J'ai été amené à prendre en charge la coordination de l'action interministérielle en matière de tests virologiques et sérologiques à compter du 30 mars. Cette mission a été formalisée par une lettre de cadrage, datée du 21 avril 2020, signée par le ministre des solidarités et de la santé, M. Olivier Véran, par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Mme Frédérique Vidal, dont j'étais alors le directeur de cabinet, et par le coordonnateur interministériel en charge de la stratégie de déconfinement, M. Jean Castex. Elle s'insérait dans le dispositif interministériel de crise, notamment dans sa composante sanitaire, qui était basée au ministère des solidarités et de la santé, ainsi que dans la task force mise en place au sein de la cellule interministérielle de crise santé, pour préparer le déconfinement, pilotée par le directeur général de la santé et directeur de crise, M. Jérôme Salomon. Je rendais compte aux autorités qui m'avaient mandaté et à leurs cabinets ainsi que, dans le cadre des réunions d'arbitrage quotidiennes, au cabinet du Premier ministre. À compter du 4 mai, j'ai exercé cette fonction à temps plein qui, à la veille du déconfinement, n'était plus compatible avec celle de directeur de cabinet. Cette mission a pris fin le 15 juillet.
Ces précisions initiales sont nécessaires pour expliquer d'où je parle. Je n'ai pas connu le début de la crise sanitaire, je ne serai donc pas nécessairement en mesure de répondre à toutes vos questions sur les sujets antérieurs à la fin du mois de mars 2020. Et n'étant plus en fonction, je ne suis évidemment pas partie prenante des décisions les plus récentes. J'ai désormais une vision plus lointaine des questions qui se posent.
Deux chiffres résument la mission qui m'a été confiée : 100 000 et 500 000. Il s'agissait de prendre toutes les mesures nécessaires pour passer de 100 000 tests virologiques RT-PCR par semaine aux 500 000 effectués aujourd'hui. Pour y parvenir, j'ai pu réunir autour de moi une petite équipe constituée à la fois d'agents du ministère des solidarités et de la santé – direction générale de la santé (DGS) et direction générale de l'offre de soins (DGOS) – et de compétences extérieures. Au pic de la crise, cette équipe rassemblait une cinquantaine de personnes venues de tous les horizons – professeurs de médecine et médecins, pharmaciens, ingénieurs de recherche, ingénieurs biologistes des secteurs public et privé, membres du Conseil d'État, inspecteurs des finances, inspecteurs des affaires sociales, ingénieurs de l'École polytechnique encore en formation. L'équipe a travaillé pendant des semaines pour parvenir à démultiplier les capacités de test du pays.
Il est des moments qui marquent durablement et profondément. Avoir le privilège de diriger une telle équipe, dans de telles circonstances, en est un. Je remercie ici tous ceux et toutes celles qui ont travaillé pendant ces semaines, qui ont choisi de mettre de côté tout le reste, pour se consacrer intégralement à cette mission, la plus importante de toutes à ce moment. Ils l'ont fait sans attendre de reconnaissance particulière, parce que c'était leur devoir et que cela leur semblait une évidence. Ils méritent notre reconnaissance collective, et ils ont toute la mienne.
Pour en revenir à ma mission, à la fin du mois de mars, il devient indispensable de faire faire un saut quantitatif à nos capacités de test, pour deux raisons. La première est que le recours aux tests à des fins de dépistage s'accroît brutalement, marquant une forme de tournant dans le dépistage. La seconde raison est que le déconfinement se prépare et qu'il faut envisager une démultiplication des capacités de tests.
Lorsque ma mission débute, le pays est confiné depuis plusieurs semaines. Les tests sont utilisés essentiellement à des fins de diagnostic : ils servent à confirmer qu'une personne qui présente des symptômes est bien atteinte du covid-19. J'insiste sur le terme « confirmer ». Le test ne se suffit pas à lui-même, il ne permet pas d'identifier des malades qui ne présentent aucun symptôme ; il étaye seulement un diagnostic. Au stade 3 de l'épidémie, selon la doctrine qui est alors en usage, cette fonction diagnostique n'est plus systématique. Compte tenu de l'ampleur de la circulation virale, toute personne qui présente des symptômes évocateurs est réputée souffrir du covid-19 ; on ne teste alors pas systématiquement pour confirmer que le diagnostic syndromique est fondé. Les tests sont pratiqués dans des hypothèses déterminées : chez des personnes à risque de développer une forme grave pour confirmer le diagnostic, chez les soignants et les personnes en contact avec des personnes fragiles, afin d'éviter la diffusion du virus.
