Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • EHPAD
  • coordonnateur
  • covid
  • hospitalisation
  • hôpital
  • médecin
  • résident
  • soignant
  • équipe

La réunion

Source

Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

L'audition débute à dix-sept heures.

Présidence de M. Julien Borowczyk, président

La mission d'information procède à l'audition du docteur Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO) et du docteur Odile Reynaud‑Levy, vice‑présidente de l'association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (MCOOR).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mesdames, nous avons souhaité aborder avec vous la question sensible de la prise en charge des personnes en établissement pendant la crise sanitaire. En effet, les résidents des EHPAD (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) sont particulièrement vulnérables au coronavirus. L'âge avancé ainsi que les polypathologies et les comorbidités associées constituent des facteurs propices à la survenue de formes graves, et l'hébergement collectif ainsi que les visites des proches peuvent favoriser les contaminations. C'est pourquoi, dès le 6 mars, le ministère des solidarités et de la santé a demandé aux établissements d'activer le Plan bleu, ce qui a conduit, d'abord, à l'interdiction des visites à partir du 11 mars, à l'isolement des patients en chambre si nécessaire et à la surveillance particulière de la propagation du virus dans ces établissements. Puis il a été demandé à ces derniers d'organiser des secteurs dédiés aux résidents atteints du covid‑19 et de mettre en œuvre une stratégie de dépistage systématique des résidents et des personnels quand un cas de contamination au coronavirus était constaté.

Nous souhaiterions faire le point avec vous sur la façon dont se sont organisés la prise en charge des personnes malades, la mise en place des soins et l'accès à l'hôpital pour les cas qui le nécessitaient.

Auparavant, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mmes Nathalie Maubourguet et Odile Reynaud-Levy prêtent serment.)

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

Notre association, MCOOR, créée en 2015, fait partie du Collège national de gériatrie et siège au conseil d'administration de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG). Je suis moi-même gériatre, praticien des hôpitaux. Je travaille à l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille, en médecine interne, et je suis, depuis seize ans, médecin coordonnateur d'un EHPAD public autonome.

L'infection à SARS-CoV-2 touche majoritairement les personnes âgées : l'âge est le premier facteur de mortalité et le taux de décès est, hélas, très élevé. L'EHPAD est un lieu particulier confronté à des paradoxes, puisqu'il est à la fois un domicile individuel et un lieu collectif, un lieu de soins et un lieu de vie. Ces dualités sont le quotidien des médecins coordonnateurs – profession jeune, puisqu'elle n'a que vingt ans –, qui ne sont toutefois présents que dans les trois quarts des établissements. Les épidémies sont bien connues de ces médecins, qui doivent y faire face de façon régulière : grippe, gastro-entérite... Ils doivent ainsi juguler ces épidémies et faire des antagonismes propres aux EHPAD une cohérence.

L'épreuve qui nous a touchés fut d'autant plus difficile que nous étions confrontés à un agent viral inconnu, fortement contagieux et se présentant sous des formes cliniques très atypiques. Les conditions étaient donc réunies pour que, dans ces établissements, cette infection soit une véritable calamité.

Les remontées du terrain m'inspirent plusieurs remarques. Tout d'abord, les maisons de retraite sont très diverses : certaines disposent de médecins coordonnateurs, d'autres non ; les EHPAD peuvent relever du secteur public, du secteur privé associatif ou du secteur privé lucratif ; le nombre des résidents varie entre 20 et 350 et celui des médecins traitants intervenant dans un établissement entre 1 et plus de 50. Ensuite, l'épidémie est survenue dans des établissements chroniquement sous‑dotés en personnels soignants, malgré une augmentation de la dépendance, de sorte qu'elle a fortement affecté les équipes. En outre, le manque de matériel, dont il a souvent été question lors de cette épidémie, a été flagrant dans les EHPAD ; je pense bien entendu aux masques, mais aussi aux solutions hydroalcooliques. Ces carences ont été notifiées aux Agences régionales de santé (ARS) dès le début du mois de mars.

La situation s'est peu à peu normalisée dans le courant du mois d'avril. Le Collège national de gériatrie est intervenu à ce sujet le 26 mars ; nous avons, quant à nous, publié un communiqué de presse le 18 mars.

Nous avons d'autant plus déploré l'absence de surblouses, de lunettes de protection et de masques FFP2 qu'il nous a été demandé, vous l'avez dit, de créer des unités covid‑19 destinées à héberger les patients atteints, lesquels présentaient les mêmes risques de transmission aux autres résidents et au personnel soignant qu'à l'hôpital. Dans ces unités, la prise en charge des résidents s'est ainsi apparentée à une prise en charge hospitalière sans avoir les moyens de l'hôpital. À cet égard, des disparités ont également été constatées entre EHPAD publics et privés, ces derniers ayant bénéficié, contrairement à certains établissements publics, d'équipements de protection individuelle (EPI) en quantité suffisante pour travailler auprès des résidents infectés. Par ailleurs, comment prendre en charge correctement ceux des résidents atteints qui doivent bénéficier, dans le cadre d'une oxygénothérapie, d'un débit supérieur à dix litres par minute lorsqu'il est très difficile d'obtenir des extracteurs d'oxygène et que la majorité des EHPAD sont dans l'incapacité de fournir des débits supérieurs à 5 litres par minute ?

À la fin du mois de mars, il a été demandé d'isoler les résidents en chambre individuelle – certaines ARS ont mis du temps à transmettre les recommandations ministérielles. Mais comment faire dans les établissements où persistent des chambres doubles ? De même, la création d'unités covid-19 afin de regrouper les patients atteints était une bonne idée, mais l'architecture des locaux ne s'y prêtait pas toujours. En outre, nous avons été dans l'impossibilité d'isoler les résidents présentant des troubles psycho‑comportementaux de type déambulation, symptôme qui entre dans le cadre de l'évolution des maladies neuro‑dégénératives dont je vous rappelle qu'elles frappent un peu plus de 60 % des résidents d'EHPAD. Certains confrères, qui avaient choisi de ne pas contentionner ces personnes afin de respecter leur dignité, nous ont dit accepter avec fatalisme que tout un secteur puisse devenir « covid + ».

L'arrêt de l'intervention de certains soignants extérieurs à l'EHPAD – kinésithérapeutes, psychologues, ergothérapeutes, pédicures… – n'a pas été forcément problématique bien que nous ayons prévu, dès le début, des difficultés liées à l'arrêt de la kinésithérapie et des prises en charge effectuées par les psychologues. Quant à l'intervention des médecins traitants, elle a été beaucoup plus difficile à gérer tant les établissements présentent une grande disparité en la matière : dans certains d'entre eux, les médecins traitants n'intervenaient plus du tout ; dans d'autres, des autorisations de consultation ponctuelles étaient délivrées pour des raisons de santé majeures, l'EHPAD devant alors fournir aux médecins traitants des EPI qu'il n'avait pas forcément en quantité suffisante.

Face à la pénurie de personnels, l'accès à la réserve sanitaire n'a pas toujours été possible. Il y a eu différents cas de figure : tantôt les personnels étaient disponibles mais ont eu peur de venir travailler en EHPAD, tantôt ce sont les établissements eux-mêmes qui ont renoncé à introduire de nouveaux soignants dans leurs établissements, par crainte d'une contamination extérieure.

En ce qui concerne l'accès à l'hospitalisation, dans la phase initiale de l'épidémie, bien que les médecins coordonnateurs aient parfois obtenu l'accord téléphonique du centre 15 pour le transfert de leurs résidents, ceux-ci ont été renvoyés à l'EHPAD sans même avoir pu être admis aux urgences. Il est à noter que les confrères qui nous ont fait remonter de tels événements ont déclaré que ceux-ci avaient cessé dans la deuxième phase de l'épidémie. Toutefois, il en est résulté une autocensure de certains médecins, qui ne prenaient plus contact avec les services hospitaliers, pensant que plus aucun résident d'un EHPAD n'y serait accueilli. La création de hotlines a néanmoins permis de limiter progressivement ce type de comportements. Dans certains territoires, on a déploré l'absence de lits accessibles pourtant disponibles dans le cadre du Plan blanc, en raison du refus de mobiliser certains lits du secteur privé.

Il faut également rapporter que certains médecins coordonnateurs ont été licenciés ou mis en grande difficulté pour avoir refusé d'obtempérer à des ordres émis par leur direction, laquelle s'était attribué des missions relevant de décisions médicales, ordres qui étaient incohérents, inadaptés, voire dangereux pour certains résidents.

S'agissant de la gestion des tests de dépistage – non uniforme sur le territoire, malgré l'émission de recommandations nationales –, leur nombre a été limité, au départ, à deux ou trois par EHPAD. Nous avions ainsi pour consigne de ne tester que les cas symptomatiques, les symptômes étant typiques de maladies infectieuses. Or, nous l'avons dit, chez les sujets âgés, la majorité des cas étaient totalement atypiques.

Des actions ont été menées en collaboration avec un certain nombre d'instances. Je pense en particulier à la demande, formulée très tôt, de création de hotlines, gériatriques si possible, en collaboration avec la Société française de gériatrie et l'intergroupe Gériatrie‑Maladies infectieuses, afin que chaque médecin d'EHPAD puisse accéder directement à un confrère hospitalier et discuter de façon collégiale du cas de certains résidents. Cette démarche a été couronnée de succès, surtout dans les régions où ces hotlines préexistaient de façon informelle et où leur fluidité avait déjà été mise à l'épreuve. Cela a été plus difficile dans les territoires qui n'avaient pas l'expérience d'un lien direct entre la médecine de coordination et les centres hospitaliers. Les hotlines y ont cependant été sollicitées et ont permis de rassurer médecins coordonnateurs et soignants. À notre connaissance, l'efficacité de ce dispositif n'a pas fait l'objet d'une évaluation, sauf en Bretagne, où une étude est en cours.

