Intervention de Claudette Brialix

Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 11h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles :

Monsieur Gaultier, je vous rappelle que notre fédération est relativement petite et qu'elle s'appuie uniquement sur des bénévoles. Vous ne serez donc pas étonné que nous n'ayons pas les moyens de produire des statistiques. En revanche, lorsque nous avons été auditionnés par le bureau de la commission des affaires sociales, nous avons indiqué que nous aimerions être informés par le ministère des affaires sociales des données chiffrées, notamment sur les décès, selon les différents types d'EHPAD. Certes, des problèmes sont survenus partout, mais dans quelle proportion ? Il appartient à ceux qui disposent des synthèses de l'ARS de les fournir. Nous travaillons beaucoup à partir des documents qui nous sont fournis et de nos échanges avec différents organismes, par exemple l'Association pour le développement de la recherche en économie et en statistique (ADRES). Il faut un retour sur ce point. Les ARS disposent certainement des éléments utiles.

S'agissant des phénomènes de glissement, la fédération est intervenue rapidement dès que les premières mesures de confinement ont été prises. En termes d'équilibre entre les bénéfices et les risques, nous avons pensé que de multiples problèmes allaient se poser et que nous allions connaître des décès collatéraux. Je ne sais si nous aurons la possibilité de les chiffrer, mais je suis convaincue qu'il y en a. La question du suicide m'a souvent été posée. Il n'y a pas de suicide à proprement parler. Les personnes sont à ce point démunies qu'elles sont incapables de passer à l'acte, mais elles procèdent de façon indirecte car il est très facile de se laisser mourir : il suffit de se laisser aller, de s'enfermer, de ne plus se stimuler, de ne plus faire le moindre effort ou de ne plus manger.

Beaucoup de couples ont été séparés de force par la maladie, celle d'Alzheimer en particulier. Très peu de temps a suffi pour que le conjoint malade ne reconnaisse plus son mari ou sa femme après le confinement. Comme pour toutes les maladies de ce type, quand l'état de la personne se dégrade, l'atteinte est définitive. Des hommes, en plus grand nombre que les femmes, ont évoqué leur conjointe qu'ils n'ont pu accompagner et qui ne les reconnaissait plus. C'est le drame absolu. On parle de deuil impossible.

Je reviens aux personnes âgées à domicile. Toutes ne sont pas soutenues par un aidant de proximité. Lorsqu'elles n'ont ni aidant ni médecin, ou du moins qu'il n'est pas présent, les personnes âgées se laissent glisser. Les personnels d'aide à domicile viennent à deux reprises dans la journée, une heure, deux heures parfois ; compte tenu des plans d'aide extrêmement tendus, elles ne passent que par fraction d'une demi-heure. Quelle action et quel contact peut-on avoir en une demi-heure ? Il est même arrivé que le temps de passage soit réduit au quart d'heure, le temps suffisant, selon certains, pour fermer des volets !

Il convient de prendre en compte les décès liés au covid-19 mais aussi les décès annexes. Je doute qu'ils soient chiffrés, d'autant que d'autres interviendront dans les mois qui viennent, plus encore si la gravité de la situation perdure.

Monsieur Vallaud, en ce qui concerne le rapport Vachey et les propositions de financement, mon propos sera sans doute un peu ironique. Ce qui figure dans le rapport a déjà été présenté par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, dont je suis membre : un inventaire avait été dressé, sans qu'aucune orientation précise ne soit définie. On le retrouve dans le rapport, à peu de chose près. Quant aux propositions, elles reprennent celles du rapport Libault – qui en comptait 175 –, sans que l'accent soit mis sur telle ou telle. J'avoue que nous attendions autre chose. Cela nous fait fortement douter car nous nous demandons si nous n'allons pas, une fois encore, buter sur le financement. Bien sûr, on nous opposera le contexte, mais nous étions déjà confrontés à la même situation avant la crise.

S'agissant des places en EHPAD, il est arrivé que des familles retirent leur parent de l'établissement faute de pouvoir payer. Tout le monde ne demande pas à bénéficier de l'aide sociale. Des personnes en difficulté qui ne la demandent pas pour ne pas se sentir dévalorisées. Or, lorsque les enfants ramènent la personne âgée à son domicile, cela pose de nombreux problèmes.

