Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, vice-président de la mission d'information
La mission procède à l'audition de M. Nicolas Castoldi, coordonnateur de la stratégie de dépistage Covid-19.
Dans la task force mise en place pour la gestion du volet sanitaire du déconfinement au sein du centre de crise sanitaire, M. Castoldi vous avez été chargé d'une mission « dépistage virologique et sérologique » afin de piloter le déploiement des tests sur le territoire.
Le dépistage des personnes atteintes par le covid-19 a été un enjeu d'autant plus important de la gestion de la crise sanitaire qu'il a été établi que des personnes asymptomatiques pouvaient être porteuses du virus, donc sources de contamination.
L'Institut Pasteur a très tôt mis au point une technique de dépistage du virus par RT-PCR, qui a été progressivement fournie aux établissements de référence. À partir du début du mois de mars, la possibilité de réaliser des tests a été ouverte aux laboratoires de biologie médicale de ville, grâce à la commercialisation progressive de techniques de diagnostic. Au cours du mois d'avril, les laboratoires hospitaliers ont été pourvus en automates leur permettant de démultiplier leurs capacités de test.
Pendant cette première phase, le nombre de tests effectués est cependant resté modeste. Nous souhaiterions entendre l'analyse que vous faites de la situation au moment où vous avez pris vos fonctions. Quelles sont les mesures que vous avez été amené à prendre pour atteindre l'objectif de 100 000 tests diagnostiques par jour ? Plus globalement, dispose-t-on aujourd'hui de stratégies de dépistage ? Comment les semaines qui viennent ont-elles été préparées ?
Avant de vous laisser la parole, je dois vous demander, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Nicolas Castoldi prête serment.)
J'ai été amené à prendre en charge la coordination de l'action interministérielle en matière de tests virologiques et sérologiques à compter du 30 mars. Cette mission a été formalisée par une lettre de cadrage, datée du 21 avril 2020, signée par le ministre des solidarités et de la santé, M. Olivier Véran, par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Mme Frédérique Vidal, dont j'étais alors le directeur de cabinet, et par le coordonnateur interministériel en charge de la stratégie de déconfinement, M. Jean Castex. Elle s'insérait dans le dispositif interministériel de crise, notamment dans sa composante sanitaire, qui était basée au ministère des solidarités et de la santé, ainsi que dans la task force mise en place au sein de la cellule interministérielle de crise santé, pour préparer le déconfinement, pilotée par le directeur général de la santé et directeur de crise, M. Jérôme Salomon. Je rendais compte aux autorités qui m'avaient mandaté et à leurs cabinets ainsi que, dans le cadre des réunions d'arbitrage quotidiennes, au cabinet du Premier ministre. À compter du 4 mai, j'ai exercé cette fonction à temps plein qui, à la veille du déconfinement, n'était plus compatible avec celle de directeur de cabinet. Cette mission a pris fin le 15 juillet.
Ces précisions initiales sont nécessaires pour expliquer d'où je parle. Je n'ai pas connu le début de la crise sanitaire, je ne serai donc pas nécessairement en mesure de répondre à toutes vos questions sur les sujets antérieurs à la fin du mois de mars 2020. Et n'étant plus en fonction, je ne suis évidemment pas partie prenante des décisions les plus récentes. J'ai désormais une vision plus lointaine des questions qui se posent.
Deux chiffres résument la mission qui m'a été confiée : 100 000 et 500 000. Il s'agissait de prendre toutes les mesures nécessaires pour passer de 100 000 tests virologiques RT-PCR par semaine aux 500 000 effectués aujourd'hui. Pour y parvenir, j'ai pu réunir autour de moi une petite équipe constituée à la fois d'agents du ministère des solidarités et de la santé – direction générale de la santé (DGS) et direction générale de l'offre de soins (DGOS) – et de compétences extérieures. Au pic de la crise, cette équipe rassemblait une cinquantaine de personnes venues de tous les horizons – professeurs de médecine et médecins, pharmaciens, ingénieurs de recherche, ingénieurs biologistes des secteurs public et privé, membres du Conseil d'État, inspecteurs des finances, inspecteurs des affaires sociales, ingénieurs de l'École polytechnique encore en formation. L'équipe a travaillé pendant des semaines pour parvenir à démultiplier les capacités de test du pays.
Il est des moments qui marquent durablement et profondément. Avoir le privilège de diriger une telle équipe, dans de telles circonstances, en est un. Je remercie ici tous ceux et toutes celles qui ont travaillé pendant ces semaines, qui ont choisi de mettre de côté tout le reste, pour se consacrer intégralement à cette mission, la plus importante de toutes à ce moment. Ils l'ont fait sans attendre de reconnaissance particulière, parce que c'était leur devoir et que cela leur semblait une évidence. Ils méritent notre reconnaissance collective, et ils ont toute la mienne.
Pour en revenir à ma mission, à la fin du mois de mars, il devient indispensable de faire faire un saut quantitatif à nos capacités de test, pour deux raisons. La première est que le recours aux tests à des fins de dépistage s'accroît brutalement, marquant une forme de tournant dans le dépistage. La seconde raison est que le déconfinement se prépare et qu'il faut envisager une démultiplication des capacités de tests.
Lorsque ma mission débute, le pays est confiné depuis plusieurs semaines. Les tests sont utilisés essentiellement à des fins de diagnostic : ils servent à confirmer qu'une personne qui présente des symptômes est bien atteinte du covid-19. J'insiste sur le terme « confirmer ». Le test ne se suffit pas à lui-même, il ne permet pas d'identifier des malades qui ne présentent aucun symptôme ; il étaye seulement un diagnostic. Au stade 3 de l'épidémie, selon la doctrine qui est alors en usage, cette fonction diagnostique n'est plus systématique. Compte tenu de l'ampleur de la circulation virale, toute personne qui présente des symptômes évocateurs est réputée souffrir du covid-19 ; on ne teste alors pas systématiquement pour confirmer que le diagnostic syndromique est fondé. Les tests sont pratiqués dans des hypothèses déterminées : chez des personnes à risque de développer une forme grave pour confirmer le diagnostic, chez les soignants et les personnes en contact avec des personnes fragiles, afin d'éviter la diffusion du virus.