N'ayant pas de compétence médicale, il ne m'appartient pas de porter un jugement sanitaire sur les conditions de recours aux tests. J'observe néanmoins que la doctrine présente une forte rationalité au moment où le pays est confiné. Les chaînes de transmission virale sont interrompues et toute personne présentant des symptômes est traitée médicalement de la même manière, qu'elle ait été testée ou non. Seules les personnes qui présentent un risque accru de forme grave doivent être impérativement testées, pour pouvoir apporter une surveillance renforcée.
À la fin du mois de mars s'engage un virage, en France comme dans les autres pays : à l'usage de diagnostic s'ajoute la finalité de dépistage. Il est alors décidé, dans certaines conditions, de tester des personnes ne présentant pas de symptôme, ce qui augmente très fortement le nombre de personnes susceptibles d'être testées et pose directement la question de la capacité de dépistage. Cet élargissement est acté par une circulaire du 9 avril 2020, signée conjointement par le ministre des solidarités et de la santé, et le ministre de l'intérieur, qui fait explicitement le lien entre l'augmentation de la capacité de test et l'élargissement de la doctrine d'emploi de ces tests.
Dans le contexte du confinement, l'élargissement concerne essentiellement les structures dites d'hébergement collectif, où la cohabitation des personnes favorise la diffusion du virus : EHPAD et structures médico-sociales et sociales. La circulaire vient compléter la doctrine de diagnostic et de dépistage, en considérant que, lorsque le virus ne circule pas dans une structure d'hébergement collectif, il n'est pas nécessairement pertinent de pratiquer un dépistage, qui va démultiplier les contacts, donc les risques de contamination. En revanche, lorsqu'un premier cas est confirmé, cela signifie qu'une personne extérieure aux résidents a fait entrer le virus dans la structure. Il faut alors a minima dépister tous les personnels et les intervenants au sein de la structure, pour identifier la ou les personnes qui sont à l'origine de la contamination.
Dans le cadre de cette nouvelle orientation, près de 117 000 résidents en EHPAD et 97 000 personnels intervenant dans ces structures ont été testés avant le 11 mai, jour du déconfinement. C'est le premier élément qui explique que la question du volume des capacités de test se soit posée dès la fin du mois de mars.
Le deuxième élément est la préparation du déconfinement, qui s'engage au début du mois d'avril. La coordination en a été confiée à Jean Castex par le Premier ministre, le 2 avril. À cette nouvelle étape correspondent une redéfinition et un élargissement du besoin de tests, car dès lors que la vie sociale reprend, la circulation du virus repart avec elle. Pour garder la maîtrise de l'épidémie, il faut être capable de déceler systématiquement toutes les personnes qui présentent des symptômes, et d'identifier et de tester toutes les personnes qui ont été en contact avec les malades. Pour fonctionner, cette stratégie doit être systématique : on doit tester rapidement toute personne qui présente des symptômes et tout malade.
Chacun a alors conscience que cela implique un changement d'ordre de grandeur, que Santé publique France (SPF) est chargée d'évaluer. Le 17 avril, une première évaluation, de 500 000 tests par semaine, est communiquée à la DGS – elle est d'ailleurs évoquée par le Premier ministre dans la conférence de presse qui a suivi. Le 22 avril, cette estimation est revue à la hausse, dans une note adressée au coordonnateur du déconfinement, dans une fourchette de 500 000 à 700 000 tests par semaine.
Il faut bien avoir à l'esprit que ces chiffres étaient des estimations, d'autant plus difficiles à établir qu'elles dépendaient de trois variables : le nombre de personnes malades le jour du déconfinement – évalué selon le modèle de circulation épidémique de l'Institut Pasteur ; le nombre de personnes qui, au même moment, présenteraient des symptômes proches du covid‑19, sans être atteints par cette maladie ; le nombre de personnes contacts par personne malade, SPF retenant l'hypothèse de 20 personnes en se fondant sur les modèles de la phase précédente.
