Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, vice-président de la mission d'information
La mission procède à l'audition, sous forme de table ronde, des organisations représentatives des médecins libéraux : Mmes Agnès Giannotti et Valérie Duthil, vice-présidentes de MG France ; Mme Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des médecins de France et M. Jean-Paul Hamon, ancien président ; M. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français ; M. Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux.
Après avoir beaucoup parlé de l'hôpital, de sa mobilisation et de sa réorganisation pour faire face à la crise sanitaire et prendre en charge les malades, il est important d'entendre aussi les médecins libéraux, de ville.
Nous faisons face à un paradoxe. La médecine de ville a été fortement sollicitée pour la prise en charge des patients atteints du Covid-19, notamment dans ses formes les plus bénignes. Santé publique France a estimé que 95 000 patients ont consulté un médecin généraliste pour un cas de Covid-19 durant la dernière semaine de mars, avant d'observer une forte décroissance les deux semaines suivantes. Au cours de cette même semaine, le nombre d'actes de SOS Médecins pour suspicion de Covid-19 a atteint un pic. Les médecins de ville ont continué à prendre en charge leurs patients, notamment au moyen de la téléconsultation, palliant ainsi les craintes de se rendre dans les cabinets médicaux. Des centres de consultation ambulatoire pour les personnes présentant des symptômes du Covid-19 ont également été créés.
Pourtant, la place des médecins de ville dans le dispositif d'urgence est encore discutée. Certains regrettent de ne pas avoir été suffisamment associés et intégrés à la réponse à la crise sanitaire, jugée trop centrée sur les établissements de santé. Exposés au virus dans le cadre de leurs consultations, les médecins libéraux ont aussi dénoncé ne pas avoir eu les moyens de se protéger avec des masques et des surblouses, ni d'accéder aux tests de dépistage.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « je le jure ».
(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)
Pour les médecins libéraux et la CSMF, la crise du Covid-19 a été un moment extrêmement difficile, caractérisé par une gestion de la pénurie et une grande défaillance des services de l'État. Dès le 15 mars, la CSMF a constitué une cellule de crise qui s'est réunie tous les jours. Son bureau confédéral s'est réuni deux fois par semaine, en visioconférence. Nous pouvons donc retracer tout ce qui s'est passé.
Le 2 mars, nous avons participé à une première réunion avec la direction générale de la santé (DGS) à laquelle mes confrères étaient aussi présents. M. Salomon nous a alors indiqué qu'il n'existait pas de stock stratégique de masques FFP2, mais que chaque professionnel de santé se verrait remettre des boîtes de cinquante masques. Dès le 26 février, la CSMF avait envoyé un communiqué de presse demandant à l'État de protéger les médecins libéraux avec des masques, des surblouses et tout autre équipement de protection individuelle, il est facile de le retrouver sur notre site internet. Nous avons renouvelé nos demandes par communiqué de presse le 6 mars, puis dans l'éditorial paru le 15 mars dans notre revue, mais aussi par deux communiqués de presse des médecins spécialistes les 16 et 23 mars. Nous avons fait un point quotidien concernant les masques et nous avons constaté des manques, contrairement aux informations qui nous étaient transmises par le cabinet que j'appelais pratiquement tous les jours – en particulier Mickaël Benzaqui, le conseiller technique, et Nicolas Revel.
Le 12 mars, Olivier Véran a reçu la CSMF. Très curieusement, il était accompagné de son directeur de cabinet, Raymond Le Moign, de Nicolas Revel et de Cécile Courrèges. Le format de l'audience était donc extrêmement renforcé. Olivier Véran nous a assuré que nous aurions « des masques FFP2, ainsi que trois masques chirurgicaux par jour et sur la durée » – je l'ai noté. Je lui ai demandé à qui seraient destinés les FFP2 et il m'a répondu « à tous les médecins ». Je rappelle qu'à l'époque, ces masques étaient réservés à ceux qui intubaient et qui effectuaient des gestes dans la sphère oropharyngée, mais pas en ville. Comment les chirurgiens-dentistes, les ORL et les autres pouvaient-ils travailler dans ces conditions ?
Nous avons constaté lors de nos points téléphoniques journaliers que les problèmes de masques ont perduré jusqu'à fin mars et début avril. Lors d'une réunion intersyndicale du 2 avril, le CNPS (Centre national des professions de santé) et la FFPS (Fédération française des praticiens de santé) ont fait savoir qu'il manquait des masques sur le terrain – alors que le cabinet nous affirmait tous les jours que les envois étaient en cours, que 50 millions de masques avaient été débloqués et que la distribution était assurée par les pharmacies. Je suis moi-même allé chercher des masques toutes les semaines dans ma pharmacie, mais une semaine sur deux il n'y en avait pas. Voilà quelle a véritablement été la situation.
D'après mes notes personnelles, le problème des masques a été résolu entre le 6 et le 10 avril. Cela faisait bien longtemps que nous avions payé un lourd tribut à cette terrible épidémie, puisqu'une trentaine de médecins sont morts au combat et 5 000 à 6 000 ont dû arrêter de travailler.
Nous avons également souffert d'une pénurie de tests. La médecine libérale en a manqué tout au long de l'épidémie. Nous n'avons pu en obtenir dans les laboratoires privés que dans les tout derniers jours de mars. J'ai dû moi-même intervenir, dans mon département, car nous n'avions aucun accès aux tests. Grâce à mon carnet d'adresses, j'ai pu solliciter le directeur de l'ARS afin qu'il octroie une dérogation aux laboratoires privés qui en avaient fait la demande et qui regroupaient tous les tests demandés dans les Pyrénées-Orientales, un département de plus de 400 000 habitants. Malheureusement, nous n'avions accès qu'à une vingtaine ou une trentaine de tests par jour au centre hospitalier – alors que nous avions un cluster. Vous imaginez le problème. Les tests ont été disponibles dans le privé à compter du 30 mars.
Quant aux médicaments, une réunion d'information s'est tenue le 13 mars avec Dominique Martin, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Nous lui avons fait état de nos difficultés d'approvisionnement en médicaments. Il nous a répondu que l'ANSM était très mobilisée et suivait les ruptures de stock, et j'ai même noté qu'il avait affirmé qu'« à ce jour, il n'y a pas de problème et pas de conséquence sur la disponibilité des médicaments en lien avec le Covid-19 ».
La suite a bien prouvé le contraire : il a fallu suspendre toutes nos activités dans les établissements de soins privés. Le week-end du 15 mars, nous avons reçu l'instruction d'arrêter toute activité chirurgicale. La moitié de la clinique dans laquelle j'exerce a été vidée pour transformer les soins continus en service de réanimation. Nous avons établi une permanence des anesthésistes qui ont accepté d'organiser une garde sur place, nous avons équipé une chambre pour qu'ils puissent y dormir et nous avons dégagé tout un étage, soit quarante lits, pour permettre à des pneumologues d'assurer une garde sur place. Mais, alors que nous comptions huit pneumologues, nous n'avons pas vu un seul patient : tout a été centralisé à l'hôpital. Quant aux patients hospitalisés au centre hospitalier, ils étaient suivis par les chirurgiens vasculaires et par les ophtalmologues.
Je laisse le soin à Jean-Paul Hamon de rappeler la chronologie des faits, puisqu'il était président de la FMF à l'époque. Je vous parlerai ensuite de la prise en charge globale effectuée par le syndicat et les professionnels de santé.
Nous nous sommes instruits en suivant les auditions de votre commission ; j'ai ainsi appris qu'Agnès Buzyn avait senti les choses dès le 10 janvier. Pourtant, nous n'avons été convoqués pour la première fois au ministère que le 18 février, par Olivier Véran. Par ailleurs, il était prévu que les kits de protection destinés aux médecins libéraux comportent des charlottes, des masques FFP2 et des surblouses. Mais nous n'avons rien vu de tout cela.
Le 27 février, les médecins de l'Oise qui gèrent les maisons médicales de garde ont menacé de se mettre en grève car ils n'avaient toujours pas de masques FFP2 – alors que l'Oise était déjà bien touchée. Je suis intervenu auprès du ministère et les masques FFP2 sont arrivés à 19 heures. Les maisons de garde qui ouvrent à 20 heures ont donc rencontré les plus grandes difficultés à se les procurer.
Le 26 février, nous avons averti le ministère qu'un match de football allait se tenir à Lyon, alors qu'un cluster avait été identifié aux Contamines. Il nous a été répondu que les experts estimaient qu'il n'y avait aucun risque. Le match Lyon-Juventus s'est donc tenu le 26 février. Mieux, un match Lyon-Saint Étienne s'est ensuite déroulé le 1er mars ! Il y a donc eu un brassage de la population d'Auvergne-Rhône-Alpes, et l'Union régionale des professionnels de santé libéraux, l'URPS, a démontré une recrudescence des cas dans cette région quinze jours plus tard.
Le 3 mars, alors que nous manquions de masques partout, Macopharma, une entreprise de Tourcoing, continuait à en vendre à l'étranger. Dans le même temps, un pharmacien de Clamart qui avait réussi à se procurer très aisément 4 000 masques FFP2 apprenait qu'il ne pouvait pas les vendre. Il les avait payés cher, et la merveilleuse administration française l'a obligé à les rendre à son fournisseur, sans que nous puissions en bénéficier. Voilà la réalité des dates… Nous nous sommes donc retrouvés sans masques, alors que 4 000 étaient à notre disposition.
Le 25 mars, nous avons demandé la mise à disposition de masques pour les professionnels de santé par un référé en Conseil d'État. La décision a été rendue le 28 mars. Elle ne nous a pas donné raison, mais comme par hasard, nous avons commencé à recevoir des masques à compter de cette date. Nous avons donc estimé avoir obtenu quelque chose.
Nous avons beaucoup agi au niveau régional. Du fait d'un hospitalo-centrisme déplorable, il a été demandé aux patients de contacter le 15, ce qui a provoqué une surchauffe de ce service. En même temps, il était conseillé aux patients de rester chez eux, entraînant une perte de chances pour les patients non-covid, et les patients « covid + » puisqu'on s'est ensuite rendu compte que nombre de personnes étaient asymptomatiques.
Un de nos confrères a donné l'alarme à Mulhouse, rapportant que dans son cabinet, trente à quarante personnes étaient porteuses du Covid-19 sans présenter de symptômes fiévreux ou de toux. En l'occurrence, il s'agissait du cluster qui s'est ensuite disséminé partout. Ce médecin travaillait sans masque. Comme l'indiquait Jean-Paul Ortiz, nous avons payé un lourd tribut puisque les derniers chiffres qui nous ont été fournis font état de cinquante et un décès, dont quarante-six en libéral. Nous avons travaillé à mains nues, sans protection, c'est vraiment déplorable.
Je ne reviens pas sur le manque de masques, de surblouses ou de tests – en raison duquel nous avons tous été confinés sur le territoire, ce qui n'était peut-être pas la meilleure solution puisqu'il faut désormais détecter en masse. Le confinement a été fondé sur la peur et sur la culpabilité ; il aurait mieux valu affirmer que c'était un acte civique, pour protéger sa santé et celle des autres. La population a eu peur, et nous en observons aujourd'hui les conséquences. À cette peur s'est ajoutée la solitude des personnes confinées à domicile et des résidents en maison de retraite ou en EHPAD, où il a parfois été impossible d'intervenir car ces établissements ne laissaient plus entrer personne.
