La Fédération a été auditionnée à maintes reprises depuis que j'en suis le président, et en 2003, à l'issue de la canicule, mon prédécesseur l'avait été lui aussi. Nous avons créé un groupe de travail dont le pilotage est centralisé, et auquel l'ensemble des documents remontent. Celui qui a été diffusé n'est ni le premier ni le dernier qui a circulé dans le réseau. La sémantique utilisée dans le travail préparatoire était propre au groupe et n'avait pas à être diffusée. Le seul responsable, c'est celui qui est devant vous, c'est-à-dire moi-même, et le document validé par mes soins est celui que vous avez entre les mains. Je considère que le terme « esbroufe » pouvait être utilisé par un groupe de travail, mais qu'il n'avait pas à se retrouver sur la place publique ; d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle, dorénavant, nous parlons d'« opération de communication ». J'en reste là en ce qui concerne le prérapport et la communication malencontreuse.
S'agissant de la gestion de crise, je m'adresse à des élus de terrain, car vous êtes élus locaux ou l'avez été ; vous savez très bien que, lorsque survient un événement, le maire l'accapare en tant que directeur des opérations de secours, mais que, dès l'instant où l'événement en question nécessite des moyens de plus grande ampleur, l'autorité préfectorale a l'habitude de gérer la crise, et ce quel qu'en soit le type : ce n'est pas parce que la crise a une origine sanitaire, naturelle ou industrielle que la gestion doit en revenir au ministère qui administre le dossier. Est-ce que l'incendie de Lubrizol a été géré par le ministère de la transition écologique et solidaire ? Non. Alors que celui-ci instruit l'ensemble des dossiers permettant l'ouverture des établissements entrant dans la catégorie des installations classées. C'est le préfet qui exerce la direction des opérations de secours et qui met à l'ouvrage l'ensemble des services permettant de créer un périmètre de sécurité – les forces de police –, d'établir un diagnostic pour savoir si, parmi les blessés, il y a des cas urgents et, le cas échéant, les évacuer vers les centres hospitaliers – en liaison avec le SAMU.
Pour en revenir un instant à la régulation, il est important de se souvenir du contexte de 1986, lorsque la loi relative à l'aide médicale urgente a mis en place le système actuel. L'hôpital n'avait pas opéré sa mue. La médecine de ville était présente dans l'ensemble des territoires ; il y avait des médecins que l'on appelait « de campagne ». La réponse médicale n'avait donc rien à voir avec celle que nous connaissons. Par ailleurs, on ne parlait pas encore du vieillissement de la population. Les sapeurs-pompiers n'avaient pas encore développé leur organisation comme ils ont pu le faire grâce à la départementalisation, qui leur permet de proposer un haut niveau de service. Quand on compare le contexte d'alors au contexte actuel, on se dit que la régulation doit certes être faite, mais dans le but d'apporter une plus-value du médecin ; elle doit permettre, au regard d'une pathologie évoquée par téléphone ou que le sapeur-pompier décrit, en relation téléphonique avec le médecin urgentiste, d'orienter la victime – qui va devenir patient – vers le meilleur plateau technique disponible, en fonction de la pathologie observée, et avec le meilleur vecteur pour permettre soit de gagner du temps soit de faire en sorte que la personne concernée soit évacuée plus loin, si on n'est pas en mesure de l'accueillir dans le ressort de compétence initial.
Vous nous avez demandé quelle serait la solution optimale pour gérer la crise. Tout se planifie, tout s'anticipe. Le plan pandémie grippale existe depuis 2011. Or il n'a pas été déclenché. Cela ne veut pas dire qu'il fallait l'observer à la lettre, car la grippe H1N1, qui avait conduit à sa rédaction, n'avait pas la même cinétique que le covid-19. En tout état de cause, les sapeurs-pompiers, les policiers, les gendarmes et les soldats disposent de ce qu'on appelle, en gestion de crise les « fondamentaux », mais aucune situation opérationnelle n'est écrite à l'avance : ils doivent faire preuve de capacité d'adaptation. C'est ce que nous aurions dû faire : déclencher le plan pandémie grippale et nous adapter, avec un commandement unique et une seule direction des opérations de secours.
Comme vous l'avez dit, il y a eu plusieurs salles de crise, plusieurs structures qui auraient pu permettre de gérer la crise, mais auxquelles l'ensemble des services ne participait pas. Ainsi, le 17 mars, a été ouverte la cellule interministérielle de crise (CIC), dont l'objectif est justement de gérer la crise sur l'ensemble du territoire. Le ministère de la santé y était représenté une fois par semaine, lorsqu'il avait le temps. Autrement dit, le partage d'informations n'était pas optimal.
Lorsque nos forces armées dirigent une opération, quel que soit le contexte, ce n'est pas l'unité spécialisée qui gère la crise : il y a un commandant qui prend tout le recul nécessaire, étudie l'ensemble des paramètres et interagit avec l'aviation, la marine et l'unité spécialisée. Lorsqu'un sapeur-pompier gère un événement en rapport avec un produit chimique, il s'agit d'un officier ayant le recul nécessaire et l'ensemble du spectre de la gestion de crise, bénéficiant des conseils techniques de celui qui en sait plus sur la nature du produit en question et ses conséquences. Ce que l'on peut dire, tout simplement, c'est qu'en l'espèce, on a confié au conseiller technique la gestion de crise, alors qu'il n'avait pas le recul nécessaire. En gestion de crise, on parle de l'« effet tunnel » pour décrire le phénomène psychologique qui se manifeste : à un moment donné, on ne voit plus l'ensemble des paramètres, on s'enferre dans les paradigmes auxquels on est habitué, on se focalise sur la recherche de la lumière, au bout du tunnel, en occultant tout le reste. C'est aussi simple que cela.