Intervention de le colonel Grégory Allione

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 12h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

le colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs‑pompiers de France :

Tout simplement parce qu'il s'agissait de missions qui n'étaient pas les nôtres.

Concernant les choix difficiles qu'il a fallu faire, je filerai la même métaphore que tout à l'heure : c'est ce qui se passe lorsqu'on est en situation de guerre. De la même manière, lors d'une intervention, si un chef d'agrès, devant une façade en feu, n'a à sa disposition qu'un seul fourgon pompe tonne et une seule échelle, qu'il entend crier des gens piégés dans deux appartements, avec d'un côté une personne âgée et de l'autre quelqu'un de plus jeune avec un enfant en bas âge, où dresse-t-il l'échelle, selon vous ? La conduite à tenir n'est écrite nulle part, mais il fera un choix. Les médecins, de même que les sapeurs-pompiers, font des choix au quotidien. J'en suis désolé, mais cela fait partie de leur art. Pendant la période dont nous parlons, il y a certainement eu des choix à faire. De surcroît, nous n'étions pas dans une période normale, il faut le comprendre ; c'est ainsi, d'ailleurs, que nous n'étions pas non plus dans une phase où il s'agissait d'administrer. Dans de telles circonstances, il y a les fondamentaux, et au moment où l'on prend la décision, le bon sens et le pragmatisme.

Monsieur Morel-À-L'Huissier, nous n'avons pas porté un diagnostic caustique : nous avons dressé un constat. Il ne s'agissait pas de blesser qui que ce soit. Le document vise à constater et à mettre en évidence des faits dans le but de progresser. Nous aurions pu produire un texte qui satisfasse tout le monde – mais ce qui s'est passé était-il totalement satisfaisant ? Même si nous avons toutes et tous fait preuve d'intelligence, d'adaptabilité et de réactivité pour permettre à notre pays de résister le plus possible à ce virus que l'on ne connaissait pas – et que, d'ailleurs, on ne connaît pas encore totalement –, l'organisation n'a pas été satisfaisante. Vous l'avez souligné : on aurait pu utiliser le plan pandémie grippale, même s'il fallait sans doute l'améliorer en tenant compte de l'état actuel de la science et de ce que l'on avait vécu depuis sa conception. De notre point de vue, une seule entité doit piloter la crise : le ministère de l'intérieur. Sur notre territoire, c'est à lui que revient la gestion de crise. Il a à sa disposition tous les outils nécessaires, toutes les forces.

La distribution de matériel aurait-elle pu être plus performante ? S'agissant des masques, la distribution a été confiée à des transporteurs privés ; par moments, ils ont mis du temps à arriver, car certains des transporteurs ont invoqué leur droit de retrait. Or, au sein de la direction générale de la sécurité civile, existent les établissements de soutien opérationnel et logistique (ESOL), et, dans tous les territoires, il y a les sapeurs-pompiers. Nous nous sommes d'ailleurs proposés pour distribuer les masques. Je puis vous assurer que, là où il y a eu une forme de coordination entre l'autorité préfectorale, ayant à sa disposition les ESOL et les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI), et les collectivités territoriales – notamment les départements et les communes –, la distribution a été faite par les sapeurs-pompiers, et il n'y a jamais eu de déficit de masques. Certes, l'expérience de ce qu'avait vécu la région Grand Est a permis à certaines régions et certains départements de s'adapter, mais si l'on avait fait confiance aux territoires et aux acteurs qui les animent au quotidien, on aurait pu mettre en œuvre des dispositifs beaucoup plus performants. Cela vaut aussi, d'ailleurs, pour les acteurs locaux faisant partie d'états-majors, comme c'est mon cas : il faut savoir se forcer à faire confiance à celles et ceux qui agissent sur le terrain. C'est aussi cela qui a manqué, par moments, dans la gestion de crise.

Effectivement, monsieur Dharréville, dans le choix qui a été fait pour la gestion de crise, nous n'avons pas eu la place qui est la nôtre habituellement : alors que nous sommes les acteurs du secours d'urgence aux personnes, on a considéré que nous ne devions pas être présents – c'est l'exemple du médecin qu'on a fait descendre d'un hélicoptère.

