes que ceux qui existaient auparavant et qu'il y avait en quelque sorte deux niveaux de traitement. Pouvez-vous le confirmer ? J'ai bien entendu la théorie qui commence à monter sur la gestion d'un volant de lits supplémentaires qu'on pourrait installer en cas de besoin : mais ne pensez-vous plutôt qu'on a fermé trop de lits de réanimation ces dernières années ?
Enfin, nous avons eu le sentiment en écoutant les organisations syndicales, que pour les primes, l'objectif n'était pas complètement atteint, et cela m'inquiète dans le cas d'une éventuelle deuxième vague.
Vous avez été plusieurs à évoquer les stocks de masques,. Tous les directeurs, tous les établissements, ont reçu la circulaire de 2013 qui instaurait un changement dans la gestion des stocks de masques, créant un stock stratégique et renvoyant aux établissements la responsabilité de stocks qui ne sont pas des stocks courants, mais doivent néanmoins être considérés comme tels : il s'agit de stocks plus importants qu'un emploi au jour le jour, mais ce ne sont pas non plus des stocks en cas de pics d'épidémie d'ampleur inédite et historique. La Fédération hospitalière n'a pas pour objet de doubler le travail d'observatoire de la gestion des différents équipements que peut faire le ministère de la santé au travers des ARS. Tous les établissements avaient un stock qui leur a d'ailleurs permis de faire face. Mais quand les besoins explosent, le stock qui est habituellement prévu pour un mois ou deux, est utilisé en quinze jours. Ces stocks ont filé très vite et ce qui a été le plus angoissant pour les hospitaliers dans les premières semaines, et peut continuer à l'être, c'est de se demander quand les nouveaux stocks vont arriver.
Nous avions interrogé dès le 28 février les fournisseurs habituels sur leur capacité à faire face à un besoin croissant de masques : les réponses que nous avions obtenues étaient qu'« à ce jour, les titulaires des marchés Resah – Réseau des acheteurs hospitaliers, une des centrales d'achat des hôpitaux – ne livrent plus sur ordre du ministère de la santé qui va prioriser les commandes. Les établissements auront donc un retour directement du ministère de la santé ou de leur ARS ». Donc, dès fin février, les établissements qui cherchaient à savoir auprès de leurs fournisseurs habituels, s'ils pouvaient reconstituer leurs stocks, recevaient pour réponse qu'on ne pouvait rien leur dire et que désormais il fallait voir avec le ministère.
Je cite leur réponse en ce qui concerne les masques, tous les types de masques : « L'UGAP (Union des groupements d'achats publics) n'est plus en mesure d'approvisionner aux conditions de ces marchés la sphère publique et notamment les hôpitaux. Santé publique France a directement pris en charge à l'échelle nationale et en lien avec l'État et ses services cette typologie de fournitures, » Cette réponse date du 28 février. Vous imaginez aisément l'angoisse du directeur, des responsables des communautés médicales dans les établissements, si à partir de fin février, ils n'obtenaient plus de réponse de leur fournisseur habituel. Ils ont vécu sur leurs stocks. Je ne peux pas vous dire quel était l'état des stocks de tel ou tel hôpital le 28 février.
Personne n'envisageait il y a encore quatre ou cinq mois un plan blanc de cette ampleur, qui dure plus de trois mois, Les plans blancs que nous connaissons résultent d'accidents, d'attentats ou de catastrophes naturelles, et les hôpitaux depuis 2013 n'ont jamais été pris de court de masques ou d'équipement. Cette fois, les données étaient différentes.
Je n'ai pas de données précises sur l'arrêt des exercices nationaux depuis 2012. Il est sûr en revanche que, dans un grand nombre d'établissements, les exercices ont été plutôt orientés vers la prise en charge d'événements terroristes.
Je n'ai pas de réponse sûre et certaine non plus sur les respirateurs de l'EPRUS, mais je crois que nous ne les avons pas vus. Avec les appareils de ce type, toute la difficulté tient dans la gestion du stock. Ils demandent une mise à jour et une surveillance annuelles : la matériovigilance est extrêmement lourde et coûteuse. J'ignore si on possède actuellement 2 500 respirateurs en stock qui ne servent pas. L'intérêt serait d'avoir des respirateurs un peu « upgradés » sur un certain nombre de lits, qui nous permettraient à la fois de faire de la réanimation lourde et d'assurer des soins continus.
En ce qui concerne le ratio réanimation/soins continus une règle veut que, pour dix lits de réanimation, on ait cinq lits d'unité de soins continus. Globalement, les établissements sont organisés de cette manière, en dehors des unités de soins continus spécialisées de cardiologie, de neurologie pour les UNV (unités neuro-vasculaires) ou d'hématologie, par exemple. Tout cela mis à part, le ratio théorique de dix lits de réanimation pour cinq d'USC signifierait une augmentation de 50 % du nombre de lits disponibles.
