Intervention de Pr Antoine Flahault

Réunion du mardi 15 septembre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Pr Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève :

Le confinement vise à réduire le nombre de contacts à risque, les mesures barrières à diminuer le risque de transmission. Le virus devient moins virulent si vous portez un masque, si vous parlez peu, chantez peu et si vous êtes peu nombreux dans un endroit bien ventilé : vous courez alors beaucoup moins de risque d'être contaminé que si vous ne faites rien de tout cela. Dans ce cadre, l'imposition du port du masque aurait-elle dû avoir lieu plus tôt ? J'ai tweeté le 26 janvier une vidéo publiée par un de mes collègues de Wuhan qui, étant donné la pénurie de masques, avait décidé d'en fabriquer lui-même avec un mètre de papier toilette et un petit élastique, et qui montrait comment procéder. Je ne comprenais pas pourquoi on ne préconisait pas le port du masque à ce moment-là, en France et en Suisse, dans les maisons de retraite, les écoles et tous les lieux où on aurait pu le promouvoir, car qui manque de papier toilette et de petits élastiques ? Bien sûr, ce ne sont pas des masques normalisés, mais l'étude thaïlandaise que j'ai citée montre qu'un masque, quel qu'il soit, a une certaine efficacité s'il couvre bien les muqueuses respiratoires. Je pense donc qu'en effet on aurait pu promouvoir le port du masque beaucoup plus tôt, sans danger et sans aucune difficulté, tout en réservant les masques chirurgicaux ou FFP2 au personnel soignant.

De là à préconiser, comme le font certains préfets, le masque en tous lieux, en particulier à l'extérieur… Pour moi, c'est sans fondement scientifique. Je connais l'argument de certains de mes collègues, selon lequel ainsi le masque est mis une fois pour toutes quand on sort de chez soi et que l'on n'a plus besoin d'y toucher, mais il n'y a pas beaucoup d'évidence scientifique corroborant le fait que les masques soient très contaminants quand on les manipule ; on aura du mal à le démontrer, même en laboratoire. J'estime que l'on ne devrait porter le masque qu'en milieu clos, et le mettre très bien : mal placer son masque dans les transports publics est évidemment beaucoup moins efficace, en particulier pour celui qui le porte. Imposer le masque dans les transports publics, les écoles, les lieux fermés, les bureaux, est aussi une très bonne chose parce que cela évite la stigmatisation, voire l'agression de ceux qui ne le portent pas – ces débats sont parfois d'une violence qui dépasse l'entendement.

Oui, donc, aux arrêtés préfectoraux lorsqu'ils préconisent le port du masque à l'intérieur, mais je rappellerai l'analogie que j'ai faite avec le fumeur, ou le vapoteur : le risque le tabagisme passif à l'extérieur n'a jamais été démontré ; de même, ce n'est pas parce que vous passez dans une volute de coronavirus que vous serez infecté. L'exposition doit être beaucoup plus longue que celle qui se produit quand on croise dans la rue quelqu'un qui pourrait être infectant. Il n'y a aucun cluster en milieu extérieur : toutes les superpropagations se font en milieu intérieur, en tout cas toutes celles qui sont recensées. Voilà pourquoi je n'aurais pas préconisé le port du masque à l'extérieur.

Parce qu'on ne peut se permettre d'arrêter l'école pour un rhume, il faut tester. Je signale cependant que, non, on n'a pas envie de se faire faire un test comme on prend un café, et certainement pas les enfants, car le test est désagréable. Un test salivaire ne le serait pas, et on a donc hâte que des tests salivaires homologués et d'utilisation facile soient disponibles. Il faut un test de détection rapide, de manière, en particulier, qu'un enfant présentant quelques symptômes ressemblant à une infection par le covid 19 soit réadmis à l'école au plus vite quand le résultat du test est négatif. Bien sûr, le test ne sera pas sensible à 100 %, surtout en hiver, mais au moins évitera-t-on déjà une certaine circulation du virus, et le pragmatisme s'impose à nous. Vous avez évoqué « l'effet tunnel » ; l'école est un droit imprescriptible et les enfants doivent absolument être scolarisés. Il faut donc tout faire pour éviter les fermetures d'écoles. J'étais très favorable au port du masque dès l'école primaire ; on doit pouvoir commencer à porter un masque à partir de l'âge de six ans. En Corée et en Chine, les enfants le portent à partir de deux ou trois ans ; c'est peut-être excessif, exagéré ou simplement difficile à préconiser mais je suis favorable au port du masque très tôt, sans fanatisme, en acceptant que les maîtres le fassent enlever pour certains apprentissages qui demandent une meilleure visibilité du visage de l'enfant.

En raison des mesures barrières, je ne redoute pas spécialement la grippe cet hiver, je vous l'ai dit. Mais si l'on parvient du fait de cette crise sanitaire à une plus forte couverture vaccinale contre la grippe chez les personnes à risque et chez le personnel de santé, dans un pays où l'observance des personnes âgées à la vaccination antigrippale n'est pas très forte, ce sera très bien. Si, en raison de cette pandémie, des personnes âgées, qui ont des comportements très adaptés pour éviter d'être contaminées par le covid 19 – avec raison, comme elles n'ont pas envie d'être infectées par Ebola en se baladant dans le Nord-Kivu – ont envie de se faire vacciner contre la grippe, on s'en félicitera.

Les enfants sont-ils transmetteurs du virus ? Á ce sujet aussi, la science a évolué. Cet été, des clusters, très difficiles à contrôler, se sont formés en Israël ; il y en a eu dans des colonies de vacances aux États-Unis, et beaucoup dans les écoles qui ouvrent en Europe en ce moment. Pour toutes les maladies à virus respiratoires, l'enfant est un très grand vecteur de la transmission ; peut-être l'est-il un peu moins pour ce coronavirus mais cela n'a rien de certain et, étant donné la difficulté éprouvée à tester efficacement les enfants, je ne serais pas très étonné que l'on se rende compte qu'ils sont beaucoup plus transmetteurs qu'on ne le dit. Or, si, pour les enfants, l'infection par le Covid 19 n'est qu'une banale infection respiratoire virale, le risque sanitaire de transmission aux parents, aux grands-parents et dans les maisons de retraite, est très élevé. Il faudra donc être très prudents, et l'on sera confrontés à des situations parfois très difficiles, car toutes les fêtes de famille intergénérationnelles représentent un grand danger pour les personnes à risque et âgées. De même qu'elles ne seraient jamais allées dans les zones à risque de la République démocratique du Congo en cas d'épidémie d'Ebola, elles ne doivent pas participer à des réunions familiales où elles peuvent être contaminées en masse, risquant des effets très nocifs et de très graves complications. Que les enfants soient infectés ne les met pas eux-mêmes en danger, mais c'est un péril majeur pour leurs parents et grands-parents.

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