Intervention de Pr Antoine Flahault

Réunion du mardi 15 septembre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Pr Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève :

Je ne privilégie pas l'hypothèse de la baisse de la virulence du virus mais je ne la rejette pas ni ne dis qu'elle est fausse. Les virus à ARN sont plus fragiles aux mutations et plus enclins à muter que les virus à ADN. On le sait pour le virus de la grippe, et l'on sait que le coronavirus mute, mais moins que celui de la grippe ; cela ne veut pas dire qu'une de ses mutations ne donnera pas, un jour, une souche atténuée. L'un des meilleurs vaccins existant est le vaccin contre la fièvre jaune, et c'est une souche atténuée de fièvre jaune. Or, bien que 200 tentatives de vaccin contre le Covid 19 soient en lice, aucun n'est un vaccin atténué car on ne réussit pas à le faire malgré le nombre de laboratoires qui s'y emploient. Aussi, je ne crois pas que, pour l'instant, une souche très atténuée circule.

L'enquête de séroprévalence que nous avons réalisée à Genève à la fin du mois de mai a montré que l'immunisation est de 10 % ; celle qu'a conduite le département du Morbihan a montré un résultat plutôt proche de 5 %. Aujourd'hui, des modèles mathématiques permettent d'évaluer entre 5 et 15 % la séroprévalence en France ; c'est insuffisant pour garantir une immunité grégaire. On peut, à mon sens, être optimiste – si l'on peut parler d'optimisme dans ce contexte – et penser que l'on sortirait probablement de l'hiver avec un niveau d'immunisation de la population plus élevé si une seconde vague se produisait, parce qu'elle ne serait sans doute pas très facile à arrêter complétement. Souvenons-nous toujours que l'objectif essentiel du contrôle n'est pas de bloquer l'épidémie mais d'éviter l'engorgement des hôpitaux. Si un vaccin est mis au point, il complétera cette immunité pour la transformer en immunité de groupe et, je l'espère, bloquera toute épidémie.

Je ne sais pas tout ce qui a été fait en France en matière de tests mais j'ai connaissance d'initiatives remarquables. Ainsi le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France a-t-il déployé des barnums pour atteindre des groupes de la population d'accès difficile pour la prévention ; cela peut être reproduit ailleurs dans le pays et ce sera peut-être répété pour d'autres sujets de santé publique.

S'agissant de stratégie générale, l'Allemagne a fait d'emblée confiance au secteur privé. Le secteur public peut prendre en charge une partie du testing, en particulier les priorités définies par la puissance publique, par exemple la recherche de clusters. Quand on recherche un foyer infectieux, s'il faut une semaine pour obtenir le résultat d'un test PCR, tester ne sert à rien sinon à faire de la belle épidémiologie ; le résultat doit être donné dans les vingt-quatre heures au plus. Il faut donc prioriser des lignes capables de donner des résultats très rapidement, non à tout le monde mais aux 20 % de cas qui risquent d'être à l'origine de superpropagations. C'est la stratégie vers laquelle il faut tendre et, en connexion avec les ARS qui savent tracer les cas des clusters, on peut à mon avis régler ces problèmes au mieux ; il y aura toujours des couacs, mais c'est une façon de répondre aux problèmes actuels. Pendant ce temps, le secteur privé pourrait, comme c'est le cas en Allemagne, faire tous les autres prélèvements, dont les résultats ne seront pas nécessairement rendus dans les vingt-quatre heures, le degré d'urgence n'étant pas le même quand les transmissions sont sporadiques.

Le profil des personnes hospitalisées a effectivement changé : dans l'immense majorité des cas, elles sont désormais âgées de moins de quarante ans. Il y a donc, proportionnellement, davantage de malades plus jeunes parmi les cas sévères, mais à ma connaissance le virus n'est pas plus virulent et je ne pense pas que l'on doive craindre beaucoup de cas hospitalisés sévères dans cette population. La question plus compliquée à démêler est celle des formes longues, chroniques ou post-infectieuses, qui peuvent affecter les plus jeunes. Á ce jour, l'infection pour qui a moins de quarante ans reste une maladie bénigne ; elle est beaucoup plus grave que la grippe pour les personnes dont l'âge est compris entre quarante et quatre-vingt ans, et pour celles qui sont âgées de plus de quatre-vingt ans, le taux de mortalité est voisin de ce que Ebola peut donner en Afrique de l'Ouest. Le profil de risque n'a pas beaucoup changé.