La continuité des soins a très rapidement été pour nous une préoccupation, en particulier par rapport aux urgences non covid. La prise en charge des urgences chirurgicales ou médicales en dehors du covid était organisée mais un grand nombre de patients ne venaient pas à l'hôpital ou refusaient d'y venir de peur d'être contaminés.
Notre deuxième préoccupation a été la prise en charge des pathologies cancéreuses. Au sein de la conférence des présidents de CME, nous faisions un point tous les dimanches soir : dans la très grande majorité des établissements, les filières de cancérologie – chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie carcinologique – ont été préservées autant que faire se peut. Là encore, des patients refusaient de venir faire leur chimiothérapie et les sociétés savantes ont donné des consignes dégradées pour essayer d'éviter au maximum la rupture de soins. Une partie des patients a probablement échappé à ces mesures, mais les obligations ont été identifiées, et nous avons essayé de les prendre en charge aussi bien que possible
Concernant les relations avec les pompiers, je ne peux parler que de ma région où cela s'est bien passé. Lorsqu'on est pris par une telle crise, tout le monde concourt à la bonne prise en charge des patients. Je pourrais citer de multiples exemples où les pompiers et les personnels des urgences ont réellement travaillé de concert.
Je pourrais aussi parler longtemps des ARS. Beaucoup ont donné le maximum de ce qu'elles pouvaient, mais très clairement, en termes de réponse coordonnée organisée, nous avons rencontré énormément de problèmes. Prenons la problématique des transferts, extrêmement importante en Alsace. Dès les premiers jours, on a su organiser les transferts vers l'Allemagne car beaucoup de praticiens allemands avaient des relations avec les établissements voisins. Une fois que l'ARS s'en est mêlée et, plus encore, une fois que le niveau national s'en est mêlé, c'est devenu extrêmement compliqué. Il arrivait qu'on nous appelle pour nous informer qu'un hélicoptère de l'armée allait venir chercher quatre malades une heure plus tard. Or préparer un malade en réanimation pour un transfert est un travail phénoménal : il faut choisir un patient stabilisé apte à être transféré, préparer le malade, prévenir la famille…
Sans accabler les ARS, j'ai de fortes interrogations quant à leur rôle de coordination et à celui des délégations territoriales qui ne sont pas en capacité de prendre des décisions. De ce fait, les demandes se perdent. Ainsi, le premier vendredi, nous avions des contacts avec la zone de défense Grand-Est pour des sur-blouses. J'en informe le délégué territorial qui me dit qu'il n'y a pas de problème et qu'il s'en occupe : j'attends toujours la réponse ! On peut multiplier ces exemples à l'envi. Le problème est manifeste dans le lien avec le niveau de décision central comme en termes de compétences. Un grand nombre de ces délégations territoriales sont les héritières de la fusion des DRASS (directions régionales des affaires sanitaires et sociales), des ARH (agences régionales de l'hospitalisation) dont on a conservé des collaborateurs qui n'ont pas tous la compétence requise.
Nous avons demandé aux présidents de CME leur ressenti quant à leurs relations avec l'ARS, qu'il s'agisse des contacts ou des réponses apportées. La note moyenne s'est établie à 3,5 sur 10. L'ensemble des PCME jugent que leur relation avec l'ARS n'était pas efficace. Seules l'Île-de-France et la Bretagne s'en sortent mieux.
Oui, on a beaucoup trop diminué le nombre de lits de réanimation en France ces dernières années. Ainsi, l'hôpital de Fontainebleau ne comptait que huit lits de réanimation en fonctionnement courant et cinquante-et-un au moment de la crise. On a multiplié par deux en moyenne le nombre de lits dans le pays, mais par six ou par sept dans certains territoires, parce qu'on y partait d'un niveau anormalement bas par rapport aux besoins de la population. Ce constat a été fait depuis des années, et on en a touché du doigt les conséquences pendant cette période.
Je reviens sur les liens avec la médecine de ville, et sur la permanence des soins, vieux sujet qui a fait l'objet de tant de rapports parlementaires. Nous sommes un des rares pays à nous offrir le luxe d'un système de santé avec des professionnels ayant des écarts considérables entre leurs droits et leurs devoirs, ou en tous les cas sur lesquels pèsent des contraintes aussi différentes, et qui pourtant émargent au même système, l'assurance-maladie, financée par les cotisations des Français. Et c'est un luxe qui dure.
