En effet, nous ne faisions pas de suivi des stocks de masques. Lorsque nous avons répondu aux demandes du niveau central à la fin du mois de janvier, nous l'avons fait de manière très administrative, sans percevoir l'imminence du danger et les risques que cela pouvait représenter pour notre organisation.
Je n'ai pas de statistiques sur le nombre de personnes de plus de soixante-dix ans admises à l'hôpital, mais il me paraît important et urgent d'en produire. N'étant pas médecin, j'ai été frappé de voir à quel point la doctrine médicale a évolué. Au début de l'épidémie, une priorité très forte était donnée à la prise en charge en réanimation ; puis les médecins ont commencé à considérer qu'il fallait la limiter, et que quelques jours d'oxygène pouvaient être plus efficaces. Il est important que nous procédions à une étude sur les pratiques médicales en direction des personnes âgées. Les causes de la mort n'apparaissent pas sur les certificats de décès ; il faudra reprendre des échantillons de dossiers et les analyser un par un pour mieux comprendre ce qui s'est passé.
Si notre capacité d'action avait été supérieure au niveau régional, nous serions probablement allés plus vite. Avec la préfète de région, nous étions convaincus qu'il fallait développer la production régionale de masques. Nous avons créé une cellule dédiée aux masques, gérée conjointement par la préfecture de région et l'ARS, et nous avons contacté le président de la chambre de commerce du Bas-Rhin, où se trouvait un pôle de compétitivité textile susceptible de produire des masques. Il cherchait justement à se développer dans ce domaine depuis des années ; il a réuni sept entreprises, et nous avons passé une commande test de 30 000 masques que nous avons reçus trois jours plus tard ; puis nous avons envoyé au centre de crise du ministère des listes, sous forme de tableaux, de dizaines d'entreprises prêtes à se lancer à leur tour dans la production. Le textile est une tradition ancienne dans notre région et de nombreuses entreprises, dans les Vosges, en Alsace, en Champagne-Ardenne ou dans l'Aube, sont capables de fabriquer ce type de produit. C'est à partir de là que le processus s'est enrayé. La Direction générale de l'armement (DGA) qui devait valider notre modèle de masque, n'a jamais donné aucune réponse. La préfète, qui l'avait essayé, le trouvait pourtant très bien. Nos entreprises, elles, étaient l'arme au pied. De même, la commande de surblouses a été effectuée localement, et nous avons dû trouver nous-mêmes les entreprises pour en fabriquer, à Nancy, en Meurthe-et-Moselle et dans l'Aube.
Notre préfète de région est un haut fonctionnaire expérimenté : sa parole a au moins autant de crédibilité que celle des gens qu'on a nommés au centre de crise, qui ne connaissent rien du tissu industriel de la région Grand Est. Si des marges de manœuvre plus importantes lui étaient données, ainsi qu'à l'ARS, nous serions beaucoup plus réactifs. L'échelon déconcentré de l'État est selon moi plus efficace, car il est composé de gens d'expérience qui prennent les décisions de manière collective – nous nous réunissions tous les soirs avec la préfète de région, les dix préfets de départements, le secrétaire général de la zone –, ce qui limite le potentiel d'erreur. Ce mode de fonctionnement est en outre plus favorable à la mobilisation des acteurs territoriaux.