Intervention de Nathalie Maubourguet

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO) :

Nous non plus, nous ne connaissions pas cette doctrine. Néanmoins, certains EHPAD qui disposaient de stocks importants d'EPI, notamment de masques, ont été réquisitionnés pour fournir des équipements aux établissements sanitaires qui en avaient besoin – il aurait fallu qu'on leur rende ensuite ces stocks...

S'agissant de l'introduction du virus dans les établissements, il est vrai que les résidents ne pouvaient compter que sur les soignants, et que ces derniers pouvaient être à l'origine de la présence du virus dans la structure. Ils ont ainsi été fréquemment amenés à adopter un mode de vie assez monacal et ont parfois même renoncé à voir leur famille. Cette situation a été assez difficile à vivre. Au-delà de la fatigue, ils ont supporté cette charge mentale. J'ajoute que, faute de matériels, on a parfois dû demander aux professionnels de santé – kinésithérapeutes, médecins généralistes… – de ne pas venir, de peur qu'ils introduisent le virus dans la structure.

Les choses se sont donc organisées autrement, particulièrement pour les kinésithérapeutes : certains d'entre eux ne sont intervenus que sur un seul EHPAD. Il conviendrait, si la situation devait se reproduire, de mieux organiser l'intervention des professionnels libéraux. Nous avions besoin de médecins, car les maladies chroniques ne se sont pas arrêtées, et nous manquions de matériel.

Actuellement, on constate une surmortalité, mais pas partout. En revanche, ce qui est assez général, c'est une certaine dénutrition. Il a été très difficile de réorganiser le service des repas en chambre tout en respectant les normes HACCP ( Hazard Analysis Critical Control Point ), relatives à la sécurité sanitaire des aliments. Il y a eu des moments épiques, lorsqu'il a fallu courir avec les chariots pour que les plats ne refroidissent pas, mais nous avons réussi à organiser les choses, sans intoxications alimentaires. Lorsque les personnes âgées mangent à table, un soignant veille sur plusieurs d'entre elles. Là, il fallait être auprès de chacune d'elles, dans leur chambre. Sachant qu'un repas dure vingt minutes, toute l'organisation du travail a été profondément modifiée. Nous n'avons pas seulement dû réorganiser le circuit des repas, mais revoir tout le fonctionnement institutionnel pour assurer la sécurité des soins.

On note aujourd'hui une certaine dénutrition du sujet âgé et une fonte musculaire, liée au manque d'activité physique et à la perte d'appétit, elle-même liée à un syndrome dépressif. Au fil du temps, nous avons tout fait pour favoriser la communication des personnes âgées avec leurs familles, grâce aux multimédias, pour éviter qu'elles ne se sentent trop isolées. Il reste que certains résidents souffrent de dénutrition, ce qui a un impact sur leur état de santé général. Nous essayons de leur faire plaisir et de leur donner des produits protéinés pour corriger cela.

Je n'ai jamais reçu la consigne selon laquelle il ne fallait plus envoyer les résidents à l'hôpital à partir d'un certain âge. En revanche, je sais que dans certaines régions, notamment en Alsace, les hôpitaux étaient tellement submergés qu'ils ne pouvaient plus accueillir personne. Certains confrères se sont ainsi entendus dire que les personnes de plus de 68 ans ne pouvaient plus être admises. Or, la moyenne d'âge dans nos établissements est de 87 ans…

Pourquoi certains EHPAD ont-ils constitué des clusters et d'autres, non ? Nous sommes en train d'examiner cette question mais ce qui a été primordial, c'est le respect des gestes barrières, ainsi que la qualité des cadres et de leur collaboration. La solidité du couple constitué par le médecin et le directeur, et plus encore celle du trio qu'ils constituaient avec l'infirmière coordonnatrice, a été déterminante. Là où des relations de confiance existaient, les choses se sont bien passées. Lorsque ces relations étaient déjà difficiles, elles ont implosé.

Lorsqu'il faut repenser toute une organisation, c'est le directeur qui doit prendre des décisions : le médecin n'est pas le supérieur hiérarchique. Si le directeur n'est pas suivi par ses équipes, s'il n'arrive pas à imposer un changement de planning aux aides-soignants, tout se désorganise. Il fallait une équipe d'encadrement forte pour faire avancer le navire, en plus de la conscience professionnelle dont chacun a fait preuve, comme d'habitude.

S'agissant de la réforme des EHPAD, la Mission d'appui à la réforme de la tarification de l'hébergement en établissements (MARTHE) a fait des préconisations que nous approuvons, mais il faut davantage de moyens. Il faut des gens en nombre et, sans transformer les EHPAD en lieux de soins « cheap » – ce que personne ne souhaite, ni les familles qui nous font confiance, ni les personnels –, il faudrait a minima un socle de matériel qui nous permette de faire face à des situations difficiles. Nous avons par exemple manqué de multiparamètres. Ces appareils coûtent 1 000 à 1 500 euros, ce qui représente une somme importante pour un EHPAD. Quand on n'en a qu'un et qu'il y a une zone covid et une zone non‑covid, on le nettoie pour le faire passer d'une zone à l'autre, mais cela augmente les risques. Il faudrait que les EHPAD aient une certaine autonomie pour l'acquisition du matériel de base. Le décret du 2 septembre 2011 relatif aux missions du médecin coordonnateur prévoit déjà – c'est sa treizième mission – que ce dernier puisse faire des prescriptions en cas de situation d'urgence : cette disposition, sur laquelle nous avions travaillé, a été très utile pendant la crise. Cela étant, la collaboration avec un médecin extérieur est toujours une bonne chose : sur les questions éthiques, surtout lorsqu'on est très fatigué, il est important de prendre les décisions à plusieurs. La FFAMCO considère que le modèle d'organisation de l'EHPAD est le bon, mais qu'il faut le renforcer – en matériel et en moyens humains – et que le savoir gériatrique de proximité qui s'y développe pourrait s'exporter, notamment à domicile.

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