Il est néanmoins vrai que le fait que la permanence des soins repose exclusivement sur l'offre publique – soyons précis : elle repose sur l'offre publique d'un côté et sur la bonne volonté de l'autre – pose problème, on le voit notamment à travers la fréquentation des urgences. L'hôpital est, normalement, le lieu de la prise en charge de la phase aigüe de la maladie : nous ne sommes pas dans une logique de dispensaire. Or, les services d'urgence sont souvent le dernier recours pour des personnes qui ne trouvent pas ailleurs à se soigner ou qui ne trouvent pas d'accès aux médecins. L'hôpital n'est pas conçu pour cela.
Rendre à l'hôpital sa juste place commence par faire assumer la permanence des soins à d'autres acteurs du système de santé. Ce débat date de la fin de l'obligation de permanence des soins, il y a une quinzaine d'années. Revenir en arrière est compliqué mais possible. Notre fédération le prône depuis longtemps, pour l'instant sans succès, mais il faudra bien s'y intéresser.
Faut-il laisser la prime aux hospitaliers à la discrétion des directeurs d'hôpitaux ? Je pense que cette prime vient remercier ceux qui se sont mobilisés, et parmi eux, certains plus que d'autres car ils ont été davantage confrontés à des situations critiques. Prendre une mesure nationale, qui remercie tout le monde de la même manière, aurait été possible. Ce qui a été proposé par le gouvernement est plus complexe, mais responsabilise aussi les acteurs dans les établissements. Évidemment le directeur ne décide pas des primes tout seul, mais dans le dialogue social, avec toute la gouvernance des établissements, la communauté hospitalière et les représentants du personnel. C'est ainsi que doivent être affinées et distribuées les primes : en faisant confiance aux acteurs locaux pour savoir effectivement qui sont ceux qui, plus que d'autres, ont été au front. Cela me paraît plus juste, plus équitable, qu'un système national uniforme qui aurait certes servi tout le monde, mais sans doute gommé la nature de cette prime de mobilisation et d'engagement. Donc, je ne suis pas choqué qu'il y ait des discussions un peu fines, établissement par établissement.
Je reviens sur la relation ville/hôpital. La médecine de ville de premier recours, c'est-à-dire la médecine générale, a répondu parfaitement dans l'immense majorité des territoires à ce qu'on lui demandait. Nous avons eu des relations très fortes avec nos collègues généralistes. En revanche, la médecine de second recours, celle des spécialistes, a été relativement absente de cette crise. Beaucoup de cabinets ont d'ailleurs fermé, comme par exemple ceux de radiologie, qui nous auraient pourtant été utiles.
Combinée au différentiel des rémunérations, la permanence des soins a des effets sur la non-attractivité de l'hôpital public : nos jeunes collègues ne supportent plus cette contrainte de la permanence des soins que ne subit pas une autre catégorie de la profession.
L'impact sur les financements des hôpitaux comprend deux sujets distincts : les surcoûts mais aussi l'absence de recettes, puisque le 13 mars, dans le cadre du plan blanc, le ministre a demandé la déprogrammation de toute l'activité, y compris dans les zones les moins touchées. Nous avons chiffré à 900 millions d'euros les surcoûts. Pour l'heure, seuls 475 millions ont été versés au titre de la première circulaire budgétaire. Nous attendons donc le delta, soit 425 millions. Le renoncement aux soins a aussi signifié une absence de recettes et les crédits d'assurance-maladie, que votez dans le cadre de l'ONDAM (Objectif national des dépenses d'assurance maladie), n'ont pas été versés puisqu'il n'y avait pas d'activité en regard. Certes, on nous a garanti les recettes, selon un mécanisme assez complexe, mais pas intégralement.
Ainsi, les recettes des mutuelles – c'est-à-dire les 20 % de reste à charge et les chambres particulières – font pour l'instant l'objet d'un système d'avance. Nous voudrions être certains qu'elles seront bien attribuées aux établissements : nous l'avons demandé au premier ministre et cela fait partie des discussions qu'il a eues avec les compagnies d'assurances. Selon nous, ce que les mutuelles n'ont pas déboursé ne doit pas venir en déduction des cotisations des adhérents mais financer l'activité des établissements
Par ailleurs l'ONDAM était en hausse, certes insuffisamment à nos yeux. Or, pour l'instant, il n'en a pas été tenu compte et on est resté à périmètre constant par rapport à l'an passé.
Enfin, vous le savez, des crédits sont mis en réserve pour être distribués en fin d'année si l'on n'a pas dépassé l'enveloppe. Cette année, au vu de la faiblesse de l'activité hors covid, on sait déjà que les crédits ne seront pas dépassés. Nous demandons donc que la réserve soit distribuée très rapidement aux établissements, sans attendre la clôture de l'année.