Des enquêtes menées notamment par l'Union nationale des professionnels de santé, l'UNPS, ont établi l'existence d'une rupture de soins dès le confinement. Elle s'est traduite par une perte de chances pour toutes les pathologies urgentes et chroniques qui n'étaient pas étiquetées « covid », sans que l'on n'en sache rien puisqu'aucun test n'a été fait.
Il s'est avéré assez difficile de recevoir des patients dans les urgences, nous avons réussi à organiser des parcours « covid + » et « covid - ».
La reprise d'activité s'est avérée difficile, elle aussi, en l'absence de mesures de protection – pour nous comme pour le personnel. De très nombreux professionnels de santé qui n'étaient pas médecins, comme les kinésithérapeutes, les dentistes ou les podologues, nous ont fourni du matériel que nous avons pu redistribuer via l'URPS. Nous avons également fabriqué des blouses et des surblouses. Je vous en ai apporté une, que j'ai fabriquée moi-même avec des toiles d'hivernage fournies par nos maraîchers, en région Centre-Val-de-Loire.
La perte d'activité a été très conséquente, dans la mesure où la population était invitée à contacter le 15 et à rester chez elle. Tous les professionnels ont subi une perte d'activité. Les médecins n'ont continué à recevoir que 20 à 30 % de leur patientèle, ce qui s'est traduit par une perte conséquente de recettes. Il est paradoxal qu'une pandémie ait presque causé la faillite des professionnels de santé !
Notre personnel a quand même pu bénéficier du chômage partiel et du télétravail, ainsi que du report des charges par la Caisse autonome de retraite des médecins de France, la CARMF, et l'Urssaf.
La CNAM nous a également permis de réaliser des téléconsultations, dont le nombre a été multiplié par cinquante lors de la première semaine, c'est très positif. Mais les téléconsultations ne remplaceront jamais l'examen clinique ou les médecins qui manquent dans les déserts médicaux.
Des professionnels de santé sont tombés malades, d'autres sont décédés. Les quatorzaines ont causé des problèmes, et les indemnités journalières n'ont été que tardivement admises. Le débat sur la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle est encore en cours.
L'intervention de la CNAM, pertinente et rapide, et l'aide de M. Revel, ont permis la prise en charge de nos actes à 100 %, qu'il s'agisse des téléconsultations ou des consultations téléphoniques qui nous ont permis de rester au contact des personnes, âgées notamment, dans les zones blanches. Même si cela ne remplace pas une consultation en cabinet, cela nous a permis d'asseoir nos diagnostics.
Les ARS ont constitué un frein plus ou moins fort selon les régions, notamment à l'égard des centres covid.
Les URPS et leurs fédérations, celles des médecins mais aussi des autres professions médicales et non médicales, ont mis en place une organisation locale et un accompagnement des professionnels – en structure ambulatoire ou en cabinet –, une organisation des filières, une relation hôpital/ville très importante, une diffusion des informations et une coordination de l'approvisionnement. Ce rôle a été très important pour les territoires.
Il faut écouter et faire confiance aux professionnels de santé, leur laisser une certaine autonomie, leur donner les ressources suffisantes, pérenniser les expériences concluantes et prévoir la suite, notamment dans l'éventualité d'une deuxième vague.
Je suis médecin généraliste en exercice dans l'île d'Oléron et coordinatrice du centre covid de mon secteur. Ma consœur Agnès Giannotti et moi-même partageons pleinement les propos des confrères qui viennent de s'exprimer.
Je pourrai évoquer l'organisation de terrain spontanément mise en place par les professionnels de santé, dans la douleur, sans véritable aide et sans autre moyen que nos téléphones portables. Malgré ces difficultés, l'organisation s'est faite dans tous les territoires de manière relativement symétrique. Il est frappant de constater qu'à l'échelle des départements, les réponses apportées étaient à peu près les mêmes.
La première semaine, nous avons essayé d'organiser des filières dans nos cabinets, avec des horaires différenciés pour les patients suspectés de covid et les autres. Mais faire venir de potentiels malades du covid s'est vite avéré difficile en l'absence de moyens de protection – tant pour les médecins que pour leurs secrétaires et leurs patients. Aussi la décision a-t-elle été prise d'organiser des centres covid dans tout le département. Cela s'est également pratiqué dans d'autres régions.
Je suis médecin généraliste dans le 18e arrondissement de Paris, un quartier populaire touché de plein fouet par l'épidémie, à l'instar de la Seine-Saint-Denis et de tout le nord-est de Paris.
Dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), comme dans les centres covid et dans toutes les structures qui ont été créées à l'occasion de la crise, les médecins généralistes ont été au rendez-vous. Nous avons même été présents avant le premier jour, bien avant que les institutions ne réagissent. Nous nous sommes montrés extrêmement inventifs pour nous adapter aux différents territoires. Ainsi, ce que nous avons mis en place dans le 18e arrondissement ne ressemble pas à ce qui l'a été dans l'île d'Oléron, les réalités étant différentes, qu'il s'agisse des populations, des moyens et des ressources. Nous avons pu nous adapter quotidiennement aux besoins des populations et des professionnels, en fonction de ce que nous connaissions de l'épidémie. Les médecins généralistes ont été au rendez-vous et pourtant, je n'ai jamais entendu M. Salomon les mentionner. Une profession dont on ne prononce pas le nom est-elle une profession qui n'existe pas ?
Il y a eu une faillite de l'État, dans la mesure où la gradation des soins, qui consiste à faire soigner quelqu'un au bon moment, par la bonne personne et au bon endroit, n'a pas été appliquée.
On ne s'est pas appuyé sur les soins primaires, qui permettent pourtant une prise en charge au plus près du patient, répondant au mieux à ses besoins de santé, puisque le médecin traitant, qui connaît sa situation, ses facteurs de risque, sa précarité sociale éventuelle, peut le guider dans son parcours de soins. Les soins primaires sont le lieu de la prévention, du dépistage, des vaccins. Certes, nous ne disposions pas d'outils de diagnostic, mais il nous restait quelques masques. Il nous a été reproché de ne pas en avoir acheté, mais nous en avions, bien sûr. J'ai même donné mes masques FFP2 aux infirmiers du territoire, parce que j'estimais qu'ils étaient plus à risque que moi. Mais est arrivé le moment où nous ne pouvions plus en commander de nouveaux. J'ai également failli manquer de soluté hydroalcoolique.
MG France a conduit trois enquêtes successives. La première a montré que les médecins généralistes ont reçu 1,85 million de patients. À la fin de la troisième enquête, ils en avaient vu 2 millions. Mais personne n'en a parlé ! Ces enquêtes n'avaient pas la prétention d'être scientifiques, mais elles ont éclairé un sujet qui n'a pas intéressé l'État : qui soigne les patients en ville, combien de patients ont été vus ? C'est un problème.
La gradation des soins a également pâti du dysfonctionnement du 15, saturé de questions sur la transmission du covid ou la marche à suivre lorsqu'une personne éprouvait des difficultés à respirer. Cela a entraîné une perte de chances pour les patients qui avaient vraiment besoin de soins urgents. Le 15 est indispensable, mais il faut le recentrer sur sa mission. Se pose donc à nouveau la question de la régulation libérale territoriale, qui permettrait de répondre aux situations qui ne doivent pas passer par le 15. En cas de deuxième vague ou de campagne de vaccination, ne reproduisons pas les mêmes erreurs : ce n'est pas à l'hôpital d'intervenir, mais à la régulation territoriale et aux organisations qui sont nées de cette crise.
Je tire mon chapeau à tous les professionnels du territoire ! Si M. le directeur général de la santé ne l'a pas fait, je m'en charge. Dans toute la France, les collègues se sont mobilisés et ont été au rendez-vous.
J'exerce à Saint-Raphaël, dans le Var. Le syndicat des médecins libéraux souhaite vous faire part de son retour d'expérience.
Nous n'imaginions pas que la crise sanitaire viderait les cabinets médicaux pendant le confinement. L'activité a fortement chuté pour toutes les spécialités. Certaines d'entre elles, notamment la chirurgie, ont même été contraintes à l'arrêt avec la mise en œuvre du plan blanc. L'Assurance maladie évalue à 4 milliards d'euros le montant des soins empêchés durant cette période. J'emploie le terme « empêchés » à dessein puisque, par sa maladresse, le Gouvernement a conduit les patients à croire qu'ils n'étaient autorisés à se déplacer que pour des cas urgents et relatifs au covid. Puis, lorsque ce message a été rectifié, sur notre insistance, une forme de psychose s'était développée quant au risque de contamination dans les salles d'attente. L'activité a donc bel et bien été empêchée pour les médecins et les chirurgiens travaillant en établissements de soins, du fait du plan blanc.
En outre, la demande du Gouvernement de vider les cliniques pour aider les hôpitaux a concerné indistinctement les régions infectées et les autres. Cela a mis à l'arrêt complet tous les établissements avec du personnel présent sans travail – car s'ils n'étaient pas là, ils n'avaient pas droit au chômage partiel. L'activité aurait pu continuer sous conditions, limitant ainsi les surpathologies que nous avons connues par la suite.
De même, la reprise de l'activité a été empêchée par les ARS, d'abord au motif de maintenir les établissements disponibles, puis pour ne pas consommer les produits servant à l'anesthésie. Ainsi, début juillet, nous rencontrions encore des difficultés pour hospitaliser des patients qui avaient besoin d'une intervention.
L'activité a également été empêchée en raison de l'abandon des médecins par les pouvoirs publics. Nous n'avons pas reçu à temps les masques promis. On nous a baladés au sujet des stocks d'État qui, en réalité, n'existaient pas. Le discours politique a d'ailleurs évolué en fonction de la disponibilité des masques. La gestion des masques a été totalement ubuesque : dans ma région, nous avons reçu en mars un nombre très limité de masques FFP2, fabriqués en 2002 et périmés depuis 2007. À l'époque, la Haute autorité de santé, HAS, indiquait que l'on pouvait accepter deux ans de péremption.
À aucun moment les médecins libéraux n'ont été avertis du prétendu changement de doctrine concernant la gestion des masques. À aucun moment, ils n'ont reçu directement ou indirectement la consigne selon laquelle il leur appartenait désormais de constituer leur propre stock. Sinon, ils auraient évidemment fait le nécessaire pour préserver leur propre santé, celle de leurs patients et leur activité de soins au service de la santé publique. Je répète que quarante-six médecins libéraux ont trouvé la mort durant cette épidémie parce qu'ils n'étaient pas équipés. Il reste encore difficile de chiffrer le nombre de ceux qui ont été contaminés. La CARMF évalue à 6 000 le nombre d'arrêts de travail de médecins libéraux en rapport avec cette pathologie.
Le SML s'inscrit en faux contre le procès d'intention fait par Mme Bachelot devant cette commission. Les propos qu'elle a tenus sont déplacés à l'égard de notre profession.
Pour la prise en charge des patients, les libéraux ont dû se débrouiller par eux-mêmes. Les premiers protocoles diffusés n'étaient pas adaptés à la pratique en cabinet, certains comptaient trente pages, il n'est pas possible de les suivre. Les médecins se sont donc organisés pour créer des conditions de consultation sécurisées dans leurs cabinets et installer des centres covid. Les collectivités locales ont prêté leur concours, ainsi que les entreprises dans certains départements. On peut regretter, à cet égard, que certaines des ARS ayant imposé un paiement forfaitaire pour les professionnels exerçant dans ces centres ne les aient toujours pas payés : des médecins attendent encore leurs émoluments. Des organisations ont également été développées dans certains départements en situation de pénurie médicale. Dans la Sarthe, par exemple, les médecins ont trouvé des moyens de prise en charge sans médecin traitant, sans le concours des CPTS, des ARS ou des groupements hospitaliers de territoire, les GHT. Ils se sont tout simplement appuyés sur des outils conventionnels et ont obtenu le déblocage d'une consultation covid à quarante euros, en négociant avec le directeur de la caisse primaire du département. Il y a donc eu un arrangement local.