Nous avons également demandé une collaboration plus étroite avec les équipes mobiles de gériatrie, les équipes mobiles de soins palliatifs ainsi qu'avec les hospitalisations à domicile, qui nous ont bien aidés, et les équipes opérationnelles d'hygiène. Par ailleurs, la collaboration de la cellule de crise avec le conseil scientifique de la Société française de gériatrie et de gérontologie, en lien avec la Société française de soins palliatifs, a permis la rédaction d'un arbre d'aide à la décision pour l'hospitalisation des résidents en EHPAD ainsi que la définition de critères pour le retour de patients « covid + » en EHPAD. Ces documents ont été adressés le 28 mars à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). En outre, notre association a collaboré avec la SFGG et le Conseil national de l'Ordre des médecins pour créer des postes de « médecin référent covid » dans les nombreux établissements ne disposant pas de médecins coordonnateurs. Nous n'avons pas encore de retour sur ce dispositif, mais il a été relativement efficace.

Nous avons également eu des contacts réguliers avec les ARS et, pour ce qui est des établissements publics, avec les délégations régionales de la Fédération hospitalière de France (FHF). Nous avons par ailleurs collaboré avec les associations départementales de médecins coordonnateurs, dont certains ont participé aux hotlines. Les retours provenant de ces cellules de crise ont été mis à jour, systématiquement publiés sur le site internet de la Société française de gériatrie et sont consultables notamment sur le site internet de notre association. Enfin, les conseils de l'ordre, dans certains départements, ont fait le maximum pour nous aider à mettre en place au mieux un parcours de soins adaptés pour nos patients en EHPAD.

Enfin, nous avons participé à l'élaboration, trois semaines après le début du confinement, d'une enquête destinée à évaluer l'état physique et psychique des résidents confinés. Dès ce moment, en effet, nous avons commencé à voir apparaître des modifications de l'état de santé de nos résidents liées au confinement. Nous avons également élaboré dernièrement, avec le conseil scientifique de la SFGG et la FFAMCO, une enquête nationale comportant trois volets et destinée à évaluer l'impact de la crise du point de vue des médecins coordonnateurs, des directeurs d'établissement et des psychologues et psychomotriciens. Les données sont en cours d'analyse.

Permalien
Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO)

Je remercie ma consœur pour son rapport très complet. Je reviendrai, pour ma part, sur quelques points particuliers. Je tiens notamment à rapporter le témoignage de certains de nos confrères qui ont subi la première vague de la pandémie en Alsace : la situation y a été terrible – il n'y a pas d'autres mots. Malgré le grand courage dont ils ont fait preuve, puisqu'ils ne disposaient pas d'EPI, les soignants ont été dans l'incapacité de gérer l'urgence, notamment respiratoire, faute de matériel. Or, manquer de matériels aussi élémentaires que de l'oxygène ou d'un suppositoire de Doliprane, c'est traumatisant. Lorsqu'on n'a pas d'autre choix que de transférer un patient à l'hôpital et que le 15 est « embolisé », on n'a plus qu'à assister – et certains l'ont raconté douloureusement – au décès de ce patient. Personne n'a envie de revivre une telle tragédie.

Par ailleurs, je veux insister sur l'importante collaboration qui s'est organisée au niveau territorial entre les différents secteurs, y compris avec les entreprises. Dans le Blayais, par exemple, la centrale nucléaire nous a donné certains équipements. La Gironde, où je suis, depuis dix-sept ans, médecin coordonnateur dans trois EHPAD, a été globalement peu touchée. Mais, dans certains clusters, la situation a été difficile à gérer : je pense à des établissements où 70 % du personnel et un peu plus de la moitié des résidents étaient atteints. Toutefois, dans notre département, le secteur sanitaire n'était pas saturé, de sorte que, dès qu'une personne était suspectée d'être « covid + », elle était extraite de l'EHPAD de manière à éviter toute contamination. Ainsi, grâce à l'important travail de la Société française de gériatrie et de la filière gériatrique de proximité des centres hospitalo-universitaires, la collaboration avec l'hôpital a permis une prise en charge opérationnelle dans les secteurs où elle était possible.

J'ajoute que les médecins traitants qui ont dû se rendre dans des clusters ont fait preuve d'un grand courage. En Gironde, compte tenu de la moyenne d'âge assez élevée des médecins généralistes, ce sont les jeunes remplaçants qui se sont portés volontaires. Des partenariats se sont ainsi noués entre des groupes de médecins coordonnateurs et des groupes de jeunes remplaçants, si bien qu'un relais était constamment assuré sur le terrain, dans les EHPAD, où souvent le matériel nécessaire manquait. Au demeurant, même lorsque ce n'était pas le cas, le volume de l'extracteur d'oxygène n'étant que de cinq litres par minute, il nous a fallu apprendre à faire des dérivations.

C'est cela qui a été difficile durant cet épisode : nous avons dû être à la fois très pragmatiques – chercher des multiprises, organiser une zone covid… – et attentifs à l'éthique. Lorsque nous avons reçu les documents de la Société française d'anesthésie et réanimation (SFAR) sur la gestion de la fin de vie en EHPAD, je ne vous cache pas que nous avons eu un peu peur : nous avons compris que la vague serait tellement difficile à gérer au plan sanitaire qu'il nous fallait nous préparer à accompagner de nombreuses fins de vie. De fait, certaines situations ont été difficiles – nous avons reçu des témoignages évoquant, par exemple, la valse de cercueils à la sortie des EHPAD.

Je tiens donc à saluer le courage des soignants qui, en grande majorité, ont été présents. Pourtant, parmi eux, se trouvaient de jeunes mères de famille qui avaient des raisons de ne pas être là. Aujourd'hui, tout le monde est exténué. Par conséquent, si une deuxième vague devait survenir, il faudrait que la réserve sanitaire soit plus opérationnelle qu'elle ne l'a été – il a parfois été plus simple de faire appel à l'intérim. Il était en effet difficile, pour ceux qui le souhaitaient, d'en faire partie et, pour nous, de l'actionner.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il est vrai que la population des EHPAD est fragile, notamment parce qu'elle souffre de comorbidités. Les chiffres sont éloquents : dans la population générale, 91 % des personnes décédées avaient plus de 65 ans, 80 % plus de 70 ans.

Les EHPAD sont des structures dont les résidents sont, par définition, plus ou moins confinés. Avez‑vous pu identifier le mode d'entrée du virus dans les établissements qui ont été touchés ? Sont-ce les visites ou les soignants, dont le turnover peut être important, qui ont été à l'origine de la contamination ? Qui plus est, vous l'avez indiqué, les résidents présentent souvent des troubles cognitifs et il est difficile de les maintenir en contention ou dans leur chambre.

Par ailleurs, on a constaté que dans des zones assez limitées, certains établissements n'ont signalé aucun cas et d'autres beaucoup. Cette différence s'explique‑t‑elle par la taille de l'établissement ou le niveau du GIR (Groupement iso-ressource) ?

En ce qui concerne la dimension éthique de la situation, avez-vous pu réaliser, au fil de l'eau, avec les médecins traitants et les familles, des évaluations pour savoir s'il était nécessaire d'hospitaliser les résidents touchés ou s'il s'agissait d'une démarche de confort voire palliative ? Il a en effet été affirmé qu'il n'y avait pas toujours eu d'avis médical en amont.

S'agissant de la régulation, avez-vous le sentiment, lorsqu'une hospitalisation était refusée, que le médecin prenait la décision de son propre chef ou qu'une directive lui avait été diffusée pour que soit refusée l'hospitalisation des patients ayant dépassé un certain âge, comme on a pu l'entendre dire ?

Doit-on s'attendre, dans les semaines qui viennent, à une surmortalité due, non pas au virus, mais à des syndromes de glissement liés au confinement et à l'éloignement de la famille ?

Vous paraît-il nécessaire de réformer les EHPAD ?

Enfin, aviez-vous connaissance de la doctrine de 2013, qui impose aux employeurs de fournir des équipements de protection à leurs employés ?

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

Dans les EHPAD, la circulation des résidents est en effet relativement limitée. De fait, des évaluations fondées sur le GIR moyen pondéré et le PATHOS ([1]) moyen pondéré montrent, depuis plusieurs années, que les personnes âgées entrent de plus en plus tard en EHPAD, et présentent des comorbidités importantes et des pathologies lourdes à risque de décompensation rapide. Bien entendu, ceux des résidents qui le peuvent sortent avec leur famille ou les animateurs, mais ils sont assez peu nombreux. Dès lors, dans un EHPAD, le premier mode de contamination est l'importation du virus par le personnel, soignant ou administratif, y compris les livreurs. Tout le monde est à peu près d'accord sur ce point. Cela a, du reste, été une cause majeure de stress pour les soignants, qui se sont sentis, à juste titre, responsables de cette importation alors qu'ils n'avaient pas les moyens de la prévenir ou qu'ils avaient, dans certains établissements, reçu des ordres qui n'étaient pas tout à fait conformes à ce qu'ils pouvaient entendre sur différents médias en rentrant chez eux. En tout état de cause, la charge morale qui leur a ainsi été imposée a été vraiment très importante et à l'origine d'un certain nombre de syndromes d'épuisement.