Pour ce qui concerne la stratégie d'isolement, nous avons tous été frappés et déçus par l'expérience australienne : on isolait, très durement pour un pays démocratique, dans des hôtels de confinement où les gens étaient en réalité emprisonnés, et c'est par l'une des familles ainsi confinées que tout le personnel d'un de ces hôtels a été contaminé ; c'est ainsi qu'a démarré le cluster massif de Melbourne qui a entraîné l'épidémie de l'hiver austral. Je me demande donc si les modèles les plus sophistiqués sont les plus performants. Encore une fois, la responsabilisation individuelle est très importante ; c'est le modèle allemand, à mon avis très proche de la culture française. Je ne pense pas que tous les jeunes gens qui ont été isolés parce que positifs se soient précipités pour aller voir leurs parents et leurs grands-parents, dont chacun savait qu'ils étaient plus à risque. La prise de précautions massives que l'on a vu tout l'été en Europe pour les personnes à risque, en particulier les personnes âgées de plus de quarante ans, a plutôt bien fonctionné et pourrait continuer de bien fonctionner.

L'isolement de sept jours lorsque les gens sont porteurs du virus me paraît très raisonnable puisqu'ils ne sont pas contagieux plus de cinq jours après le début des symptômes et de deux jours avant, en général.

Très peu d'avis de l'OMS sont contestés sur le plan scientifique et technique. Mais, outre que l'Organisation est sous-dotée – son coût de fonctionnement est très inférieur à celui de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, un peu supérieur à celui des Hôpitaux universitaires de Genève –, les États membres lui ont donné une très faible possibilité d'action. On ne peut attendre d'une Organisation que l'on a privée de baguette qu'elle soit le chef d'orchestre de la lutte contre une pandémie. L'OMS ne peut faire que des recommandations, en appliquant le seul traité international relatif à la santé, le règlement sanitaire international, lui-même extrêmement peu contraignant. Si l'on a doté l'Organisation mondiale du commerce un règlement contraignant comprenant des possibilités de sanctions, l'équivalent n'a jamais été accepté pour l'OMS ; on ne peut lui reprocher de ne pas intervenir, de ne pas jouer le rôle de coordonnateur alors qu'on ne lui a pas donné les moyens financiers, juridiques et techniques de le faire.

J'ajoute que les critiques de l'OMS proviennent essentiellement d'États les plus riches de la planète, ou de personnes qui en sont issues. Les pays les plus pauvres, ceux qui n'ont pas d'école des hautes études en santé publique ou de grande expertise universitaire en ce domaine sont obligés de profiter de l'OMS, le font avec beaucoup d'allant, et critiquent très rarement l'action d'une Organisation qui a un bureau dans presque chacun des 194 États membres.

Enfin, les critiques sont parfois faciles, car le Conseil exécutif de l'Organisation, où siègent les États-Unis et la France, n'a pas jugé bon de convoquer le directeur général de l'OMS pendant toute la crise pandémique et ne lui a pas non plus demandé de se rendre à Taïwan, à Singapour ou au Japon étudier d'autres modèles que le modèle chinois. Ni la France ni le Royaume-Uni ni les États-Unis ni les autres pays siégeant au Conseil exécutif n'ont requis, comme il aurait été opportun, la convocation d'une assemblée mondiale de la santé extraordinaire, ni demandé au directeur général de conduire une action particulière.

Pour l'organisation des tests, il faut certainement observer de très près ce que fait l'Allemagne, qui adapte sa stratégie pour cibler les clusters et cette nouvelle doctrine fait école. L'Allemagne a testé très tôt, a fait confiance, avec succès, aux laboratoires privés, sans leur demander de montrer tous les résultats au centre de référence mais en leur donnant des protocoles assurant la qualité des tests. C'est donc un modèle intéressant si l'on est prêt à faire confiance et à prévoir des mesures incitatives : les tests étant remboursés par la Sécurité sociale, de nombreux laboratoires privés y ont vu une incitation et cela a eu un effet très positif, même si en Allemagne comme ailleurs, on s'est trouvé un temps à court de réactifs.

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