Le déverrouillage de la télémédecine, et plus encore les consultations par téléphone, ont constitué un levier incontestable. Il est indispensable de pérenniser les consultations téléphoniques pour nos patients les plus âgés, qui ne savent pas utiliser les moyens numériques, mais aussi pour ceux qui vivent dans les zones blanches ou mal couvertes par l'internet à haut débit.
Nous voulons également insister sur la gestion des appels. Le renvoi, dans un premier temps, de tous les appels relatifs au Covid-19 vers les centres 15 était une erreur. Ces centres ont été rapidement débordés, entraînant des temps d'attente et de traitement des appels inacceptables qui ont laissé sans prise en charge de nombreux patients non-covid en détresse sévère. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers s'en est récemment émue dans un rapport. Cette douloureuse expérience condamne définitivement l'idée d'un numéro d'appel unique. Dans les régions où le 116-117 a fonctionné, comme le Grand-Est, il n'y a pas eu de difficulté. Il est donc indispensable de généraliser, à côté du 15 pour les urgences vitales, un 116-117 pour les demandes de soins non vitaux que la ville prend en charge. Le rôle de régulation est stratégique, il doit être conforté et développé.
Nous voulons souligner une dernière anomalie. Les professionnels libéraux bénéficient d'un dispositif de formation continue obligatoire, géré par l'État au moyen de l'Agence nationale du développement professionnel continu. Celle-ci a refusé de prendre en charge les actions de formation relatives au Covid-19, au motif qu'elles ne figuraient pas dans les objectifs prioritaires du Gouvernement. La seule formation que les médecins auront reçue a donc été dispensée par le Fonds d'action de formation, le FAFPM, financé par nos cotisations. Pour sa part, l'organisme d'État a complètement failli dans cette mission. Ces actions étaient pourtant nécessaires et urgentes. Les textes qui encadrent ce dispositif devraient évoluer pour le rendre flexible et moins étatique.
En conclusion, les médecins libéraux gardent un ressentiment très profond de la façon dont ils ont été traités, et il risque de s'aggraver du fait de la différence de traitement entre l'hôpital et la médecine ambulatoire dans le cadre du Ségur de la santé.
A-t-on manqué d'agilité dans la réponse apportée aux territoires ? Cette dernière a-t-elle été trop calquée sur le modèle connu de la grippe ? Initialement, des tests ont été effectués dans les clusters ainsi qu'une recherche des patients zéro. Puis, très rapidement, on a cessé les tests en considérant qu'il suffisait de constater les symptômes. Faudra-t-il revoir cette méthode pour s'adapter à cette pathologie particulière ? D'autant que depuis, nous avons appris qu'elle pouvait être contaminante avant même l'apparition des symptômes.
Par ailleurs, quel regard portez-vous sur les CPTS et sur les moyens de communication qui ont pu exister entre professionnels de santé ? Souvent, ce sont des boucles Whatsapp qui ont permis d'échanger sur le terrain.
Vous évoquiez la peur instillée par la communication des pouvoirs publics. Alors que l'on assiste à un certain relâchement dans le respect des mesures de sécurité, cette peur n'est-elle pas nécessaire ?
S'agissant des masques, qu'en est-il de la logistique de distribution ? Une désorganisation s'est ajoutée à la pénurie. Certains articles ont pointé du doigt Geodis, qui avait été mandaté par Santé publique France. Disposez-vous d'informations à ce sujet ?
Par ailleurs, je tiens à rappeler que Mme Bachelot s'est rattrapée durant son audition en précisant que les mesures de précaution devaient être prises hors période de crise.
Afin de tirer les enseignements de cette crise, pensez-vous que l'État devrait accompagner les médecins, par exemple en revoyant à la hausse les critères de qualité sanitaire ou en participant aux revues d'objectifs de santé publique ? Quel accompagnement, quelles directives, quelles organisations, voire quelles aides vous semblent nécessaires pour monter en qualité dans la protection des patients et des professionnels ?
S'agissant de la réponse territoriale, nous nous sommes débrouillés. C'est ce qui remonte de tous les témoignages du terrain. Nous nous sommes retrouvés sans aide de l'État, en particulier de ses services déconcentrés. Heureusement que les médecins libéraux ont pris la main, aidés par les collectivités locales qui ont mis des locaux à disposition pour créer des centres covid et ont aidé à la distribution de marques FFP2, et par nombre d'entreprises du voisinage, qui ont accompagné les médecins en leur fournissant des masques. Heureusement que nous avons eu cette agilité sur le terrain ! Nous avons fonctionné en mode dégradé, et il s'est avéré que ça fonctionnait très bien, parce que nous n'avons pas demandé les autorisations, ni respecté les règlements et les lois au pied de la lettre. Il faudrait toujours fonctionner ainsi.
Comme d'habitude, on a demandé aux Français d'aller à l'hôpital pour tout. On leur a dit d'appeler le 15 et de se rendre à l'hôpital en cas de suspicion de Covid-19 ou pour se faire tester, alors que seuls quelques hôpitaux pouvaient effectuer les tests – leur nombre s'est ensuite élargi. Tout a été centré sur la prise en charge hospitalière. Il faudrait organiser les choses à l'inverse : au lieu d'affirmer, à l'instar du Premier ministre, qu'il fallait rester chez soi et ne pas se rendre chez son médecin traitant – avec les conséquences que l'on connaît – il aurait fallu orienter les cas suspects non graves vers une prise en charge de proximité.
Nous avons eu le sentiment que certaines personnes ne souhaitaient pas se rendre à l'hôpital ou chez le médecin, y compris en cas de pathologies graves. Mon exemple personnel en témoigne. En cabinet médical ou à la régulation 15, nous avons eu affaire à des personnes présentant des symptomatologies graves qui refusaient l'hospitalisation.
Bien entendu. Mais quelqu'un a-t-il fait passer le message selon lequel les médecins libéraux étaient organisés pour bien accueillir leurs patients ? Nous le faisions lorsque nous avions un patient au téléphone. Tous les cabinets se sont organisés. Nous avons condamné un siège sur deux. Nous avons fourni des masques. C'est la raison pour laquelle les propos de Mme Bachelot m'ont mis hors de moi. Dans mon cabinet, nous avions déjà commandé, par anticipation, des boîtes de cinquante masques – que nous avions payées le tiers de ce qu'elles valent aujourd'hui. Tous les médecins se sont organisés. Certains ont demandé à leurs patients d'attendre sur le parking et de n'entrer qu'un par un dans le cabinet. Mais quand le Premier ministre invite la population à ne pas se rendre dans les cabinets médicaux parce que c'est dangereux, elle n'y va pas. C'est un vrai problème.
La logistique de distribution des masques a été une catastrophe. J'avais le cabinet du ministre de la santé tous les jours au téléphone, il m'affirmait que ce n'était qu'une affaire de jours avant que je reçoive des masques chirurgicaux et FFP2. Mais ils n'arrivaient pas ! Il y avait un décalage de huit à quinze jours entre les promesses du cabinet et ce que nous vivions sur le terrain.
Enfin, Mme Bachelot indique que nous devrions être équipés. Nous le sommes déjà au quotidien. Qui plus est, je rappelle qu'elle avait constitué un stock de 1,7 milliard de masques. Mais il a disparu et nous avons attaqué la crise avec un peu plus de 100 millions de masques. Que s'est-il passé ? Était-ce insensé d'avoir constitué un tel stock ? À qui était-il destiné ? Mme Bachelot avait-elle anticipé qu'il y aurait une épidémie et qu'il faudrait doter les professionnels de santé ? Nous sommes équipés pour le quotidien, mais nous venons de vivre une situation extrêmement particulière. En cas d'épidémie de cette sorte, il est de la responsabilité de l'État de protéger ses soignants. En tant que médecin libéral conventionné, j'assure une mission au public même si je ne suis pas dans une logique de mission de service public. Les services de l'État ont une mission de gestion et de prévision.
Ne laissez surtout pas l'État organiser nos cabinets ! Donnez-nous les moyens de nous organiser. Nous venons d'assister à une catastrophe.
Donnez-nous des moyens et laissez-nous travailler ! L'utilisation de masques Décathlon dans les services de réanimation illustre la réactivité des médecins. Imaginez, en temps de paix, que les réanimateurs aient demandé à l'administration l'autorisation d'utiliser de tels masques : nous y serions encore !
Les médecins se sont organisés. Ainsi que l'indiquait Jean-Paul Ortiz, nous avons condamné un siège sur deux dans nos salles d'attente. Nous avons installé des parois en plexiglas dans nos secrétariats. Nous nous sommes débrouillés avec les entreprises, qui nous ont donné des masques. Nous avons démarché des entreprises de peinture, de menuiserie, de bricolage, de lunettes. Nous nous sommes débrouillés avec nos moyens.
Pour revenir à 2009, Mme Bachelot avait effectivement un stock de masques. Mais j'ai assisté à la préparation des fameux « vaccinodromes » : on pensait, en haut lieu au ministère, que les médecins généralistes n'avaient pas de réfrigérateur dans leurs cabinets et qu'ils ne pourraient donc pas faire dix doses avec un flacon. Nous avons donc eu droit aux fameux « vaccinodromes », qui ont vacciné 6 millions de personnes quand chaque année, les médecins généralistes en vaccinent 12 millions sans faire de bruit ! Nous sommes restés avec 94 millions de doses de vaccin sur les bras. En osant nous critiquer comme elle l'a fait devant votre commission, alors que plus de 5 000 médecins ont été contaminés et que 51 sont morts, dont 46 médecins libéraux, Mme Bachelot s'est mise de nombreux médecins à dos. Nous attendons des excuses. Ce qu'elle a osé dire va laisser des traces.
Les médecins se sont organisés. Mais nous avons retrouvé la même administration qu'en 2009 : elle a méprisé la médecine libérale, elle a oublié de nous fournir des masques et elle a détourné les patients des cabinets vers le centre 15 et vers les pharmacies, en les incitant à aller y faire renouveler leurs ordonnances. J'ai dû rappeler des patients, dont une qui était leucémique sous anticoagulants, pour les convaincre de venir me voir.
Vous évoquez un parallèle avec la grippe. Je dirais plutôt que, malheureusement, on a fait l'inverse. Qui irait à l'hôpital pour une grippe ? Quand on en présente les symptômes, on appelle d'abord son médecin. Ce n'est pas ce qui a été fait dans le cas présent.
Avant de nous donner des consignes, l'État devrait nous écouter et nous entendre. C'est à nous de donner les consignes : nous sommes les mieux placés pour savoir comment faire face et comment nous organiser – nous l'avons fait. D'ailleurs, nous avons largement anticipé les consignes de l'État, qui s'est ensuite calqué sur nos propos. Plutôt que de consignes de l'État, nous avons besoin d'informations pour nous organiser. Suivant l'évolution des connaissances scientifiques, nous nous sommes tous organisés, dans nos cabinets et dans les territoires.