Les ministres nous disent que l'organisation de la santé dans nos territoires est remarquable et qu'aucun dysfonctionnement majeur n'a été noté au moment de cette crise. Pour ma part, j'entends le contraire lorsque je rencontre des représentants du monde hospitalier. Quel type de mesures devrions-nous décider, pour améliorer cette organisation territoriale ? Doit-on supprimer les ARS ? Y a-t-il une marge de progression dans leur relation avec leurs territoires ?
Vous nous avez sensibilisés au fait que, pendant que nous gérions la crise dans les hôpitaux, un certain nombre de pathologies plus ou moins lourdes avaient disparu des urgences et des lits des hôpitaux d'une part parce que l'on a essayé de réguler le monde hospitalier, d'autre part parce que les patients ont craint d'être contaminés en allant à l'hôpital. Vous avez aussi annoncé qu'il y aurait, au sortir du confinement et dans les mois qui suivraient, des vraies difficultés à gérer ces patients atteints de pathologies devenues plus lourdes que si elles avaient été soignées avant. Nous sommes déconfinés depuis quelques semaines : vos inquiétudes se confirment-elles ?
Monsieur Valletoux, vous nous avez dit en substance que l'on avait résisté mais que cette terrible cette crise du covid a traduit avec encore plus d'acuité un mauvais fonctionnement global du système de santé, déjà pointé dans de nombreux rapports parlementaires. Vous avez un peu abordé le sujet de la chaîne de commandement du ministère vers le terrain, vers les ARS. Que peut-on faire pour ne pas renouveler les erreurs du passé ? Avez-vous reçu des directives précises sur l'orientation des patients ? Il semble que des décrets concernant leur ventilation soient parvenus dans les EHPAD et les hôpitaux : il serait bon que notre commission puisse en disposer.
On parle souvent des stocks stratégiques et tactiques, mais en clair on fait reposer toute la stratégie de l'équipement sur les établissements. À un moment ou un autre, le ministère vous a-t-il demandé, si une pandémie arrive, ce dont vous disposez pour y faire face ? Avez-vous été sensibilisés par la Direction générale de la santé depuis trois ans, puisque ce constat avait été dressé par celui qui est actuellement directeur général de la santé ? Est-il oui ou non allé chercher la réponse dans les territoires ?
Y aura-t-il au lendemain de cette crise, des préconisations de votre part, notamment pour la télémédecine dont on parle peu, ou pour la modélisation pour les EHPAD ?
Enfin, Docteur Woehl, vous êtes également lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers et j'ai vu ce rapport fait par un de vos collègues. On a bien compris la gradation qui s'est établie en raison de l'insuffisance d'équipements, notamment en lits de réanimation ou de respirateurs, dans les cliniques privées. On doit savoir la vérité sur ce sujet. Une vraie complémentarité public/privé doit être instaurée. Donc, si ce rapport est truffé d'erreurs, quelles sont-elles ? Un rapport sera-t-il validé pour que nous puissions le moment venu en tenir le plus grand compte ? Nous avons besoin de clarté et cela prend une dimension particulière quand on témoigne sous serment.
Dans votre diatribe anti-ARS, vous n'avez pas du tout évoqué le rôle majeur qu'elles ont joué. La réserve sanitaire a été très vite défaillante et il a fallu une organisation importante pour y pallier. Je peux en témoigner : j'ai passé dix semaines à l'ARS de Provence-Alpes-Côte d'Azur et j'ai pu voir la centaine de personnels qui ont été pris en charge depuis leur parking et envoyés dans votre région en l'espace de vingt-quatre heures, d'ailleurs, en grande partie grâce à l'armée qui a permis, notamment pour le Grand-Est, le transport en A400M. Puisqu'on est là pour tirer des leçons à la fois positives et négatives de cette expérience, comment doit-on organiser ces renforts demain, ?
Je crois que vous avez déclaré, Monsieur Valletoux, que fin février l'UGAP vous avait signifié son incapacité à vous fournir en masques. À quel moment avez-vous été en difficulté pour l'approvisionnement en gants ? De quelle manière avez-vous été informé de l'impossibilité de remobiliser des stocks, notamment de latex et de nitrile en raison en particulier de la fermeture des frontières de la Malaisie, le 19 mars, qui a entraîné un épuisement des stocks à deux mois. Où en êtes-vous aujourd'hui ?
Si l'hôpital a vu arriver un afflux aussi important de patients, n'était-ce pas justement parce qu'on avait privé les médecins généralistes de toute possibilité d'accompagnement de leurs patients sur le plan thérapeutique ?
