La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, qui compte 281 000 membres, et, au-delà, l'ensemble des sapeurs-pompiers de France, ont souhaité faire un retour d'expérience sur ce que nous avions vécu pendant la crise. Je rappelle que les sapeurs‑pompiers réalisent 4,1 millions d'interventions dans le domaine du secours d'urgence aux personnes. Nous avons la prétention de dire qu'ils sont des acteurs de la santé des territoires, avec 7 000 unités opérationnelles réparties dans l'ensemble des départements. Nous les avons appelés récemment les « soldats de la vie » parce que nous considérons qu'ils sont les premiers acteurs de l'urgence – avec d'autres partenaires. Ils ont été les premiers à constater les effets du covid-19 sur nos anciens et sur l'ensemble de la population. Au moment même où nous parlons, ils effectuent encore des opérations taguées « covid » dans le système d'information. Cela veut dire que la maladie est toujours présente.
Vous avez parlé du retour d'expérience et du document dont le contenu s'est retrouvé dans la presse. Je considère, comme je l'ai rappelé au Sénat la semaine dernière, qu'un seul et unique document émanant des sapeurs-pompiers de France doit être la base notre propos : celui que nous vous avons transmis hier soir. C'est celui-ci qui constitue le retour d'expérience des sapeurs-pompiers de France.
Nous avons souhaité souligner le fait que, lors de la crise, a été utilisé un modèle de gestion qui n'est pas celui que nous connaissions jusqu'à présent. Nous nous en étonnons. Nous pensons que la crise a été plus administrée que gérée, et ce pour une seule et unique raison : le choix a été fait de confier le déroulement des opérations à celles et ceux qui, certes, administrent la santé au quotidien, notamment les agences régionales de santé (ARS), mais qui n'ont pas pour habitude de gérer des crises.
La façon de procéder a été très éloignée des principes guidant habituellement la gestion des crises, qui sont au nombre de trois.
Premièrement, le commandement unique. Comme vous le savez, le maire est le directeur des opérations de secours, épaulé par le commandant des opérations de secours ; si la crise dépasse le cadre de la commune, c'est le préfet qui prend la main ; si elle revêt une dimension nationale, c'est le Premier ministre qui intervient, avec tous les outils dont dispose le ministre de l'intérieur, pour prendre en compte tous les aspects interministériels.
Deuxièmement, la déclinaison territoriale qui revient aux préfets.
Troisièmement, la mobilisation de la totalité des forces locales : les élus et leurs services en première ligne, les forces de sécurité intérieure, les professionnels de santé lorsqu'il le faut, les bénévoles et les associations, mais aussi les partenaires sociaux.
Nous avons relevé que la participation des sapeurs-pompiers avait été peu souhaitée. Cela a même été dit par certaines personnes lors des auditions, ici même ou au Sénat. Visiblement, à les en croire, en matière d'urgence, les sapeurs-pompiers ne savent pas faire – alors même qu'ils effectuent 4,1 millions d'interventions chaque année au bénéfice de la population.
En outre, on a essayé d'assécher nos services de santé, notamment en appelant ses membres à participer à la réserve sanitaire, alors que ce sont eux qui garantissent, avec les services d'aide médicale urgente (SAMU), l'aide médicale d'urgence. Ce sont eux également qui, en ce moment même, relancent la phase de test dans les territoires, alors que certaines ARS manquent de main-d'œuvre. Les infirmiers sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers formés à cette mission vont tester la population. Pourquoi n'ont-ils pas été appelés à le faire au tout début de la crise ? Les associations agréées de sécurité civile ont été utilisées par les ARS, alors que, comme leur nom l'indique, il s'agit d'associations. Lorsqu'il a fallu les mobiliser, elles étaient attirées par d'autres choses, notamment des compensations financières dont le ministère de l'intérieur ne disposait pas, d'ailleurs.
Finalement, tout ne s'est pas trop mal passé sur le territoire, mais pour une seule et unique raison : une forte réactivité, la souplesse et la polyvalence des uns et des autres – et le fait qu'ils ont coopéré parce qu'ils se connaissaient. La semaine dernière, certains parlementaires ont été tentés de parler d'une guerre supposée entre « blancs » et « rouges », dont il est sans arrêt question dans les médias. Il serait dommage de donner l'image d'un débat de cour de récréation, alors qu'il s'agit d'une discussion autour de positions différentes et qu'il y va des principes fondamentaux qui permettent de gérer l'urgence au quotidien, ainsi que les situations de crises.