Ainsi que vous le rappeliez, nous avons échangé au sein de groupes Whatsapp ou au travers de webinaires pour partager nos expériences, nos connaissances et nos savoir-faire. Nous l'avons fait tout au long de l'épidémie et nous continuons à le faire. Cette expérience a été très riche. Pour autant, méfions-nous des modèles stéréotypés de portée nationale. Tout reproduire à l'identique serait une erreur. Dans le 18e arrondissement, par exemple, nous n'avons pas eu besoin d'organiser des centres covid puisque les cabinets étaient vides. En revanche, nous avons organisé des circuits infirmiers pour suivre les patients qui sortaient de l'hôpital sans être envoyés en ville. D'autres arrondissements ou territoires ont procédé à l'inverse. En tout état de cause, ce que nous avions organisé a finalement peu servi, puisqu'on a fait sans nous – probablement au détriment des patients, qui sont majoritairement allés à l'hôpital alors qu'ils n'en avaient pas besoin.
Nous avons été écartés à l'entrée et à la sortie de l'hôpital. Depuis l'entrée en vigueur du déconfinement, nous avons repris notre rôle.
Un problème de fond se pose concernant la politique générale de la santé en France. Depuis des années, tout est axé sur l'hôpital, sans doute parce que de nombreux conseillers des ministères sont issus de la fonction publique et de l'hôpital, et n'ont jamais travaillé en ville. Pourtant, la médecine de ville soigne les deux tiers des Français, l'hôpital un tiers. La crise du Covid-19 a montré la faillite de ce dernier. Le moment est venu de remettre en cause notre modèle. Mais la façon dont s'oriente le Ségur de la santé n'est pas rassurante.
La réponse territoriale a été la grande débrouille. Les entreprises ont prêté des masques. Les cabinets se sont débrouillés, les municipalités aussi, alors même que dans certaines régions, les ARS freinaient des quatre fers. Le réseau Sentinelles a montré qu'il n'était pas très efficace. Dans certaines régions, les médecins se sont organisés par Whatsapp, car ce système était bien plus réactif que tout autre. La France manque d'un réseau qui s'appuie sur la médecine libérale – la première à voir les patients et les pathologies – et qui soit développé au niveau national.
À quoi servent les ARS ? Elles sont omnipotentes, avec du personnel en nombre. Ces organismes doivent prévoir. Or qu'ont-ils prévu s'agissant du Covid-19 ? Tout le monde a été complètement dépassé. Ces effectifs, salariés de l'État, devraient établir des projections et imaginer des plans et des façons de réagir. Certaines ARS ont demandé aux médecins libéraux comment ils voyaient les choses et comment il fallait s'organiser. Nous étions chez Ubu !
Par ailleurs, pour distribuer des masques, encore faut-il en avoir. En libéral, nous avions le sentiment qu'ils étaient bloqués par les ARS ou le Gouvernement dans des stocks, et livrés en priorité à l'hôpital. Au risque de vous choquer, je considère qu'il y a eu une gabegie de matériel à l'hôpital. Les équipes qui passaient de chambre en chambre pour soigner des patients qui souffraient du même Covid-19 se changeaient systématiquement de pied en cap. Il faudrait analyser la consommation d'équipements de protection individuelle à l'hôpital, peut-être trouverait-on une explication au déficit de masques et de matériel. La gestion n'a sans doute pas été appropriée.
Aujourd'hui, lorsque vous allez chez le coiffeur, vous payez deux ou trois euros de plus au titre de l'équipement de protection mis à votre disposition. Les médecins, eux, appliquent le tarif conventionné de 25 euros et ne peuvent pas l'augmenter, c'est un problème. La médecine de ville a été et est toujours impactée par son mode de financement, car elle doit se protéger et protéger ses patients sans avoir la possibilité d'augmenter le tarif de la consultation.
Permettez-moi de vous exprimer, à titre personnel mais aussi au nom de notre commission, notre reconnaissance et notre respect. Vous avez, à bien des égards, laissé éclater votre colère. Nous avons perçu votre ressentiment quant à ce qui s'est passé. Je veux rendre hommage aux médecins qui sont décédés. Nous mesurons, et nos concitoyens aussi, le rôle qui a été le vôtre. Je veux vous redire ma plus profonde gratitude et ma reconnaissance.
J'ai dit ici même la semaine dernière, alors que j'étais entouré de deux futures ministres – Mmes Bachelot et Bourguignon –, que je trouvais le propos de Mme Bachelot à la fois injuste et non pertinent. Vous l'avez vous-même évoqué et nous en prenons bonne note.
Au-delà de cette appréciation, je souhaite revenir sur vos déclarations relatives à l'absence d'information sur la nécessité de constituer des stocks, tant de la part des ARS que de l'Ordre. Nous avons débattu hier avec les fédérations hospitalières privées au sujet de la doctrine du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale selon laquelle les entreprises, les professions médicales et tous les employeurs doivent se doter de stocks d'équipements de protection. Confirmez-vous qu'aucune instance, de tutelle ou syndicale, ne vous en a informés ?
Alors qu'on évoque de plus en plus la possibilité d'une deuxième vague et que l'inquiétude croît au plan international, quelle organisation mettre en place d'ici septembre pour ne pas réitérer ce que vous avez vécu et subi, que vous venez de rappeler avec des mots très forts, notamment dans la répartition des équipements de protection individuelle ?
Par ailleurs, les médecins libéraux exercent souvent un rôle de médecins coordonnateurs dans les EHPAD. Que pensez-vous de la gestion de la situation dans ces établissements, notamment l'atteinte à la liberté de prescription médicale ? Nombre de résidents d'EHPAD n'ont pas été hospitalisés et ont reçu, conformément au décret du 28 mars, un traitement palliatif. Comment l'avez-vous vécu ? Avez-vous été confrontés à cette difficulté de prise en charge et d'hospitalisation dans les EHPAD ? Vos confrères niçois, que j'ai contactés, m'ont indiqué que la régulation avait refusé de prendre en charge ces patients : « qu'ils meurent à l'hôpital ou en EHPAD, c'est pareil, donc autant qu'ils restent en EHPAD ». Est-ce conforme à votre expérience ? Avez-vous été témoins de consignes particulières ou d'une doctrine spécifique pour les EHPAD ?
S'agissant de la possibilité d'une deuxième vague et de l'organisation à mettre en place, il faut tirer les enseignements de ce qui s'est passé et donner des instructions claires aux Français. Quand le confinement a été décidé, j'ai été très étonné de constater que, globalement, les Français ont fait preuve d'une responsabilité extraordinaire. En me rendant tous les jours à mon cabinet, sans jamais être contrôlé, j'ai constaté que le confinement était respecté. Alors que se dessine le risque d'une deuxième vague, regardons ce qui se passe dans les autres pays. En l'occurrence, ils ont testé – ce qu'il faut continuer à faire très largement – et confiné dans les clusters. Depuis hier, la Catalogne impose le port du masque dans tous les lieux confinés. Pourquoi ne le fait-on pas en France ? Qu'attend-on ? Que les clusters se multiplient ? Il faut être clair vis-à-vis des Français. Ce type d'instructions a manqué. Avec le déconfinement, tout le monde oublie les gestes barrières. Nous sommes encore dans une situation sous contrôle, mais il faut donner des instructions claires quant au port du masque et au respect des mesures barrières, tout particulièrement dans les endroits confinés.
Tirons également les enseignements en matière d'organisation. Voyons ce qui a bien fonctionné. C'est lorsque les professionnels de terrain ont pris la main, en particulier les médecins libéraux, que les choses ont bien marché. C'est ainsi qu'il faut s'organiser. Il faut donner des moyens aux professionnels de terrain et leur faire confiance pour s'organiser. Des centres covid ont été constitués, ils sont aujourd'hui en sommeil mais il est possible d'y effectuer les tests diagnostiques RT-PCR. Il faut se préparer et ne pas complètement les désarmer. Donnez en priorité des moyens à ces centres covid, pour éviter l'engorgement terrifiant que l'on a observé dans les hôpitaux. En matière organisationnelle, il faut se reposer sur les médecins de proximité et les accompagner dans les organisations et les structures qui se mettent en place.
À cet égard, le problème des ARS et de leurs délégations territoriales se pose très clairement. Il faudra avoir le courage d'analyser pourquoi nombre d'ARS et de délégations territoriales ont constitué des obstacles et des freins à ce que l'on essayait de mettre en place sur le terrain.
Tirons les leçons de ce qui s'est passé pour éviter de reproduire les mêmes erreurs et profiter des initiatives positives. Arrêtons le système administratif. Ce ne sont pas des personnes qui ne connaissent rien à la médecine qui vont nous apprendre la médecine et nous empêcher de prescrire ! L'interdiction de prescription de certains médicaments était une honte. Nous sommes quand même capables de savoir ce que nous prescrivons – ou alors, il faut nous retirer notre diplôme de docteur. Aujourd'hui, en France, tout le monde veut jouer au docteur, il faut que cela cesse.
Dans l'optique d'une deuxième vague, il faut aussi tirer les leçons de ce qui se fait sur le terrain. Cela rejoint un peu le système de la recherche : en milieu libéral, elle est extraordinaire. Grâce à nos échanges dans le cadre de forums, nous savions que dans les EHPAD, les symptômes de Covid-19 n'étaient pas du tout les mêmes que dans les services de réanimation : les premiers malades étaient des personnes âgées qui tombaient ou faisaient des hémorragies vaginales. Nous avons également tiré la sonnette d'alarme face à l'agueusie – la perte du goût – et l'agnosie, la perte de l'odorat. Autant de signes presque pathognomoniques, qui signent la maladie. On a beaucoup entendu que le Covid-19 serait une grippette et nous n'avons pas vraiment su ce qui se passait en Chine. Mais nous avons tiré les leçons de nos observations. Les patients à l'hôpital et en réanimation n'étaient pas du tout les mêmes que ceux que l'on voyait en libéral. Mais certains médecins libéraux ont alerté sans être écoutés. Nous avons attendu dix à quinze jours avant de tenir compte de ce qu'ils disaient, et ils avaient raison. Il faut savoir nous écouter, nous qui sommes à l'écoute de nos patients et qui voyons la façon dont ils évoluent. Admettons qu'il est possible de faire de la recherche en médecine libérale.
Par ailleurs, la formation a eu toute son importance. Nous l'avons fait entre nous. Dès que nous constations un symptôme, nous le faisions savoir. Nos réseaux nous ont permis de savoir exactement quels signes pouvaient avertir que nous étions en présence du Covid-19. Cela a été très porteur. Tirons les enseignements de ce « système D ».
S'agissant de la prise en charge, il faut un double système d'appels d'urgence. Le 15 est dédié aux urgences vitales. Comme par hasard, il semblait ne plus y avoir d'infarctus ou d'AVC durant le confinement ! Et pourtant, il y en a bien eu. Les pompiers ont trouvé des personnes décédées dans leur appartement. Étaient-elles mortes du Covid-19, en raison de problèmes vasculaires ou d'une thrombose, ou bien d'un infarctus ou d'un AVC ? Prévoyons un double système d'appels : le 15 pour les urgences vitales et le 116-117 pour la régulation libérale. Il en va du respect des patients et des médecins libéraux, qui travaillent toujours en utilisant la permanence des soins ambulatoires, la PDSA, qui n'est rien d'autre qu'un appel entre nous pour faire une régulation.
Si une deuxième vague arrive, nous ne rencontrerons plus de problème de tests, puisqu'il y en a presque trop. Le problème des masques sera moindre, puisqu'on en trouve partout, même sur les trottoirs.