Vous avez très bien décrit, cher confrère, le partenariat très étroit mis en place– je le confirme devant mes collègues – entre le 15 et le 18. Ce qui s'est passé en Alsace, et qui a été assez remarquable, découle peut-être de ce que nous avions eu à connaître en 1992 avec le crash du Mont Sainte-Odile. D'autres territoires pourraient s'inspirer de ce modèle.
J'en viens au partage du pilotage entre l'agence régionale de santé et la préfecture. Même s'il y avait des réunions plusieurs fois par semaine, dans cette crise majeure pour laquelle notre président a utilisé une sémantique de guerre n'aurait-il pas fallu laisser au ministère des armées la main sur le ministère de la santé ?
M. Lamine Gharbi, que nous recevrons aussi, s'est étonné de l'évacuation de certains patients de Mulhouse vers Marseille et Toulon, alors que soixante-dix lits de réanimation étaient mobilisables à Strasbourg, Metz et Nancy. Était-ce la réalité, au moment où il l'a dit ? Si c'est vrai, était-ce raisonnable ?
Sur l'organisation générale, l'impact de la crise et les mesures qu'il faudrait prendre, je vous renvoie vers l'épais document que nous avons rédigé, et ses propositions. Un ou deux principes pourraient guider un certain nombre de mesures, tel celui de la confiance dans acteurs locaux et donc, s'agissant de l'hôpital et des hospitaliers, dans les communautés médicales et hospitalières. Cela serait préférable à un système de santé infantilisant dans lequel un directeur, une communauté médicale organisée à travers son président de CME, ne peuvent investir, acheter un matériel, changer leur organisation sans demander l'aval de l'ARS … On a bâti un système tellement administré qu'il infantilise ses acteurs, qui sont pourtant tout à fait capables de prendre des décisions en toute autonomie et en toute responsabilité.
Il faudrait peut-être faire pour le secteur de la santé, ce qui a été fait jadis par Gaston Deferre, une décentralisation, et passer d'un contrôle a priori à un contrôle a posteriori. L'État, garant de la gestion de l'argent mis dans le système de santé, jugerait a posteriori au lieu d'obliger les établissements à demander des autorisations à des bureaux lointains et aux ARS. On critique ces dernières, mais elles ne sont que le bras armé du ministère de la santé et font que ce qu'il leur demande de faire. C'est le système qui pousse à une bureaucratisation à l'extrême. Je pense donc qu'il est primordial de faire confiance, de donner de l'autonomie, des marges de manœuvre.
J'aimerais que l'État soit capable de dire, en matière de santé publique, quelles sont les priorités et les urgences pour un territoire donné. Qu'il demande pourquoi on constate un taux de mortalité infantile important et assigne au privé, au public, à tous les professionnels de ce territoire, l'objectif de résoudre le problème, en leur faisant confiance sur la façon de faire et de s'organiser pour y parvenir. Ensuite, l'État qui a fixé des objectifs, évaluera ce qui a été fait mais auparavant, il aura laissé faire les acteurs…
Cela est facile à dire, sans doute moins à organiser mais c'est un moyen de redonner de la motivation et de l'envie. Jean-Marie Woehl a dit la grande difficulté à recruter dans les hôpitaux. Il ne faut pas oublier que le premier des déserts médicaux français, c'est l'hôpital : 30 % des postes n'y sont pas pourvus, parfois beaucoup plus dans certaines spécialités. On a aussi des difficultés à retenir des médecins qui, à un moment de leur carrière, peuvent rejoindre le secteur privé où les salaires sont plus importants et où, surtout, les charges, les obligations, les permanences sont moins lourdes et les week-ends beaucoup plus libres… Si nous avions des communautés hospitalières maîtresses de leur destin qui puissent développer des projets en autonomie, sans doute serions-nous plus attractifs et plus intéressants.
Bien sûr que la lourdeur les ARS est critiquable. On a voulu rapprocher la décision du terrain et on a finalement créé une deuxième bureaucratie. Est-ce le tort des ARS ? Est-ce le tort du ministère de la santé qui est sans doute l'un des derniers à avoir échappé à toutes les réformes de l'État et le seul à s'être au contraire hyper-bureaucratisé ? Peut-être cette crise pourrait-elle être l'occasion d'une réflexion à ce sujet.
Je n'ai pas fait de diatribe anti-ARS. J'ai même dit que heureusement que l'ARS Île‑de‑France avait lancé Renfort covid, pour pallier l'inefficience de la réserve sanitaire. Sans cet appel à volontaires, il aurait été beaucoup plus compliqué de faire face à la vague qu'on a connue dans cette région. Je crois que 4 000 à 5 000 volontaires sont venus ainsi prêter main forte. Dans mon propre hôpital, des médecins du Grand-Sud, de PACA, ont constitué un renfort majeur. Nous ne méconnaissons pas cela, ni les choses positives qui ont été réalisées.
