Intervention de Philippe Vermesch

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Philippe Vermesch, président du SML :

J'exerce à Saint-Raphaël, dans le Var. Le syndicat des médecins libéraux souhaite vous faire part de son retour d'expérience.

Nous n'imaginions pas que la crise sanitaire viderait les cabinets médicaux pendant le confinement. L'activité a fortement chuté pour toutes les spécialités. Certaines d'entre elles, notamment la chirurgie, ont même été contraintes à l'arrêt avec la mise en œuvre du plan blanc. L'Assurance maladie évalue à 4 milliards d'euros le montant des soins empêchés durant cette période. J'emploie le terme « empêchés » à dessein puisque, par sa maladresse, le Gouvernement a conduit les patients à croire qu'ils n'étaient autorisés à se déplacer que pour des cas urgents et relatifs au covid. Puis, lorsque ce message a été rectifié, sur notre insistance, une forme de psychose s'était développée quant au risque de contamination dans les salles d'attente. L'activité a donc bel et bien été empêchée pour les médecins et les chirurgiens travaillant en établissements de soins, du fait du plan blanc.

En outre, la demande du Gouvernement de vider les cliniques pour aider les hôpitaux a concerné indistinctement les régions infectées et les autres. Cela a mis à l'arrêt complet tous les établissements avec du personnel présent sans travail – car s'ils n'étaient pas là, ils n'avaient pas droit au chômage partiel. L'activité aurait pu continuer sous conditions, limitant ainsi les surpathologies que nous avons connues par la suite.

De même, la reprise de l'activité a été empêchée par les ARS, d'abord au motif de maintenir les établissements disponibles, puis pour ne pas consommer les produits servant à l'anesthésie. Ainsi, début juillet, nous rencontrions encore des difficultés pour hospitaliser des patients qui avaient besoin d'une intervention.

L'activité a également été empêchée en raison de l'abandon des médecins par les pouvoirs publics. Nous n'avons pas reçu à temps les masques promis. On nous a baladés au sujet des stocks d'État qui, en réalité, n'existaient pas. Le discours politique a d'ailleurs évolué en fonction de la disponibilité des masques. La gestion des masques a été totalement ubuesque : dans ma région, nous avons reçu en mars un nombre très limité de masques FFP2, fabriqués en 2002 et périmés depuis 2007. À l'époque, la Haute autorité de santé, HAS, indiquait que l'on pouvait accepter deux ans de péremption.

À aucun moment les médecins libéraux n'ont été avertis du prétendu changement de doctrine concernant la gestion des masques. À aucun moment, ils n'ont reçu directement ou indirectement la consigne selon laquelle il leur appartenait désormais de constituer leur propre stock. Sinon, ils auraient évidemment fait le nécessaire pour préserver leur propre santé, celle de leurs patients et leur activité de soins au service de la santé publique. Je répète que quarante-six médecins libéraux ont trouvé la mort durant cette épidémie parce qu'ils n'étaient pas équipés. Il reste encore difficile de chiffrer le nombre de ceux qui ont été contaminés. La CARMF évalue à 6 000 le nombre d'arrêts de travail de médecins libéraux en rapport avec cette pathologie.

Le SML s'inscrit en faux contre le procès d'intention fait par Mme Bachelot devant cette commission. Les propos qu'elle a tenus sont déplacés à l'égard de notre profession.

Pour la prise en charge des patients, les libéraux ont dû se débrouiller par eux-mêmes. Les premiers protocoles diffusés n'étaient pas adaptés à la pratique en cabinet, certains comptaient trente pages, il n'est pas possible de les suivre. Les médecins se sont donc organisés pour créer des conditions de consultation sécurisées dans leurs cabinets et installer des centres covid. Les collectivités locales ont prêté leur concours, ainsi que les entreprises dans certains départements. On peut regretter, à cet égard, que certaines des ARS ayant imposé un paiement forfaitaire pour les professionnels exerçant dans ces centres ne les aient toujours pas payés : des médecins attendent encore leurs émoluments. Des organisations ont également été développées dans certains départements en situation de pénurie médicale. Dans la Sarthe, par exemple, les médecins ont trouvé des moyens de prise en charge sans médecin traitant, sans le concours des CPTS, des ARS ou des groupements hospitaliers de territoire, les GHT. Ils se sont tout simplement appuyés sur des outils conventionnels et ont obtenu le déblocage d'une consultation covid à quarante euros, en négociant avec le directeur de la caisse primaire du département. Il y a donc eu un arrangement local.

Le déverrouillage de la télémédecine, et plus encore les consultations par téléphone, ont constitué un levier incontestable. Il est indispensable de pérenniser les consultations téléphoniques pour nos patients les plus âgés, qui ne savent pas utiliser les moyens numériques, mais aussi pour ceux qui vivent dans les zones blanches ou mal couvertes par l'internet à haut débit.

Nous voulons également insister sur la gestion des appels. Le renvoi, dans un premier temps, de tous les appels relatifs au Covid-19 vers les centres 15 était une erreur. Ces centres ont été rapidement débordés, entraînant des temps d'attente et de traitement des appels inacceptables qui ont laissé sans prise en charge de nombreux patients non-covid en détresse sévère. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers s'en est récemment émue dans un rapport. Cette douloureuse expérience condamne définitivement l'idée d'un numéro d'appel unique. Dans les régions où le 116-117 a fonctionné, comme le Grand-Est, il n'y a pas eu de difficulté. Il est donc indispensable de généraliser, à côté du 15 pour les urgences vitales, un 116-117 pour les demandes de soins non vitaux que la ville prend en charge. Le rôle de régulation est stratégique, il doit être conforté et développé.

Nous voulons souligner une dernière anomalie. Les professionnels libéraux bénéficient d'un dispositif de formation continue obligatoire, géré par l'État au moyen de l'Agence nationale du développement professionnel continu. Celle-ci a refusé de prendre en charge les actions de formation relatives au Covid-19, au motif qu'elles ne figuraient pas dans les objectifs prioritaires du Gouvernement. La seule formation que les médecins auront reçue a donc été dispensée par le Fonds d'action de formation, le FAFPM, financé par nos cotisations. Pour sa part, l'organisme d'État a complètement failli dans cette mission. Ces actions étaient pourtant nécessaires et urgentes. Les textes qui encadrent ce dispositif devraient évoluer pour le rendre flexible et moins étatique.

En conclusion, les médecins libéraux gardent un ressentiment très profond de la façon dont ils ont été traités, et il risque de s'aggraver du fait de la différence de traitement entre l'hôpital et la médecine ambulatoire dans le cadre du Ségur de la santé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.