Dans les EHPAD, le personnel était très démuni puisqu'il n'était pas approvisionné en masques et n'a pas bénéficié de détection ou de test PCR, ce n'est pas normal. Ce sont des actions à effectuer régulièrement.
Le Covid-19 a entraîné une déshumanisation du soin. Des personnes sont mortes toutes seules chez elles. Nous avons laissé nos personnes âgées seules. Certaines sont mortes de solitude. Notre société est belle quand elle respecte ses anciens et ses jeunes – il faudrait parler de la situation des écoles, même si ce n'est pas notre domaine. Les enfants n'osent plus se toucher et être en contact les uns avec les autres. Ils sont, eux aussi, déprimés. Il faut réhumaniser le soin.
La peur ne fonctionne pas comme système d'éducation d'une population. Sinon, plus personne ne fumerait. L'éducation thérapeutique se développe depuis quelques années, nous savons que ce n'est pas en faisant peur à quelqu'un que l'on obtient des résultats. Nous avons besoin d'information et d'éducation. Si l'on fait peur, on laisse le champ libre au déni et la population parle de complot et de mensonges, ne croit plus ce qu'on lui dit, cesse de porter un masque et part en vacances, délaissant les mesures barrières. Sortons de la peur, explicitons la situation et donnons de l'information. Ma secrétaire m'a fait part de l'apparition de cas à Oléron, mais elle ne savait pas d'où venait l'information, ce sont des propos rapportés. Sans information, les patients et certains professionnels de santé s'inquiètent et finissent par faire courir des bruits. Il faut donc plus de transparence, et une information qui circule mieux.
Dans les EHPAD, nous avons rencontré des difficultés. Certes, nous nous sommes rapidement organisés. Nous avons tenté de gérer certains cas par téléphone et de centraliser les informations auprès de notre confrère coordonnateur afin qu'un seul médecin se rende dans ces établissements. Pour autant, nous avons été confrontés à des difficultés de gestion de nos patients – pas tellement en raison du Covid-19, car nos EHPAD ont été bien protégés, mais pour le reste. En temps normal, quand un patient doit être hospitalisé, nous mettons tout en œuvre pour ne pas le faire passer par les urgences. Mais pendant le confinement, nous n'avons jamais pu faire hospitaliser directement un patient, on leur a imposé le passage aux urgences, ce qui s'est avéré catastrophique pour les personnes âgées. Nous avons essayé de les traiter autant que possible sur place, mais nous avons alors été confrontés à l'interdiction d'utilisation d'un certain nombre de molécules. Nous avons ainsi été mis en difficulté pour gérer les décompensations respiratoires, puisque nous n'avons plus accès à la Ventoline en médecine de ville. Nous avons également éprouvé des difficultés dans la gestion des soins palliatifs, face aux pénuries d'approvisionnement en midazolam.
En somme, nous avons été confrontés à des difficultés majeures dans la gestion des EHPAD – pas tant pour le Covid-19 que pour le reste, dans la zone dans laquelle j'exerce. Nous avons besoin d'aide dans ce domaine.
Nous avons abordé le manque de masques pour les professionnels de santé. Il en a été de même dans toutes les structures qui accompagnent les personnes âgées. C'est l'une des grandes faillites de cette épidémie. Toutes les aides à domicile, en EHPAD ou hors EHPAD, n'ont pas été pourvues en équipements de protection leur permettant à leur tour de protéger les personnes âgées, ce qui était une nécessité primordiale. L'arrivée des protections a été extrêmement tardive. L'État a une grande part de responsabilité.
Par ailleurs, je souhaite vous faire part de deux interrogations, qui mettent en lumière les différences de traitement entre les professionnels de santé. Nous sommes contents de pouvoir enfin prescrire les tests PCR pour le diagnostic, ce qui est assez récent. Mais on oublie de dire qu'il y a 30 % de faux négatifs. Que fait-on, quand un tiers de personnes n'est pas dépisté lors d'une épidémie ? Certains tableaux cliniques sont typiques. Nous savons très bien qu'une personne qui perd l'odorat et le goût souffre du Covid-19, même quand le résultat du test PCR est négatif. Pourtant, la CNAM considère que tel n'est pas le cas. Il faudrait au moins nous laisser faire un scanner, qui permet de détecter le Covid-19. Mais seul l'hôpital a le droit d'en prescrire, en ville, nous ne le pouvons pas. On nous prive donc, encore aujourd'hui, de la possibilité de diagnostiquer un tiers des patients ! Pourquoi l'hôpital peut-il prescrire des scanners, mais pas nous ? Pourquoi ne pas nous faire confiance quand nous affirmons que nous sommes face à un tableau clinique typique ? Pourquoi ne pas faire confiance aux généralistes ? Cette différence de traitement nous empêche de prendre en charge un plus grand nombre de patients.
Le sujet des inégalités sociales de santé a été peu abordé. J'ai le sentiment que personne ne s'est interrogé quant à l'applicabilité des mesures dictées par le Gouvernement, ne serait-ce que l'autorisation de sortie. Pour en avoir une, il fallait disposer d'une imprimante. Et pour la remplir, il fallait savoir lire et écrire. Ainsi, tout un pan de la population a été exclu et ne sortait plus. J'ai moi-même envoyé des attestations de sortie à des patients souffrant de maladie grave qui n'avaient pas compris qu'il en fallait une et qui ne comprenaient pas non plus ce qu'étaient les mesures barrières. De ce point de vue, les organisations territoriales nous permettent de mieux nous adapter à ces populations spécifiques. Il y a toute une frange de la population dont nous nous sommes très peu occupés.
Peut-être y aura-t-il une deuxième vague. L'observation de ce qui se passe dans certains pays étrangers laisse plutôt penser que des clusters plus ou moins gros se développeront. Appuyons-nous sur ce qui se fait à l'étranger. Depuis le début de la crise, on a bien évolué. On trouve des masques, on dispose de tests et le SI-DEP semble plutôt bien fonctionner. Mais il faudra aussi s'appuyer sur la médecine de ville et la permanence de soins des médecins libéraux. C'est sur eux qu'il faut compter. L'hôpital intervient in extremis, mais le premier niveau est celui de la médecine de ville. Laissons-la prescrire des médicaments et des scanners.
Il faut laisser travailler la médecine de ville, en lui offrant un système de remontée rapide des informations. On ne parviendra pas à organiser les territoires d'une façon très structurée d'ici quatre à cinq mois. On parle depuis trois ans des CPTS : soixante sont organisées et les autres sont encore en gestation. Des systèmes de permanence des soins sont organisés sur le territoire – j'en connais un dans la Sarthe, qui a très bien fonctionné parce que les médecins étaient honorés, ils ne s'y déplaçaient pas pour de petites sommes. Il ne s'agit pas d'être mercantile, mais lorsque vous donnez de votre personne et que vous faites des heures supplémentaires, il faut quand même que ce travail soit reconnu. À Bergerac, le système Whatsapp a très bien fonctionné lui aussi. Il faut laisser faire les acteurs du territoire, qui ont su s'organiser, et que les ARS agissent comme des facilitateurs et non comme des freins, contrairement à ce qui s'est passé.
Dans les EHPAD, la crise a été un véritable drame. Quand le Covid-19 y a pénétré, les médecins généralistes, eux, n'ont pas été autorisés à le faire. Les résidents ont été laissés à l'abandon. Certains sont décédés sans leur famille. Les familles sont très insatisfaites de ce qui s'est passé dans ces établissements. Ce n'est pas une façon de traiter nos anciens. Les médecins traitants des résidents en EHPAD doivent pouvoir continuer à traiter leurs patients. Certes, certains EHPAD ont organisé des téléconsultations, mais cela n'a pas été le cas partout.
Vous confirmez unanimement l'incapacité de protéger la médecine de ville, à commencer par la désinformation sur les stocks médicaux. L'exemple des masques en est une illustration parfaite. Le Gouvernement a d'abord indiqué qu'ils étaient inutiles, avant de déclarer le contraire. Si nous avions adopté les mêmes mesures qu'à Hong Kong ou dans toute l'Asie, et même en Allemagne, la situation aurait été différente. Vous avez payé un lourd tribut, ainsi que vous l'avez tous rappelé – tant en nombre de décès qu'en nombre de médecins touchés par le Covid-19.
Outre les masques, le problème est venu des ARS. Il serait intéressant de savoir quels ont été les mauvais liens entre ces agences et les professionnels libéraux de terrain.
La fermeture des cabinets à compter du 15 mars a permis le développement de la téléconsultation, à laquelle je suis particulièrement attaché. Que va-t-elle devenir ? Doit-elle entrer dans les pratiques générales, ou connaîtra-t-on un retour en arrière ?
Quant au numéro de téléphone libéral voulu par nombre d'organisations syndicales, le 116-117, ne doit-il pas enfin être mis en place sur le terrain, en plus du 15 ? Par ailleurs, la permanence des soins ambulatoires ne doit-elle pas permettre d'améliorer la permanence des soins dans tous les territoires ?
Enfin, quels ont été les soutiens financiers apportés aux cabinets libéraux par l'État et par la CARMF ? Je crois savoir que vous en avez reçu. Il est important de montrer le rôle de votre caisse de retraite.
Je vous remercie pour vos témoignages. Certaines auditions ont pu donner le sentiment que tout s'était bien passé. Derrière la formule selon laquelle « l'hôpital a tenu », nous avons dû insister pour savoir ce qui avait été compliqué à gérer et ce qu'il fallait envisager pour préparer la suite.
Ce qui s'est passé dans les EHPAD a révélé une espèce de choc anthropologique dans notre rapport au vieillissement. Certains points mériteront vraiment d'être creusés. Peut-être faudra-t-il prendre connaissance de certains comptes rendus de CHSCT et des retranscriptions des communications qu'il a pu y avoir entre les centres 15 et les EHPAD.
Concernant les rapports entre clinique privée et hôpital public, certains patients ont été transférés d'un bout à l'autre de la France, alors qu'il semblait y avoir des capacités d'hospitalisation dans les cliniques privées. Qu'en a-t-il vraiment été ? Les échos divergent.
Au fil de ces auditions, nous avons le sentiment que l'état urgence sanitaire était en fait un état d'urgence pandémique, et que l'on a laissé de côté les autres questions sanitaires. Vous avez évoqué des pertes de chance et des difficultés dans la continuité des soins. Sommes-nous capables de dresser un bilan sanitaire de cette pandémie, indépendamment des sujets directement liés au Covid-19 ? Plusieurs médecins ont indiqué que des patients avaient eu des infarctus chez eux car ils n'avaient pas osé se rendre chez leur médecin de ville ou à l'hôpital public. Sommes-nous capables d'apprécier le bilan sanitaire hors Covid-19 ? Ce serait utile pour préparer la suite et ne pas oublier, en cas de deuxième phase, la prise en charge des autres pathologies.
Nous sommes tous conscients des graves difficultés rencontrées dans la protection des professionnels de santé. Nous avons tous partagé le drame de vos confrères atteints par le coronavirus. Dans ma ville, à Bar-le-Duc, je connais trois médecins qui ont été touchés.
Vous avez évoqué les problèmes de logistique pour la distribution du matériel. Un autre sujet m'a profondément troublé pendant cette crise : la coordination des informations issues des cabinets médicaux. Elle a été complètement défaillante, et ce n'est pas de votre fait. Jusqu'à la mi-mai, dans le cadre de la coordination des informations avec le préfet de mon département – qui a effectué un très bon travail en lien avec le délégué de l'ARS –, nous obtenions directement les informations auprès des cabinets médicaux que nous contactions régulièrement. Nous en déduisions sommairement l'évolution de la maladie. J'ai été atterré d'observer cette absence complète de transparence de l'information. Certes, l'arrivée des tests devrait faciliter les choses. Mais en cas de deuxième vague, il faudra absolument améliorer la qualité de la transmission d'informations. Si nous voulons avoir une bonne connaissance de la crise, nous avons besoin d'informations stables. Faut-il des moyens supplémentaires ? Comment faire en sorte que la situation s'améliore, de votre côté ?