N'ayant pas de compétence médicale, il ne m'appartient pas de porter un jugement sanitaire sur les conditions de recours aux tests. J'observe néanmoins que la doctrine présente une forte rationalité au moment où le pays est confiné. Les chaînes de transmission virale sont interrompues et toute personne présentant des symptômes est traitée médicalement de la même manière, qu'elle ait été testée ou non. Seules les personnes qui présentent un risque accru de forme grave doivent être impérativement testées, pour pouvoir apporter une surveillance renforcée.
À la fin du mois de mars s'engage un virage, en France comme dans les autres pays : à l'usage de diagnostic s'ajoute la finalité de dépistage. Il est alors décidé, dans certaines conditions, de tester des personnes ne présentant pas de symptôme, ce qui augmente très fortement le nombre de personnes susceptibles d'être testées et pose directement la question de la capacité de dépistage. Cet élargissement est acté par une circulaire du 9 avril 2020, signée conjointement par le ministre des solidarités et de la santé, et le ministre de l'intérieur, qui fait explicitement le lien entre l'augmentation de la capacité de test et l'élargissement de la doctrine d'emploi de ces tests.
Dans le contexte du confinement, l'élargissement concerne essentiellement les structures dites d'hébergement collectif, où la cohabitation des personnes favorise la diffusion du virus : EHPAD et structures médico-sociales et sociales. La circulaire vient compléter la doctrine de diagnostic et de dépistage, en considérant que, lorsque le virus ne circule pas dans une structure d'hébergement collectif, il n'est pas nécessairement pertinent de pratiquer un dépistage, qui va démultiplier les contacts, donc les risques de contamination. En revanche, lorsqu'un premier cas est confirmé, cela signifie qu'une personne extérieure aux résidents a fait entrer le virus dans la structure. Il faut alors a minima dépister tous les personnels et les intervenants au sein de la structure, pour identifier la ou les personnes qui sont à l'origine de la contamination.
Dans le cadre de cette nouvelle orientation, près de 117 000 résidents en EHPAD et 97 000 personnels intervenant dans ces structures ont été testés avant le 11 mai, jour du déconfinement. C'est le premier élément qui explique que la question du volume des capacités de test se soit posée dès la fin du mois de mars.
Le deuxième élément est la préparation du déconfinement, qui s'engage au début du mois d'avril. La coordination en a été confiée à Jean Castex par le Premier ministre, le 2 avril. À cette nouvelle étape correspondent une redéfinition et un élargissement du besoin de tests, car dès lors que la vie sociale reprend, la circulation du virus repart avec elle. Pour garder la maîtrise de l'épidémie, il faut être capable de déceler systématiquement toutes les personnes qui présentent des symptômes, et d'identifier et de tester toutes les personnes qui ont été en contact avec les malades. Pour fonctionner, cette stratégie doit être systématique : on doit tester rapidement toute personne qui présente des symptômes et tout malade.
Chacun a alors conscience que cela implique un changement d'ordre de grandeur, que Santé publique France (SPF) est chargée d'évaluer. Le 17 avril, une première évaluation, de 500 000 tests par semaine, est communiquée à la DGS – elle est d'ailleurs évoquée par le Premier ministre dans la conférence de presse qui a suivi. Le 22 avril, cette estimation est revue à la hausse, dans une note adressée au coordonnateur du déconfinement, dans une fourchette de 500 000 à 700 000 tests par semaine.
Il faut bien avoir à l'esprit que ces chiffres étaient des estimations, d'autant plus difficiles à établir qu'elles dépendaient de trois variables : le nombre de personnes malades le jour du déconfinement – évalué selon le modèle de circulation épidémique de l'Institut Pasteur ; le nombre de personnes qui, au même moment, présenteraient des symptômes proches du covid‑19, sans être atteints par cette maladie ; le nombre de personnes contacts par personne malade, SPF retenant l'hypothèse de 20 personnes en se fondant sur les modèles de la phase précédente.
Pour atteindre l'objectif de 500 000 à 700 000 tests hebdomadaires, la mission dépistage a agi dans trois directions. D'abord, elle a rassemblé l'ensemble des informations permettant de savoir précisément combien de tests étaient réalisables par jour fin mars et début avril, de façon à pouvoir suivre la progression des capacités. Ensuite, elle a travaillé avec l'ensemble des acteurs pour augmenter cette capacité. Enfin, elle a proposé une série de textes réglementaires pour lever les obstacles à son augmentation.
À la fin du mois de mars, nous n'avions qu'une vision très partielle des capacités de tests. Nous ignorions notamment le nombre de tests réalisés par jour. Aucun système d'information unifié ne donnait une vue nationale exhaustive de l'ensemble des examens de biologie médicale réalisés chaque jour dans plusieurs milliers de laboratoires, parmi lesquels il aurait été possible d'isoler une catégorie particulière de tests. SPF pratiquait bien la surveillance épidémique, mais dans des conditions adaptées aux épidémies que nous avions connues jusqu'ici, sans commune mesure avec les circonstances que nous traversions.
Pour la première fois, avec cette crise, nous avons été confrontés à la nécessité de disposer d'une capacité nationale de test couvrant des centaines de milliers d'analyses par semaine, dans des milliers de centres de prélèvement. C'était sans équivalent dans l'histoire récente. Cela voulait dire agréger d'un coup l'ensemble des forces des laboratoires de biologie médicale et des laboratoires hospitaliers, pour mener une action concertée.
Vous l'avez rappelé, monsieur le président, tout au long de la crise, le cercle des laboratoires en mesure d'effectuer des tests par RT-PCR, qui sont relativement complexes à mettre en œuvre, s'est progressivement élargi. Le test de référence a été mis au point par le centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires au début du mois de janvier. Au 31 janvier, 5 laboratoires hospitaliers le pratiquaient, puis 20 le 21 février, puis 43 le 3 mars. À cette date, le remboursement de l'acte a été prévu, et les laboratoires de ville ont commencé à réaliser des tests de détection RT-PCR. Le 4 juin, plus de 1 100 laboratoires et centres d'analyse les pratiquaient.