Pour atteindre l'objectif de 500 000 à 700 000 tests hebdomadaires, la mission dépistage a agi dans trois directions. D'abord, elle a rassemblé l'ensemble des informations permettant de savoir précisément combien de tests étaient réalisables par jour fin mars et début avril, de façon à pouvoir suivre la progression des capacités. Ensuite, elle a travaillé avec l'ensemble des acteurs pour augmenter cette capacité. Enfin, elle a proposé une série de textes réglementaires pour lever les obstacles à son augmentation.
À la fin du mois de mars, nous n'avions qu'une vision très partielle des capacités de tests. Nous ignorions notamment le nombre de tests réalisés par jour. Aucun système d'information unifié ne donnait une vue nationale exhaustive de l'ensemble des examens de biologie médicale réalisés chaque jour dans plusieurs milliers de laboratoires, parmi lesquels il aurait été possible d'isoler une catégorie particulière de tests. SPF pratiquait bien la surveillance épidémique, mais dans des conditions adaptées aux épidémies que nous avions connues jusqu'ici, sans commune mesure avec les circonstances que nous traversions.
Pour la première fois, avec cette crise, nous avons été confrontés à la nécessité de disposer d'une capacité nationale de test couvrant des centaines de milliers d'analyses par semaine, dans des milliers de centres de prélèvement. C'était sans équivalent dans l'histoire récente. Cela voulait dire agréger d'un coup l'ensemble des forces des laboratoires de biologie médicale et des laboratoires hospitaliers, pour mener une action concertée.
Vous l'avez rappelé, monsieur le président, tout au long de la crise, le cercle des laboratoires en mesure d'effectuer des tests par RT-PCR, qui sont relativement complexes à mettre en œuvre, s'est progressivement élargi. Le test de référence a été mis au point par le centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires au début du mois de janvier. Au 31 janvier, 5 laboratoires hospitaliers le pratiquaient, puis 20 le 21 février, puis 43 le 3 mars. À cette date, le remboursement de l'acte a été prévu, et les laboratoires de ville ont commencé à réaliser des tests de détection RT-PCR. Le 4 juin, plus de 1 100 laboratoires et centres d'analyse les pratiquaient.
L'extension du périmètre est allée plus vite que celle des outils de suivi, l'essentiel était de réaliser le plus de tests, le plus vite possible. En parallèle, les chantiers des systèmes d'informations nécessaires ont été lancés et conduits à bonne fin, avec deux outils majeurs : le système d'information national de dépistage du covid-19 (SIDEP) pour suivre le nombre de tests réalisés, et la base de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), installée en avril, qui s'est révélée centrale dans notre fonctionnement quotidien. Cette base, sur laquelle tous les laboratoires, publics et privés, se sont connectés, a permis de connaître la capacité maximale de tests à un instant t, à l'horizon d'un mois. Elle a permis de suivre en permanence la capacité de test. Nous avons beaucoup travaillé avec les agences régionales de santé (ARS) pour rendre ces données aussi fiables que possible.
Avant la mise en place de cette plateforme, nous n'avions qu'une vision très partielle du nombre de tests réalisés en France. Cela doit conduire à relativiser les comparaisons internationales, souvent assises sur des données incertaines. J'ai régulièrement essayé de rassembler de l'information sur ce que faisaient les pays étrangers : la capacité à avoir le niveau de détail nécessaire pour en tirer de réelles leçons était parfois discutable. La DREES conduit un important travail de reconstitution des chiffres, qui permettra sans doute de connaître plus clairement le nombre de tests effectivement pratiqués, notamment avant le confinement.
Deuxième chantier : augmenter les capacités. Les laboratoires hospitaliers étant déjà très mobilisés et sollicités par la crise sanitaire elle-même, les laboratoires de ville étaient les plus en mesure de renforcer de manière très significative notre capacité de dépistage. Un dialogue direct s'est ainsi noué avec les réseaux qui les structurent, à travers des audioconférences organisées chaque semaine par la mission avec chacun d'entre eux. Cette mobilisation a permis d'augmenter fortement les capacités. Les grands réseaux de laboratoires ont pris vis-à-vis de l'État des engagements chiffrés à l'horizon du 11 mai et de début juin. Nous avons construit collectivement un cadre de hausse capacitaire, pour parvenir à être au rendez-vous du déconfinement.