Au cours de vos études de médecine et de votre formation continue, êtes-vous formés à la gestion de crise sanitaire ? Avez-vous vécu des exercices de crise sanitaire permettant à chacun de connaître les contraintes des autres ? Nous entendons aujourd'hui les représentants de la médecine libérale. Nous avons entendu ceux des médecins hospitaliers à un autre moment. Sans compter les ARS, dont je défends la suppression. Nous constatons que tout le monde ne travaille pas ensemble, pourtant vous poursuivez le même objectif.
Par ailleurs, je suis un peu surpris de la nature de vos propos. J'ai été maire durant vingt-quatre ans, à proximité de sites classés Seveso. Nous effectuions régulièrement des exercices, y compris avec les médecins locaux. Comme vous l'avez rappelé, l'éducation au risque ne se fait pas par la peur mais par l'information. Mais, de la même façon qu'il n'existe pas de culture du risque dans la population, il n'y en a pas non plus chez les médecins et chez les fonctionnaires qui pilotent, coordonnent et contrôlent les activités de santé. Au-delà des problèmes de masques – rappelons que l'obligation pour un employeur d'assurer la protection de ses salariés est bien antérieure à la doctrine de 2013 –, quelles seraient les pistes de travail pour former un collectif à la gestion de crise ?
Je souhaite avant tout vous rendre un hommage vibrant. Je suis élue dans l'une des régions qui ont été les plus touchées, j'ai perdu des confrères et des amis, ce moment est donc délicat pour moi. J'aimerais aussi revenir sur le manque de confiance à votre égard de la part de l'État. J'emploierai même des mots plus forts : vous avez été écartés – c'est évident –, vous avez été ignorés, vous avez été bafoués, vous avez été trahis. Et par deux décrets des 25 et 26 mars, vous avez été contraints de ne plus prescrire. Je ne reviendrai pas sur la polémique relative à une certaine molécule, mais vous avez perdu la liberté de prescrire.
Outre la population, la peur s'est appliquée à vous-mêmes, me semble-t-il. En effet, vous avez été menacés à plusieurs reprises par l'ordre des médecins. Tel a été le cas de vos confrères lorrains, pour avoir prescrit des antibiotiques avec du zinc.
Vous avez eu raison de souligner la surmortalité dans les zones précaires, qui a pu atteindre un taux de 114 %.
Après l'affaire du Lancet, le ministre de la santé a déclaré dans un communiqué de presse que l'hydroxychloroquine ne devait être prescrite aux patients atteints du Covid-19 ni en ville ni à l'hôpital. Or il ne dispose pas du pouvoir d'interdire, conformément à l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique. Qu'attendent les syndicats pour ruer dans les brancards ? Cette interdiction de prescrire n'a que trop duré. Le temps est venu de vous redonner vos pleins pouvoirs de médecins. Pensez-vous normal que l'État vous interdise de prescrire ?
Sur les rapports entre cliniques privées et hôpital public, les établissements de soins privés ont été mobilisés sans discernement dans toute la France et se sont mis en situation d'accueillir des patients pour des hospitalisations simples ou dans les services de réanimation. Ils ont même souvent été promus à des niveaux d'équipements supérieurs sur instruction de l'ARS. Puis nous avons vu des patients traverser la France en TGV, alors que nous aurions pu les accueillir, puisque nous ne comptions aucun patient hospitalisé dans nos établissements privés. Cela a été le cas dans le Grand-Est, en particulier. Il y a donc bel et bien eu des problèmes de collaboration.
S'agissant des pertes de chance, en raison de l'incurie de l'État dans la gestion des médicaments – midazolam, propofol et curare –, l'activité dans les établissements de soins publics et privés n'est repartie que très lentement. En hospitalisation privée, nous avons le sentiment que les établissements de soins publics ont été largement dotés en médicaments, tandis que nous peinons à en obtenir. Moralité, certains gestes simples et certains diagnostics n'ont pas pu être effectués. Je pense, par exemple, aux coloscopies qui permettent de diagnostiquer un cancer du côlon. Or un retard de diagnostic se traduit par un retard de prise en charge, alors même que les pathologies continuent à évoluer. Aujourd'hui, certains établissements traînent un peu des pieds pour reprendre leur activité. Nous l'avons dénoncé à de multiples reprises.
Le recours à la télémédecine a explosé, pour de multiples raisons. Nous y sommes favorables, même si la téléconsultation ne peut pas remplacer une consultation présentielle. La plus grande vigilance est de mise pour que la téléconsultation n'entre pas dans un marché commercial, en fixant des règles dans le parcours de soins. En tout état de cause, certaines modalités de télémédecine méritent d'être assouplies, notamment concernant la téléconsultation. Il importe de développer la télé-expertise et d'entrer dans la télésurveillance.
Tout cela devrait faire l'objet d'une négociation conventionnelle que nous appelons tous de nos vœux au plus vite. Des moyens sont légitimement débloqués pour les hôpitaux publics, et j'attends sans grande illusion les conclusions du Ségur de la santé, car je crains que la médecine de ville ne soit complètement oubliée. Or la nation ne peut pas oublier ses valeureux soldats qui sont montés au front sans protection et qui, pour certains, l'ont payé de leur vie. Il serait indigne de la nation française de ne pas accompagner la réorganisation et la restructuration de la médecine libérale.
Le 116-117 est une demande unanime des syndicats de médecins libéraux. Mais on nous a répondu qu'il continuerait à y avoir un numéro unique parce qu'on considère que les Français sont trop idiots pour distinguer le 15 et le 116-117. Ce serait pourtant une garantie d'indépendance.
De nombreux projets sont élaborés suivant le modèle du Grand-Est, par exemple en Normandie, en Île-de-France ou encore dans la Creuse : un 116-117 avec une régulation libérale, une prise en charge et une valorisation des soins non programmés, une garantie de prise en charge du patient dans les 12, 24 ou 48 heures selon la pathologie, et une interconnexion avec le 15 en cas de véritable urgence. Nous pourrions ainsi prendre en charge les 20 millions de passages qui n'ont rien à faire aux urgences et qui coûtent environ 5 milliards d'euros à la collectivité. Pour notre part, nous demandons une valorisation d'environ 360 millions d'euros pour financer le dispositif que je viens de décrire.
Mais la médecine libérale est complètement ignorée par le Ségur de la santé, comme l'administration nous a ignorés et méprisés. Souvenez-vous que les internes qui effectuaient leur stage en médecine générale étaient initialement privés de prime, de même que les anesthésistes-réanimateurs libéraux qui ont permis au système de tenir ! Il a fallu que nous nous battions pour qu'ils bénéficient eux aussi des primes. Il faudra donc fortement insister pour que soit instauré un 116-117 libéral, car le Gouvernement n'est pas disposé à le faire. Ce serait pourtant la première étape d'une réorganisation du système de soins, d'une prise en charge des soins non programmés et d'une régulation des urgences.
Le Ségur de la santé accorde 7 milliards d'euros aux hôpitaux et ils mégotent ! Je peux vous dire que si l'on dédiait la même somme à la médecine de ville, nous réorganiserions le système de santé – à commencer par un financement des syndicats médicaux. Dans le cadre du Ségur de la santé, nous sommes prévenus la veille pour le lendemain, comme si nous n'avions pas de consultations à assurer. Nous ne sommes pas des professionnels du syndicalisme, nous exerçons tous une activité libérale. La façon dont on nous a traités, en modifiant des dates de réunions la veille pour le lendemain, en en annulant d'autres et en ne nous annonçant que ce matin une réunion demain au ministère est un pur scandale.
J'ai entendu Mme Buzyn demander la création d'une nouvelle agence pour la gestion de crise. Mais nous avons appris qu'en 2017, le directeur de Santé publique France avait écrit au directeur général de la santé concernant la gestion des stocks, mais qu'il n'avait obtenu une réponse qu'en octobre 2018, et que Mme Buzyn ne l'aurait appris qu'en janvier 2020. Il faut donc quinze mois pour passer d'un étage à l'autre du ministère, et on nous parle d'une nouvelle agence ! Pour quoi faire ?
L'ARS Île-de-France, qui a pourtant été particulièrement active, n'a adopté que le 20 mars un modèle de type distrimasques, à l'instar de celui qui avait été mis en place dans le Grand-Est avec les URPS des médecins et les URPS des pharmaciens. En outre, cette ARS n'a pas respecté les directives relatives aux clusters qu'elle avait elle-même diffusées le 11 avril ! Il y a eu un cluster en face de chez moi, à Clamart. Normalement, on aurait dû extraire les sept personnes qui se trouvaient dans un foyer de jeunes travailleurs et les isoler dans un « hôtel Covid ». Cela n'a pas été le cas. À cette occasion, j'ai aussi découvert la guerre entre la préfecture et les ARS, puisque le maire m'a indiqué que le préfet n'avait pas été prévenu de l'existence de ce cluster. Non seulement l'administration est hypertrophiée, mais en plus elle se fait la guerre. C'est absolument insupportable.
Nous n'avons jamais reçu un seul cours, lors de nos études médicales, sur la gestion du risque. À Orléans, dans le Val-de-Loire, il existe un risque d'inondation. Il donne lieu à l'élaboration de procédures volumineuses que personne ne lit. Mais on considère que le risque est pris en compte. Il existe aussi des centrales nucléaires dans la région, mais nous n'avons pas d'informations. Certains habitants n'ont pas de pastilles d'iode. Peut-être n'ont-ils pas voulu aller les chercher, en tout état de cause, la situation devient invraisemblable, l'information du public est indispensable.
S'agissant de la liberté de prescription, soyez assurés que nous ruons dans les brancards. C'est une atteinte insupportable à notre profession et à notre dignité.
Quant à la coordination dans les cabinets médicaux, elle se poursuit. Nous effectuons actuellement des autotests, même si la HAS a montré qu'ils n'étaient pas très fiables – à l'instar des autres tests. Aucun test n'est fiable à 100 %. Les patients pourraient les effectuer eux-mêmes, mais la HAS ne le souhaite pas dans la mesure où ils ne seront pas capables d'en interpréter les résultats. Ces tests pourraient être prescrits par les médecins. Nous ignorons s'ils seront remboursés ou non, et s'ils pourront être effectués par d'autres professionnels de santé. Mais le problème de santé publique sera exactement le même ! Quelle sera la lisibilité ? Comment saurons-nous qui a développé le Covid-19 ? Il est temps que le Gouvernement et l'État organisent un véritable système de santé public.
Le signalement des cas contacts, même en cas de désaccord du patient, nous a posé des difficultés sur le plan déontologique. En effet, c'était logique du point de vue de la santé publique, mais cela l'était moins d'un point de vue individuel.
Quoi qu'il en soit, il faudra se pencher sur le sujet des autotests, si l'on veut préparer la suite. Si un autotest semble positif et si le patient concerné développe le Covid-19 et en décède, quelle sera la responsabilité de la personne qui aura effectué le test ? Où les résultats seront-ils tracés ? De nombreux sujets doivent être revus pour le futur. Nous devons construire à partir de nos erreurs, pour ne pas les réitérer. J'ai retenu une phrase prononcée par un de nos confrères, selon laquelle « les médecins manquaient de masques et l'État masquait les manques ». Je la trouve pertinente et parlante.
