Notre association, MCOOR, créée en 2015, fait partie du Collège national de gériatrie et siège au conseil d'administration de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG). Je suis moi-même gériatre, praticien des hôpitaux. Je travaille à l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille, en médecine interne, et je suis, depuis seize ans, médecin coordonnateur d'un EHPAD public autonome.
L'infection à SARS-CoV-2 touche majoritairement les personnes âgées : l'âge est le premier facteur de mortalité et le taux de décès est, hélas, très élevé. L'EHPAD est un lieu particulier confronté à des paradoxes, puisqu'il est à la fois un domicile individuel et un lieu collectif, un lieu de soins et un lieu de vie. Ces dualités sont le quotidien des médecins coordonnateurs – profession jeune, puisqu'elle n'a que vingt ans –, qui ne sont toutefois présents que dans les trois quarts des établissements. Les épidémies sont bien connues de ces médecins, qui doivent y faire face de façon régulière : grippe, gastro-entérite... Ils doivent ainsi juguler ces épidémies et faire des antagonismes propres aux EHPAD une cohérence.
L'épreuve qui nous a touchés fut d'autant plus difficile que nous étions confrontés à un agent viral inconnu, fortement contagieux et se présentant sous des formes cliniques très atypiques. Les conditions étaient donc réunies pour que, dans ces établissements, cette infection soit une véritable calamité.
Les remontées du terrain m'inspirent plusieurs remarques. Tout d'abord, les maisons de retraite sont très diverses : certaines disposent de médecins coordonnateurs, d'autres non ; les EHPAD peuvent relever du secteur public, du secteur privé associatif ou du secteur privé lucratif ; le nombre des résidents varie entre 20 et 350 et celui des médecins traitants intervenant dans un établissement entre 1 et plus de 50. Ensuite, l'épidémie est survenue dans des établissements chroniquement sous‑dotés en personnels soignants, malgré une augmentation de la dépendance, de sorte qu'elle a fortement affecté les équipes. En outre, le manque de matériel, dont il a souvent été question lors de cette épidémie, a été flagrant dans les EHPAD ; je pense bien entendu aux masques, mais aussi aux solutions hydroalcooliques. Ces carences ont été notifiées aux Agences régionales de santé (ARS) dès le début du mois de mars.
La situation s'est peu à peu normalisée dans le courant du mois d'avril. Le Collège national de gériatrie est intervenu à ce sujet le 26 mars ; nous avons, quant à nous, publié un communiqué de presse le 18 mars.
Nous avons d'autant plus déploré l'absence de surblouses, de lunettes de protection et de masques FFP2 qu'il nous a été demandé, vous l'avez dit, de créer des unités covid‑19 destinées à héberger les patients atteints, lesquels présentaient les mêmes risques de transmission aux autres résidents et au personnel soignant qu'à l'hôpital. Dans ces unités, la prise en charge des résidents s'est ainsi apparentée à une prise en charge hospitalière sans avoir les moyens de l'hôpital. À cet égard, des disparités ont également été constatées entre EHPAD publics et privés, ces derniers ayant bénéficié, contrairement à certains établissements publics, d'équipements de protection individuelle (EPI) en quantité suffisante pour travailler auprès des résidents infectés. Par ailleurs, comment prendre en charge correctement ceux des résidents atteints qui doivent bénéficier, dans le cadre d'une oxygénothérapie, d'un débit supérieur à dix litres par minute lorsqu'il est très difficile d'obtenir des extracteurs d'oxygène et que la majorité des EHPAD sont dans l'incapacité de fournir des débits supérieurs à 5 litres par minute ?
À la fin du mois de mars, il a été demandé d'isoler les résidents en chambre individuelle – certaines ARS ont mis du temps à transmettre les recommandations ministérielles. Mais comment faire dans les établissements où persistent des chambres doubles ? De même, la création d'unités covid-19 afin de regrouper les patients atteints était une bonne idée, mais l'architecture des locaux ne s'y prêtait pas toujours. En outre, nous avons été dans l'impossibilité d'isoler les résidents présentant des troubles psycho‑comportementaux de type déambulation, symptôme qui entre dans le cadre de l'évolution des maladies neuro‑dégénératives dont je vous rappelle qu'elles frappent un peu plus de 60 % des résidents d'EHPAD. Certains confrères, qui avaient choisi de ne pas contentionner ces personnes afin de respecter leur dignité, nous ont dit accepter avec fatalisme que tout un secteur puisse devenir « covid + ».
L'arrêt de l'intervention de certains soignants extérieurs à l'EHPAD – kinésithérapeutes, psychologues, ergothérapeutes, pédicures… – n'a pas été forcément problématique bien que nous ayons prévu, dès le début, des difficultés liées à l'arrêt de la kinésithérapie et des prises en charge effectuées par les psychologues. Quant à l'intervention des médecins traitants, elle a été beaucoup plus difficile à gérer tant les établissements présentent une grande disparité en la matière : dans certains d'entre eux, les médecins traitants n'intervenaient plus du tout ; dans d'autres, des autorisations de consultation ponctuelles étaient délivrées pour des raisons de santé majeures, l'EHPAD devant alors fournir aux médecins traitants des EPI qu'il n'avait pas forcément en quantité suffisante.
