J'ai fait partie du cabinet de Marisol Touraine pendant six mois en 2012, mais dans un tout autre champ de responsabilité, puisque j'étais en charge du pôle relatif à l'organisation des soins, non à la santé publique.
Le risque épidémique était très peu présent dans l'univers de travail des ARS, en Bourgogne-Franche-Comté comme dans le Grand Est, si ce n'est, de manière limitée, au travers de la demande, confirmée chaque année, d'établir les plans ORSAN. Le directeur général de chaque agence est évalué sur ses réalisations, conformément au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) et à une lettre de mission annuelle. Or ni le CPOM ni les lettres de mission annuelles ne mentionnent autre chose que la préparation de ces plans.
Nous avons évidemment répondu aux demandes d'état des stocks – nous vous transmettrons cette réponse. Mais en toute franchise, cette question n'entrait pas dans notre univers de travail quotidien. Sur le terrorisme, au contraire, la mobilisation était extrêmement forte dans les deux agences que j'ai eu l'honneur de diriger, en raison de deux attentats survenus sur les marchés de Noël de Dijon, puis de Strasbourg, le 11 décembre 2018.
À chaque fois, nous avons fait face, mais avec le sentiment d'avoir eu de la chance : face à un nombre relativement peu élevé de victimes, nous avions pu mettre en œuvre des moyens considérables. Une heure et demie après l'attentat de Strasbourg, trois blocs opératoires de neurochirurgie accueillaient déjà les victimes : parce que Strasbourg est le troisième ou quatrième CHU de France, qu'il était situé à 300 mètres du lieu de l'attentat, et que ses équipes ont fait preuve d'une réactivité extraordinaire. Nous étions convaincus que nous pourrions avoir affaire à un attentat beaucoup plus meurtrier, plus organisé, avec des cibles plus complexes, dans des petites villes moins bien dotées et dépourvues de capacités de chirurgie spécialisée. Nous avons donc organisé des exercices pour simuler différentes situations. L'idée de tester un attentat de masse dans une petite ville nous a également été suggérée par le service d'aide médicale urgente (SAMU) de Paris, qui a contacté le SAMU de la zone Nancy et Metz, notamment François Braun, que vous avez auditionné.
Le risque terroriste était donc très présent dans la gestion des agences, particulièrement de la nôtre, en raison des attentats que nous avions connus. A contrario, le risque épidémique avait été sinon perdu de vue, du moins noyé dans les consignes générales sur la préparation de plans, qui, certes existaient, mais supposaient que des conditions concrètes soient réunies pour être appliqués.
C'est un autre enseignement majeur de la crise : il faut remettre en tension le système, et faire en sorte que le risque épidémique soit traité non seulement à travers la préparation des plans mais aussi de manière opérationnelle. Une discussion opérationnelle a terriblement manqué en février. Notre capacité de tests était très limitée, de l'ordre d'une cinquantaine de tests par jour dans chacun des deux centres de Nancy et Strasbourg ; mais personne ne nous a jamais demandé comment se passerait une éventuelle montée en régime. À ce titre, je veux rendre hommage à Christophe Gautier et aux équipes de Strasbourg, qui ont été les seules à passer de 60 à 400 tests quotidiens.