La santé publique est l'une des missions de la médecine générale et des soins primaires. Il faut clairement le marquer, ce qui ne l'était probablement pas jusqu'à présent.
Le recueil de données est fondamental. J'ai d'ailleurs commencé mon propos en observant que cela n'intéresse personne. Le réseau Sentinelles, constitué pour surveiller la grippe, a disparu. Il s'appuyait sur le réseau des médecins généralistes. La France compte 45 000 vrais généralistes – certains confrères sont comptabilisés comme généralistes alors qu'ils font une autre activité – pour l'ensemble de la population. C'est un réseau sur lequel on peut s'appuyer, il serait bon de le faire revivre.
La téléconsultation a constitué un outil très important et très intéressant. Il faut toutefois prêter attention à ses limites, à commencer par le respect du parcours de soins. Une consultation par un médecin qui n'a pas été en contact avec le patient et qui ne le connaît pas aboutit en général à une visite aux urgences ou une consultation du médecin traitant.
Une autre limite de la téléconsultation est clinique. La grande majorité des téléconsultations pendant le confinement ont concerné nos patients, qui nous contactaient par internet ou par téléphone – dans le 18e arrondissement de Paris, la plupart de mes patients ne savent pas télécharger une application, heureusement que le téléphone est là. Ces téléconsultations ont permis de suivre l'évolution des pathologies. Mais certains de mes patients ne sont pas capables de me dire s'ils ont de la fièvre et ce n'est pas par téléphone ou en téléconsultation que j'aurai la réponse. Il faut les rencontrer physiquement. Il est donc important que je dispose de protections pour les recevoir dans de bonnes conditions. En somme, la téléconsultation est indispensable mais elle présente aussi des limites : le respect du parcours de soins et la clinique.
Les restrictions de prescription sont absolument scandaleuses. C'est une revendication de longue date de nos syndicats, on en parle maintenant car le sujet est devenu médiatique. Nombre d'interdictions de prescriptions sont votées par le Parlement ou décidées par décret. Le prix de certains nouveaux médicaments est si élevé que je comprends que l'on mette un filtre pour éviter que tous les médecins les prescrivent. Mais pourquoi la Ventoline en aérosol est-elle interdite aux généralistes ? Les interdictions de prescrire sont scandaleuses, mais elles ne datent pas d'aujourd'hui, et sont parfois votées dans cette assemblée.
S'agissant de la gestion de crise, il faut s'appuyer sur les organisations territoriales. Il est vrai que le nombre de CPTS est limité. Mais toute crise oblige à innover. Ainsi, les organisations territoriales qui étaient naissantes ont vraiment reçu un coup d'accélérateur. À Paris, par exemple, trois CPTS ont signé l'accord conventionnel interprofessionnel (ACI) : ceux des 13e, 14e et 18e arrondissements. Ceux du 10e, du 15e et du 20e étaient en gestation. D'autres territoires, où il n'existait pas grand-chose, ont organisé des centres covid qui ont permis de faire naître une dynamique territoriale : le 5e, le 12e, le 17e et le 19e. Nous commençons donc à couvrir quasiment tout Paris. Si une gestion de crise nous associe au niveau de l'État et entend notre avis au lieu de favoriser des décisions administratives inapplicables, et s'appuie sur des organisations territoriales, certes imparfaites, nous disposerons d'un outil efficace. Il faut donc absolument renforcer ces organisations pour la suite.
La gestion de crise sanitaire ne fait pas partie de notre formation initiale. En revanche, les médecins généralistes qui le souhaitent sont impliqués dans un certain nombre d'organisations qui pratiquent des exercices, dont les médecins-pompiers. J'ai ainsi participé à un exercice NRBC au mois d'octobre dernier. De nombreux généralistes sont investis, mais sur la base du volontariat. Nous ne sommes pas sollicités pour faire partie des organisations régulières.
S'agissant de la coordination des informations dans les cabinets médicaux, depuis deux mois, seuls mes patients me demandent s'il y a eu des cas de Covid-19 dans notre département. Je leur réponds alors que durant les trois premières semaines, il y a eu trois à quatre suspicions par médecin et par jour. Mais en fait, nous n'en savons rien puisque nous n'avions pas de tests. Je ne suis donc pas en mesure de dire si nous avons eu des grippes ou des Covid-19. J'aurais aimé que les médecins soient questionnés par l'ARS, dont le rôle est d'organiser un retour régulier du terrain. Nous avons fait des enquêtes auprès de nos confrères, mais avec des moyens différents des ARS. Cela pourrait être conduit de manière plus organisée auprès de l'ensemble des confrères du territoire.
Outre ce qu'ont répondu mes confrères au sujet de la téléconsultation, il faut se méfier de l'industrie. En effet, il y a un ONDAM et même s'il est appelé à évoluer, notre budget n'est pas illimité. Si l'industrie intervient, il n'y aura plus de parcours de soins. Ce sera un libre-service qui aura pour effet de favoriser le développement de certaines pathologies.
La demande de création du numéro 116-117 est unanime.
S'agissant de la gestion de crise, il faut utiliser ce qui existe déjà. En l'occurrence, la permanence des soins. Il y a aura à coup sûr une troisième crise à gérer. Le Ségur de la santé prévoit d'augmenter les salaires des médecins hospitaliers de façon très conséquente, ce qui entraînera un effet d'aubaine. Les jeunes, qui sont déjà très frileux pour travailler en libéral, opteront encore davantage pour le salariat, ce qui créera un creux démographique alors que la médecine libérale soigne deux tiers des Français.
Le bilan sanitaire hors covid sera surtout statistique, car il sera difficile de l'analyser.
J'ai déjà évoqué la coordination des informations entre les cabinets médicaux, qui serait facilitée grâce à un système simple. Peut-être la Caisse pourrait-elle créer une application.
Nous n'avons reçu aucune formation à la gestion de crise sanitaire au cours de nos études. On peut se porter volontaire pour participer à certains exercices, mais c'est loin d'être le cas de tous les médecins.
S'agissant de la liberté de prescrire, la situation est parfaitement anormale. Nous ne pouvons plus prescrire certains antiacides. Certains médicaments étaient utiles pour soigner les patients, nous ne les avons plus.
Enfin, je vous rappelle que des accords ont été passés entre les hôpitaux publics et les cliniques privées, pour que celles-ci subviennent aux besoins des autres. Permettez-moi de vous lire un SMS que j'ai reçu le 1er avril d'un praticien qui fait partie de mon syndicat : « L'hôpital public François Quesnay, référent hôpital covid, demande sur injonction de l'ARS d'annuler toutes les opérations habituelles sous anesthésie générale à la clinique, pour avoir le maximum de lits libres pour les covid + sans besoin de réanimation. Il lui demande aussi d'assurer ses urgences viscérales et orthopédistes non covid. On tourne en rond sans rien faire, car François Quesnay envoie ses urgences vers l'hôpital public de Meulan-Les Mureaux ». La clinique n'a jamais reçu un cas de l'hôpital !
Avant de poser ma question, je souhaite rendre un hommage appuyé aux médecins de mon territoire. Député de Montpellier, j'ai vu de nombreux médecins aider les plus fragiles et les personnes à la rue, notamment lors de maraudes.
Docteur Hamon, vous avez indiqué avoir appris lors de nos auditions l'existence de la doctrine de 2013. Vos confrères sont-ils dans le même cas ? Notre commission continuera à chercher qui était au courant de cette doctrine. Hier, nous avons entendu un témoignage très clair selon lequel cette doctrine n'était pas du tout connue – ce qui, contrairement au rapporteur, ne m'étonne pas mais m'effraie. Je suis même atterré de l'entendre !
L'un d'entre vous indiquait détenir un stock de masques dans son cabinet. J'imagine que c'était à la convenance de chacun, en l'absence de doctrine. Pouvez-vous estimer l'état du stock de masques FFP2 quand la crise a démarré ? Alors qu'il faudra changer la doctrine, quelles sont vos préconisations ? Avez-vous besoin d'accompagnement ? Que l'État pourrait-il faire pour que nous disposions d'un stock stratégique à la hauteur de vos besoins ?
Vos témoignages confortent mon expérience en tant que pharmacien : nous étions réquisitionnés pour la distribution des masques, laquelle s'est avérée extrêmement complexe du fait d'ordres et de contre-ordres permanents. Nous avons été la cible d'injures et d'insultes, puisqu'une fois sur deux, les professionnels de santé qui se rendaient dans les officines ne figuraient pas sur leur liste. Et lorsqu'ils y figuraient, le nombre de masques à distribuer dont nous disposions n'était pas du tout en relation avec les besoins.
Je vais toutefois tenter de voir le côté positif de cette crise sanitaire inédite et de grande ampleur. Une véritable organisation de terrain a été mise en place par les professionnels de santé, les collectivités et les entreprises. Il faut la saluer, car c'est grâce à elle que nous avons tenu. Cette grande réactivité et cette vraie dynamique de territoire ont existé indépendamment des ARS, qui n'étaient pas du tout dans l'opérationnel.
Je m'interroge sur les CPTS. Cette crise n'a-t-elle pas montré que tous les acteurs qui interviennent dans la chaîne de soins – professionnels de santé, auxiliaires de vie, etc. – étaient en capacité d'échanger efficacement ? Ne faut-il pas intensifier ces échanges ? La CPTS est-elle le bon échelon pour le faire ?
De nombreuses initiatives ont vu le jour, place étant pour une fois laissée à l'autonomie, permettant à chacun d'engager ce qui lui paraissait le plus opportun. Ne faut-il pas tout de même élaborer un vrai plan de crise opérationnel, territoire par territoire, pour tenir compte des spécificités de densité et de précarité de population ?
Je suis médecin généraliste non exerçant, mais j'ai été consultante en gestion de crise pandémique en Asie entre 2006 et 2008.
Dans cette commission d'enquête, nous essayons de comprendre ce qui s'est passé et quels ont pu être les manquements et les défaillances, pour tenter de les corriger et de les améliorer.
Après une période de tempête, nous sommes en période de vigilance et nous espérons tous revenir à un temps calme. S'agissant de la période de tempête, vous avez montré que les médecins généralistes étaient capables de mener des enquêtes sur le terrain. Avez-vous prévu de présenter des retours d'expérience, qui nous permettraient de disposer de données chiffrées et d'élaborer des propositions ?
Quelles sont vos propositions pour améliorer l'articulation entre la ville et l'hôpital ? Avez-vous prévu de présenter des outils et des données pour éclairer ces propositions ?
Quel est votre avis sur les rôles des ARS dans les différents territoires ?
Quels outils pensez-vous pouvoir conserver ? Quels outils pensez-vous créer ?
Enfin, avez-vous des propositions quant au circuit optimal de distribution et de mise à disposition des équipements de protection individuelle ?
La gestion des EHPAD constitue l'un des grands échecs de cette crise. Vous avez tous souligné les difficultés pour tester, soigner ou hospitaliser les résidents de ces établissements. Il se pose un problème médical et un problème éthique, un problème d'humanité.
La médecine libérale repose sur plusieurs piliers : liberté d'installation, liberté de choix du médecin par le patient, liberté de prescription. Or non seulement vous avez été confrontés à l'interdiction de prescrire, mais vous avez reçu des recommandations, des préconisations et des incitations à prescrire. Quel est votre point de vue quant au décret signé par Olivier Véran le 28 mars concernant l'usage du Rivotril, notamment pour les résidents en EHPAD ?