Le respect de ces engagements était naturellement conditionné par la disponibilité des réactifs et des consommables nécessaires pour tenir le rythme. En parallèle du dialogue avec les laboratoires, nous avons donc engagé un travail direct avec les grands fournisseurs – Roche, Thermo Fisher, Hologic, Cepheid, BD et bien d'autres – pour réserver les quantités nécessaires pour le marché français. Sur ce marché, comme sur de nombreux autres, les tensions étaient très fortes, mais comme les produits n'étaient pas uniformes, cela a fait une très grande différence. La mission a dénombré jusqu'à soixante-dix-sept équipements de marque ou de modèle différents utilisés en France pour réaliser des tests par RT-PCR – modèles ouverts ou fermés, fonctionnant avec plusieurs réactifs ou seulement des réactifs sous licence du producteur –, et jusqu'à vingt-trois fournisseurs de réactifs ayant plus ou moins des difficultés pour produire. Cette situation très hétérogène a permis de limiter l'effet des tensions. Nous savions que, si certains produits n'étaient pas disponibles, d'autres l'étaient. Il s'agissait donc notamment d'organiser la substitution de l'un à l'autre. Par ailleurs, même lorsque les tensions étaient extrêmement fortes, les fournisseurs ont toujours accepté de respecter les priorités de livraison définies par l'État.
Les plus fortes tensions ont affecté certains consommables. Des groupes de travail d'experts ont été constitués pour identifier des solutions de remplacement, par exemple pour certains microcônes. S'agissant des écouvillons, des commandes massives ont été passées sur le marché asiatique, grand producteur mais peu fiable. Compte tenu de l'incertitude pesant sur leur arrivée, en parallèle, la société Lemoine, basée dans l'Orne, a développé une solution de remplacement en France. D'abord non stériles, ces écouvillons ont pu être stérilisés, si bien qu'à la veille du déconfinement, nous étions certains de pouvoir répondre au besoin national dans ce domaine. Ce sont les ARS qui avaient pour mission de limiter l'impact de ces tensions, qui affectaient souvent de petits équipements utilisés très couramment dans la sphère hospitalière pour effectuer rapidement un petit nombre de tests.
Pour maintenir la capacité de test, il a souvent fallu organiser des circuits de collecte des prélèvements à l'échelle territoriale et régionale, et centraliser les analyses sur de grandes plateformes pour lesquelles les réactifs et les consommables étaient disponibles. En matière de tests, c'est l'échelle régionale qui s'est révélée pertinente, l'échelle départementale présentant de grandes variations dans la présence de laboratoires de ville ou de capacités d'analyse. À l'échelle d'un bassin régional, il est possible de mutualiser suffisamment la capacité d'analyse pour répondre aux besoins territoriaux. En revanche, la phase de prélèvement par écouvillonnage doit s'effectuer sur un maillage fin. Nous avons donc organisé régulièrement des circuits de prélèvement, par lesquels des volumes de prélèvements significatifs étaient envoyés sur de grandes plateformes d'analyse disposant de grands automates – vous avez parlé de ceux achetés par l'État.
Augmenter les capacités a également supposé d'avoir recours, là où c'était nécessaire, à tous les laboratoires qui étaient en mesure de faire des tests par RT-PCR, y compris ceux ne pratiquant pas habituellement la biologie médicale – laboratoires départementaux et vétérinaires, laboratoires spécialisés et laboratoires de recherche, notamment. Ce sujet a fait couler beaucoup d'encre.
L'une des premières tâches menées à bien par mon équipe a été de rendre possible la participation de ces laboratoires à l'effort national de diagnostic et de dépistage, sous la forme, notamment, d'un décret et d'un arrêté du 5 avril 2020.
Pour qu'un laboratoire de recherche ou vétérinaire participe à une opération de diagnostic et de dépistage à destination d'une population humaine, il ne suffit pas de l'autoriser à pratiquer les opérations matérielles d'analyse, ni qu'il dispose des équipements et des réactifs, ni qu'il sache faire la manipulation. Il faut qu'il devienne partie prenante d'une chaîne d'analyse qui, du recueil à l'analyse, rend l'échantillon traçable à chaque étape du processus. Ce n'est pas l'analyse qui est compliquée, mais ce qui la précède et ce qui la suit, notamment la phase d'enregistrement et de suivi, pour qu'à un échantillon corresponde bien une seule identité, et que l'on puisse donner un résultat sans erreur possible, ni de résultat ni de personne.
