Intervention de Pr Antoine Flahault

Réunion du mardi 15 septembre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Pr Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève :

Y a-t-il eu « retard à l'allumage » de la France ? Si l'on observe l'ensemble du monde, on peut considérer que la France, comme toute l'Europe, a probablement eu l'une des meilleures réactions, avec l'Asie ; les petites démocraties asiatiques, en particulier, ont remarquablement tiré leur épingle du jeu, et parfois même bloqué l'arrivée de l'épidémie. L'Europe qui, à commencer par l'Italie, a été très rapidement atteinte, avait comme presque seul modèle le confinement à la chinoise. C'est surtout dans la connaissance des autres modèles qu'il y a eu retard, mais l'Europe s'en est remarquablement sortie si l'on compare sa situation avec celle que connaissent les États-Unis et qui n'est pas liée à la géographie, puisque le Canada s'est comporté comme l'Europe tant dans la gestion politique de la crise que dans les modalités de sa gestion. L'Europe doit se féliciter d'avoir eu une réaction mesurée, proportionnée et efficace.

Vingt-et-un traitements sont en cours d'essai. Certains ont déjà disparu des radars internationaux mais d'autres restent prometteurs, ou même un peu plus que prometteurs. Il en va ainsi, par exemple, pour de la dexaméthasone. Cet anti-inflammatoire, qui n'est pas un médicament très innovant, a surtout été prescrit par les réanimateurs pour les patients atteints de formes sévères, entraînant la réduction d'un tiers des décès. Le remdesivir aussi est prometteur, l'administrer réduisant de 15 à 11 jours la durée d'hospitalisation des formes sévères. Ce n'est pas le médicament miracle, mais ce résultat n'est pas négligeable ; pour la plupart des traitements du cancer, et du SIDA avant la révolution des trithérapies, on progressait ainsi, par avancées successives. De nombreux médicaments sont en cours de test dont la chloroquine et l'hydroxychloroquine ainsi que l'ivermectine, médicament utilisé contre la maladie du sommeil et pour lequel il n'y a pas de grande évidence, pas plus d'ailleurs que pour la chloroquine, qui est probablement sortie des radars.

Des tentatives ont lieu avec le plasma de convalescence, par injection des anticorps produits par les convalescents. C'est très séduisant et cela peut avoir un effet pour certaines maladies, mais cela ne marche pas très souvent, soit que l'on arrive trop tard, soit que les quantités d'anticorps sont trop faibles ; ce traitement est encore en cours d'essai. Les anticorps monoclonaux, des interférons qui agissent sur le système immunitaire, sont peut-être prometteurs. Les inhibiteurs des cytokines ne semblent pas, pour l'instant en tout cas, totalement convaincants, et les anticoagulants n'ont pas non plus complétement prouvé leur efficacité.

Il faut accepter la lenteur de la recherche clinique après que des espoirs semblent fondés en laboratoire. J'avais utilisé l'hydroxychloroquine contre le virus du chikungunya, et il était très efficace en laboratoire – c'est d'ailleurs à Marseille que l'essai avait eu lieu. Mais lors d'un essai à La Réunion, la molécule s'est révélée inefficace contre placebo, et lors d'un essai chez des macaques de l'Île Maurice, on n'a vu aucune efficacité. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'on est efficace en laboratoire que les essais cliniques le seront, et les essais cliniques sont absolument nécessaires pour le savoir.

Il y a donc peu de molécules à proposer aujourd'hui, et pourtant la France a réduit de moitié la mortalité en réanimation. Je pense donc que l'on a amélioré les techniques de prise en charge des patients atteints de formes très graves de la maladie et que, mis bout à bout, les progrès commencent à être extrêmement substantiels.

Nous avons, à Genève, fait huit enquêtes de séroprévalence à partir du déconfinement, car nous voulions savoir très rapidement comment évoluait l'immunisation. Ces enquêtes ne sont ni très compliquées à réaliser ni très coûteuses, puisqu'un échantillon de 500 à 1 000 personnes représentatives d'une population donnée suffit pour déterminer son taux d'immunité. Á défaut, les modèles mathématiques ne sont pas mauvais, mais il est préférable d'observer la réalité. Il faudrait donc faire des enquêtes de séroprévalence répétées, pas nécessairement au niveau national, pour savoir où en est l'immunisation collective et suivre son évolution.

« L'effet tunnel » est une notion intéressante. Il y a, bien sûr, d'autres problèmes que le coronavirus et on a très peur que régressent la vaccination des enfants en Afrique, le traitement du paludisme et celui du SIDA. On n'en est pas là en France, mais confinement et mesures barrières ont des répercussions sociales et économiques que vous mesurez beaucoup mieux que moi. Une bonne pluridisciplinarité est indispensable dans l'appréhension de ces questions qu'il ne faut pas négliger parce qu'elles peuvent avoir des effets collatéraux.