L'extension du périmètre est allée plus vite que celle des outils de suivi, l'essentiel était de réaliser le plus de tests, le plus vite possible. En parallèle, les chantiers des systèmes d'informations nécessaires ont été lancés et conduits à bonne fin, avec deux outils majeurs : le système d'information national de dépistage du covid-19 (SIDEP) pour suivre le nombre de tests réalisés, et la base de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), installée en avril, qui s'est révélée centrale dans notre fonctionnement quotidien. Cette base, sur laquelle tous les laboratoires, publics et privés, se sont connectés, a permis de connaître la capacité maximale de tests à un instant t, à l'horizon d'un mois. Elle a permis de suivre en permanence la capacité de test. Nous avons beaucoup travaillé avec les agences régionales de santé (ARS) pour rendre ces données aussi fiables que possible.
Avant la mise en place de cette plateforme, nous n'avions qu'une vision très partielle du nombre de tests réalisés en France. Cela doit conduire à relativiser les comparaisons internationales, souvent assises sur des données incertaines. J'ai régulièrement essayé de rassembler de l'information sur ce que faisaient les pays étrangers : la capacité à avoir le niveau de détail nécessaire pour en tirer de réelles leçons était parfois discutable. La DREES conduit un important travail de reconstitution des chiffres, qui permettra sans doute de connaître plus clairement le nombre de tests effectivement pratiqués, notamment avant le confinement.
Deuxième chantier : augmenter les capacités. Les laboratoires hospitaliers étant déjà très mobilisés et sollicités par la crise sanitaire elle-même, les laboratoires de ville étaient les plus en mesure de renforcer de manière très significative notre capacité de dépistage. Un dialogue direct s'est ainsi noué avec les réseaux qui les structurent, à travers des audioconférences organisées chaque semaine par la mission avec chacun d'entre eux. Cette mobilisation a permis d'augmenter fortement les capacités. Les grands réseaux de laboratoires ont pris vis-à-vis de l'État des engagements chiffrés à l'horizon du 11 mai et de début juin. Nous avons construit collectivement un cadre de hausse capacitaire, pour parvenir à être au rendez-vous du déconfinement.
Le respect de ces engagements était naturellement conditionné par la disponibilité des réactifs et des consommables nécessaires pour tenir le rythme. En parallèle du dialogue avec les laboratoires, nous avons donc engagé un travail direct avec les grands fournisseurs – Roche, Thermo Fisher, Hologic, Cepheid, BD et bien d'autres – pour réserver les quantités nécessaires pour le marché français. Sur ce marché, comme sur de nombreux autres, les tensions étaient très fortes, mais comme les produits n'étaient pas uniformes, cela a fait une très grande différence. La mission a dénombré jusqu'à soixante-dix-sept équipements de marque ou de modèle différents utilisés en France pour réaliser des tests par RT-PCR – modèles ouverts ou fermés, fonctionnant avec plusieurs réactifs ou seulement des réactifs sous licence du producteur –, et jusqu'à vingt-trois fournisseurs de réactifs ayant plus ou moins des difficultés pour produire. Cette situation très hétérogène a permis de limiter l'effet des tensions. Nous savions que, si certains produits n'étaient pas disponibles, d'autres l'étaient. Il s'agissait donc notamment d'organiser la substitution de l'un à l'autre. Par ailleurs, même lorsque les tensions étaient extrêmement fortes, les fournisseurs ont toujours accepté de respecter les priorités de livraison définies par l'État.
Les plus fortes tensions ont affecté certains consommables. Des groupes de travail d'experts ont été constitués pour identifier des solutions de remplacement, par exemple pour certains microcônes. S'agissant des écouvillons, des commandes massives ont été passées sur le marché asiatique, grand producteur mais peu fiable. Compte tenu de l'incertitude pesant sur leur arrivée, en parallèle, la société Lemoine, basée dans l'Orne, a développé une solution de remplacement en France. D'abord non stériles, ces écouvillons ont pu être stérilisés, si bien qu'à la veille du déconfinement, nous étions certains de pouvoir répondre au besoin national dans ce domaine. Ce sont les ARS qui avaient pour mission de limiter l'impact de ces tensions, qui affectaient souvent de petits équipements utilisés très couramment dans la sphère hospitalière pour effectuer rapidement un petit nombre de tests.
Pour maintenir la capacité de test, il a souvent fallu organiser des circuits de collecte des prélèvements à l'échelle territoriale et régionale, et centraliser les analyses sur de grandes plateformes pour lesquelles les réactifs et les consommables étaient disponibles. En matière de tests, c'est l'échelle régionale qui s'est révélée pertinente, l'échelle départementale présentant de grandes variations dans la présence de laboratoires de ville ou de capacités d'analyse. À l'échelle d'un bassin régional, il est possible de mutualiser suffisamment la capacité d'analyse pour répondre aux besoins territoriaux. En revanche, la phase de prélèvement par écouvillonnage doit s'effectuer sur un maillage fin. Nous avons donc organisé régulièrement des circuits de prélèvement, par lesquels des volumes de prélèvements significatifs étaient envoyés sur de grandes plateformes d'analyse disposant de grands automates – vous avez parlé de ceux achetés par l'État.
Augmenter les capacités a également supposé d'avoir recours, là où c'était nécessaire, à tous les laboratoires qui étaient en mesure de faire des tests par RT-PCR, y compris ceux ne pratiquant pas habituellement la biologie médicale – laboratoires départementaux et vétérinaires, laboratoires spécialisés et laboratoires de recherche, notamment. Ce sujet a fait couler beaucoup d'encre.
L'une des premières tâches menées à bien par mon équipe a été de rendre possible la participation de ces laboratoires à l'effort national de diagnostic et de dépistage, sous la forme, notamment, d'un décret et d'un arrêté du 5 avril 2020.
Pour qu'un laboratoire de recherche ou vétérinaire participe à une opération de diagnostic et de dépistage à destination d'une population humaine, il ne suffit pas de l'autoriser à pratiquer les opérations matérielles d'analyse, ni qu'il dispose des équipements et des réactifs, ni qu'il sache faire la manipulation. Il faut qu'il devienne partie prenante d'une chaîne d'analyse qui, du recueil à l'analyse, rend l'échantillon traçable à chaque étape du processus. Ce n'est pas l'analyse qui est compliquée, mais ce qui la précède et ce qui la suit, notamment la phase d'enregistrement et de suivi, pour qu'à un échantillon corresponde bien une seule identité, et que l'on puisse donner un résultat sans erreur possible, ni de résultat ni de personne.