Selon ses pratiques habituelles, ses équipements ou les ressources humaines dont il dispose, un laboratoire s'insérera plus ou moins facilement dans un tel dispositif. Ce sera plus difficile pour un laboratoire de chimie équipé pour les tests RT-PCR que pour une plateforme biologique qui traite des volumes considérables, avec des équipements informatiques lourds. En outre, le laboratoire associé doit agir en lien avec un laboratoire de biologie médicale, public ou privé, qui garantit l'intégrité de la chaîne. Cela consomme du temps et de l'énergie pour les acteurs, déjà très sollicités par ailleurs.
Il s'est avéré que mobiliser ces laboratoires n'était pas nécessairement utile partout et tout le temps. Dans certains territoires, la capacité d'analyse était déjà très importante par rapport aux besoins, une fois le secteur privé pleinement sollicité. Dans d'autres, il restait des besoins élevés, et des plateformes de recherche qui disposaient d'équipements et d'équipes de travail ont été rapidement mobilisées.
Sur ce sujet comme sur de nombreux autres, on ne peut donc raisonner de manière générale et absolue. L'aide de ces laboratoires a été précieuse dans de nombreux territoires. Dans d'autres, elle n'a pas été nécessaire. Cela a pu créer des interrogations, parfois, des frustrations, mais c'est la réalité d'un maillage territorial très variable, et d'une très grande diversité des situations.
La mobilisation de ces laboratoires a exigé de prendre en urgence une série de textes réglementaires autorisant, non seulement l'intervention de ces structures, mais aussi l'utilisation de leurs réactifs et la participation de leurs personnels. Là encore, un travail considérable a été réalisé par mes équipes, comme par celles de la direction des affaires juridiques du ministère des solidarités et de la santé. Au 2 juin 2020, soixante-trois conventions avaient été signées – cinquante et une avec des laboratoires départementaux, vétérinaires ou accrédités, et douze avec des laboratoires de recherche.
Je terminerai ce propos liminaire en dressant un rapide bilan et en partageant avec vous trois observations.
Sur un plan strictement quantitatif, je constate que la capacité de dépistage a été au rendez-vous du déconfinement. Le 7 mai, à l'issue d'un travail fin conduit avec les ARS, nous avons pu constater que les capacités nationale et régionale de test nécessaires pour procéder au déconfinement étaient réunies. Depuis le déconfinement, plus de 3,2 millions de tests virologiques ont été réalisés en France, et ce chiffre est sans précédent dans l'histoire récente.
Au 11 mai et dans les semaines qui ont suivi, l'offre de test a été très largement supérieure à la demande. Alors que nous nous étions mis en situation de réaliser jusqu'à 700 000 tests par semaine, ce sont entre 200 000 et 300 000 tests par semaine qui ont été pratiqués jusqu'à la fin juin, avec une moyenne de 250 000. Cet écart trouve son origine dans la nature même des estimations qui avaient permis à SPF de fixer la cible initiale. L'agence avait estimé le nombre de cas contacts à vingt par personne malade, alors que, dans les semaines qui ont suivi le 11 mai, il a été légèrement supérieur à deux, la vie sociale ne reprenant que lentement.
Aucun élément n'a donné à penser qu'il existait une tension autour des tests. Nous en avons aujourd'hui la démonstration a posteriori. Depuis quelques semaines, la demande a fortement augmenté ; plus de 500 000 tests sont réalisés par semaine, soit deux fois plus qu'à la fin du mois de mai. L'adaptation prend parfois du temps et les tensions, lorsqu'elles existent, se voient d'autant mieux que les personnes qui attendent pour un test font la queue à l'extérieur du laboratoire.
Les capacités d'analyse sont désormais bien présentes ; l'adaptation se fait au fur et à mesure. Nous sommes toujours capables de réaliser plus d'un million de tests par semaine, pour ce qui concerne la phase d'analyse. Les tensions sont actuellement concentrées sur le prélèvement. Aux yeux de l'observateur que je suis aujourd'hui, les autorités ont pris les mesures nécessaires, notamment en élargissant les catégories de personnes autorisées à réaliser les prélèvements.