Le retour des pathologies lourdes à l'hôpital s'appréciera dans le temps. Des études ont été lancées pour le mesurer, comme des études, notamment conduites par l'école de santé de Rennes, pour mesurer l'effet et l'intérêt des transferts régionaux. Je pense que les pompiers se sont fait plaisir avec ce rapport, qui n'est documenté sur rien, n'est instruit par aucun chiffre et qui est une suite de ressentis de l'auteur. On pourrait écrire un rapport totalement inverse. Je pense que ces sujets sont suffisamment sensibles pour nécessiter qu'ils soient documentés.
Lorsqu'on aura les résultats de l'étude sur les 650 patients qui ont été transférés en région et sur le bénéfice qui a été tiré ou non de cette stratégie, on pourra apprécier effectivement s'il était temps de le faire et si on a bien fait de le faire.
Sur la question des dix-huit patients transférés en Alsace, il n'y avait pas soixante-dix lits vides, mais seulement quelques lits de réanimation disponibles. Le plus à même de vous répondre est le directeur de l'ARS Grand-Est, M. Christophe Lannelongue. Je pense qu'il aurait beaucoup à dire puisque c'est ce qui s'est passé dans le Grand-Est qui provoqué tant de critiques sur les ARS. On peut imaginer que si la crise avait commencé en Île-de-France, les choses se seraient passées différemment.
S'agissant des circulaires sur l'orientation des patients, personnellement je n'ai pas vu passer d'orientation officielle donnée par l'ARS ou par quelque organisme que ce soit. Je répète que nous avons essayé d'avoir des discussions collégiales, en fonction de l'état du patient.
Je serais bref sur le rapport des pompiers. J'ai lu ce matin que le vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers avait déclaré qu'il y avait des points à amender, des choses à revoir dans ce bilan. Visiblement, on assiste à un rétropédalage.
Un mot des renforts sanitaires : ce n'est pas se lancer dans une diatribe anti-ARS, que de dire que, si l'on veut faire évoluer notre organisation, il faudra s'interroger sur les ARS. Les renforts sanitaires nous ont posé énormément de problèmes. Il y a deux systèmes distincts : les volontaires et la réserve sanitaire qui dépend de Santé publique France. Elle est plus ou moins bien organisée, mais elle donne au moins une certaine lisibilité sur les personnels qui arrivent, ceux qui repartent et sur la durée de leur présence. Les listes de volontaires étaient beaucoup plus aléatoires : l'ARS transmettait une liste et huit fois sur dix, lorsqu'on appelait ces volontaires, ils n'étaient plus disponibles. Très sincèrement, cela ne nous a pas servi à grand-chose, pire, cela nous a désorganisés.
Les renforts de PACA que vous avez évoqués ont été destinés quasi exclusivement à Mulhouse. Nous en avons quelque peu souffert à Colmar, puisqu'on nous a même pris le peu de réserve sanitaire que nous avions reçue pour armer encore davantage Mulhouse. De mémoire, Mulhouse a bénéficié de plus de cent dix ou cent vingt renforts en tout, entre réserve sanitaire et volontaires, alors que nous avons plafonné à dix-huit. Un samedi on nous a retiré la moitié de nos volontaires pour les envoyer à Mulhouse, alors qu'ils étaient prévus au planning du lundi. Plusieurs fois, nous avons vu des gens arriver le vendredi soir, annoncés de nulle part, que nous devions intégrer à un moment donné dans nos équipes mais dont on ne savait pas combien de temps ils allaient rester… L'organisation des renforts sanitaires n'a vraiment pas été efficiente alors que nous avions la chance que tout un corps soignant soit prêt à se déplacer et à donner son temps.
Pour le matériel, attention aux masques FFP2. La crainte d'une transmission aérienne du covid-19 circule de plus en plus dans la presse. Dans ce contexte, les masques chirurgicaux seraient insuffisants et, pour protéger les soignants, les malades et l'ensemble des intervenants, il faudrait des masques FFP2. Je ne suis pas persuadé que ce soit anticipé.