Selon ses pratiques habituelles, ses équipements ou les ressources humaines dont il dispose, un laboratoire s'insérera plus ou moins facilement dans un tel dispositif. Ce sera plus difficile pour un laboratoire de chimie équipé pour les tests RT-PCR que pour une plateforme biologique qui traite des volumes considérables, avec des équipements informatiques lourds. En outre, le laboratoire associé doit agir en lien avec un laboratoire de biologie médicale, public ou privé, qui garantit l'intégrité de la chaîne. Cela consomme du temps et de l'énergie pour les acteurs, déjà très sollicités par ailleurs.
Il s'est avéré que mobiliser ces laboratoires n'était pas nécessairement utile partout et tout le temps. Dans certains territoires, la capacité d'analyse était déjà très importante par rapport aux besoins, une fois le secteur privé pleinement sollicité. Dans d'autres, il restait des besoins élevés, et des plateformes de recherche qui disposaient d'équipements et d'équipes de travail ont été rapidement mobilisées.
Sur ce sujet comme sur de nombreux autres, on ne peut donc raisonner de manière générale et absolue. L'aide de ces laboratoires a été précieuse dans de nombreux territoires. Dans d'autres, elle n'a pas été nécessaire. Cela a pu créer des interrogations, parfois, des frustrations, mais c'est la réalité d'un maillage territorial très variable, et d'une très grande diversité des situations.
La mobilisation de ces laboratoires a exigé de prendre en urgence une série de textes réglementaires autorisant, non seulement l'intervention de ces structures, mais aussi l'utilisation de leurs réactifs et la participation de leurs personnels. Là encore, un travail considérable a été réalisé par mes équipes, comme par celles de la direction des affaires juridiques du ministère des solidarités et de la santé. Au 2 juin 2020, soixante-trois conventions avaient été signées – cinquante et une avec des laboratoires départementaux, vétérinaires ou accrédités, et douze avec des laboratoires de recherche.
Je terminerai ce propos liminaire en dressant un rapide bilan et en partageant avec vous trois observations.
Sur un plan strictement quantitatif, je constate que la capacité de dépistage a été au rendez-vous du déconfinement. Le 7 mai, à l'issue d'un travail fin conduit avec les ARS, nous avons pu constater que les capacités nationale et régionale de test nécessaires pour procéder au déconfinement étaient réunies. Depuis le déconfinement, plus de 3,2 millions de tests virologiques ont été réalisés en France, et ce chiffre est sans précédent dans l'histoire récente.
Au 11 mai et dans les semaines qui ont suivi, l'offre de test a été très largement supérieure à la demande. Alors que nous nous étions mis en situation de réaliser jusqu'à 700 000 tests par semaine, ce sont entre 200 000 et 300 000 tests par semaine qui ont été pratiqués jusqu'à la fin juin, avec une moyenne de 250 000. Cet écart trouve son origine dans la nature même des estimations qui avaient permis à SPF de fixer la cible initiale. L'agence avait estimé le nombre de cas contacts à vingt par personne malade, alors que, dans les semaines qui ont suivi le 11 mai, il a été légèrement supérieur à deux, la vie sociale ne reprenant que lentement.
Aucun élément n'a donné à penser qu'il existait une tension autour des tests. Nous en avons aujourd'hui la démonstration a posteriori. Depuis quelques semaines, la demande a fortement augmenté ; plus de 500 000 tests sont réalisés par semaine, soit deux fois plus qu'à la fin du mois de mai. L'adaptation prend parfois du temps et les tensions, lorsqu'elles existent, se voient d'autant mieux que les personnes qui attendent pour un test font la queue à l'extérieur du laboratoire.
Les capacités d'analyse sont désormais bien présentes ; l'adaptation se fait au fur et à mesure. Nous sommes toujours capables de réaliser plus d'un million de tests par semaine, pour ce qui concerne la phase d'analyse. Les tensions sont actuellement concentrées sur le prélèvement. Aux yeux de l'observateur que je suis aujourd'hui, les autorités ont pris les mesures nécessaires, notamment en élargissant les catégories de personnes autorisées à réaliser les prélèvements.
Pour l'avenir, l'enjeu concerne non pas les capacités brutes mais le recours aux innovations technologiques qui permettront de faire plus et mieux – je pense aux tests salivaires, mais pas uniquement. Ces innovations étaient suivies de très près et je sais qu'elles le sont encore. Au-delà des chiffres, nous abordons les mois qui viennent et de possibles crises futures en ayant tiré trois enseignements importants, le propre d'une crise étant de nous confronter collectivement à des choses que nous n'anticipions pas.
Le premier point est que le besoin de tests, face à une épidémie de ce type, dépasse tout ce que nous pouvions imaginer jusque-là. L'ordre de grandeur n'est pas celui du nombre de malades – c'est le diagnostic – mais celui de la population – c'est le dépistage. Il faut pouvoir faire, de manière concentrée et rapide, non pas des dizaines de milliers de tests, mais des centaines de milliers, voire plus d'un million par semaine.
Deuxièmement, nous avons appris que face à une épidémie de cet ordre, il faut constituer une capacité nationale de dépistage qui suppose de changer en profondeur, du jour au lendemain, les manières de travailler avec les acteurs – les laboratoires, bien sûr, mais aussi les experts scientifiques et les acteurs industriels. Il faut mesurer ce qu'implique cette leçon : elle va à rebours de toutes les normes imposées au secteur de la santé depuis des décennies. Cela suppose de passer, du jour au lendemain, d'une logique d'État régulateur, à distance des intérêts privés, à une logique d'État organisateur et planificateur d'un effort national qui engage aussi bien les acteurs publics que les acteurs privés. De ce point de vue, il faut dire que le paysage français où les laboratoires hospitaliers, d'une part, et les laboratoires de ville, d'autre part, constituent deux univers distincts et séparés, n'était pas celui où le basculement était le plus aisé. Force aussi est de constater que le basculement a eu lieu, et finalement assez vite.
