Intervention de Christophe Lannelongue

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Christophe Lannelongue, ancien directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) Grand Est :

La journée était rythmée par deux moments importants : à quinze heures, nous envoyions à Santé publique France, les données collectées sur toute la région, reformatées et fiabilisées, qui serviraient de base à la communication du professeur Salomon à dix-neuf heures ; à vingt heures, nous nous réunissions sous la présidence de Jérôme Salomon ou, fin mars, du chef ou du directeur de cabinet du ministre de la santé ou du ministre de la santé, parfois avec les préfets – auquel cas le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur ou le ministre lui-même étaient présents.

Personnellement, je me suis entretenu deux fois avec le ministre de la santé au téléphone, non à propos du COPERMO de Nancy, mais à propos de la politique de transferts. Et, un dimanche matin, alors que vingt-huit personnes avaient été intubées à Mulhouse dans la nuit de vendredi à samedi, le ministre m'a alors demandé mon point de vue sur la situation, proprement épouvantable.

Ce qui a énormément manqué dans ce pilotage, c'est vraiment le bilatéral, la fixation d'objectifs, l'appui concret. Tous les soirs, nous étions noyés dans une discussion à laquelle l'ensemble des ARS participaient, avec le professeur Salomon, le directeur de cabinet du ministre et, parfois, le ministre lui-même. Il était impossible de s'exprimer ! Je me suis efforcé d'intervenir plusieurs fois en poussant des cris d'alarme, qui étaient perçus comme de l'agitation ; je n'ai été ni entendu ni compris. Le directeur de cabinet m'a ainsi reproché d'avoir tenu des propos un peu vifs.

Nous avons manqué de modalités de discussion correctes, comme cela doit être le cas avec un collaborateur : « Où en êtes-vous, que se passe-t-il, pourquoi ne parvenez-vous pas à atteindre les objectifs, de quoi avez-vous besoin ? ». Piloter, c'est fixer des objectifs mais c'est aussi soutenir, animer, accompagner. C'est ce qui a totalement manqué : pas d'objectifs, pas d'animation, pas d'accompagnement, pas de soutien…

Nous aurions pu mieux gérer la crise dans le Grand Est si la réserve nationale de masques avait été débloquée, pour nous, dès le début de la crise. Nous avions besoin de 4,5 millions de masques par semaine, peut-être même un peu moins, et il y en avait 102 millions en réserve. Comme dans toutes les batailles, vient le moment où le chef d'état-major doit affecter la réserve à tel ou tel endroit parce que les troupes sont en train de se faire enfoncer. Les réserves existaient et cela ne coûtait pas grand-chose de voir que nous étions en perdition et qu'il fallait mettre le paquet pour nous aider.

Il en est de même pour les respirateurs. Certaines régions étaient épargnées pendant que nous étions à l'acmé de la crise. Nous aurions donc pu récupérer des respirateurs avant de les leur rendre au moment où nous serions en descente, et les autres en montée.

La communication nous a posé énormément de problèmes, même si elle était animée par les meilleures intentions du monde pour éviter les erreurs commises lors de l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen et les déclarations incohérentes entre préfectures, ARS, ministères de la santé et de l'intérieur, niveaux central et régional. En l'occurrence, la communication centrale était coupée des réalités du terrain. Des statistiques étaient égrenées chaque jour tandis que, de notre côté, nous faisions un communiqué régional conjoint avec la préfecture de région et un communiqué départemental avec le préfet. Jusqu'à la fin du mois de mars, il n'était question que de cas de contamination, d'hospitalisation, d'entrées en réanimation et non de ce qui était fait pour essayer de desserrer l'étau et créer peu à peu les conditions d'une meilleure prise en charge.

Je vous l'ai dit : nous étions de mieux en mieux préparés à un risque terroriste et nous avons oublié de nous préparer à un risque pandémique. À mes yeux, cela ne remet pas en cause le rôle des ARS qui, au contraire, doit être accru ; il faut faire en sorte que l'ensemble des acteurs – hôpitaux, médecine de ville – soit obligé de s'engager aux côtés de l'État, en période de crise, afin de pouvoir répondre aux attentes. J'ai passé des jours, parfois dans la tension et l'énervement, à dire à des responsables hospitaliers que les laboratoires devaient monter en puissance, qu'il fallait tester, tester, tester.

J'ai rencontré également beaucoup de difficultés avec le SAMU de zone, qui est entré en traînant les pieds dans la politique de transferts. Il convient donc de renforcer les capacités des ARS à piloter activement la gestion de la crise sur le plan régional sous l'égide du préfet de région. La dimension interministérielle est forcément présente : ce sont certes des questions de santé qui se posent mais aussi des questions d'économie, de libertés et d'ordre publics, de sécurité, ce qui relève des préfets de département et de région. L'unité et la cohérence régionales entre les différents acteurs interministériels sont essentielles, le préfet de département devant quant à lui être en mesure d'assurer fermement la cohérence des actions de l'État.