S'agissant d'ailleurs des hélicoptères de la sécurité civile, se pose la question du renouvellement de la flotte, en dehors des deux appareils qui ont été remplacés à la suite de crashs dramatiques. Ce sont eux qui assurent les secours au quotidien : pendant la crise, 50 % des transferts interhospitaliers ont été effectués par les hélicoptères de la sécurité civile. Vous ne le savez pas car cela n'a jamais été dit.

Il faut réfléchir à la mise en place de stocks stratégiques, de manière coordonnée, et non pas pour répondre soit aux besoins des pompiers, soit à ceux de l'hôpital, soit à ceux des EHPAD. Dans la dernière partie de la synthèse, nous évoquons justement la question de la protection civile et de la gestion de crise. La proposition de loi que vous avez évoquée, monsieur Morel-À-L'Huissier – il y en a même deux qui portent sur le même sujet – pourrait s'attacher à la modernisation de la sécurité civile et à l'augmentation de la résilience de nos territoires, car c'est fondamental. Plutôt que de parler du passé, il faut préparer l'avenir, faire face au rebond de l'épidémie que l'on observe et qui se reproduira peut-être tant qu'il n'y aura pas de vaccin.

Où les plateformes téléphoniques fonctionnent-elles selon le modèle que nous proposons ? En Haute-Savoie, par exemple : une plateforme unique reçoit les appels au 112 et au 116 117, mais aussi les sollicitations liées à des difficultés sociales. Les différents services restent identifiés et identifiables, mais ils utilisent le même logiciel, leurs employés travaillent sur la même plateforme, boivent le même café, se saluent et font même du vélo ensemble. Pendant la crise du covid-19, ils ont répondu ensemble aux appels, qu'ils soient destinés au 15, au 18, au 112 ou au 116 117 ; ils étaient unis pour faire face. Or, en Haute-Savoie, il n'y a pas eu de difficultés, ni humaines ni structurelles. Peut-être faut-il retenir cette leçon.

Monsieur Démoulin, vous avez évoqué nos 100000 interventions. Certes, elles se sont très bien passées, mais lorsqu'on n'est pas ensemble, interconnecté sur la même plateforme, quand on n'échange pas, cela crée un certain nombre de difficultés. Je reprends l'exemple du cycliste auquel nous venons en aide. Au moment d'intervenir, nous ne disposons pas d'informations selon lesquelles il aurait de la fièvre ou présenterait d'autres symptômes. Nous sommes donc en tenue normale – avec en plus, désormais, un masque chirurgical, mais aussi des gants –, et non en tenue covid – en « tenue C ». Nous nous rendons compte que la personne présente des troubles. Nous faisons alors appel à un véhicule du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR), qui arrive avec à son bord un médecin ; celui-ci descend en tenue covid‑19 et nous apprenons que le cycliste avait été testé positif. Voilà un exemple de ce que nous vivons : il n'y a pas d'interconnexion, d'échange d'informations.

Cela se passe très bien parce que les gens ont la même envie de servir : que l'on soit médecin ou sapeur-pompier. C'est la même chose pour l'ensemble des élus qui composent cette assemblée et pour les élus dans les territoires : vous vous êtes engagés parce que vous aviez envie de servir nos concitoyens, parce que vous aviez une certaine idée du service de la population. Nous aussi nous promouvons sans cesse cet engagement citoyen.

Certes, monsieur Démoulin, la crise était inédite, mais comme l'étaient par leur ampleur, en 2016, les feux de forêt dans certains départements du sud : nous devons nous adapter sans cesse. Le côté inédit ne doit pas nous faire oublier qu'il faut planifier, anticiper, et pour cela travailler régulièrement – nous devrons sans doute organiser des exercices sur le territoire.

Dans le Haut-Rhin, il y a eu énormément de bonne volonté, mais c'est aussi parce que, tous les jours, le SAMU et le SDIS travaillent ensemble. C'est peut-être cette intelligence territoriale qui nous a permis, par moments, d'éviter le pire.

La FNSPF porte la voix des pompiers de France, mais si vous demandez au directeur départemental du Haut-Rhin ou au général commandant la brigade des sapeurs-pompiers de Paris comment cela s'est passé, ils vont diront eux aussi un certain nombre de choses, et nous nous rejoindrons probablement autour de certains des constats dressés dans notre rapport.

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