Le troisième enseignement est que, dans une société confrontée à une épidémie, le test n'est pas qu'un enjeu médical et sanitaire. Les historiens, les philosophes et les sociologues le diraient mieux que moi : une épidémie est un fait social, et sans doute même un fait social total, qui touche directement et en même temps tous les individus d'un groupe humain. C'est une menace à la fois individuelle et collective, un moment de peur et de suspension de la vie normale pour tous et pour chacun. Dans ce contexte très particulier, le test possède une valeur propre. Sur le strict plan médical, ne pas tester toutes les personnes présentant un tableau clinique évocateur est une attitude qui a un sens. Il est certain aussi que cela suscite des réactions individuelles. Vous connaissez, comme moi, des personnes qui ont le sentiment d'avoir été privées de quelque chose en n'ayant pas eu la confirmation par un test du fait qu'elles aient été malades du covid-19. Le test est une simple confirmation pour le médecin ; c'est une information pour le malade, et elle a une valeur particulière pour lui.
De la même manière, les tests sérologiques, qui permettent d'indiquer si on a eu le virus, n'ont aujourd'hui qu'un intérêt limité sur le plan médical. La Haute Autorité de santé (HAS) a été très claire sur ce sujet. La nature et la durée de la protection immunitaire que conférerait le fait d'avoir eu la maladie ne sont pas bien établies à ce jour. Il est donc impossible, aujourd'hui, de tirer d'un test sérologique des conséquences sanitaires fortes. Un test positif ou négatif ne change rien aux recommandations de prudence. Mais il n'en demeure pas moins que, pour chacun d'entre nous, savoir s'il a été ou non en contact avec le virus, s'il a été malade ou non, parfois à son insu, est une information importante.
C'est bien parce que les besoins sanitaires, qui sont la priorité des priorités, la priorité absolue dans une phase d'épidémie, et les attentes sociales ne se recoupent pas toujours, ou pas totalement, que votre mission d'information est particulièrement précieuse. Si nous devons apprendre de la crise, c'est sans doute sur le plan sanitaire, mais c'est aussi et surtout sur le plan de la réponse sociale et collective à la crise ; la question du test est au croisement de l'un et de l'autre.
On a appliqué au début de la crise, aux stades 1 et 2, la doctrine habituelle en période d'épidémie, en particulier grippale. Des tests nombreux ont été réalisés dans les clusters, notamment dans l'Oise et aux Contamines-Montjoie, pour pouvoir isoler les malades. Assez rapidement, lors du passage en phase 3, on a considéré que toute personne présentant des symptômes était considérée comme positive, comme on le fait en cas de grippe. Vous avez dit qu'il y avait un accès au dépistage, selon un protocole établi, pour les formes graves et pour les soignants.
À partir de mars, on a compris que l'on pouvait manifestement être contaminant avant de présenter des symptômes, quels qu'ils soient, ce qui a sans doute fait évoluer la réflexion sur la doctrine de dépistage. Il a fallu s'adapter, comme vous l'avez souligné.
Quel regard portez-vous sur ce qui a été fait au tout début de l'épidémie, sur la base de la doctrine suivie jusque-là ? Celle-ci était-elle partagée, en particulier par nos voisins européens ?
Les tests se sont multipliés. Y a-t-il eu une évolution de leur sensibilité ? Le taux de faux négatifs relativement important a souvent soulevé la question de la réassurance, pouvant conduire, au sein de la population, à des interrogations ou à des erreurs de protection.
Le dépistage par scanner thoracique a-t-il été inclus dans la réflexion ? Un certain nombre d'urgentistes et de spécialistes ont pratiqué ces examens pour évaluer l'atteinte par le coronavirus.
J'aimerais aussi revenir sur le traçage covid, qui a fait l'objet d'un déploiement très important, en particulier par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), avec un suivi au plus près de la population. Avez-vous des chiffres ? Quel est le taux de contacts potentiels que l'on arrive à établir ? Par ailleurs, quel regard portez-vous sur l'application StopCovid ?
Quelle doit être la place des tests rapides d'orientation diagnostique (TROD). Envisagez-vous de les inclure dans la stratégie de dépistage ? Les biologistes que nous avons entendus ont dit qu'il fallait une confirmation en laboratoire si le TROD était positif.
La sensibilité et l'usage des tests RT-PCR est une question essentielle en ce qu'elle remet le test à sa juste place.
Le passage du diagnostic au dépistage s'est fait progressivement, et cela n'a pas été évident. La proportion de faux négatifs est importante, d'autant que le prélèvement nasopharyngé est un geste compliqué. Si le prélèvement est mal fait, les résultats peuvent être faussés dans un nombre significatif de cas. Par ailleurs, le test RT-PCR n'identifie la présence virale que pendant un temps déterminé, ce qui signifie qu'on peut parfaitement être malade et avoir un test négatif. On n'obtient, de ce fait, qu'une photographie de la situation d'une personne à un instant déterminé, étant entendu que cette photographie peut elle-même être faussée.
On ne peut que faire un usage ponctuel du test. Son indication la plus naturelle concerne des personnes qui présentent des symptômes et qui ont de fortes chances d'être positives ; on teste pour le vérifier. Les limites du test conduisent à cet usage diagnostique. L'usage aux fins de dépistage est beaucoup plus compliqué : si on dépiste des personnes ne présentant aucun symptôme, on peut trouver des cas positifs, mais on va aussi indiquer à des individus qu'ils ne sont pas malades alors qu'ils peuvent l'être. Le passage d'une logique à l'autre, c'est-à-dire d'un usage ciblé de confirmation à un usage de screening large de la population, sachant que des tests négatifs sont possibles chez des personnes en réalité positives, n'est pas une évidence dans une perspective médicale ou sanitaire. C'est une politique d'une nature très différente, et cela explique aussi, sans doute, qu'elle ait pu prendre du temps.
J'ajoute que l'idée de pratiquer un dépistage de masse, en population générale, dans des épidémies de cet ordre n'est évoquée, à ma connaissance, dans aucun des documents ou plans de préparation aux pandémies qui existaient. Il y a eu une prise de conscience progressive face à l'événement. Par ailleurs, je ne crois pas que le passage progressif du diagnostic au dépistage ait été réalisé d'une manière significativement différente dans d'autres pays européens.
Je n'ai pas entendu évoquer, pour être tout à fait clair et transparent vis-à-vis de vous, la question du dépistage par scanner thoracique, en tout cas à l'échelle nationale pendant la crise.