Certaines choses ont été très bien faites, notamment la prise en charge des enfants des soignants afin qu'ils puissent aller à l'école a été très bien organisée, sous l'égide du préfet, avec l'inspecteur d'académie.

Je suis d'accord avec vous : les ARS doivent renforcer leurs compétences, accroître leur présence sur le terrain et les partenariats avec les élus et les collectivités locales – les décisions que le ministre a annoncées hier me paraissent de ce point de vue aller dans le bon sens.

Nous étions la seule région dont le conseil régional, présidé par Jean Rottner, a voté le projet régional de santé. Nous avions engagé deux contrats expérimentaux avec le Bas-Rhin et la Meurthe-et-Moselle, vingt-deux contrats locaux de santé, et notre ambition était de couvrir toute la région. Pendant la crise, nous avons souffert du manque d'un cadre de travail organisé avec les élus ; les tensions ont été très fortes, dont certaines tout à fait légitimes, comme je l'ai dit à Mme Klinkert. J'ai d'ailleurs partagé avec elle le douloureux sentiment, au début de la crise, que l'ARS et l'État, n'avaient pas été suffisamment présents. Le Conseil départemental du Haut‑Rhin a dû se substituer à l'État, notamment pour fournir des masques et des équipements de protection individuelle dans les EHPAD.

J'ai moins bien vécu d'autres expressions… J'ai assisté à certaines formes d'instrumentalisation, où il s'agissait d'utiliser la crise pour faire avancer des idées certes légitimes – même si je ne prétends pas qu'il ne faille pas décentraliser certaines compétences ni accroître le rôle des départements dans le domaine médico-social.

La gestion de crise a également été instrumentalisée à Nancy à d'autres fins que l'amélioration de l'efficacité de l'intervention publique. Le directeur de cabinet du ministre m'a appelé un mercredi matin pour me dire que je « sautais » une demi-heure plus tard, en conseil des ministres, en raison des propos que j'avais tenus le vendredi 3 avril où, à la fin d'une conférence de presse, j'avais affirmé le maintien du projet COPERMO. Ma réponse était moins simple qu'il n'y paraissait car ce plan de performance, approuvé par la ministre en juillet 2019, était aussi un projet d'investissement en cours d'étude, rendu éligible par le COPERMO du 16 janvier 2020, sans qu'il ait été pour autant bouclé. Restait à savoir comment financer un investissement de 525 millions dans un contexte difficile sachant que la dette du CHU de Nancy s'élevait à 400 millions…

Je regrette que le débat n'ait pas été plus riche et plus complet. Le ministre a annoncé dans un tweet, le dimanche, la suspension de toutes les opérations de réorganisation. L'après‑midi, nous avons indiqué dans un communiqué que nous nous alignions évidemment sur sa position et, le mardi, le Premier ministre a écrit au maire de Nancy pour lui dire que tout était suspendu jusqu'à l'après crise. Il était difficile à ce moment-là de faire autrement. J'ai perçu mon limogeage comme une sanction très injuste.

Par ailleurs, ce projet me semble avoir été caricaturé. L'hôpital est réparti sur sept sites vieillots de 500 000 mètres carrés ; son regroupement sur un seul site de 250 000 mètres carrés aurait été le gage d'immenses gains d'efficacité et de qualité médicale. Le mode de fonctionnement aurait été beaucoup plus compact, plus ouvert sur la chirurgie ambulatoire.

L'évolution de l'hôpital passe par les nouvelles technologies, le développement de la chirurgie ambulatoire, l'ouverture sur la médecine de ville, l'organisation de filières, et pas seulement par la seule prise en charge en CHU. Ce projet représentait un an et demi de travail avec des armées de consultants et visait à répondre aux besoins à venir. Il n'est pas choquant de dire que le regroupement sur un seul site nécessite moins de gardiennages et de logistique ; il n'est pas choquant de dire que la chirurgie ambulatoire est bénéfique pour les patients et pour les finances publiques ! Dès lors, pourquoi ne pas aller en ce sens, comme tous les pays étrangers ? Pourquoi ne pas développer ce dont la population a besoin, c'est-à-dire la prise en charge des personnes âgées ? Pourquoi traiter à l'hôpital ce que l'on peut beaucoup mieux traiter en ville comme, par exemple, les urgences ? Il ne doit pas y avoir de tabous là-dessus. Un lit hospitalier n'est pas une unité de mesure intangible : il y a des lits hospitaliers utiles, d'autres moins, qui ne sont pas occupés ; il y en a qui doivent être créés, par exemple pour l'aval des urgences, d'autres qu'il faut supprimer lorsqu'on passe en chirurgie ambulatoire, etc.

J'ai confiance. Le ministre a dit hier que ce projet serait rediscuté ; j'espère qu'il aboutira et que, dans cinq ou dix ans, les personnels du CHU de Nancy disposeront d'un cadre de travail bien meilleur et, que les habitants de Meurthe-et-Moselle et de la région pourront accéder à des soins spécialisés de qualité. Je ne peux pas vous en dire plus.

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