Intervention de Pr Antoine Flahault

Réunion du mardi 15 septembre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Pr Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève :

Pour le dépistage, le traçage, la recherche des contacts et l'isolement, la France était en retard, en mars, sur l'Allemagne. Le retard dans le dépistage lui a été préjudiciable : les taux de létalité sont un très bon indicateur de l'efficacité comparée des stratégies de testing et la France a connu, rapportée au nombre d'habitants, une plus forte mortalité due au coronavirus que l'Allemagne. Ce retard a été comblé grâce à un dispositif qui permet aujourd'hui à la France de s'aligner sur les autres pays européens en matière de stratégie de testing. C'était impératif et l'on ne doit vraiment pas regretter d'avoir installé cette capacité, le test ayant pour autre vertu que lorsqu'on est positif on s'isole spontanément, même si l'on n'y est pas contraint par la loi, pour ne pas contaminer ses proches, en particulier lorsqu'on les sait à risque. Ce comportement a certainement prévalu tout l'été pour permettre le répit estival que la France et les autres pays européens ont connu, à la différence des États-Unis ou d'Israël. La stratégie de test a payé, permettant de sécuriser le déconfinement pendant toute la période estivale, qui se termine sereinement, si ce n'est dans les quelques régions – le Sud et peut-être Bordeaux – où des difficultés commencent à se faire sentir, des cas sévères arrivant dans les hôpitaux.

Mais la France ne pourra manifestement pas continuer à tester comme elle le fait. Elle devra très probablement cibler le dépistage, à la japonaise ou à l'allemande, en privilégiant ceux des tests qui visent à essayer de casser dans l'œuf les risques de superpropagation, d'apparition de foyers d'infection – les clusters – qui peuvent être extrêmement invasifs et qui conduisent la pandémie. Le taux de reproduction du virus, dit « R effectif », est une distribution statistique. Dans la plupart des cas, un individu infecté ne contamine pas deux ou trois personnes mais aucune ou une seule, parfois deux ou trois et jusqu'à vingt ; un superpropagateur peut à lui seul contaminer trente personnes, voire 300 lors d'un mariage comme la littérature récente l'a montré. Autrement dit, de nombreux cas positifs, peut-être 80 % de la distribution statistique, ne contaminent personne ; et si une personne en contamine une seule autre, le taux de reproduction reste contrôlé : il n'y a pas de risque épidémique. Il faut donc s'atteler à isoler tous ceux qui risquent de contaminer plus d'une personne. C'est la chasse aux clusters, qui doit être conduite très activement. Les Japonais expliquent qu'ils ne le font pas de manière rétroactive : ce n'est pas tant la recherche des contacts passés qui les intéresse que la recherche de tous les contacts qui risqueraient de « superpropager » la pandémie dans le futur. Je pense aussi qu'il faut prendre contact rapidement avec ceux-là, et à cette fin adopter des stratégies qui auront aussi pour effet de soulager les autorités sanitaires, lesquelles ne pourront probablement pas continuer d'investiguer tous les cas de façon systématique.

Les mesures barrières visent à réduire le taux de transmission qui résulte de trois paramètres : la probabilité de transmission, le nombre de contacts et la durée de la période contagieuse. Si on veut réduire le R effectif au-dessous de 1, il faut s'attaquer aux trois et pour commencer réduire la probabilité de transmission par le port du masque avant tout, le lavage fréquent des mains, le maintien de la distance physique, et cætera. C'est bien ce « et cætera » qui doit être explicité, parce que tout dépend de quelle manière le covid 19 se transmet.

Si la transmission se fait par gouttelettes, la situation n'est pas la même que si le virus se transmet par aérosol ou par une surface plane contaminée, et il y a un débat scientifique à ce sujet. L'analyse de la littérature la plus récente m'incline à penser que les aérosols jouent un rôle beaucoup plus important que ce que l'on a cru au début de la pandémie. Les aérosols ne sont rien d'autre que les postillons que nous émettons lorsque nous parlons, chantons et crions, et nous en émettons tous, surtout des postillons lourds que la gravité fait retomber au bout d'un à deux mètres sur une surface plane, sur le sol et éventuellement sur le visage de celui sur qui on tousse ou éternue, ce qui est assez rare.

Les gestes barrière visent à prévenir ce type de contamination. Á ma connaissance, il n'existe guère de notifications de contamination par des surfaces planes ; en tout cas, aucune superpropagation par ce biais n'a été rapportée, même si des modèles animaux ont montré une transmission par aérosol et aussi, probablement, par les surfaces planes. Une surface plane très infectée doit donc pouvoir infecter, mais il faudrait pour cela porter assez vite la main à ses yeux ou à ses muqueuses respiratoires quand on a un coronavirus vivant sur la main, parce que l'enveloppe du virus s'y dégrade très rapidement.

