Intervention de le médecin-colonel Patrick Hertgen

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 12h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

le médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président de la FNSPF chargé du secours d'urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical :

S'agissant du tri en réanimation, je tiendrai un discours qui vous surprendra peut-être, car je vais soutenir mes confrères hospitaliers, qui se sont défendus, à juste titre je pense, de l'accusation qui leur a été faite d'avoir en quelque sorte volontairement laissé mourir les gens, particulièrement dans les EHPAD. Même si j'ai quelques divergences avec eux s'agissant des principes d'organisation, je ne pense pas une seconde qu'ils aient abandonné délibérément, de manière cynique, les résidents des EHPAD. Il y a deux questions de nature différente, sur lesquelles je voudrais insister : l'accès aux soins dans les EHPAD, d'une part, et les critères d'admission en réanimation de l'autre.

L'accès aux soins dans les EHPAD est un enjeu qui dépasse largement la question du covid‑19. Je dirai simplement que, depuis une trentaine d'années que j'exerce en qualité de médecin urgentiste, j'observe que les EHPAD attirent moins l'attention que les accidents de la route, parce que c'est moins spectaculaire et parfois plus ingrat. L'accès aux soins n'y est pas toujours facile, nous le constatons tous les jours. S'agissant des EHPAD, nous avons donc été les spectateurs de quelque chose que nous connaissons déjà habituellement.

Quant aux critères d'admission en réanimation, un médecin réanimateur a proposé une belle image : en réanimation, vous passez d'une rive à l'autre, et le gué est un peu difficile à franchir. Encore faut-il pour cela qu'il y ait une autre rive : la réanimation constitue un ensemble de soins extrêmement lourds, douloureux et invasifs, et il y a un intérêt à y être admis s'il existe un espoir. Le choix de l'admission en réanimation, en d'autres termes de la limitation ou non des soins, se pose là encore de manière générale, indépendamment de la question du covid‑19, et je ne pense pas, sincèrement, que les choix qui ont été faits auraient été différents en dehors de la crise.

En ce qui concerne les débauchages : il fallait produire des images – et, pour exprimer les choses très clairement, montrer du blanc. Cela dit, autant il n'a pas été souhaité d'afficher des sapeurs-pompiers, et encore moins des professionnels de santé chez les sapeurs-pompiers, autant on nous a diffusé des demandes de concours à la réserve sanitaire. Pour mémoire, il y a un peu moins de 5 000 médecins sapeurs-pompiers en France, un peu plus de 6 000 infirmiers sapeurs-pompiers – et, sur ce nombre, plusieurs centaines de professionnels, l'essentiel étant constitué de volontaires –, mais aussi des pharmaciens et d'autres cadres de santé. Toutes ces professions sont donc représentées chez nous et ce n'est pas ce qui était souhaité sur les images. Je suis un promoteur de la réserve sanitaire mais, plutôt que de nous solliciter directement, on a essayé de préempter nos ressources. Voilà ce que nous avons dénoncé. Il s'agit très clairement d'une mauvaise pratique, mais nous y sommes habitués : il y a une petite dizaine d'années, on a pris des médecins de sapeurs-pompiers pour en faire des médecins correspondants du SAMU – autrement dit, on leur a mis une autre étiquette. C'est exactement la même chose.

Vous nous avez demandé ce que nous avons pensé de la consigne concernant le 15, et si nous avons réagi. Le Gouvernement a créé un numéro vert pour informer la population – schématiquement, il était destiné à reproduire les informations transmises par d'autres vecteurs – et, en cas de doute concernant l'état de santé, donner pour consigne d'appeler le 15. Nous ne doutons pas une seconde que, si ce choix a été opéré, c'est que, depuis des années, il y a un mouvement qui tend à faire du 15 la plateforme absorbant, autour du fameux « leadership participatif », l'ensemble du soin non programmé – je n'y reviens pas. Comme nous avions constaté de longs délais de réponse, nous avons ajouté un élément : on a dit aux personnes qu'ils pouvaient aussi, en cas d'urgence immédiate, appeler le 112 – et non pas le 18, pour ne pas donner l'impression d'engager une confrontation. Nous n'avons rien fait d'autre que de rappeler une consigne française mais aussi, excusez du peu, européenne. Or cela nous a valu d'être attaqués comme rarement par nos contradicteurs habituels, qui nous ont dressé des procès en détournement : « Vous êtes des salopards ! Encore de la récupération pour votre 112 ! » Le 112 n'est pas notre numéro ; nous ne plaidons pas pour que tout nous revienne, et nous ne souhaitons pas être les leaders participatifs – autrement dit l'entité qui décide de l'allocation des moyens, car le véritable enjeu est là.

Nous disons simplement que, si l'on veut travailler sur la question de l'urgence immédiate pour faire face à des situations comme celle à laquelle nous avons été confrontés hier – je fais référence au dramatique accident de la circulation –, sans parler des personnes qui s'effondrent à cause d'un arrêt cardiaque et pour lesquelles trente secondes de différence dans les délais vont être déterminantes pour la survie, ou la qualité de la survie, il faut le faire avec les autres acteurs, notamment les sapeurs-pompiers. À cela, on nous oppose l'entre-soi de personnes qui ont la prétention d'être les seuls aiguilleurs de ressources. Ils récusent les plateformes communes, avec à l'appui un certain nombre de motifs dont aucun ne résiste très sérieusement à la contradiction. Apporter cette contradiction, ce n'est pas être en guerre, je le répète, c'est simplement considérer que le système doit évoluer.

Le choix ayant été fait du 15, nous n'avons jamais pensé qu'il fallait diverger par rapport au message du Gouvernement – les sapeurs-pompiers sont légitimistes par habitude et par culture. Nous y avons donc diffusé la consigne et pensons encore que c'était le bon choix. En revanche, nous y avons ajouté une référence au 112, pour l'extrême urgence. Maintenant nous souhaiterions que puisse s'ouvrir le débat et que puisse se faire entendre une autre parole médicale que celle des concepteurs du modèle conçu il y a quarante ans, qui affichent des ambitions extraordinairement séduisantes, mais refusent malheureusement d'afficher les performances des systèmes dont ils sont les gestionnaires.

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