Enfin, sur les soixante-dix lits de réanimation qui auraient disponibles dans le Grand-Est, alors qu'on a transféré des malades depuis Mulhouse, je pense qu'il y a là aussi quelques effets d'annonce. Tous les matins, une application indiquait les vacations de lits libres de tous les réanimateurs du Grand-Est. Je peux vous assurer que les jours où les transports militaires partaient de Mulhouse, il n'y avait pas soixante-dix lits libres dans la région. Là encore, il faut prendre du recul et se laisser le temps d'analyser l'ensemble des données. Ces transferts nous ont permis de passer des caps extrêmement difficiles : si nous ne les avions pas eus, je pense que nous aurions été conduits à faire des choix non éthiques. Ce n'est pas la panacée : un transfert, c'est lourd ; il faut des patients stabilisés ; ce n'est pas forcément bon pour eux. Les établissements qui accueillent les transferts trient en fonction de leurs capacités : la dialyse est par exemple un élément totalement rédhibitoire pour des cliniques privées, qui n'étaient pas en mesure, pour la plupart d'entre elles, de faire de la dialyse au lit du malade. Tous ces éléments devaient être pris en compte avant de choisir le patient pour le transférer. Pendant les trois semaines les plus difficiles, les transferts nous ont permis de sauver la prise en charge des patients les plus lourds.
Vous avez dit que les EHPAD étaient l'angle mort de la prise en charge du covid-19. Ils représentent 50 % des décès : ceci explique peut-être cela. D'ailleurs les morts dans les EHPAD n'ont été comptabilisés qu'à partir du 1er avril, ce qui est terrible, et les tests de dépistage n'ont été entrepris qu'à partir du 7 avril. Il y a donc eu un retard important. Vous avez parlé du tri ou du choix des patients : évidemment, c'est une question médicale – il y a l'âge et d'autres facteurs – mais c'est aussi une question éthique. Vous dites n'avoir eu connaissance d'aucune note ou circulaire. J'aimerais néanmoins avoir votre point de vue sur le décret dit « rivotril » signé le 28 mars par le ministre de la santé.
Je reviens sur le partenariat et la coordination public-privé. Il est vrai que des trains sont partis de Nancy alors qu'il y avait très peu de patients nancéens dans les lits de réanimation de cliniques privées. A-t-on systématiquement interrogé les acteurs du privé sur leur capacité maximale à accueillir les patients.
Les grands oubliés de la crise, les hôpitaux, ont tenu. Des grands secteurs ont vacillé et failli s'écrouler, notamment les aides à domicile et les transports sanitaires et je pense en particulier aux ambulances et au financement des ambulanciers privés. Quel regard portez-vous sur cette organisation évidemment très paupérisée, et sur la médecine de ville au sein de laquelle, si beaucoup de cabinets médicaux sont organisés, d'autres étaient relativement isolés.
Vous avez dit que les EHPAD qui dépendent directement des hôpitaux ont mieux résisté à la crise. Quel regard portez-vous sur les autres ? On a le sentiment que c'est un peu un aigle à deux têtes, avec une codécision santé-collectivités territoriales. Élu de la Meuse en région Grand-Est, j'ai bien vu les réactions très différentes selon les EHPAD. Il y a vraiment un certain nombre d'enseignements à tirer.
Enfin concernant la gouvernance des hôpitaux, on a le sentiment que rien n'est démocratique dans l'organisation actuelle : on ne sait pas à qui ils rendent réellement des comptes. Je ne dis pas que cela s'est mal passé, mais en matière de gouvernance, d'association de votre personnel, d'association des collectivités territoriales, comment imaginez-vous une gouvernance pour demain ? Notre proximité avec l'Allemagne nous a montré que l'organisation du système de santé y était sans doute plus pertinente.
Vous nous avez parlé de ce qui avait bien ou peut-être moins bien fonctionné durant cette crise, dont il faut tout de même dire qu'elle est exceptionnelle. Personnellement, en quarante-cinq ans de pratique médicale, je n'en ai jamais connu de telle.
Sommes-nous prêts pour cette éventuelle deuxième vague dont on parle beaucoup ? Sinon, que faudrait-il faire d'urgence ?
Vous évoquiez des décisions tardives : c'est une constatation a posteriori, et on est toujours plus intelligent après coup ; cela s'appelle l'expérience. Mais à l'époque, compte tenu de ce que vous saviez des dispositifs et du virus, avez-vous pensé que les décisions étaient prises tardivement ?
Vous nous avez répondu sur les stocks des masques et autres EPI, avant et pendant le confinement. À l'instant où je m'adresse à vous, pouvez-vous me dire si vous avez et si vous aurez suffisamment de masques et d'EPI en cas de deuxième vague ? Et pensez-vous qu'il faille une nouvelle stratégie de constitution de stocks pour vous, employeurs, ainsi que pour la population ?