Toutes les mesures barrière doivent être associées, en priorité contre les aérosols. Dans une salle telle que celle dans laquelle vous êtes réunis, il en va pour un porteur du virus comme il en irait avec un fumeur : si le fumeur est assis loin de vous, si la salle est bien ventilée, si vous n'êtes pas trop nombreux et si vous portez un masque, vous courez moins de risque d'inhaler les particules fines dangereuses qui entraînent le tabagisme passif. Le coronavirus aérosolisé n'a pas d'odeur et on ne le voit pas mais il flotte de la même façon qu'un nuage de fumée : s'il est loin, si vous ne restez pas trop longtemps dans ce nuage, si vous n'êtes pas trop nombreux dans la salle, vous ne risquez pas grand-chose.

Une certaine proportion de postillons finira par se déposer sur les surfaces planes, et pour prendre le minimum de risques, vous vous laverez les mains fréquemment. Le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) d'Atlanta a publié aujourd'hui une étude menée en Thaïlande ; elle montre que le respect de la distance d'un mètre et mieux encore de deux mètres, le port du masque en tissu ou chirurgical et le lavage des mains réduisent significativement le risque de contamination dans le grand public. Si vous ne parlez pas, ne chantez pas et ne criez pas, vous diminuerez encore le risque d'émettre des particules d'aérosolisation. Enfin, la ventilation, problème difficile, est très bien résolu dans les avions et particulièrement dans les trains, où l'air est remarquablement filtré. Les risques de propagation sont très inférieurs dans les trains, où la ventilation est renouvelée plusieurs fois par heure ; elle devrait l'être six fois par heure puisqu'une exposition de dix à quinze minutes au virus est nécessaire pour risquer la contamination.

Les méthodes innovantes, beaucoup plus utilisées en Corée du Sud et à Singapour qu'en France, consistent à utiliser des applications de traçage par le biais des smartphones ; elles permettent de repérer où vous êtes et avec qui vous avez été en contact les jours précédents. Une application semblable a été développée en France, assortie d'un arsenal de protection des données personnelles qui n'existe pas dans beaucoup de pays asiatiques même démocratiques. Peut-être la réticence du public français cédera-t-elle car ces applications ont été extrêmement utiles là où elles ont été bien employées, mais elles l'ont probablement été à un moindre degré dans les démocraties occidentales. Il faut admettre que ces dispositifs innovants supposent une acceptation culturelle qui n'est pas complète dans les pays occidentaux.

Vous vous inquiétez d'une possible épidémie croisée, mais on a constaté un phénomène inédit : il n'y a pas eu de grippe dans l'hémisphère Sud cette année, ou à peine. Le virus de la grippe a été très peu isolé, alors qu'il a été très activement cherché, puisqu'on le recherchait également lorsqu'on faisait des tests PCR chez des personnes symptomatiques. L'Australie, pour la première fois, n'a pas connu d'épidémie de grippe pendant l'hiver austral. Ce n'est pas lié à la vaccination, car le temps a manqué pour une campagne très poussée, mais à l'arsenal de mesures barrière déployées, qui sont allées jusqu'au reconfinement de la région de Melbourne. Les Africains du Sud ont également beaucoup recherché le virus de la grippe et ne l'ont pas trouvé. Aussi ne suis-je pas très inquiet d'une possible collision entre le virus de la grippe et le coronavirus cet hiver ; à mon avis, les mesures que nous allons déployer pour lutter contre le covid 19 et qui n'ont jamais été déployées dans le passé contre la grippe, la préviendront très efficacement ainsi que probablement les gastro-entérites hivernales.

Enfin, la promotion énergique du télétravail contribue aussi à réduire la probabilité de transmission en conduisant à diminuer le nombre de contacts. Les Suédois l'ont rappelé récemment en demandant sa prolongation jusqu'à la fin de l'hiver. Il faut mener à ce sujet une politique très active, très confiante à l'égard des travailleurs ; les employeurs doivent se persuader que le télétravail, lorsqu'il est possible et choisi, est une bonne chose. Il ne doit peut-être pas être obligatoire, mais plus on y incitera et plus la pression dans les transports publics diminuera – les déplacements dans les transports publics sont des occasions de contact avec des gens que l'on n'a pas l'habitude de fréquenter. De plus, télétravailler allégera les espaces de travail, dont les open spaces qui portent mal leur nom puisque ce sont souvent des lieux clos mal ventilés.

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