Contrairement à ce qui se passait les années précédentes, des places en EHPAD étaient vacantes ; après la crise, elles sont plus nombreuses encore, évidemment. Ces derniers temps, des familles se demandaient si elles n'allaient pas retirer leur parent de l'établissement, dans la mesure où celui-ci était très mal accompagné et qu'elles ne pouvaient plus le voir. Toutefois, elles se sont heurtées au problème de l'accompagnement en raison de l'absence de médecins et du manque de personnels d'aide à domicile. Comme les structures manquent de personnel, il n'est pas possible d'assurer les services, même si, dans le cadre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), les personnes âgées ont droit à des heures. J'en appelle à vous : l'urgence est absolue, le dispositif ne tiendra pas si l'on ne répond pas au besoin de personnel, qui a été établi dans le rapport El Khomri – constat repris par le rapport Libault.

Le rapport Vachey nous renvoie à 2024. Certes, il est question d'environ 1 milliard d'euros au titre de la loi de financement de la sécurité sociale, mais c'est bien peu pour répondre aux besoins actuels, alors qu'il y a urgence absolue et que 2024 est encore bien loin.

S'agissant des modèles d'EHPAD, on n'a pas voulu voir que les personnes qui entraient en établissement n'avaient pas le même profil qu'il y a quinze ans. Tout d'abord, les personnes ont été maintenues le plus longtemps possible à leur domicile, et c'est tant mieux. Cependant, les conseils départementaux souffrent de finances tendues et, par une évaluation plus rigoureuse, réduisent les plans d'aide, ce qui entraîne une diminution du nombre d'heures. C'est ainsi que l'on aboutit à des interventions à l'heure, à la demi-heure ou au quart d'heure. Où est l'humanité dans ce système ?

Les personnes accueillies en EHPAD ont 85 ans et plus et sont en mauvais état physique. Les maladies dégénératives sont nombreuses. On parle souvent de la maladie d'Alzheimer, mais la maladie de Parkinson progresse, et il existe bien d'autres qui entrent dans cette catégorie. Les personnes qui entraient en unité de soins de longue durée (USLD), avant la réforme qui a diminué drastiquement le nombre de lits de ces structures, sont désormais accueillies en EHPAD. Je rappelle que les USLD offrent une continuité de soins, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, contrairement aux EHPAD. Vous me direz qu'il y a des infirmières de nuit dans ces établissements. Certes, mais j'aimerais bien savoir comment les choses se passent vraiment et disposer d'un bilan précis. J'en profite pour vous indiquer que ces infirmières de nuit sont en réalité des infirmières de jour qui se sont dévouées pour assurer des gardes la nuit, sans pour autant être systématiquement remplacées pendant la journée. Les EHPAD d'aujourd'hui ressemblent beaucoup aux USLD d'hier, sans bénéficier des moyens correspondants.

Par ailleurs, des personnes ayant perdu certaines de leurs facultés intellectuelles conservent une motricité normale. Il est possible de préserver les facultés de cette catégorie de résidents, sous réserve d'un accompagnement spécifique et durable. Or, dans la mesure où les places font défaut dans les unités de soins ou les hébergements renforcés, ces personnes sont renvoyées à l'EHPAD ordinaire lorsqu'on estime qu'elles sont stabilisées. Les familles constatent que leur parent, qui s'est stabilisé et qui surtout a gagné en sérénité, est replacé en EHPAD ordinaire où, assis sur son fauteuil, totalement inerte, il attend, sans comprendre ce qui se passe. Le sentiment d'abandon, chez une personne qui perd la tête, est immense.

Des actions s'inscrivant dans la durée doivent être entreprises, et il faut faire en sorte que les EHPAD soient non pas des mouroirs mais des lieux de vie. Un EHPAD n'est pas un établissement sanitaire, c'est une structure médicosociale, un lieu où l'on passe la dernière étape de la vie, ce qui nécessite d'accompagner les personnes dans la vie. Encore faudrait-il que les moyens existent pour une animation adaptée pour éviter tout phénomène de glissement. Dans le cadre des mutualisations d'EHPAD que j'évoquais, les animateurs se partagent entre différents lieux. Il convient de maintenir la vie dans ces établissements. Songeons au numérique, par exemple : les résidents vont changer et certains sont d'ores et déjà demandeurs. Or ils ne peuvent utiliser d'ordinateur car les EHPAD bénéficient rarement d'une connexion wifi adaptée.

Et puis n'oublions pas que manger est le dernier plaisir qui reste aux personnes âgées. Bien manger – dans la limite de l'observation des régimes, évidemment – suppose que les établissements consacrent un budget suffisant aux achats de denrées alimentaires. Cela suppose aussi, peut-être, de ne plus recourir autant aux aliments passés par la chaîne du froid. Certes, l'utilité de cette dernière est avérée sur le plan de l'hygiène, mais les mets sont sans saveur. Lorsqu'un EHPAD consacre 3,50 euros ou 4,50 euros à l'achat de denrées alimentaires par jour et par personne, il me semble que cela soulève des interrogations.

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