Le traçage covid est suivi directement par la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM). Je ne dispose pas d'éléments extrêmement détaillés sur ce sujet, en dehors de ce que j'ai déjà indiqué. Pendant les premières semaines consécutives au déconfinement, le nombre de cas contacts identifiés était relativement faible.
Les TROD sont des tests sérologiques qui confirment qu'une personne a été exposée au virus et pourrait peut-être être immunisée pendant une période indéterminée. Des tests sérologiques ont été progressivement mis en point. Qu'il s'agisse des tests ELISA pratiqués en laboratoire de ville ou des TROD, praticables en pharmacie, un processus d'évaluation des performances a été mis en place. L'ensemble des tests a été évalué par les CNR. Un cahier des charges avait été défini par la HAS. À l'issue d'un travail commun entre la HAS, les CNR, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et le ministère, une première liste de tests « validés » a été adoptée.
Par définition, un TROD doit toujours être confirmé en laboratoire : c'est la limite du recours à ces tests. Il n'y a pas de raison aujourd'hui de poser la question de la fiabilité de ceux qui ont été validés par les instances compétentes et évalués par les CNR. La question qui se pose derrière est celle de la sérologie. Son usage médical est très limité : la HAS l'a prévue en tant que diagnostic de rattrapage dans des cas très précis. Médicalement, l'information n'a pas d'usage direct, mais il y a clairement une attente sociale, le souci de savoir ce qu'il en a été. L'un des souhaits du ministère des solidarités et de la santé, en particulier du ministre, a été de faire en sorte que la sérologie, qui répond à des besoins et à des attentes, puisse être largement accessible, y compris sous la forme de TROD réalisés en pharmacie. Les personnes qui s'adressent à des laboratoires de ville se voient aussi proposer des tests sérologiques, voire un combiné RT-PCR et sérologie.
Les syndicats de biologistes, que nous avons entendus la semaine dernière, ont fait part de leur ressentiment. Ils estiment avoir été écartés de la stratégie de dépistage au début de la crise. Vous avez indiqué les dates auxquelles ils ont été mis dans la boucle. Quel regard portez-vous sur leur appréciation ? Ces interlocuteurs estiment à environ un mois le temps perdu en raison de blocages administratifs, concernant des arrêtés non pris, des autorisations d'utilisation de réactifs.
S'agissant des laboratoires publics, les premiers tests ont été réalisés dans des centres hospitaliers. Vous avez donné des chiffres montrant une montée en puissance progressive, mais assez tardive. J'ai vécu dans mon département des conflits, qui sont peut-être remontés jusqu'à vous, entre le centre hospitalier universitaire (CHU) et des laboratoires de recherche de grands organismes. Le préfet a dû rendre des arbitrages tout en qualifiant la situation de totalement ubuesque. Comment expliquer ces conflits qui nous ont fait perdre du temps ?
Le professeur Raoult a beaucoup été interrogé, lorsque nous l'avons auditionné, sur la capacité de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille à réaliser des tests. C'est un élément, contrairement à d'autres peut-être, qui ne fait pas l'objet d'un débat : cet IHU a eu une capacité de test extrêmement importante dans la région, et d'une manière très précoce. Sans vouloir faire du régionalo-centralisme, comment expliquez-vous cet écart entre Nice et Marseille ? Pendant quinze jours, je crois, les tests étaient envoyés par le CHU de Nice à l'IHU de Marseille. Comment expliquer que cet institut se soit débrouillé plus vite que les autres acteurs ?
Enfin, que pensez-vous de l'organisation à venir – car c'est aussi ce qui nous importe au sein de cette commission ? Le professeur Raoult a proposé qu'il y ait des IHU dans toutes les zones de défense et il a émis de très vives critiques à l'égard des CNR, qui sont, pour lui, des obstacles à la mise en œuvre rapide d'une stratégie de dépistage.
J'ai commencé à intervenir sur ce sujet à la fin du mois de mars, j'ai une vision très partielle de ce qui s'est fait auparavant.
Ce que je sais, s'agissant des laboratoires privés, c'est que la cellule tests que je dirigeais a échangé avec les réseaux de laboratoires à compter du mois d'avril, d'une façon permanente. C'était effectivement profondément nouveau, mais le contact s'est noué et il ne s'est pas rompu depuis. C'est un des éléments qui ont permis de savoir collectivement que nous pourrions atteindre l'objectif des 700 000 tests – ce n'était pas insignifiant.
Le travail de préparation du déconfinement, tout au long du mois d'avril, s'est fait d'abord avec les laboratoires de ville parce que les marges de progression étaient là. Par ailleurs, ces acteurs étaient capables d'investir et de redéployer des moyens, ce qu'ils ont fait.
Si mes souvenirs sont bons, vous avez auditionné les fédérations ou les associations de laboratoires. Ce sont les interlocuteurs habituels du ministère de la santé, qui discute avec les « corps constitués » des laboratoires de ville. Ce que nous avons fait, alors que cela ne se pratiquait pas jusque-là, est de parler directement avec les acteurs économiques, de discuter au quotidien avec les grands laboratoires de biologie médicale, qui sont capables de prendre des engagements industriels chiffrés – ils savaient ce qu'ils pouvaient faire sur le moment, puis le 11 mai et ensuite en juin. C'est nouveau, mais cela s'explique très bien : on est passé d'une logique de régulation, dans laquelle on s'adresse aux représentants d'un secteur, à une logique d'organisation de l'effort national, dans laquelle on parle directement aux acteurs industriels, l'État demandant à ces derniers de faire des choses. Il est possible que le changement d'interlocuteurs n'ait pas provoqué l'enthousiasme chez certains. Quant à ce qui a précédé, je ne sais pas exactement ce qu'il en est.
S'agissant des laboratoires publics, je n'ai pas de vision claire de l'étape précédente, là non plus, et j'aurai du mal à répondre d'une manière précise et satisfaisante à votre question. Ce que je constate, c'est que la diffusion du test a été compliquée parce qu'il a fallu passer d'un test initial, mis au point très rapidement par un laboratoire de pointe, de recherche, à un test « industrialisable » sans perte de précision et de fiabilité. Cela n'a pas été un processus simple – cela n'a été le cas nulle part dans le monde : il a fallu du temps et cela a suscité des tensions ici et là. Au-delà du cas niçois, il y a eu des tensions très fortes entre des laboratoires de recherche et des CHU, ce qui s'explique aussi par le fait qu'il fallait passer d'une logique de plateforme réalisant des opérations à une logique de production de résultats identifiés et faciles à suivre. Le basculement n'a pas toujours été aisé.