Je ne suis pas médecin, mais je pense que celui qui est à côté de moi serait bien incapable lui aussi de répondre à votre question sur la probabilité et l'ampleur d'une deuxième vague de covid-19. En revanche, j'ai évoqué des réponses tardives pour les EHPAD et je le maintiens. Sans donc être moi-même médecin et sans savoir effectivement fin février-début mars quelle serait l'ampleur de la crise, des signaux d'alerte existaient déjà. Nous fonctionnons nous-mêmes avec les alertes que nous renvoient les communautés médicales de terrain, les représentants des personnels, les directeurs et directrices, ceux du secteur médico-social qui sont dans les établissements. Et quand on a pointé dès le début du mois de mars, le fait que les EHPAD étaient sans doute un angle mort dans la réponse apportée à la crise par les pouvoirs publics, c'était une vérité : une vérité qui a été corrigée ensuite, mais bel et bien une vérité. Je n'avais pas d'information particulière sur le virus mais sur certains sujets, on pointait bien des éléments de réponses tardives.
En ce qui concerne le décret relatif au Ritrovil, les médecins de famille faisaient remonter l'information qu'ils étaient face à des patients en fin de vie et qu'ils n'avaient pas la capacité d'utiliser un certain nombre de molécules qui était de réserve hospitalière. Je pense que le décret a répondu à la demande de faciliter l'accès des médecins traitants à cette capacité thérapeutique. Je l'ai dit, notre équipe de soins palliatifs a ouvert 24 heures sur 24 un numéro qui permettait aux médecins traitants d'accéder à un avis de spécialistes en soins palliatifs pour les aider à prendre en charge ce type de patients, et à recourir à des molécules sans doute moins utilisées par nos collègues de ville qu'à l'hôpital.
Les aides à domicile et les transports sanitaires sont effectivement des secteurs qui, n'étant pas protégés, ont eux aussi pâti du manque d'équipements et ont été désorganisés. Dans un courrier envoyé le 27 mars dernier à Olivier Véran, j'écrivais : « j'appelle également votre attention sur la situation des services de soins infirmiers à domicile et des services d'aide et d'accompagnement à domicile afin de protéger les professionnels ». On savait que ces professions étaient à l'arrêt ou quasiment, parce qu'elles n'avaient pas accès à des équipements de protection.
Je le redis, on ne peut pas faire reposer sur les établissements la gestion des stocks pour des épidémies ou des crises sanitaires d'ampleur nationale ou inédite. L'addition de la bonne volonté de chacun ne peut pas constituer une réponse globale, proportionnée, efficace, à une crise, quelle qu'elle soit. C'est dans l'équilibre entre ce que les établissements ont en stock et ce que devrait avoir l'État, que se trouve la réponse. Cet équilibre est visiblement à retrouver et à redéfinir. C'est d'autant plus vrai que, alors que les hôpitaux travaillaient dans la perspective que l'approvisionnement de leurs équipements continuerait, dès mi-février, les choses se sont arrêtées quand l'État a pris la main et organisé les filières d'approvisionnement de vêtements de protection.
La gouvernance des hôpitaux est un vaste sujet. À qui rendent-ils des comptes ? En tant que maire, j'avais tous les jours mon directeur d'hôpital au téléphone. Les élus ne sont pas hors sol et peuvent tout à fait être proactifs. Ils le sont pour la plupart dans le suivi des opérations, ils participent à la gouvernance à une place peut-être un peu réduite. Dans des moments de crise, je n'ai jamais eu le sentiment d'être coupé de l'information de la part des hospitaliers.
En revanche, pendant la crise, je n'ai jamais eu quelque lien que ce soit avec l'Agence régionale de santé, son délégué territorial ou son directeur régional.
S'agissant de la manière de se préparer à l'éventualité d'une crise cet automne, je crois qu'il faut tirer les enseignements de ce que nous avons vécu. Sur le plan médical, on a probablement beaucoup intubé, sur le plan thérapeutique on a avancé dans la compréhension, dans l'usage des corticoïdes… Un certain nombre d'éléments vont nous faire progresser dans la prise en charge de ces patients. Les enseignements ont été tirés par les sociétés savantes, et il va falloir les écouter.
Il faut s'équiper, bien sûr, en EPI, mais également en matériel.
Dans la mesure où nous n'arrêterons plus la totalité de l'activité hospitalière comme nous l'avons fait, et où il n'y aura probablement plus de confinement total, il convient d'anticiper les organisations. Dans les hôpitaux, les équipes y travailleront cet été. Dans mon établissement, des réunions se tiendront tout au long du mois de juillet, pour savoir comment on pourrait réorganiser notre hôpital en cas de deuxième vague.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mercredi 8 juillet 2020 à 15 heures
Présents. - Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Anne Genetet, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. David Habib, Mme Sereine Mauborgne, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, M. Boris Vallaud
Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin, M. François Jolivet, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Pierre Vigier, Mme Martine Wonner