Pour l'avenir, l'enjeu concerne non pas les capacités brutes mais le recours aux innovations technologiques qui permettront de faire plus et mieux – je pense aux tests salivaires, mais pas uniquement. Ces innovations étaient suivies de très près et je sais qu'elles le sont encore. Au-delà des chiffres, nous abordons les mois qui viennent et de possibles crises futures en ayant tiré trois enseignements importants, le propre d'une crise étant de nous confronter collectivement à des choses que nous n'anticipions pas.
Le premier point est que le besoin de tests, face à une épidémie de ce type, dépasse tout ce que nous pouvions imaginer jusque-là. L'ordre de grandeur n'est pas celui du nombre de malades – c'est le diagnostic – mais celui de la population – c'est le dépistage. Il faut pouvoir faire, de manière concentrée et rapide, non pas des dizaines de milliers de tests, mais des centaines de milliers, voire plus d'un million par semaine.
Deuxièmement, nous avons appris que face à une épidémie de cet ordre, il faut constituer une capacité nationale de dépistage qui suppose de changer en profondeur, du jour au lendemain, les manières de travailler avec les acteurs – les laboratoires, bien sûr, mais aussi les experts scientifiques et les acteurs industriels. Il faut mesurer ce qu'implique cette leçon : elle va à rebours de toutes les normes imposées au secteur de la santé depuis des décennies. Cela suppose de passer, du jour au lendemain, d'une logique d'État régulateur, à distance des intérêts privés, à une logique d'État organisateur et planificateur d'un effort national qui engage aussi bien les acteurs publics que les acteurs privés. De ce point de vue, il faut dire que le paysage français où les laboratoires hospitaliers, d'une part, et les laboratoires de ville, d'autre part, constituent deux univers distincts et séparés, n'était pas celui où le basculement était le plus aisé. Force aussi est de constater que le basculement a eu lieu, et finalement assez vite.
Le troisième enseignement est que, dans une société confrontée à une épidémie, le test n'est pas qu'un enjeu médical et sanitaire. Les historiens, les philosophes et les sociologues le diraient mieux que moi : une épidémie est un fait social, et sans doute même un fait social total, qui touche directement et en même temps tous les individus d'un groupe humain. C'est une menace à la fois individuelle et collective, un moment de peur et de suspension de la vie normale pour tous et pour chacun. Dans ce contexte très particulier, le test possède une valeur propre. Sur le strict plan médical, ne pas tester toutes les personnes présentant un tableau clinique évocateur est une attitude qui a un sens. Il est certain aussi que cela suscite des réactions individuelles. Vous connaissez, comme moi, des personnes qui ont le sentiment d'avoir été privées de quelque chose en n'ayant pas eu la confirmation par un test du fait qu'elles aient été malades du covid-19. Le test est une simple confirmation pour le médecin ; c'est une information pour le malade, et elle a une valeur particulière pour lui.
De la même manière, les tests sérologiques, qui permettent d'indiquer si on a eu le virus, n'ont aujourd'hui qu'un intérêt limité sur le plan médical. La Haute Autorité de santé (HAS) a été très claire sur ce sujet. La nature et la durée de la protection immunitaire que conférerait le fait d'avoir eu la maladie ne sont pas bien établies à ce jour. Il est donc impossible, aujourd'hui, de tirer d'un test sérologique des conséquences sanitaires fortes. Un test positif ou négatif ne change rien aux recommandations de prudence. Mais il n'en demeure pas moins que, pour chacun d'entre nous, savoir s'il a été ou non en contact avec le virus, s'il a été malade ou non, parfois à son insu, est une information importante.
C'est bien parce que les besoins sanitaires, qui sont la priorité des priorités, la priorité absolue dans une phase d'épidémie, et les attentes sociales ne se recoupent pas toujours, ou pas totalement, que votre mission d'information est particulièrement précieuse. Si nous devons apprendre de la crise, c'est sans doute sur le plan sanitaire, mais c'est aussi et surtout sur le plan de la réponse sociale et collective à la crise ; la question du test est au croisement de l'un et de l'autre.