Intervention de Jean-Paul Ortiz

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF :

Pour les médecins libéraux et la CSMF, la crise du Covid-19 a été un moment extrêmement difficile, caractérisé par une gestion de la pénurie et une grande défaillance des services de l'État. Dès le 15 mars, la CSMF a constitué une cellule de crise qui s'est réunie tous les jours. Son bureau confédéral s'est réuni deux fois par semaine, en visioconférence. Nous pouvons donc retracer tout ce qui s'est passé.

Le 2 mars, nous avons participé à une première réunion avec la direction générale de la santé (DGS) à laquelle mes confrères étaient aussi présents. M. Salomon nous a alors indiqué qu'il n'existait pas de stock stratégique de masques FFP2, mais que chaque professionnel de santé se verrait remettre des boîtes de cinquante masques. Dès le 26 février, la CSMF avait envoyé un communiqué de presse demandant à l'État de protéger les médecins libéraux avec des masques, des surblouses et tout autre équipement de protection individuelle, il est facile de le retrouver sur notre site internet. Nous avons renouvelé nos demandes par communiqué de presse le 6 mars, puis dans l'éditorial paru le 15 mars dans notre revue, mais aussi par deux communiqués de presse des médecins spécialistes les 16 et 23 mars. Nous avons fait un point quotidien concernant les masques et nous avons constaté des manques, contrairement aux informations qui nous étaient transmises par le cabinet que j'appelais pratiquement tous les jours – en particulier Mickaël Benzaqui, le conseiller technique, et Nicolas Revel.

Le 12 mars, Olivier Véran a reçu la CSMF. Très curieusement, il était accompagné de son directeur de cabinet, Raymond Le Moign, de Nicolas Revel et de Cécile Courrèges. Le format de l'audience était donc extrêmement renforcé. Olivier Véran nous a assuré que nous aurions « des masques FFP2, ainsi que trois masques chirurgicaux par jour et sur la durée » – je l'ai noté. Je lui ai demandé à qui seraient destinés les FFP2 et il m'a répondu « à tous les médecins ». Je rappelle qu'à l'époque, ces masques étaient réservés à ceux qui intubaient et qui effectuaient des gestes dans la sphère oropharyngée, mais pas en ville. Comment les chirurgiens-dentistes, les ORL et les autres pouvaient-ils travailler dans ces conditions ?

Nous avons constaté lors de nos points téléphoniques journaliers que les problèmes de masques ont perduré jusqu'à fin mars et début avril. Lors d'une réunion intersyndicale du 2 avril, le CNPS (Centre national des professions de santé) et la FFPS (Fédération française des praticiens de santé) ont fait savoir qu'il manquait des masques sur le terrain – alors que le cabinet nous affirmait tous les jours que les envois étaient en cours, que 50 millions de masques avaient été débloqués et que la distribution était assurée par les pharmacies. Je suis moi-même allé chercher des masques toutes les semaines dans ma pharmacie, mais une semaine sur deux il n'y en avait pas. Voilà quelle a véritablement été la situation.

D'après mes notes personnelles, le problème des masques a été résolu entre le 6 et le 10 avril. Cela faisait bien longtemps que nous avions payé un lourd tribut à cette terrible épidémie, puisqu'une trentaine de médecins sont morts au combat et 5 000 à 6 000 ont dû arrêter de travailler.

Nous avons également souffert d'une pénurie de tests. La médecine libérale en a manqué tout au long de l'épidémie. Nous n'avons pu en obtenir dans les laboratoires privés que dans les tout derniers jours de mars. J'ai dû moi-même intervenir, dans mon département, car nous n'avions aucun accès aux tests. Grâce à mon carnet d'adresses, j'ai pu solliciter le directeur de l'ARS afin qu'il octroie une dérogation aux laboratoires privés qui en avaient fait la demande et qui regroupaient tous les tests demandés dans les Pyrénées-Orientales, un département de plus de 400 000 habitants. Malheureusement, nous n'avions accès qu'à une vingtaine ou une trentaine de tests par jour au centre hospitalier – alors que nous avions un cluster. Vous imaginez le problème. Les tests ont été disponibles dans le privé à compter du 30 mars.

Quant aux médicaments, une réunion d'information s'est tenue le 13 mars avec Dominique Martin, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Nous lui avons fait état de nos difficultés d'approvisionnement en médicaments. Il nous a répondu que l'ANSM était très mobilisée et suivait les ruptures de stock, et j'ai même noté qu'il avait affirmé qu'« à ce jour, il n'y a pas de problème et pas de conséquence sur la disponibilité des médicaments en lien avec le Covid-19 ».

La suite a bien prouvé le contraire : il a fallu suspendre toutes nos activités dans les établissements de soins privés. Le week-end du 15 mars, nous avons reçu l'instruction d'arrêter toute activité chirurgicale. La moitié de la clinique dans laquelle j'exerce a été vidée pour transformer les soins continus en service de réanimation. Nous avons établi une permanence des anesthésistes qui ont accepté d'organiser une garde sur place, nous avons équipé une chambre pour qu'ils puissent y dormir et nous avons dégagé tout un étage, soit quarante lits, pour permettre à des pneumologues d'assurer une garde sur place. Mais, alors que nous comptions huit pneumologues, nous n'avons pas vu un seul patient : tout a été centralisé à l'hôpital. Quant aux patients hospitalisés au centre hospitalier, ils étaient suivis par les chirurgiens vasculaires et par les ophtalmologues.

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