S'agissant des masques, nous avons attaqué cette crise avec les stocks reçus il y a dix ans : des boîtes de trente masques – périmés – et des lunettes de protection. Mon cabinet a acheté deux boîtes de cinquante masques lorsque nous avons compris que la situation commençait à chauffer, pour équiper les patients.
La doctrine sur les masques a changé : l'avis de la Société française d'hygiène hospitalière du 28 janvier 2020, repris dans le guide méthodologique Covid-19 de la DGS du 20 février 2020, est resté en ligne jusqu'à ce que je le dénonce au cabinet du ministre. Il indiquait clairement que les soignants devaient porter des masques FFP2. On m'a ensuite dit que faute de masques FFP2, on ferait porter des masques chirurgicaux au soigné et au soignant, mais il n'y avait même pas de masques chirurgicaux pour les soignants.
Il est normal que nous ayons un petit stock de masques en permanence, mais en situation de crise, l'État a la responsabilité de nous en fournir. Si chacun doit garder des stocks importants, la question du financement se pose, et nous n'avons aucun accompagnement financier pour l'instant. On ne peut pas demander à chaque cabinet médical de stocker des cartons entiers de masques, c'est de la responsabilité de l'État.
S'agissant des CPTS, l'un des enseignements de cette crise est que les possibilités d'organisation sur le terrain sont variées. La CPTS ne doit pas être un modèle unique imposé partout, c'est un outil intéressant parmi d'autres. Certains médecins l'ont pris en main, dans d'autres cas, on note des dysfonctionnements. D'autres outils permettent la coordination des acteurs sur le terrain. Des cabinets médicaux pluriprofessionnels existent depuis des années sans être nécessairement déclarés en tant que maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Ce n'est pas parce que des médecins sont sous un même toit qu'ils travaillent ensemble, et à l'inverse, les outils numériques permettent de collaborer sans partager les locaux.
Il existe déjà les CPTS, les maisons de santé pluriprofessionnelles, les équipes de soins primaires, les équipes de soins spécialisées, évitons de multiplier les structures bureaucratiques. Laissons les médecins libéraux et les professionnels de santé s'organiser sur le terrain.
S'agissant de la liaison entre médecine de ville et hôpital, créer des groupements hospitaliers de territoire a été une erreur. Ce sont de grosses entités dirigées par un hôpital de référence censé faire un projet territorial de santé duquel sont exclus l'hospitalisation privée et la médecine libérale. Notre système de santé est centré sur les structures et sur l'hôpital, c'est l'inverse qu'il faut faire. La médecine de ville doit s'organiser, des outils émergent dans le domaine de l'e-santé et du numérique. Ils permettront de coordonner la médecine de ville avec les hôpitaux, à l'échelon des territoires. Les GHT sont de trop grosses structures qui ont tendance à tout régenter dans les territoires en excluant une partie de l'offre de soins.
Nous n'avions pas de CPTS, le système a très bien fonctionné avec les infirmières libérales et les pharmaciens. Nous avons organisé un centre covid qui fonctionnait avec les médecins et les infirmières. Pour la distribution des masques, notre système était comparable à celui dénommé distrimasques dans le Grand Est : nous avons eu les masques tard, mais la distribution par les pharmaciens a été remarquable. Il n'est pas nécessaire de mettre en place une organisation territoriale formelle, nous pouvons nous arranger avec les infirmières libérales, les médecins et les pharmaciens.
Nous avons connu la pandémie de 2005, j'avais gardé la boîte de trente masques FFP2 qui m'avait alors été distribuée, et en l'ouvrant, j'ai été surpris de constater que le courrier qui l'accompagnait n'était pas signé par Roselyne Bachelot, mais par Xavier Bertrand. Pour la pandémie de grippe aviaire en 2005, tout était écrit. Il était même prévu que les pharmacies ayant des stocks de Tamiflu – qui n'a jamais servi à rien – soient protégées militairement, et que des agents municipaux habillés comme des Martiens distribuent des repas aux patients confinés à domicile. Les écoles et les transports auraient fermé. Cette organisation existe bien, elle était prévue en 2005. Puis nous avons connu la grippe H1N1. Si nous n'avons pas reçu de formation spécifique lors de nos études, nous avons tout de même quelques expériences.
S'agissant du Rivotril, il est choquant de pouvoir prescrire le midazolam, un médicament qui n'est pas très souple, pour accompagner la fin de vie, alors qu'il nous est encore interdit de prescrire du Rivotril en gouttes contre les acouphènes, ou des aérosols de Ventoline. Les interdictions de prescrire sont particulièrement mal vécues par les généralistes sur le terrain.
Je prescris du Rivotril injectable : tout ce qui s'injecte peut se boire, et il est permis de le prescrire…
Dans ma propre famille, une personne est décédée. Il a été insupportable de ne pas pouvoir lui rendre visite, ni à l'EHPAD, ni en hôpital. Pourtant certains EHPAD étaient organisés pour permettre les visites aux patients en fin de vie, j'en ai visités qui avaient organisé un circuit par la sortie de secours, tapissé de sacs-poubelles. Les personnes en fin de vie étaient placées dans une ou deux chambres accessibles par la sortie de secours, et les familles pouvaient leur rendre visite.
L'interdiction des visites aux patients en fin de vie est une mesure inhumaine, d'une violence insupportable. Sur ce point, nous avons été très mauvais.
Les consignes nationales étaient en effet inhumaines et inadaptées, au point d'en devenir inapplicables. Elles ont entraîné beaucoup de souffrances inutiles.
Ce qui m'a le plus heurté à propos des masques, c'est que lorsque nous avons compris qu'il n'y aurait pas de masques FFP2 – contrairement aux promesses qui nous avaient été faites – il nous a été expliqué que la protection était à peu près équivalente si le patient et le médecin portaient chacun un masque chirurgical. Mais ensuite, le nombre de masques a été restreint, et quand nous avons demandé s'il y en aurait pour les patients, il nous a été répondu que nous devrions choisir. Il est inacceptable de nous faire avaler une couleuvre avec un argument, puis de nous placer dans l'incapacité de l'appliquer.
Il faut remercier les municipalités : à Paris, les mairies d'arrondissement et la mairie centrale ont beaucoup aidé ; à Frontignan également. Les villes ont largement distribué leurs stocks et ont permis aux professionnels de s'organiser, et nous nous sommes partagé les masques, il existe une grande solidarité entre tous.
L'organisation des soins se fait à différentes échelles. Le premier niveau, c'est l'équipe de soins primaires autour du patient : quelques médecins, les infirmières, le pharmacien. C'est le noyau des MSP, mais le cadre administratif de ces dernières est tellement exigeant et rigide que de nombreux professionnels ne peuvent s'y conformer. Nous demandons depuis plusieurs années des investissements en faveur des équipes de soins primaires, qui sont les premières unités autour du malade. Aujourd'hui, pas un centime n'y est consacré. Une négociation à ce sujet nous est promise depuis la mise en place des CPTS, mais elle est constamment reportée. Les équipes de soins primaires devraient être les unités de base de l'organisation, car elles ont toute la souplesse pour s'adapter aux réalités de terrain. Il faut les développer car elles sont au point mort, il n'y en a aucune en Île-de-France.
À l'échelle supérieure, pour la protection de la population, la CPTS est adaptée. La santé publique ne peut se faire de manière individuelle, elle doit être pensée pour une population donnée sur l'ensemble d'un territoire. Il faut une organisation, qui peut se faire avec les CPTS ou une autre structure permettant de nous organiser autour d'un territoire.
Enfin, à une échelle encore supérieure, il est probablement nécessaire de mettre en place des inter-CPTS. Si nous développons le service d'accès aux soins (SAS), il serait trop compliqué de mettre en place un numéro de téléphone différent pour chaque arrondissement, qui constitue la bonne échelle. Les efforts et les bonnes pratiques sont mutualisés, mais l'action doit être menée différemment en fonction des caractéristiques locales, par exemple dans les quartiers riches ou les quartiers pauvres. Il faut une échelle territoriale que les professionnels pourront s'approprier, mais si c'est l'administration qui la définit, elle restera une coquille vide. C'est le cas dans les CPTS : ce sont les équipes qui choisissent leur territoire. Mais pour certains services, tel que le SAS, il faut probablement retenir l'échelle du département. Les équipes de soins spécialisés agiraient aussi à cette échelle, il ne serait pas pertinent de prévoir une équipe de dermatologues uniquement pour un arrondissement. Et à l'échelle supérieure, on trouve les hôpitaux et les bassins de vie. L'organisation doit donc permettre de coordonner ces différentes échelles.
La recherche en médecine générale est réalisée par les collèges de médecine générale, et les départements de médecine générale des sociétés savantes. Je suis sûre que de nombreuses études ont été lancées sur le Covid-19, mais je ne peux les citer toutes car l'épidémie a mis à mal notre temps syndical. Il y a un danger : j'ai vu passer une tentative de mainmise des doyens de CHU sur la recherche en médecine générale, ce qui serait inadmissible. Oui, des études sont nécessaires, mais laissez-nous la maîtrise de la recherche dans le domaine qui nous concerne.
À propos de la doctrine de 2013, il est vrai que nul n'est censé ignorer la loi, mais il y a tellement de décrets, d'arrêtés, de lois et d'avis que nous ne sommes pas toujours au courant. Nous savons que l'employeur est responsable de la santé de ses salariés, mais s'agissant de l'équipement, c'était difficilement prévisible. Les seuls praticiens en médecine ambulatoire qui avaient des stocks de masques étaient les chirurgiens qui travaillent sous anesthésie locale.
Pour la distribution des masques, les réseaux pharmaceutiques étaient tout à fait indiqués, mais nous avons constaté que le personnel des pharmacies et des cabinets médicaux n'était pas inclus dans les dotations de masques. Nous avons dû leur donner nos propres masques pour qu'ils se protègent.
La CPTS est un niveau populationnel. En France, entre le ministère et le médecin, il y a seize strates d'organisation, c'est trop. La CPTS en ajouterait une nouvelle, mais la base, ce sont les professionnels autour du patient. Nous ne sommes pas totalement d'accord sur la définition de l'équipe de soins primaires, elle impose une formalisation entre les acteurs. Les équipes de soin ouvertes pourraient se constituer de manière beaucoup plus simple, au niveau du dossier médical partagé. Le syndicat des médecins libéraux souhaite une organisation simple, rapide à mettre en place, sans protocole, administration ou réunions. Pour monter une CPTS et aboutir à une lettre d'intention, il faut huit mois à un an de réunions, ce n'est pas normal.
Le décret du ministre de la santé a sans doute été un peu précipité : il a été pris quatre ou cinq jours après la parution dans le Lancet d'une étude qui a été retirée une semaine ou dix jours plus tard. C'est un cas d'école.
La pandémie en Asie n'a pas été aussi forte qu'en Europe, parce que les habitudes y sont différentes. Je connais beaucoup de personnes à Bali, tout le monde y avait des masques, sans difficulté. Il est assez intrigant qu'en France, cinquième puissance mondiale, il n'y ait pas eu de masques pour nous protéger.
La réunion s'achève à treize heures.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 10 h 30
Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Eric Ciotti, Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin, M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Anne Genetet, M. François Jolivet, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Peyron, M. Jean Terlier, M. Boris Vallaud, Mme Martine Wonner
Excusée. - Mme Sophie Auconie