Cela ne s'est pas trop mal passé, disais-je, parce que les sapeurs-pompiers, les hospitaliers, les acteurs du secteur médico-social, l'ensemble du monde de la santé, toutes celles et ceux qui font la santé du quotidien, se connaissent, s'apprécient et ont les mêmes valeurs, pour faire en sorte d'accomplir leur mission jour après jour. Cette réussite au niveau local s'explique par le lien solide qui existe avec les préfets, qui organisent la réponse de l'État sur le plan économique et social, mais aussi sur le plan de la santé et celui de l'urgence. Ce sont les préfets qui, lorsqu'ils ont pu le faire, ont organisé les opérations et fait en sorte que les sapeurs‑pompiers soient sollicités.
Cette réussite est aussi due à l'agilité et à la robustesse des SDIS, qui ont une vingtaine d'années d'existence – depuis la loi de 1996 qui a départementalisé l'organisation des services d'incendie et de secours. Ils sont animés par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Celle-ci doit continuer sa mue et être renforcée.
La performance de notre système de sécurité civile s'explique aussi par son caractère hybride, avec la possibilité de recourir au volontariat qui permet d'agréger des compétences : il doit être défendu pour continuer à répondre aux enjeux de protection civile dans les territoires. Le maillage territorial, d'ailleurs, a contribué lui aussi à la réussite.
Enfin, je voudrais insister sur la qualité des liens entre les sapeurs-pompiers et le monde hospitalier, car si nous avons fait preuve d'une grande agilité, d'une grande souplesse et d'une adaptation sans faille dans les territoires, il faut relever que ceux qui servent dans les hôpitaux n'ont pas été en reste, dans un moment où on nous demandait de nous passer de beaucoup de choses et de faire appel au « système D ».
Quant aux enseignements que nous tirons de la crise, nous pensons, d'abord, qu'il faut refondre notre système de santé, accroître son agilité, renforcer la proximité et la territorialisation, qui a été oubliée au cours des vingt ou trente dernières années : il faut faire en sorte que les acteurs de terrain, privés ou publics, puissent répondre aux enjeux de santé, plutôt que de s'en tenir au « tout-urgences ».
Ensuite, nous en appelons au respect du credo en matière de gestion de crise, à savoir l'attribution claire au ministère de l'intérieur du pilotage opérationnel des crises sur le territoire national, au bénéfice du Gouvernement. En effet, nous avons connu, pendant la crise du covid‑19, la même chose qu'au moment de l'incendie de Lubrizol et de la catastrophe de Brétigny‑sur‑Orge : une difficulté de gestion liée au fait que l'ensemble des ministres ou des secteurs administratifs souhaitaient intervenir, voire accaparer la question technique dont ils ont la charge et qu'ils administrent habituellement, alors que ceci n'a rien à voir avec la gestion de crise.
Enfin, nous proposons une nouvelle ambition en matière de protection civile, faisant des sapeurs-pompiers les acteurs majeurs des urgences pré-hospitalières et de la gestion des crises. Notre pays doit privilégier les systèmes à la fois réactifs, garantissant l'agilité territoriale et permettant de planifier et de se projeter dans le long terme. Il faut conforter les trois principes fondamentaux de la doctrine de gestion de crise que sont l'unité du commandement, la déclinaison territoriale et la mobilisation de toutes les forces. On doit s'appuyer sur des piliers essentiels pour gérer une crise : respecter le pilotage de la gestion de crise autour des préfets et des préfets de zone ; développer la résilience de la population, que la FNSPF appelle de ses vœux depuis la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004, ce qui passe notamment par une politique de développement du volontariat qui permette de se donner enfin des ambitions en matière de protection civile dans tous les territoires ; enfin, reconnaître la capacité des SDIS en matière médicale, notamment en distinguant un numéro de l'urgence, le 112, dont ils auraient la charge, avec les autres acteurs du secteur, et un numéro de la non-urgence, le 116 117, réservé au service d'accès aux soins – M. le ministre de la santé vient d'évoquer, en clôture du Ségur de la santé, une expérimentation en la matière.