Dès lors, l'interdiction des visites puis le confinement sont apparus comme relativement logiques. On sait, du reste, que dans les établissements où ces mesures ont été prises de façon précoce, les cas ont été moins nombreux, voire absents. Mais nous serons probablement en mesure de vous répondre plus précisément sur ce point au début de l'automne, lorsque nous aurons analysé les données de la grande enquête qui vise à évaluer le point de vue des directeurs, des médecins coordonnateurs mais aussi des psychologues qui interviennent dans les EHPAD.

Concernant l'éthique, des confrères nous ont indiqué – nous sommes là pour dire les choses – qu'il n'y avait pas forcément eu d'évaluation médicale dans tous les établissements. De fait, certains d'entre eux n'avaient pas de médecin coordonnateur, dans d'autres le médecin traitant ne venait plus, si bien que les infirmières coordinatrices se sont retrouvées seules. J'ajoute que certains EHPAD se trouvent en milieu rural, dans un désert médical et sont donc très éloignés des équipes mobiles de gériatrie – lorsqu'elles existent, car il n'y en a pas dans tous les centres hospitaliers –, des équipes opérationnelles d'hygiène ou des équipes mobiles de soins palliatifs. Par ailleurs, quelques confrères nous ont rapporté que, bien qu'ils aient procédé à une évaluation collégiale justifiant l'hospitalisation d'un résident, celle-ci avait été refusée par le directeur. Celui-ci, pense-t-on – c'est une interprétation –, aurait ressenti une espèce de « honte » si l'un de ses résidents était hospitalisé : qu'en auraient dit les familles ? Qu'en aurait fait la presse ? Des journalistes de BFM ou d'autres médias auraient pu, comme cela s'est vu parfois, arriver caméra au poing à l'entrée de leur établissement et tenir des propos pas forcément exacts. Les EHPAD présentent des caractéristiques qui nécessitent que l'on comprenne comment les choses ont évolué dans le temps pour pouvoir les juger de façon juste et cohérente.

Avons-nous eu connaissance d'une directive indiquant que les résidents d'EHPAD ne seraient pas hospitalisés ? Non, le MCOOR n'a pas eu connaissance d'une telle directive. Des discussions ont porté – mais c'est aux représentants de la Société française d'anesthésie et réanimation qu'il faut poser la question – sur l'hospitalisation en réanimation des résidents vivant en EHPAD, mais ce n'est pas du tout la même chose qu'une hospitalisation tout court. Nous avons fait en sorte – c'est l'objet de l'arbre décisionnel que j'ai évoqué – qu'une décision puisse être prise de façon collégiale pour hospitaliser ceux des résidents qui pouvaient en tirer bénéfice – en particulier les patients qui avaient besoin une oxygénothérapie à fort débit que nous ne pouvions pas leur délivrer –, mais une hospitalisation dans un service de médecine gériatrique ou de médecine polyvalente n'a rien à voir avec une hospitalisation en réanimation.

En ce qui concerne la surmortalité à venir, je ne parlerai pas de syndrome de glissement, car celui-ci n'existe pas, mais il est très clair que surviennent des décompensations liées à l'épidémie et à l'isolement. L'enquête permettra, je l'espère, de mesurer ce phénomène car nous connaissons tous des résidents qui ont présenté des syndromes dépressifs suite à cet isolement. C'est, du reste, l'objet de la première évaluation que nous avons réalisée trois semaines après le début du confinement.

Enfin, s'agissant des EPI, je suis désolée mais j'ignore la doctrine de 2013. Peut‑être aurait‑on dû poser la question à nos directeurs d'établissement.

Permalien
Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO)

Nous non plus, nous ne connaissions pas cette doctrine. Néanmoins, certains EHPAD qui disposaient de stocks importants d'EPI, notamment de masques, ont été réquisitionnés pour fournir des équipements aux établissements sanitaires qui en avaient besoin – il aurait fallu qu'on leur rende ensuite ces stocks...

S'agissant de l'introduction du virus dans les établissements, il est vrai que les résidents ne pouvaient compter que sur les soignants, et que ces derniers pouvaient être à l'origine de la présence du virus dans la structure. Ils ont ainsi été fréquemment amenés à adopter un mode de vie assez monacal et ont parfois même renoncé à voir leur famille. Cette situation a été assez difficile à vivre. Au-delà de la fatigue, ils ont supporté cette charge mentale. J'ajoute que, faute de matériels, on a parfois dû demander aux professionnels de santé – kinésithérapeutes, médecins généralistes… – de ne pas venir, de peur qu'ils introduisent le virus dans la structure.

Les choses se sont donc organisées autrement, particulièrement pour les kinésithérapeutes : certains d'entre eux ne sont intervenus que sur un seul EHPAD. Il conviendrait, si la situation devait se reproduire, de mieux organiser l'intervention des professionnels libéraux. Nous avions besoin de médecins, car les maladies chroniques ne se sont pas arrêtées, et nous manquions de matériel.

Actuellement, on constate une surmortalité, mais pas partout. En revanche, ce qui est assez général, c'est une certaine dénutrition. Il a été très difficile de réorganiser le service des repas en chambre tout en respectant les normes HACCP ( Hazard Analysis Critical Control Point ), relatives à la sécurité sanitaire des aliments. Il y a eu des moments épiques, lorsqu'il a fallu courir avec les chariots pour que les plats ne refroidissent pas, mais nous avons réussi à organiser les choses, sans intoxications alimentaires. Lorsque les personnes âgées mangent à table, un soignant veille sur plusieurs d'entre elles. Là, il fallait être auprès de chacune d'elles, dans leur chambre. Sachant qu'un repas dure vingt minutes, toute l'organisation du travail a été profondément modifiée. Nous n'avons pas seulement dû réorganiser le circuit des repas, mais revoir tout le fonctionnement institutionnel pour assurer la sécurité des soins.

On note aujourd'hui une certaine dénutrition du sujet âgé et une fonte musculaire, liée au manque d'activité physique et à la perte d'appétit, elle-même liée à un syndrome dépressif. Au fil du temps, nous avons tout fait pour favoriser la communication des personnes âgées avec leurs familles, grâce aux multimédias, pour éviter qu'elles ne se sentent trop isolées. Il reste que certains résidents souffrent de dénutrition, ce qui a un impact sur leur état de santé général. Nous essayons de leur faire plaisir et de leur donner des produits protéinés pour corriger cela.

Je n'ai jamais reçu la consigne selon laquelle il ne fallait plus envoyer les résidents à l'hôpital à partir d'un certain âge. En revanche, je sais que dans certaines régions, notamment en Alsace, les hôpitaux étaient tellement submergés qu'ils ne pouvaient plus accueillir personne. Certains confrères se sont ainsi entendus dire que les personnes de plus de 68 ans ne pouvaient plus être admises. Or, la moyenne d'âge dans nos établissements est de 87 ans…

Pourquoi certains EHPAD ont-ils constitué des clusters et d'autres, non ? Nous sommes en train d'examiner cette question mais ce qui a été primordial, c'est le respect des gestes barrières, ainsi que la qualité des cadres et de leur collaboration. La solidité du couple constitué par le médecin et le directeur, et plus encore celle du trio qu'ils constituaient avec l'infirmière coordonnatrice, a été déterminante. Là où des relations de confiance existaient, les choses se sont bien passées. Lorsque ces relations étaient déjà difficiles, elles ont implosé.

Lorsqu'il faut repenser toute une organisation, c'est le directeur qui doit prendre des décisions : le médecin n'est pas le supérieur hiérarchique. Si le directeur n'est pas suivi par ses équipes, s'il n'arrive pas à imposer un changement de planning aux aides-soignants, tout se désorganise. Il fallait une équipe d'encadrement forte pour faire avancer le navire, en plus de la conscience professionnelle dont chacun a fait preuve, comme d'habitude.

S'agissant de la réforme des EHPAD, la Mission d'appui à la réforme de la tarification de l'hébergement en établissements (MARTHE) a fait des préconisations que nous approuvons, mais il faut davantage de moyens. Il faut des gens en nombre et, sans transformer les EHPAD en lieux de soins « cheap » – ce que personne ne souhaite, ni les familles qui nous font confiance, ni les personnels –, il faudrait a minima un socle de matériel qui nous permette de faire face à des situations difficiles. Nous avons par exemple manqué de multiparamètres. Ces appareils coûtent 1 000 à 1 500 euros, ce qui représente une somme importante pour un EHPAD. Quand on n'en a qu'un et qu'il y a une zone covid et une zone non‑covid, on le nettoie pour le faire passer d'une zone à l'autre, mais cela augmente les risques. Il faudrait que les EHPAD aient une certaine autonomie pour l'acquisition du matériel de base. Le décret du 2 septembre 2011 relatif aux missions du médecin coordonnateur prévoit déjà – c'est sa treizième mission – que ce dernier puisse faire des prescriptions en cas de situation d'urgence : cette disposition, sur laquelle nous avions travaillé, a été très utile pendant la crise. Cela étant, la collaboration avec un médecin extérieur est toujours une bonne chose : sur les questions éthiques, surtout lorsqu'on est très fatigué, il est important de prendre les décisions à plusieurs. La FFAMCO considère que le modèle d'organisation de l'EHPAD est le bon, mais qu'il faut le renforcer – en matériel et en moyens humains – et que le savoir gériatrique de proximité qui s'y développe pourrait s'exporter, notamment à domicile.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le médecin coordonnateur a la responsabilité de l'équipe soignante ; il a, à ses côtés, l'équipe administrative et il doit également gérer les relations avec les médecins traitants. Avec la fermeture des établissements, avez-vous continué d'entretenir des relations avec les médecins traitants des personnes âgées, auxquels elles sont souvent très attachées ?