Une des caractéristiques du système français de biologie médicale est qu'il est extrêmement fragmenté. Il y a des laboratoires de ville et des laboratoires hospitaliers. Ces deux secteurs, qui sont distincts, entretiennent des relations cordiales, mais il arrive aussi qu'elles soient tendues. Les laboratoires de recherche sont une autre troisième composante. Il a fallu passer d'une logique d'opposition potentielle entre les uns et les autres, qui a pu exister à certains moments au début de la crise, à une logique de travail collectif. C'est un élément factuel incontestable.
En ce qui concerne l'avance de l'IHU Méditerranée Infection, je n'ai pas forcément une vision extrêmement précise. J'ai envie de vous faire une réponse très naïve, qui n'est pas totalement fausse, à mon avis. C'est un IHU d'infectiologie, un des lieux en France où on pratique cette discipline à un niveau reconnu à l'échelle internationale. Autrement dit, s'il y avait un endroit dans notre pays où on devait être capable de réaliser des tests très vite, c'était dans cet IHU ; sinon, il y aurait eu un problème. Au même titre que le CNR de l'Institut Pasteur, les équipes constituées par le professeur Raoult à Marseille font figure de référence sur ce sujet ; elles sont renommées et constituent des interlocuteurs de premier niveau. Force est de constater qu'il n'y a pas d'IHU spécialisé en infectiologie à Nice. Le retard peut s'expliquer ainsi, même si cela ne rend pas plus satisfaisant le constat que l'accès aux tests est plus facile à Marseille qu'à Nice.
La proposition de doter chaque zone de défense d'un IHU spécialisé en infectiologie est intéressante, mais cela reviendrait à entretenir une plateforme dernier cri d'infectiologie dans un certain nombre de territoires, ce qui est un peu ce qu'a fait l'État lorsqu'il a décidé de renforcer les CHU avec des plateformes fournies par la société MGI à l'échelle territoriale. Quant à l'idée d'avoir des IHU intégrant l'ensemble de ces fonctions, il faudrait peut-être y réfléchir à deux fois.
Le 9 avril, le ministre des solidarités et de la santé a chargé le cabinet Bain & Company d'établir une cartographie des moyens en matière de réactifs. Le recours à un cabinet privé ne témoigne-t-il pas de l'impuissance de l'État à exercer ses propres missions ? J'aimerais connaître les conditions de la mission confiée à ce cabinet, et je m'interroge sur le calendrier. Les laboratoires privés ont – enfin ! – été autorisés à intervenir à partir du 8 mars, contre fin janvier ou début février en ce qui concerne le secteur public, et on s'est posé la question des réactifs un mois plus tard. Par ailleurs, quid des conclusions auxquelles le cabinet Bain est arrivé ?
Je voudrais revenir sur l'opposition entre la doctrine française et les positions adoptées au plan international. Le 16 mars, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a émis une recommandation s'adressant à tous les pays, y compris la France, qui consistait à tester tous les cas suspects, la DGS disant, le 17 mars, que cela n'avait pas d'intérêt. Or on peut très bien être contagieux sans avoir de symptômes et transmettre le virus à sa grand-mère, qui meurt ensuite en une semaine : quand 30 % des personnes contaminées sont asymptomatiques et 50 % ont très peu de symptômes, ce sont 80 % des malades qui passent à travers les mailles du filet. Pour le VIH, heureusement qu'on n'attend pas que les gens soient à l'hôpital, pour les tester ! Quel regard portez-vous sur l'antagonisme entre la position de l'OMS et l'attitude de la France au même moment ?
On a le sentiment que la décision du déconfinement, à partir du 11 mai, a été notamment dictée par la disponibilité des masques et des tests, et que l'on reprenait, au fond, la lutte contre la pandémie là où on l'avait laissée. Vous avez pris la précaution de dire que ce qui s'est passé avant votre arrivée vous est moins familier que ce que vous avez fait vous-même, mais j'aimerais vous demander pourquoi il s'est passé autant de temps entre le moment où l'Institut Pasteur a mis au point le test PCR et la massification des tests. Avez-vous le sentiment – je pense à ce que M. Salomon a dit – que la doctrine « tester, tester, tester » de l'OMS s'adressait à d'autres pays que la France ? La communication et la doctrine pour la gestion de l'épidémie n'ont-elles pas été déterminées par des questions de disponibilité, notamment des tests ?
Des personnes arrivant notamment aux aéroports de Roissy et d'Orly en provenance de pays où l'épidémie sévit s'étonnent de ne pas être systématiquement dépistées. Comment imaginer une véritable politique préventive dans de tels lieux où, d'évidence, le virus peut circuler et où les gestes barrières ne sont pas toujours respectés, en dépit des moyens mis à disposition par Aéroports de Paris ?
L'éclairage que vous nous avez apporté conforte notamment notre sentiment sur les différentes phases d'adaptation de la stratégie en fonction des moyens disponibles.
Quelle a été la répartition des tests, en particulier au sein des hôpitaux ? Avez-vous pu vous assurer que ces derniers en étaient suffisamment pourvus ?
Pourquoi ne pas avoir imaginé une politique de sondage des populations particulièrement exposées afin de connaître la progression du virus et de le combattre plus efficacement ? Nous avons le sentiment que cette hypothèse a été assez rapidement écartée et que les tests n'ont pas été utilisés comme ils auraient pu l'être.
Nous avons eu également le sentiment que la stratégie de recours aux tests, pour le déconfinement, a été fluctuante. Une doctrine claire en la matière n'était-elle pas pourtant indispensable pour s'assurer que celui-ci se déroulerait dans de bonnes conditions ?
Les tests permettent certes de détecter les personnes contaminées et de les isoler, mais je crains que les personnes diagnostiquées négatives ne soient conduites à faire un peu n'importe quoi. Sont-elles l'objet d'une communication spécifique afin de leur faire comprendre qu'elles doivent rester vigilantes et se protéger ?
Connaît-on la part de la population considérée comme immunisée, en l'état de notre connaissance du virus ?