Je comprends que la population s'agace de la persistance du débat sur les voies de la contamination, mais ces incertitudes ne sont pas nouvelles. Les relais médiatiques de la communication sur la pandémie ont été parfois critiqués ; ils m'ont pourtant semblé exceptionnels dans beaucoup de pays, en particulier en France. Sans doute nos concitoyens ont-ils le droit d'être fatigué d'entendre parler du coronavirus à longueur de journée depuis des mois, mais une démarche scientifique se déploie sous nos yeux, avec les tâtonnements qu'implique l'émergence d'un nouveau virus. J'ai eu la chance, en m'intéressant à cette pandémie depuis l'origine, de pouvoir pendant quelques jours ou quelques semaines connaître toutes les publications sur le sujet, mais ce moment fut bref. Il est normal que, dans une société où l'information est transparente, interconnectée et internationalisée, on ait le sentiment d'y perdre son latin et que l'on ne comprenne pas que les scientifiques ne sachent toujours pas déterminer si la contamination passe par les gouttelettes ou par les surfaces planes, mais l'exercice n'est pas facile.

Pour savoir si la surface plane était contaminante, on a fait humer des surfaces contaminées par des hamsters, qui ont effectivement été contaminés. Les chercheurs se sont ensuite avisés que, d'une part, les hamsters ne se contaminaient pas avec des mains qu'ils n'ont pas et que, d'autre part, les humains, jusqu'à preuve du contraire, ne reniflent ni l'écran de leur ordinateur ni leur clavier, et que ce n'est donc pas ainsi qu'ils se contamineraient. En revanche, on a pu montrer par un modèle animal qu'il y avait des aérosols et que ces aérosols étaient contaminants, et l'on a pu montrer en laboratoire que les gouttes d'aérosol étaient cultivables, c'est-à-dire que ce qui flottait dans l'air pendant plusieurs heures étaient des virus contaminants. En résumé, la science progresse, et même extrêmement vite, mais jamais assez rapidement au regard du défi que représente la lutte contre cette pandémie.

J'ai été étonné, au début de la pandémie, qu'il n'y ait pratiquement pas de cas à Bâle, pourtant située très près de Mulhouse, en dépit des allées et venues quotidiennes de multiples frontaliers. Aussi importe-t-il d'essayer de comprendre pourquoi certains pays ont mieux endigué le phénomène que d'autres. Á la sortie du déconfinement, le taux de létalité des personnes testées était de 20 % en France, de 5 % en Suisse ; cela signifie que l'on testait beaucoup plus en Suisse, comme en Allemagne.

Parce que le test PCR n'est pas très sensible, il peut produire de faux négatifs alors que la personne testée porte le virus et qu'elle est peut-être même contagieuse. C'est fâcheux, évidemment, et il faut espérer que les poissons contagieux qui passent ainsi entre les mailles du filet ne sont pas trop nombreux. Cela se produit probablement davantage chez les petits enfants parce que l'on a parfois du mal à réaliser un test désagréable sur un enfant qui se débat. Il peut se faire aussi que le virus ne soit pas au fond du nasopharyngé où l'on frotte mais dans les poumons ou ailleurs. Pour ces raisons, il y a peut-être 20 ou 30 % de faux négatifs.

Les faux positifs sont probablement en nombre bien moindre puisque le PCR est un test moléculaire : lorsqu'on a identifié le génome du virus, il est certain qu'il est là. S'il y a des faux positifs, c'est que le prélèvement a été contaminé par le virus dont le patient précédant était porteur parce que la procédure n'a pas été faite très proprement, ou bien sur la paillasse du laboratoire, l'ouverture de l'écouvillon pouvant provoquer un effet « bouchon de champagne » et donc un aérosol. Un prélèvement qui aurait dû donner un résultat négatif sera alors faussement positif. On estime que le nombre de faux positifs est très inférieur à 1 % des cas testés, mais c'est difficile à mesurer. Il en va ainsi pour tous les tests, ce n'est pas particulier au PCR.

En Suisse non plus qu'en France il n'y a surmortalité, si bien que les gens disent « Tout ça pour rien ! ». Ce n'est pas vrai. Á ce jour, le covid 19 a provoqué 1 700 morts en Suisse, ce qui est beaucoup rapporté à la population, et plus de 30 000 morts en France. S'il n'y a pas de surmortalité, cela signifie peut-être qu'au cours du semestre considéré des gens dont l'espérance de vie était très faible seraient morts quoi qu'il en soit ou qu'il y a eu moins d'accidents de la voie publique ou que la gravité de certaines pathologies a été atténuée par les effets collatéraux du confinement. Il faudra examiner ces questions, mais je puis déjà vous dire que dans les pays qui n'ont pas su bien contrôler la pandémie, tels le Royaume-Uni ou, plus encore, les États-Unis, la surmortalité est importante et dépasse celle qui est liée au coronavirus. Cela signifie que l'on entre dans « l'effet tunnel » dont vous parliez tout à l'heure : en raison de l'engorgement des hôpitaux à cause de la mauvaise gestion de la pandémie aux États-Unis, des gens sont probablement morts en plus de ce que l'on attendait en raison du covid. En bref, si la surmortalité n'est pas trop élevée en France, vous devrez vous en féliciter et non pas regretter les mesures qui ont été prises, car si elles n'avaient pas été décidées la France serait aujourd'hui, à mon avis, dans la situation des États-Unis.

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