Dans mon département du Loiret, j'ai noté une disparité considérable entre les différents EHPAD : à l'Ouest, on a déploré plusieurs dizaines de décès, alors qu'on en a compté moins de dix dans l'Est. Comment expliquer ces disparités géographiques ? J'ai constaté, et j'en ai parlé avec le préfet et le directeur de l'ARS lors de nos réunions hebdomadaires, que le dépistage avait été tardif. J'ai d'ailleurs demandé au directeur de l'ARS pourquoi on n'avait pas dépisté à la fois les soignants et les résidents. C'est une question essentielle, à laquelle il faut réfléchir dans l'hypothèse d'une seconde vague.

Vous avez parlé du manque de matériel, notamment de masques. Vous avez heureusement été aidés par les collectivités locales : à quel moment avez-vous finalement eu assez de masques pour les personnels soignants et pour les résidents ? Vous avez également manqué d'oxygène et de médicaments. À quel moment la situation s'est-elle améliorée ?

Enfin, vous n'avez pu que constater l'aggravation de la situation psychologique et physique des personnes âgées qui sont restées enfermées dans leur chambre pendant plusieurs semaines. Comment remédier à cela ? Faut-il davantage de personnel à leur contact, lorsqu'elles sont privées de leur famille ? Peut-on envisager de généraliser les échanges avec les familles, notamment grâce à des tablettes ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre audition révèle des faits importants, puisque vous nous dites que des personnes âgées n'ont pas été convenablement soignées, soit du fait du manque d'équipement, notamment d'oxygène, soit parce qu'elles n'ont pas été admises à l'hôpital. Avez-vous une idée approximative du pourcentage de personnes âgées qui sont décédées prématurément, faute de soins, et du pourcentage de personnes âgées ayant inutilement souffert ? Je comprends que vous ne puissiez pas me répondre précisément aujourd'hui, mais les enquêtes que vous menez permettront-elles d'en savoir plus ? C'est une question très importante.

Je suis élu du département de la Meuse, dans le Grand Est. Certains EHPAD ont connu un grand nombre de contaminations, alors que d'autres n'ont pas du tout été touchés. Il y a sans doute une part de chance, ou de malchance, mais avez-vous identifié des bonnes pratiques qui auraient permis d'éviter l'entrée et la propagation du virus ? Une directrice d'EHPAD, qui travaillait auparavant à l'hôpital, m'a par exemple indiqué que dès qu'elle a eu conscience du risque, très en amont, elle a appliqué la procédure « grippe », ce qui a permis d'éviter les contaminations.

Enfin, quel jugement portez-vous sur le Ségur de la santé ? Va‑t‑il modifier le fonctionnement administratif des EHPAD ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Faites-vous une distinction, dans la manière dont les choses se sont passées, entre le secteur lucratif et le secteur non lucratif ? Avez-vous noté des façons de fonctionner différentes ?

Deuxièmement, vous avez dit que les personnels étaient épuisés et qu'il ne faudrait pas que survienne une seconde vague. Or, elle n'est pas à exclure. Que préconisez‑vous pour nous préparer à cette hypothèse, que personne ne souhaite mais que tout le monde redoute ?

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

Les médecins coordonnateurs se sont efforcés d'informer les médecins traitants. Souvent, ils ont pris la place du médecin traitant, lorsque celui-ci refusait de venir sur place ou qu'il était dans l'impossibilité de le faire. Il est arrivé que certains renoncent à venir pour ne pas risquer de propager le virus parmi les patients qu'ils allaient voir à leur domicile. Globalement, il me semble que la collaboration a été correcte, sachant que nombre de médecins coordonnateurs ont totalement pris en charge l'ensemble des résidents, sur le plan de la coordination et du soin – comme le prévoit la treizième mission du médecin coordonnateur. C'est aussi ce qui s'est passé dans les établissements où l'on a nommé un « médecin référent covid ». Il s'est généralement agi de médecins généralistes intervenant en EHPAD en tant que médecins traitants : en tant que « médecin référent covid » – ils ont signé un contrat –, ils ont pu prendre en charge la totalité des résidents sans qu'il y ait de problèmes ordinaux avec leurs confrères et ils ont exercé la coordination médicale.

Vous m'interrogez sur les niveaux de contamination très différents d'un EHPAD à l'autre, sur les différences géographiques et sur la possible distinction entre le secteur lucratif et le secteur non lucratif. Je ne me hasarderai pas à répondre sur ce dernier point : en croisant les réponses que les directeurs et les médecins coordonnateurs ont apportées à notre enquête, nous pourrons peut-être faire apparaître des éléments de réponse. Ce qui est certain, c'est que la fermeture précoce des établissements à toutes les visites et le confinement précoce des résidents, associés à une vie, sinon autarcique, du moins assez austère des soignants, ont permis de limiter la contagion.

La précocité de la réaction et l'intervention des équipes opérationnelles d'hygiène semblent aussi avoir beaucoup joué : nous verrons si notre enquête le confirme. Non seulement ces équipes ont apporté des protocoles que nous n'étions pas capables de rédiger dans l'urgence, mais elles ont eu un rôle de formation du personnel soignant. Et cela me permet d'évoquer un aspect très important du secteur médico-social : la nécessaire stabilité du personnel. Si le turnover est trop important, il faut sans cesse former les personnels. Or, dans la situation de crise que nous avons connue, il était impossible de former des personnels remplaçants dans l'urgence.

N'étant pas infectiologue, il m'est impossible d'expliquer les différences géographiques, que j'ai moi-même constatées : dans ma région aussi, à quelques kilomètres de distance, certains EHPAD ont été contaminés et d'autres non. Plus que la géographie, je pense que c'est l'organisation des établissements qui a joué. Nous verrons ce que dit l'enquête.

Des traitements ont effectivement fait défaut. Le 26 mars, le Collège national professionnel de gériatrie a adressé un courrier au ministère de la santé pour faire état de la pénurie de médicaments et des traitements que l'on administre généralement en fin de vie – qui sont réservés aux centres hospitaliers. Ces traitements sont finalement parvenus dans les EHPAD et nous avons pu les administrer à nos patients en fin de vie. Comme le prévoit la loi, la décision d'administrer un traitement palliatif a toujours été prise de façon collégiale et pluri‑professionnelle et les familles en ont été informées.

Monsieur Pancher, je ne peux malheureusement pas vous donner le pourcentage de personnes âgées « ayant inutilement souffert », pour reprendre vos mots. J'espère que nous pourrons apporter une réponse, au moins partielle, à cette question, car elle nous préoccupe, comme elle préoccupe nos concitoyens. Des personnes ont‑elles manqué des soins dont elles auraient dû bénéficier ? Probablement, si l'on en croit les remontées de terrain. J'ignore si nous pourrons un jour avoir des chiffres, car certaines choses sont difficiles à dire. En tout cas, c'est bien parce que la question s'est posée, et pas seulement dans le Grand Est, mais aussi en Auvergne‑Rhône‑Alpes, puis dans le Nord et en région parisienne, que nous avons lourdement insisté, avec la Société française de gériatrie, pour demander la création de hotlines. Les 8 et 9 mars, l'intergroupe Gériatrie‑Maladies infectieuses a été entendu par la DGCS et la DGS et ces hotlines ont été créées, avec l'aval de nos autorités de tutelle. Cela a permis aux médecins de ne pas rester seuls et de prendre des décisions vraiment collégiales. Par ailleurs, l'arbre décisionnel d'aide à la décision collégiale, que nous avons coécrit et publié avec la SFGG, a aidé les confrères à faire les bons choix même si, en médecine, rien n'est jamais tout blanc ou tout noir.

Pour éviter que la situation psychique et physique des patients isolés ne s'aggrave, les soignants ont utilisé leur propre téléphone, leur tablette et tous les moyens numériques à leur disposition pour les mettre en contact avec leurs enfants et leurs petits-enfants. Nous avons par exemple fêté le soixantième anniversaire de mariage de l'un de nos pensionnaires en visioconférence. Honnêtement, nous n'avons pas eu le temps de réfléchir à la manière dont les choses pourraient être améliorées à l'avenir. La priorité, c'est évidemment d'avoir du personnel en nombre. M. Philippe Bas, lorsqu'il était ministre de la santé, en 2007, avait déjà pointé cette carence en personnel soignant et essayé d'engager ce travail avec nous. Nous n'avons pas vu grand-chose depuis, alors qu'il y a vraiment une carence en personnel soignant dans les EHPAD : il faut le dire et le répéter. Plus on a de personnel, plus on peut consacrer de temps aux pensionnaires pour les faire manger, plus on peut organiser des animations et leur offrir un quotidien agréable. Cela ne remplacera pas la présence d'un fils, d'une fille ou d'un conjoint, mais cela peut atténuer le manque.

Pour éviter l'épuisement des soignants, on en revient toujours à la même chose : il faut du personnel en nombre. Quand on a la satisfaction de bien s'occuper des résidents, cela fait toujours du bien au moral. Les soignants, quand ils sont obligés de bâcler leur travail faute de temps, nous disent eux-mêmes qu'ils deviennent maltraitants. La première des choses à changer, c'est bien celle-là, surtout s'il y a une deuxième vague.

Permalien
Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO)

. S'agissant du dépistage massif, je dois dire qu'il nous tarde de disposer d'autres méthodes que la PCR, à laquelle il est difficile de s'habituer. Pour le personnel, c'est vraiment un gain de temps que de n'avoir plus à négocier pendant trois jours pour obtenir des tests. Nous avons aussi travaillé avec la DGCS pour que les salariés du médico‑social puissent être prioritaires dans les laboratoires d'analyses, sans avoir à présenter d'ordonnance. C'est aussi une facilité que de pouvoir y procéder dans nos structures, sachant qu'il faut parfois trois personnes pour pratiquer ces tests sur des résidents souffrant de troubles cognitifs.

Nous avons rencontré des difficultés de collaboration avec l'hospitalisation à domicile (HAD), tant les documents étaient longs à remplir. De nombreux confrères ont rapporté que leur patient était décédé quand l'hospitalisation à domicile a été enfin autorisée. Il faut fluidifier les relations entre EHPAD et HAD en temps normal et prévoir des formalités administratives simplifiées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Quant à la télémédecine, nous estimons qu'il faut continuer à la développer.

Nous appelons de nos vœux un recours accru aux équipes mobiles de gériatrie. Les médecins coordonnateurs ont généralement une compétence en gériatrie, mais il est important de disposer d'un avis complémentaire dans un domaine très précis. Les hotlines gériatriques, déployées avec réactivité par la Société française de gériatrie et de gérontologie, ont aussi été précieuses. Reste qu'il manque de lits de gériatrie : nous sommes confrontés à des difficultés dès lors que les avis concluent à la nécessité d'une hospitalisation.

Le recours à des professionnels dans les meilleurs délais permettrait d'améliorer la qualité des relations avec la réserve sanitaire.

J'espère que nous ne serons pas confrontés à nouveau à des pénuries de médicaments de base, comme la morphine, le rivotril ou même les antibiotiques. Il y aurait besoin de faire grossir nos stocks tampons. Toutefois certains produits, comme ceux utilisés pour la fin de vie, ne sont dispensés que par les pharmacies hospitalières et non par les officines de ville.

Nous ne disposons pas d'évaluations des taux de perte de chance, qu'elle soit due au covid ou à d'autres pathologies comme les phlébites ou les infarctus, par manque d'appareils électroniques. Les EHPAD n'ayant qu'un seul budget pour les achats, ils le consacrent aux lits et aux adaptables avant d'envisager d'acheter des dispositifs médicaux coûteux. Il faudrait peut-être flécher certaines lignes vers l'acquisition de tels appareils.

Les décès dus au covid dans les EHPAD ne sont pas complètement recensés. La plateforme de déclaration est beaucoup trop complexe. En pleine crise, il fallait remplir de multiples cases et, dans l'urgence, il n'était pas toujours facile de savoir si les questionnaires avaient été transmis ou non. Je suis convaincue que les chiffres dont nous disposons sont faux. Il faudrait simplifier le portail pour rendre la déclaration plus rapide. Et aussi changer l'intitulé de la plateforme : « Événements indésirables graves » a quelque chose de choquant.

Je ne sais pas si on peut véritablement faire une distinction entre établissements lucratifs et établissements non lucratifs. Les EHPAD rattachés à un hôpital ou les EHPAD publics, soit la moitié des établissements, ont peut-être eu plus de facilités pour gérer la situation. Cela dit, comme les hôpitaux étaient débordés, les EHPAD n'ont pas forcément été prioritaires, sauf quand ils abritaient des clusters. Les EHPAD à but lucratif, quant à eux, ont peut-être bénéficié d'une gestion de stocks plus fluide du fait qu'ils appartiennent souvent à un groupement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La nécessité de se protéger du virus a inévitablement affecté les relations avec les professionnels de santé habitués à intervenir au sein des EHPAD, et donc les liens humains, décisifs pour le soin comme pour le maintien de l'autonomie. Pouvez-vous nous dire dans quelles conditions les arbitrages ont été effectués ?

Selon vous, certains besoins d'hospitalisation n'ont pas eu de suite. Dans quelles proportions ?

Les EHPAD disposaient-ils de stocks d'équipements de protection individuelle au début de la crise ?

À quel moment avez-vous pu bénéficier de tests pour les personnels et pour les résidents ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quels ont été les liens entre les EHPAD et le secteur hospitalier ? Quels enseignements tirez-vous de cette période ?

Pourriez-vous nous décrire le fonctionnement des équipes mobiles mises en place dans certaines régions ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans la région Grand Est, où se situe ma circonscription, la situation a été catastrophique dès le début du mois de mars, et des mesures de protection ont tardé à être mises en place – j'aimerais que nous ayons une pensée pour cette aide‑soignante d'un EHPAD de Mulhouse, mère de trois enfants, morte à 43 ans des suites du covid au début du mois d'avril.

Pensez-vous que les professionnels qui continuent à intervenir en EHPAD ont besoin d'un soutien psychologique particulier ? Dans le Grand Est, une plateforme d'écoute a été installée. Les personnels ont-ils accès à de tels dispositifs dans toute la France ?

Les professions d'aide-soignant ou d'infirmier en EHPAD ne sont pas forcément très attractives, car les conditions de travail sont difficiles. Constatez-vous une démotivation ?

Beaucoup de personnes âgées, de 85 ans et plus, m'ont dit leur sentiment d'avoir été totalement privées de liberté. Elles ne remettent pas en cause l'interdiction des visites mais auraient aimé pouvoir communiquer de chambre à chambre, au besoin en prenant des risques. Cela interroge le statut de l'EHPAD. Est-ce réellement un substitut de domicile ?

Ma dernière question porte sur le décret du 28 mars. Certains médecins intervenant en EHPAD n'ont pu obtenir des hospitalisations à domicile et ont dû appliquer eux‑mêmes le protocole rivotril. Pensez-vous souhaitable que chaque établissement contractualise à l'avenir avec l'HAD ?

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

. Les arbitrages se sont faits dans des conditions variables d'un établissement à l'autre. Ils ont dépendu, notamment, de l'état des stocks d'équipements de protection. Certains établissements ont pu utiliser ceux remontant à la grippe H1N1 – lunettes de protection, gants, masques chirurgicaux, FFP2 – même s'ils étaient périmés. Et puis il y a eu des arbitrages d'un autre type. Je ne suis ni urgentiste ni médecin réanimateur, et je ne sais pas s'il me revient de m'exprimer à ce sujet, mais dans les endroits où il y a eu énormément de cas, les professionnels ont dû sortir des conditionnelles habituelles de l'exercice de la médecine pour pratiquer une médecine de catastrophe : les besoins dépassaient ce dont nous disposions pour les couvrir et l'objectif a été de sauver un maximum de vies. Dans ces conditions, même si c'est dur à dire, il y a eu des choix à faire, pas seulement en EHPAD mais aussi dans les centres hospitaliers. Et les arbitrages ont été parfois extrêmement douloureux.

Vous demandez si les besoins d'hospitalisation peuvent être quantifiés. Qui dit quantification dit critères, et les gériatres sont les rois de l'évaluation et des scores. L'arbre décisionnel d'aide à l'hospitalisation en EHPAD est ainsi fondé sur des critères cliniques, validés par la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. Ils reprennent ceux du score qSOFA – Quick Sequential Organ Failure Assessment – qui permettent de déterminer si un individu nécessite une prise en charge urgente, notamment une oxygénothérapie. Pour savoir si certains besoins n'ont pas été comblés, il aurait fallu calculer ce score pour tous les résidents, chose difficile à exiger en période d'urgence, surtout dans les établissements où il n'y a pas de médecins, car les infirmières coordonnatrices ne sont pas habilitées à procéder à ces évaluations.

De manière générale, il n'y a pas eu de tests pour les personnels soignants au début de l'épidémie, mais j'aimerais citer une expérience intéressante qui s'est déroulée dans un EHPAD non loin de Montpellier où il y avait des cas. Contre l'avis de l'ARS, à rebours de la doctrine d'alors, il a été décidé, avec l'aval du centre hospitalo-universitaire (CHU), de tester d'abord tous les soignants puisque le virus était importé ; une fois les porteurs asymptomatiques placés en arrêt maladie, on a testé les résidents et isolé ceux qui étaient atteints. Autrement dit, au lieu de confiner tout le monde et de tester un petit nombre, on a testé large pour confiner précis, sur le modèle coréen. Cette approche ciblée est la bonne.

S'agissant des liens entre EHPAD et hôpital, je soulignerai que beaucoup de médecins coordonnateurs et de médecins hospitaliers ont déclaré que grâce aux hotlines, ils ont pu se parler, ce qui n'était pas le cas auparavant. Les échanges se sont poursuivis, par téléphone ou visioconférence, et cela a été un enrichissement pour les uns comme pour les autres. Les hospitaliers ont découvert ce qu'était la vie des résidents en EHPAD et la complexité et l'étendue du travail des médecins traitants ou coordonnateurs. C'est l'une des raisons pour lesquels la SFGG souhaite que les hotlines perdurent.

Les équipes mobiles de gériatrie sont composées de professionnels hospitaliers qui se rendent dans les EHPAD à la demande des médecins coordonnateurs, lorsqu'il y en a, pour rendre des avis sur des prises en charge complexes, soulevant des questions cliniques, thérapeutiques et éthiques.

Les soignants ont besoin d'une aide psychologique. Nous savons dans quelles situations horribles certains ont pu se retrouver, avec des diagnostics compliqués à donner, des annonces de décès de conjoints ou de proches à faire. Je ne sais pas s'ils ont eu partout accès à une plateforme d'écoute, car beaucoup ne sont pas informés. L'accès aux soins psychiatriques est difficile pour les résidents mais aussi pour les soignants. Heureusement, les psychologues présents au sein des établissements ont pu jouer le rôle de psychothérapeutes d'équipe et faire des retours d'expérience collectifs ou individuels.

La démotivation est certaine, car les métiers du grand âge sont difficiles et mal rémunérés. Travailler avec des gens âgés renvoie, en outre, à sa propre finitude. Les EHPAD n'ont pas le même attrait que les hôpitaux, surtout les CHU et les services de neurologie, de cardiologie ou de réanimation, spécialités valorisantes à forte technicité. Or c'est dans ces établissements que devraient se trouver les gens les plus formés et les plus volontaires : rester vigilant et pertinent dans son diagnostic n'est pas des plus facile, car il y a toujours le risque de voir ses réflexes émoussés par l'habitude dans ces lieux de vie.

Permalien
Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO)

. La FFMCO promeut depuis sa création un objectif de « zéro contention » en EHPAD. Pendant la crise, il a été difficile, particulièrement dans les unités spécifiques, de maintenir un équilibre entre liberté d'aller et venir des résidents et sécurité de tous. Les personnes atteintes de troubles cognitifs ne peuvent en effet pas appliquer les gestes barrières et s'astreindre au port du masque. Dans un premier temps, la sidération était telle que tout le monde a été confiné dans sa chambre mais progressivement, des animations et des activités ont été organisées, par petits secteurs, et les résidents ont pu se tenir au seuil de leur chambre ou déambuler dans les couloirs. La question de la liberté d'aller et venir des patients covid + en unité spécifique soulève bien sûr un problème éthique, très discuté sur les larges groupes Whatsapp sur lesquels nous échangeons. Nous ne nous sommes pas résolus à les enfermer dans leurs chambres mais il était compliqué de les isoler pour éviter toute contamination. Toutes les prises de risques ont fait l'objet d'arbitrages collégiaux : nous ne prenions jamais de décisions seuls.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Permettez‑moi tout d'abord de vous remercier, vous et vos consœurs et confrères, pour la façon dont vous vous êtes mobilisés pour gérer la crise dans nos EHPAD.

Dans un article du Figaro du 25 mars, Gaël Durel, président de la MCOOR, affirmait qu'il n'y avait pas de places à l'hôpital pour les résidents des EHPAD. Il ajoutait : « Aujourd'hui, quand on appelle le 15, on nous dit de plus en plus souvent : Il n'y a pas assez de lits, trouvez le moyen de les garder chez vous ». Un médecin coordonnateur dans un EHPAD privé de Nice me disait avoir eu un débat assez tendu avec la régulation qui lui renvoyait « de toute façon, ce patient va mourir, qu'il meure à l'hôpital ou chez vous, c'est pareil ». Des documents écrits montrent-ils qu'une régulation qui ne dit pas son nom a été effectuée ? Vous avez vous-même dit, madame Reynaud-Levy, qu'il a fallu faire des arbitrages douloureux dans le cadre d'une médecine de catastrophe. Autrement dit, la structure habituelle n'a pas pu faire face, contrairement à ce que d'autres interlocuteurs nous ont affirmé en déclarant que l'hôpital avait tenu. De tels arbitrages ont-ils été fréquents ? Faites-vous vôtres les propos de M. Durel ?

Pourriez-vous nous préciser les raisons pour lesquelles le nombre de morts dans les EHPAD a été sous-estimé ?

De façon plus générale, la crise n'a-t-elle pas sonné la fin du modèle des EHPAD ? Ce modèle a‑t‑il simplement pâti de la faiblesse des moyens en personnel ou, plus fondamentalement, de sa structuration sous-médicalisée ?

Vous avez ouvert une piste importante en remarquant que les EHPAD adossés à des hôpitaux ou à des structures publiques avaient eu des résultats nettement supérieurs. J'ai pu le constater de façon empirique dans mon département des Alpes-Maritimes. Sans parler du cas le plus terrifiant d'un établissement ayant connu trente-neuf morts sur quatre-vingts résidents, les structures où il y a eu de nombreux morts étaient essentiellement des établissements à but lucratif. Est‑ce parce que, n'étant pas accolées à l'hôpital, on leur a refusé l'hospitalisation de résidents alors qu'on l'acceptait pour des structures publiques ? Le maire de la commune de Mougins où l'on a déploré ces trente-neuf décès, qui est par ailleurs médecin coordonnateur dans un autre établissement, a précisé dans la presse le protocole appliqué à ces patients : deux jours de doliprane, deux jours de rivotril, et pas d'hospitalisation. C'est le régime qui a prévalu pendant trois semaines dans l'établissement, qui a fait l'objet d'un arrêté de fermeture du président du département mais que l'ARS a refusé.

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

. Les propos de M. Durel auxquels vous vous êtes référé datent du 25 mars, à un moment où les hotlines n'avaient pas encore été créées. Des confrères nous avaient effectivement fait remonter des refus de la part de certains centres hospitaliers d'admettre des résidents venant d'EHPAD, mais il y a aussi, dans certaines régions, un problème de nombre de lits de gériatrie dans le secteur sanitaire. Dans certains endroits, la totalité des lits étaient déjà occupés par des malades qui avaient été hospitalisés avant l'arrivée du virus. Comme la durée moyenne de séjour dans un service de gériatrie est assez longue, le turnover est plus lent. Quand l'épidémie a commencé, nous avons suspecté que des patients sortant de l'hôpital avaient peut‑être rencontré le virus. Comme il a été très difficile de trouver des structures d'aval pour les accueillir, il y a eu assez rapidement un engorgement. Dans certains territoires, des établissements sanitaires privés géographiquement proches des EHPAD s'étaient préparés à mettre à disposition des lits de médecine gériatrique pour accueillir des patients malades : il n'a pas été possible de les y hospitaliser. Nous avons dénoncé cet état de fait et demandé que les hotlines fonctionnent logiquement avec le centre hospitalier de recours le plus proche, qu'il soit public ou privé, afin d'éviter de faire faire 50 kilomètres à un patient mal en point alors qu'il pourrait être hébergé et soigné dans une structure à proximité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Qui s'est opposé à l'hospitalisation des patients dans ces structures privées ?

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

Les régulations SAMU – on est obligé de passer par le 15 – n'ont pas été faites dans ce sens-là. Nous avons constaté une multiplication des cas, mais les hotlines ont permis d'enrayer ce mécanisme délétère. Le recours téléphonique à un référent hospitalier à qui expliquer l'état clinique du patient, ses comorbidités et autres données, et avec qui discuter a permis de faire disparaître petit à petit ce genre de comportement.

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

L'intergroupe de la Société française de gériatrie et des maladies infectieuses a été auditionné les 8 et 9 mars par la DGCS et la Direction générale de la santé (DGS) au sujet des hotlines, et la demande de création de ces hotlines date du communiqué du 26 mars. C'est le collège national de gériatrie qui l'a émise.

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

Cela a dépendu des territoires. Certains territoires n'en ont pas eu.

Les EHPAD n'ont pas tenu parce qu'ils ne sont pas adaptés à la médecine aiguë, le personnel n'est pas formé pour cela. Or les unités covid créées dans les EHPAD fonctionnaient comme à l'hôpital : visite le matin, adaptation des traitements, contre-visite le soir, tout cela habillé de pied en cap comme dans l'unité covid d'un hôpital – si l'on avait la chance d'avoir des EPI. Des disparités ont pu être constatées entre EHPAD privés appartenant à un groupe, qui ont pu avoir du matériel et des EPI grâce à une répartition entre établissements de ce groupe, et EHPAD plus petits n'appartenant pas à un groupe ou EHPAD publics autonomes non adossés à un hôpital.

Quant à la fin du modèle des EHPAD, il y a certes une question de moyens. Ensuite, les établissements adossés au secteur public ont peut-être mieux réussi parce que ces structures‑là bénéficient du matériel de l'hôpital. La plupart du temps, les établissements sont constitués d'anciennes chambres du secteur hospitalier, équipées d'une prise murale d'oxygène : les patients peuvent donc être oxygénés avec des débits de 10 litres par minute et des masques à haute concentration. S'agissant de la mortalité importante que l'on a pu constater dans certains établissements, il me semble important de repérer, sur la frise chronologique de l'épidémie, à quelle période ces cas sont arrivés. Il ne faut pas oublier qu'on a découvert cette maladie au fur et à mesure. Bien des patients sont décédés en EHPAD parce qu'on ne savait pas que le virus causait des embolies pulmonaires, et qu'on ne leur a pas administré de traitement anticoagulant préventif. Je doute qu'on puisse en connaître le nombre. Il ne faut pas raisonner globalement, mais resituer les événements dans le temps, parce qu'on a appris des choses au fur et à mesure.

Permalien
Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO)

Heureusement, très tôt un confrère a prévenu, via les réseaux, des manifestations atypiques du virus chez les sujets âgés, notamment au niveau digestif. Cela complique la détection, car en EHPAD les troubles digestifs sont plutôt courants, mais cela a permis de ne pas se focaliser uniquement sur les symptômes pulmonaires et de s'interroger dès lors qu'un patient avait de la fièvre et de la diarrhée. Certes, on n'avait pas remarqué le risque d'embolie pulmonaire, néanmoins la capacité d'observation des gériatres et leur vigilance ont permis, en faisant des suspicions et en remplissant des questionnaires, de disposer très rapidement d'études et de dresser la liste de la symptomatologie tout à fait atypique du sujet âgé. En EHPAD, il est facile, avec les médecins coordonnateurs et les équipes soignantes, de faire remonter assez vite les informations. On fait d'ailleurs très régulièrement des études, à l'instant t, avec la Société française de gériatrie, sur un type de pathologie, par exemple sur le diabète.

Pour éviter que tout passe par l'hôpital avec pour conséquence l'embolisation du système, le privé commence à s'organiser. Les groupes, faisant à la fois du médico-social et du sanitaire, commencent à réfléchir sur la façon de faciliter la circulation et de ne pas laisser libres des cliniques qui pourraient accueillir des patients qui ne seraient pas nécessairement atteints du covid‑19. On a bien entendu certains confrères qui attendaient et demandaient à participer pendant que d'autres étaient sursollicités.

Il serait important que les hotlines gériatriques puissent pratiquer une régulation gériatrique, de manière à réserver des lits dans le secteur hospitalier comme dans le secteur sanitaire privé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis élue du Finistère, un territoire qui a été moins touché que d'autres. Les familles que j'ai rencontrées m'ont dit avoir mal vécu de ne pas pouvoir accompagner leurs aînés dans la mort. Il leur a été difficile de vivre cet isolement alors qu'il n'y avait pas ou peu de cas alentour.

En cas de nouvelle vague, seriez-vous favorables à une différenciation territoriale en ce qui concerne les doctrines et les protocoles à élaborer dans les EHPAD ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les familles ont très mal vécu de ne pas pouvoir accompagner leurs proches. Cela a aussi été difficile pour le personnel soignant qui, déjà très occupé, a dû assumer cette lourde tâche. Fallait-il aller aussi loin que ce total isolement et ce non-accompagnement de la famille ? Ces mesures, tout de même dénuées de toute humanité, n'étaient-elles pas disproportionnées ? En cas de nouvelle vague, faudrait-il y recourir à nouveau ?

Peu d'EHPAD comprennent des équipes de soins palliatifs. Ne faudrait‑il pas renforcer ces équipes ?

Dans ma circonscription, bien avant le confinement, l'hôpital de proximité avait pris l'initiative de faire intervenir dans les EHPAD, publics comme privés, une équipe mobile composée de pharmaciens, de médecins et d'infirmiers hygiénistes afin de former aux mesures barrières et à l'usage des EPI. Et nous n'avons pas eu de cas de covid‑19. Un tel partenariat me semble important. Ne faudrait-il pas le renforcer ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tiens à vous féliciter. Livrés à eux-mêmes, les EHPAD ont manqué de tout : personnels, masques, équipements de protection, tests, oxygène, médicaments… Je ne sais pas s'il n'y a pas quelque chose dont vous n'avez pas manqué. En tout cas, vous n'avez pas manqué de courage ni de mérite. C'est au point que vous avez apprécié la création, à partir de la fin du mois de mars, et encore pas partout, d'une « hotline fin de vie », d'un « 3615 On meurt » – tout seul qui plus est. Même si c'est une aide, cela a de quoi interpeller du point de vue médical et éthique.

La situation dans les EHPAD a été une tragédie : le Dr Hamon, président de la Fédération des médecins de France, a parlé de situation choquante, inhumaine, de drame, d'abandon ; le Dr Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France, a parlé d'angle mort de la prise en charge du covid‑19 ; certains directeurs généraux d'ARS ont dit avancer à l'aveugle. Dans le Grand Est, on a commencé à avoir des retours d'information des EHPAD à partir du 20 mars, à y compter les morts à partir du 1er avril et à faire des tests à partir du 5 avril.

Comme vous ne pouvez pas dire combien de résidents auraient eu besoin d'être hospitalisés, je renverse la question : combien ont été hospitalisés, combien ont été ventilés ? Cela, on doit pouvoir le savoir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Revenant sur le lien qu'il peut y avoir entre un centre hospitalier et un EHPAD public, je me demande si, en cas de crise exceptionnelle, il vaut mieux prévoir davantage de lits de gériatrie à l'hôpital ou une remédicalisation exceptionnelle d'un EHPAD. Dans des EHPAD publics adossés à un centre hospitalier, des personnels été transférés du fait de la fermeture de certains services. Mais comment adapter la médecine de crise à une population aussi fragile ? Comment y intégrer cette dimension éthique difficile de la mort des personnes âgées, dont les familles préfèrent qu'elles soient prises en charge en EHPAD plutôt que seules dans un lit d'hôpital ou, pire, en réanimation ?

Permalien
Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l'Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social

. S'il devait y avoir, malheureusement, une nouvelle vague, je pense que les cas de résidents décédés seuls, loin de leur famille, ne se représenteraient plus. D'abord, nous disposons de tests, ce qui change beaucoup de choses. Ensuite, nous avons l'expérience du déconfinement « progressif » avant le 11 mai en EHPAD. Les familles ont été autorisées à revenir dans des conditions de distanciation physique et de mesures barrières qui ont été largement relayées par les médias. Cette situation du décès en EHPAD avait déjà été anticipée, même au plus fort de la crise, puisque des dérogations de visite avaient été accordées aux familles de résidents en fin de vie, sur la base d'un questionnaire dressant une liste de critères de fin de vie. Lorsque les choses ont pu être faites de cette façon, les familles sont venues. Nous les avons habillées, masquées, chapeautées et conduites auprès de leurs proches. Cela a représenté un surcroît de travail et d'angoisse pour tout le monde, car on ne pouvait pas tester les familles. Comme on les laissait seules dans la chambre avec la personne âgée par dignité humaine, on ne savait pas si elles respecteraient bien les gestes barrières, si elles n'embrasseraient pas leur père ou leur mère – ce qui ne me semble pas condamnable. On a donc pris des risques. Bien sûr, je n'en disconviens pas, dans certains cas, des personnes sont décédées seules.

Fallait-il aller aussi loin dans l'isolement des résidents ? Aujourd'hui, je répondrai non mais, à ce moment-là, on ne connaissait pas bien l'agent viral, les signes cliniques chez les sujets âgés n'étaient pas tous connus. Encore une fois, il faut remettre les choses dans leur contexte ; nous vivions au jour le jour. La vérité c'est que, n'ayant pas de tests pour dépister de façon massive, on a été extrémiste parce qu'on ne savait pas et qu'on avait peur. Aujourd'hui, on a peut-être un peu moins peur, bien qu'on ne maîtrise pas beaucoup plus la situation, parce que l'on sait que les mesures barrières fonctionnent. En cas de nouvelle vague, on n'irait probablement pas aussi loin dans l'isolement. Les études dont je vous ai parlé vont donner, à défaut de résultats exacts, une appréciation de l'effet délétère qu'a eu le confinement sur l'état de santé des résidents dès les trois premières semaines de confinement.

Faut-il renforcer les équipes de soins palliatifs ? Ni Mme Maubourguet ni moi, au nom de nos fédérations respectives, n'allons répondre non. Il est évident qu'il faut diffuser dans tous les EHPAD sur tout le territoire national l'accès à une équipe mobile de soins palliatifs. On en a la preuve et on en voit la nécessité aujourd'hui. La réponse sera la même en ce qui concerne les équipes opérationnelles d'hygiène ainsi que leur association avec les équipes mobiles de gériatrie et les centres hospitaliers. L'enquête nous le dira probablement, là où sont intervenues des équipes opérationnelles d'hygiène, il y a eu moins de cas de covid-19 parce que le personnel était formé, des affiches étaient apposées, des petits films étaient diffusés sur les ordinateurs des soignants, montrant comment s'habiller sans faire d'erreur d'asepsie. Cela s'apprend.

Monsieur Gaultier, cela me gêne que vous parliez de « hotline fin de vie », car le but, au contraire, était d'exposer à un confrère hospitalier le cas d'un patient et de discuter avec lui du bénéfice ou non d'une hospitalisation, si ce patient était transférable sans forcément nécessiter la présence d'un médecin du SAMU. L'objectif des hotlines était heureusement plus large que la fin de vie. Il s'agissait d'obtenir non pas forcément des transferts à chaque fois, mais des conseils de médecins hospitaliers pour des prises en charge, ou simplement d'être rassuré. Certaines hotlines ont fonctionné vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; les confrères ont été dérangés la nuit pour donner des conseils à l'aide-soignante parce que, bien souvent, il n'y a pas d'infirmière la nuit dans les EHPAD.

On ne pourra pas connaître le nombre exact de personnes qui ont été hospitalisées. Il faut que les enquêtes soient faisables. Nous avons déjà été très sollicités pour répondre sur beaucoup de choses. Pour ne pas engendrer de stigmatisation, nous n'avons pas demandé combien il y avait eu d'hospitalisations grâce à la hotline ; nous avons seulement demandé s'il y avait eu un accès à la hotline et s'il avait été bénéfique, efficace.

Il faut probablement remédicaliser les EHPAD en cas d'épidémie, car on a bien vu que, sinon, cela ne fonctionnait pas. Il me semble cependant que la question doit se poser davantage en termes d'accès aux soins et de fluidité dans la collaboration territoire par territoire, parce qu'aucun territoire ne ressemble à un autre. C'est bien pourquoi l'accès à l'hospitalisation privée doit être possible parce que, dans certains cas, l'établissement le plus proche est un hôpital privé.

Bien sûr, cela remet en question le modèle de l'EHPAD actuel. On entend de plus en plus parler d'unités de soins de longue durée (USLD) qui sont des structures un peu hybrides, à la fois lieux de vie et cadres sanitaires. Y fait‑on la même chose qu'en EHPAD en matière de confort de vie, d'habitudes de vie et d'animation ? Mon expérience d'interne me fait dire que cela reste très sanitaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En matière de régulation, pensez-vous que les infirmières du parcours PAERPA (personnes âgées en risque de perte d'autonomie) pourraient jouer un rôle ? Les avez-vous sollicitées ?

À vous écouter, je suis conforté dans ma réflexion que, lors de crises aussi exceptionnelles, le besoin est grand d'agilité, d'adaptabilité, de liberté d'action au niveau territorial, car, face à un agent pathogène dont la physiopathologie est inconnue, la stratégie évolue au cours du temps. Ainsi, les campagnes de dépistage ont d'abord été concentrées dans des clusters, puis on s'est attaché aux symptômes de la même manière qu'on le fait lors des épidémies de grippe. Dans un EHPAD de ma commune, neuf patients successifs présentant de la fièvre et des troubles respiratoires ont été considérés comme atteints du covid sans même qu'on envisage de les tester, quand bien même des tests auraient été disponibles.

Derrière la question de savoir s'il faut laisser aux acteurs de terrain plus de liberté pour travailler ensemble, c'est l'attitude des ARS qui est interrogée, et leur capacité d'interagir de manière plus fluide avec les soignants pour s'adapter en temps réel à ce genre de crise exceptionnelle.

Permalien
Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO)

Il est certain qu'une meilleure fluidité est nécessaire, en tout cas dans la filière gériatrique. Quant aux moyens exceptionnels pour faire face à un risque exceptionnel, encore faut-il en disposer quand bien même ils seront rarement utilisés.

Dans la filière gériatrique, c'est une somme de petits dysfonctionnements qui entraîne le crash. En temps normal, le nombre de lits est déjà insuffisant, nous sommes sous‑dotés en personnel, nous n'avons pas d'EPI et nous avons déjà des difficultés à faire hospitaliser les personnes âgées. La situation n'est plus celle que j'ai connue il y a vingt ans, lorsque j'étais parmi les premiers médecins coordonnateurs, et qu'il suffisait de donner l'âge du patient pour que l'hospitalisation soit écartée. Lorsque le régulateur hésite, c'est parce qu'il vient de recevoir un autre appel ou qu'il sait qu'il y a d'autres demandes en attente.

Compte tenu du nombre de lits en EHPAD, il serait utile d'avoir une procédure plus fluide pour faire hospitaliser des sujets âgés. Lorsque nous appelons le 15 à cette fin, nous avons le même interlocuteur que la maman dont le fils s'est coincé le doigt. Les lignes sont saturées alors qu'un professionnel de santé a déjà posé un diagnostic. Il faudrait passer au cran supérieur en dédiant une hotline à la gériatrie, par exemple le 19.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Depuis quelques jours, nous multiplions les numéros d'urgence, il va devenir difficile de s'y retrouver !

Permalien
Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO)

Non seulement il faudrait une ligne téléphonique, mais il faudrait aussi des lits en gériatrie, que ce soit pour hospitaliser des cas de covid ou des insuffisances cardiaques graves.

S'il n'y a pas eu de retours aux ARS, c'est d'abord parce que rien ne nous a été demandé – cela tombait bien parce que nous n'avions pas le temps de le faire au début. Mais après un temps, ça a été le silence radio. Heureusement, nous sommes connectés à la cellule de crise de la DGCS qui nous a fourni toutes les informations. Les remontées d'informations ont été compliquées à mettre en place, et je suppose que les ARS ont été submergées comme nous.

Sur le terrain, il nous a été facile de nous mettre en réseaux en créant des groupes Whatsapp, mais je ne crois pas que des médecins des ARS en aient fait partie. Je pense qu'il n'y avait pas suffisamment de médecins pour gérer la situation au sein des ARS. Je sais qu'en Alsace, le directeur général rencontrait régulièrement les représentants des EHPAD. Il est dommage que cette pratique ne se soit pas généralisée à tous les domaines et qu'il n'y ait pas eu de véritable remontée de terrain – hormis les deux millions de questionnaires qu'il fallait remplir alors que nous étions en train de gérer la pénurie. Vu le nombre d'EHPAD dans certaines régions, s'il n'y a que trois ou quatre médecins dans les ARS, je ne vois pas comment ils peuvent y arriver. Je suis donc en train de prêcher la médicalisation de certaines administrations, dans lesquelles il est bon d'avoir un interlocuteur avec lequel partager nos postulats.

Depuis dix-huit ans, je rédige des rapports d'activité indiquant le nombre d'hospitalisations, la moyenne d'âge et d'autres informations. Les interlocuteurs auxquels je les adresse, d'abord aux DDASS puis aux ARS, m'ont expliqué qu'ils en recevaient trop pour pouvoir les lire, et que ces rapports ne sont utilisés qu'en cas de contrôle ou d'inspection. Nous proposons depuis longtemps d'automatiser la collecte de toutes ces données pour qu'elles soient utiles à la recherche – j'en ai parlé à Virginie Magnant de la CNSA. En les étudiant, nous constaterions une chute brutale du nombre d'hospitalisations pendant le confinement, qui s'est sûrement traduite par une perte de chance pour les personnes qui n'ont pas été hospitalisées de peur de revenir infectées par le covid. Colliger toutes ces données épidémiologiques aurait un intérêt certain pour orienter les stratégies.

Les modalités de collaboration entre médecine publique et privée doivent faire l'objet d'un effort réel. Les EHPAD ne peuvent pas travailler qu'avec l'hôpital, mais comme tout était un peu figé, les réseaux par lesquels nous passions auparavant étaient déjà saturés.

S'agissant de l'isolement, nous avons dû faire avec ce dont nous disposions. Nous n'avions pas suffisamment de masques pour les soignants, et nous ne savions pas à quel rythme nous serions approvisionnés. S'il avait fallu créer un secteur covid dans l'EHPAD, qui y serait allé sans masque ? Puis-je demander à une mère de famille d'y aller ? Tout le monde avait eu peu de temps pour choisir son lieu de confinement et nous étions aussi privés du contact de nos parents et grands-parents. Nous avons tous fait ce sacrifice. Si, demain, nous avons assez de matériel pour habiller tout le monde – sachant que pour rentrer dans un cluster, il faut vraiment s'équiper des pieds à la tête pour ne pas risquer de disséminer le virus –, nous ferons autrement. Ce qui nous a poussés à placer les personnes en sécurité, c'est le manque de masques. Celui que nous avions, nous le faisions sécher puis nous le reprenions – c'était ça ou rien.

L'annonce, du jour au lendemain, que les EHPAD allaient rouvrir a été une autre difficulté à gérer. Dans les trois établissements avec lesquels je travaille, les standards téléphoniques ont sauté, toutes les familles se sont présentées en même temps aux portes, alors même que le panneau d'interdiction était encore collé dessus. Les familles ne peuvent pas comprendre cela. Une meilleure régulation de l'information serait la bienvenue, car les professionnels ont besoin d'être prévenus – et bien plus que quarante-huit heures à l'avance – pour s'organiser. La gestion des visites des familles s'est avérée très compliquée, mobilisant un ETP en surprésence – tantôt la secrétaire, tantôt le directeur, tantôt le médecin, tout le monde s'y est mis – pour permettre aux familles de venir dans des périodes comme les week-ends. En temps normal, les contacts avec les familles sont brefs, mais à ce moment-là, il a fallu vérifier que le questionnaire était bien rempli, prendre la température, donner le masque, rappeler les gestes barrières. En moyenne, c'était un ETP pour cinquante à soixante lits qui y était consacré, alors que nous manquons déjà de personnel.

Imaginez la situation en cas de cluster dont personne ne doit sortir. Sur les deux infirmières dont je dispose dans la journée – une pour cinquante lits –, je dois en dédier une à quatre ou cinq lits, et l'autre doit gérer tout le reste. Il n'est plus possible d'assurer l'accueil des familles, non pas que nous ne le voulions pas, mais nous ne le pouvons pas. Dans les établissements équipés de portes‑fenêtres donnant directement sur le jardin, il suffisait d'ouvrir la porte, mais lorsqu'il fallait les faire traverser l'EHPAD, les familles elles-mêmes couraient un risque. De fait, les architectures des EHPAD ne sont pas pensées pour les clusters ; parfois, ils étaient matérialisés par un simple drap pendant du plafond sur lequel était inscrit : « défense d'entrer ». La barrière n'était que symbolique et, sachant les drames qui pouvaient se jouer juste à côté et le stress que tout cela engendrait, il était difficile de gérer le quotidien. Et cela a été difficile pour tout le monde, y compris les familles

Enfin, il faut vraiment clairement définir la conduite à tenir en cas de décès des suites du covid. Nous n'en pouvions plus des instructions contradictoires qui se succédaient en permanence. Un jour, la famille pouvait venir, un autre, il fallait fermer le cercueil ; un jour, les aides-soignantes pouvaient faire la toilette, un autre il ne fallait plus entrer dans la pièce. Nous n'arrivions pas à former les équipes : ce qui leur avait été dit la veille n'était plus valable le lendemain. Maintenant que nous avons les connaissances, la conduite à tenir doit être très claire. La douleur des personnes qui ont perdu des proches sans les avoir revus depuis trois ou quatre mois était dramatique. Les soignants, qui s'attachent aux patients mais qui les voient tous les jours, ne pouvaient rien faire pour elles. Tout le monde était plongé dans une anxiété palpable, encore alimentée par les informations à la télévision. Je comprends que les familles et les résidents aient vécu très difficilement cet isolement. Si nous avons le matériel et le personnel pour faire différemment, je vous promets que nous le ferons.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 17 heures

Présents. - M. Julien Aubert, M. Éric Ciotti, Mme Josiane Corneloup, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, M. David Habib, Mme Annaïg Le Meur, Mme Sereine Mauborgne, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Peyron, M. Jean‑Pierre Pont, M. Jean Terlier, M. Boris Vallaud, Mme Martine Wonner

Excusés. - M. Olivier Becht, M. Joachim Son-Forget