Face à la pénurie de personnels, l'accès à la réserve sanitaire n'a pas toujours été possible. Il y a eu différents cas de figure : tantôt les personnels étaient disponibles mais ont eu peur de venir travailler en EHPAD, tantôt ce sont les établissements eux-mêmes qui ont renoncé à introduire de nouveaux soignants dans leurs établissements, par crainte d'une contamination extérieure.
En ce qui concerne l'accès à l'hospitalisation, dans la phase initiale de l'épidémie, bien que les médecins coordonnateurs aient parfois obtenu l'accord téléphonique du centre 15 pour le transfert de leurs résidents, ceux-ci ont été renvoyés à l'EHPAD sans même avoir pu être admis aux urgences. Il est à noter que les confrères qui nous ont fait remonter de tels événements ont déclaré que ceux-ci avaient cessé dans la deuxième phase de l'épidémie. Toutefois, il en est résulté une autocensure de certains médecins, qui ne prenaient plus contact avec les services hospitaliers, pensant que plus aucun résident d'un EHPAD n'y serait accueilli. La création de hotlines a néanmoins permis de limiter progressivement ce type de comportements. Dans certains territoires, on a déploré l'absence de lits accessibles pourtant disponibles dans le cadre du Plan blanc, en raison du refus de mobiliser certains lits du secteur privé.
Il faut également rapporter que certains médecins coordonnateurs ont été licenciés ou mis en grande difficulté pour avoir refusé d'obtempérer à des ordres émis par leur direction, laquelle s'était attribué des missions relevant de décisions médicales, ordres qui étaient incohérents, inadaptés, voire dangereux pour certains résidents.
S'agissant de la gestion des tests de dépistage – non uniforme sur le territoire, malgré l'émission de recommandations nationales –, leur nombre a été limité, au départ, à deux ou trois par EHPAD. Nous avions ainsi pour consigne de ne tester que les cas symptomatiques, les symptômes étant typiques de maladies infectieuses. Or, nous l'avons dit, chez les sujets âgés, la majorité des cas étaient totalement atypiques.
Des actions ont été menées en collaboration avec un certain nombre d'instances. Je pense en particulier à la demande, formulée très tôt, de création de hotlines, gériatriques si possible, en collaboration avec la Société française de gériatrie et l'intergroupe Gériatrie‑Maladies infectieuses, afin que chaque médecin d'EHPAD puisse accéder directement à un confrère hospitalier et discuter de façon collégiale du cas de certains résidents. Cette démarche a été couronnée de succès, surtout dans les régions où ces hotlines préexistaient de façon informelle et où leur fluidité avait déjà été mise à l'épreuve. Cela a été plus difficile dans les territoires qui n'avaient pas l'expérience d'un lien direct entre la médecine de coordination et les centres hospitaliers. Les hotlines y ont cependant été sollicitées et ont permis de rassurer médecins coordonnateurs et soignants. À notre connaissance, l'efficacité de ce dispositif n'a pas fait l'objet d'une évaluation, sauf en Bretagne, où une étude est en cours.
Nous avons également demandé une collaboration plus étroite avec les équipes mobiles de gériatrie, les équipes mobiles de soins palliatifs ainsi qu'avec les hospitalisations à domicile, qui nous ont bien aidés, et les équipes opérationnelles d'hygiène. Par ailleurs, la collaboration de la cellule de crise avec le conseil scientifique de la Société française de gériatrie et de gérontologie, en lien avec la Société française de soins palliatifs, a permis la rédaction d'un arbre d'aide à la décision pour l'hospitalisation des résidents en EHPAD ainsi que la définition de critères pour le retour de patients « covid + » en EHPAD. Ces documents ont été adressés le 28 mars à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). En outre, notre association a collaboré avec la SFGG et le Conseil national de l'Ordre des médecins pour créer des postes de « médecin référent covid » dans les nombreux établissements ne disposant pas de médecins coordonnateurs. Nous n'avons pas encore de retour sur ce dispositif, mais il a été relativement efficace.
Nous avons également eu des contacts réguliers avec les ARS et, pour ce qui est des établissements publics, avec les délégations régionales de la Fédération hospitalière de France (FHF). Nous avons par ailleurs collaboré avec les associations départementales de médecins coordonnateurs, dont certains ont participé aux hotlines. Les retours provenant de ces cellules de crise ont été mis à jour, systématiquement publiés sur le site internet de la Société française de gériatrie et sont consultables notamment sur le site internet de notre association. Enfin, les conseils de l'ordre, dans certains départements, ont fait le maximum pour nous aider à mettre en place au mieux un parcours de soins adaptés pour nos patients en EHPAD.
Enfin, nous avons participé à l'élaboration, trois semaines après le début du confinement, d'une enquête destinée à évaluer l'état physique et psychique des résidents confinés. Dès ce moment, en effet, nous avons commencé à voir apparaître des modifications de l'état de santé de nos résidents liées au confinement. Nous avons également élaboré dernièrement, avec le conseil scientifique de la SFGG et la FFAMCO, une enquête nationale comportant trois volets et destinée à évaluer l'impact de la crise du point de vue des médecins coordonnateurs, des directeurs d'établissement et des psychologues et psychomotriciens. Les données sont en cours d'analyse.