Les médecins coordonnateurs se sont efforcés d'informer les médecins traitants. Souvent, ils ont pris la place du médecin traitant, lorsque celui-ci refusait de venir sur place ou qu'il était dans l'impossibilité de le faire. Il est arrivé que certains renoncent à venir pour ne pas risquer de propager le virus parmi les patients qu'ils allaient voir à leur domicile. Globalement, il me semble que la collaboration a été correcte, sachant que nombre de médecins coordonnateurs ont totalement pris en charge l'ensemble des résidents, sur le plan de la coordination et du soin – comme le prévoit la treizième mission du médecin coordonnateur. C'est aussi ce qui s'est passé dans les établissements où l'on a nommé un « médecin référent covid ». Il s'est généralement agi de médecins généralistes intervenant en EHPAD en tant que médecins traitants : en tant que « médecin référent covid » – ils ont signé un contrat –, ils ont pu prendre en charge la totalité des résidents sans qu'il y ait de problèmes ordinaux avec leurs confrères et ils ont exercé la coordination médicale.
Vous m'interrogez sur les niveaux de contamination très différents d'un EHPAD à l'autre, sur les différences géographiques et sur la possible distinction entre le secteur lucratif et le secteur non lucratif. Je ne me hasarderai pas à répondre sur ce dernier point : en croisant les réponses que les directeurs et les médecins coordonnateurs ont apportées à notre enquête, nous pourrons peut-être faire apparaître des éléments de réponse. Ce qui est certain, c'est que la fermeture précoce des établissements à toutes les visites et le confinement précoce des résidents, associés à une vie, sinon autarcique, du moins assez austère des soignants, ont permis de limiter la contagion.
La précocité de la réaction et l'intervention des équipes opérationnelles d'hygiène semblent aussi avoir beaucoup joué : nous verrons si notre enquête le confirme. Non seulement ces équipes ont apporté des protocoles que nous n'étions pas capables de rédiger dans l'urgence, mais elles ont eu un rôle de formation du personnel soignant. Et cela me permet d'évoquer un aspect très important du secteur médico-social : la nécessaire stabilité du personnel. Si le turnover est trop important, il faut sans cesse former les personnels. Or, dans la situation de crise que nous avons connue, il était impossible de former des personnels remplaçants dans l'urgence.
N'étant pas infectiologue, il m'est impossible d'expliquer les différences géographiques, que j'ai moi-même constatées : dans ma région aussi, à quelques kilomètres de distance, certains EHPAD ont été contaminés et d'autres non. Plus que la géographie, je pense que c'est l'organisation des établissements qui a joué. Nous verrons ce que dit l'enquête.
Des traitements ont effectivement fait défaut. Le 26 mars, le Collège national professionnel de gériatrie a adressé un courrier au ministère de la santé pour faire état de la pénurie de médicaments et des traitements que l'on administre généralement en fin de vie – qui sont réservés aux centres hospitaliers. Ces traitements sont finalement parvenus dans les EHPAD et nous avons pu les administrer à nos patients en fin de vie. Comme le prévoit la loi, la décision d'administrer un traitement palliatif a toujours été prise de façon collégiale et pluri‑professionnelle et les familles en ont été informées.
Monsieur Pancher, je ne peux malheureusement pas vous donner le pourcentage de personnes âgées « ayant inutilement souffert », pour reprendre vos mots. J'espère que nous pourrons apporter une réponse, au moins partielle, à cette question, car elle nous préoccupe, comme elle préoccupe nos concitoyens. Des personnes ont‑elles manqué des soins dont elles auraient dû bénéficier ? Probablement, si l'on en croit les remontées de terrain. J'ignore si nous pourrons un jour avoir des chiffres, car certaines choses sont difficiles à dire. En tout cas, c'est bien parce que la question s'est posée, et pas seulement dans le Grand Est, mais aussi en Auvergne‑Rhône‑Alpes, puis dans le Nord et en région parisienne, que nous avons lourdement insisté, avec la Société française de gériatrie, pour demander la création de hotlines. Les 8 et 9 mars, l'intergroupe Gériatrie‑Maladies infectieuses a été entendu par la DGCS et la DGS et ces hotlines ont été créées, avec l'aval de nos autorités de tutelle. Cela a permis aux médecins de ne pas rester seuls et de prendre des décisions vraiment collégiales. Par ailleurs, l'arbre décisionnel d'aide à la décision collégiale, que nous avons coécrit et publié avec la SFGG, a aidé les confrères à faire les bons choix même si, en médecine, rien n'est jamais tout blanc ou tout noir.
Pour éviter que la situation psychique et physique des patients isolés ne s'aggrave, les soignants ont utilisé leur propre téléphone, leur tablette et tous les moyens numériques à leur disposition pour les mettre en contact avec leurs enfants et leurs petits-enfants. Nous avons par exemple fêté le soixantième anniversaire de mariage de l'un de nos pensionnaires en visioconférence. Honnêtement, nous n'avons pas eu le temps de réfléchir à la manière dont les choses pourraient être améliorées à l'avenir. La priorité, c'est évidemment d'avoir du personnel en nombre. M. Philippe Bas, lorsqu'il était ministre de la santé, en 2007, avait déjà pointé cette carence en personnel soignant et essayé d'engager ce travail avec nous. Nous n'avons pas vu grand-chose depuis, alors qu'il y a vraiment une carence en personnel soignant dans les EHPAD : il faut le dire et le répéter. Plus on a de personnel, plus on peut consacrer de temps aux pensionnaires pour les faire manger, plus on peut organiser des animations et leur offrir un quotidien agréable. Cela ne remplacera pas la présence d'un fils, d'une fille ou d'un conjoint, mais cela peut atténuer le manque.
Pour éviter l'épuisement des soignants, on en revient toujours à la même chose : il faut du personnel en nombre. Quand on a la satisfaction de bien s'occuper des résidents, cela fait toujours du bien au moral. Les soignants, quand ils sont obligés de bâcler leur travail faute de temps, nous disent eux-mêmes qu'ils deviennent maltraitants. La première des choses à changer, c'est bien celle-là, surtout s'il y a une deuxième vague.