Qui, dans votre équipe, s'occupait de la logistique et comprenait-elle des personnels issus du ministère de la défense ?
Il me semble que des contradictions se sont manifestées : sur le port du masque, on nous a expliqué qu'on avait suivi les préconisations de l'OMS tout en nous disant qu'à telle date, elle ne recommandait pas de le généraliser ; en ce qui concerne les tests, ses préconisations n'ont pas du tout été respectées. N'est-ce pas là une pratique à géométrie variable ?
Avez-vous envisagé de faire tester tous les enfants dans les écoles, afin de disposer d'une cartographie du taux de pénétration du virus par extension à la population globale ?
Enfin, pourquoi ne s'est-on pas appuyé sur la carte vitale et l'assurance maladie pour connaître précisément, en temps réel, le nombre de tests réalisés sur l'ensemble du territoire ?
Le nombre de cas augmente en ce moment dans le Finistère, où des cellules mobiles de dépistage sont déployées. Leur mise en place est-elle aisée ? Selon quels critères s'effectue-t-elle ? Quel est leur nombre ? Certaines d'entre elles ont-elles cessé leur activité ?
Des populations cibles ont-elles été définies afin d'établir la traçabilité épidémiologique ?
Vous avez le sentiment que la stratégie a été adaptée aux moyens ; la mission qui m'a été confiée, ainsi qu'à mon équipe, a été strictement inverse. Courant avril, une doctrine de dépistage assez claire a été définie pour le déconfinement – tester les personnes symptomatiques et casser les chaînes de transmission –, et notre mission a consisté à fournir les moyens adéquats à cette stratégie. C'est ce qui a été fait : nous avons adapté les moyens à la stratégie et non l'inverse.
En outre, disposer de moyens très largement supérieurs à la cible de premier niveau – les personnes symptomatiques et les cas contacts – nous a permis progressivement d'enrichir et d'élargir le dépistage. En voyant que nous réalisions 250 000 tests en moyenne par semaine dans les semaines qui ont suivi le déconfinement, nous nous sommes dit que nous avions des disponibilités pour faire plus et autrement, et que nous pourrions prendre des dispositions supplémentaires afin d'atteindre les personnes symptomatiques là où elles étaient, si elles hésitaient à se faire tester, puis d'élargir le dépistage aux personnes non symptomatiques. Les équipes mobiles sont fondées sur cette logique, alors que, jusqu'au 11 mai, le dépistage reposait sur les laboratoires de ville et hospitaliers. Disposant d'une capacité de tests très largement supérieure aux besoins, nous avons pu aller au contact des patients, en installant des équipes mobiles et des barnums dans les centres-villes.
Je vous rassure, le centre de gestion de crise comportait un pôle logistique autonome où les militaires étaient bien représentés.
Sauf exceptions, l'État n'a pas acheté directement des réactifs ou des consommables et la question de la distribution ne s'est pas posée, en tout cas s'agissant des tests RT-PCR. Une discussion a été menée avec les acteurs industriels, ceux-ci signant des lettres d'engagement réservant à l'ensemble du marché français un volume de réactifs. Ensuite, chaque CHU a passé commande auprès des fournisseurs : lorsqu'il existe soixante-dix-sept modèles différents d'équipements, ce n'est pas l'État qui, sur le plan national, va organiser la distribution !
Le cabinet Bain & Company est intervenu pro bono, sans aucune contrepartie directe ou indirecte, à l'instar d'autres personnes morales et physiques qui ont accompagné l'État pendant la crise et qui ont proposé leur aide, laquelle a été acceptée chaque fois qu'elle a été jugée utile. Ce cabinet nous a en particulier aidés à structurer l'analyse des capacités, des réactifs, des tensions de marché.
Concernant la question de la cohérence ou non de la doctrine française avec celle de l'OMS, je me permets de vous renvoyer aux déclarations du directeur général de la santé qui, je crois, s'est exprimé à plusieurs reprises à ce propos.
Tester peut signifier deux choses différentes : tester des personnes symptomatiques pour confirmer un diagnostic ; tester largement la population pour vérifier l'état de la circulation du virus, avec cette limite que sont les faux négatifs. Ce faisant, on se donne la possibilité de découvrir de nouveaux cas, mais on risque aussi de dire à des gens malades qu'ils ne sont pas atteints. Toute la difficulté de l'exercice consiste à choisir entre le diagnostic et le dépistage ou à les combiner, étant entendu, avec les réserves d'usage, que la totalité des États a privilégié les diagnostics et que les dépistages sont venus ensuite.
Avec les tests de personnes asymptomatiques, on entre dans une dimension différente. Pour le VIH, la population n'est pas systématiquement dépistée et seules les personnes à risque sont ciblées, dans une logique d'offre. Toute la difficulté est là : peut-on dépister tel ou tel groupe, que signifie dépister une partie de la population ? L'exercice n'est pas évident. Durant le confinement, la France a choisi de cibler prioritairement les lieux d'hébergement collectif, les équipes territoriales s'étant d'ailleurs interrogées sur le risque d'introduction du virus à la faveur du dépistage. Aujourd'hui, la logique est un peu différente : on installe des espaces de tests sur le territoire, y compris sur les plages, à des fins de sensibilisation collective . À la fin, la décision est essentiellement individuelle.
Le Premier ministre a récemment fait un certain nombre d'annonces à propos des aéroports. Le recours aux tests y est limité pour deux raisons : les délais de résultats sont longs ; le prélèvement nasopharyngé est complexe, lourd, dissuasif et suppose de disposer d'espaces spécifiques – l'AP-HP est très présente mais ce n'est pas facile. À terme, nous devrons être capables de disposer de tests salivaires fiables ou de tests rapides, notamment antigéniques. Lorsque ce verrou technologique sera levé, il sera beaucoup plus facile de traiter ce problème.
L'utilisation des données de la carte vitale est possible mais partielle, une bonne partie des tests ne donnant pas lieu à remboursement et imputation à l'hôpital. La DREES en fait usage, parmi d'autres données.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mercredi 29 juillet 2020 à 9 heures 30
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Jean-Jacques Gaultier, M. David Habib, Mme Annaïg Le Meur, M. Jean-Pierre Pont, M. Boris Vallaud
Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin